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Décisions

Cass. com., 18 novembre 2020, n° 19-14.831

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Viacab (SARL)

Défendeur :

Dream on board (SARL), Italian Dream (SAS), Fast and Precious Group (SAS), Fast and Precious France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin, conseiller doyen faisant fonction de président

Rapporteur :

Mme Champalaune

Avocat général :

Mme Beaudonnet

Avocats :

SCP Marlange et de La Burgade, SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer

Paris Pôle 5 ch. 1, du 5 mars 2019

5 mars 2019

Faits et procédure  

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 mars 2019), la société Viacab exerce à Paris une activité de location de très courte durée de véhicules de luxe sans chauffeur. Les sociétés Dream on board, Italian Dream, Fast and Precious Group et Fast and Precious France proposent une prestation consistant à offrir à leurs clients la possibilité de conduire des véhicules exceptionnels, accompagnés d'un de leurs salariés qui donne des instructions concernant le véhicule ainsi que l'itinéraire à emprunter dans Paris.

3. Faisant grief à ces sociétés d'exercer leur activité sur la voie publique sans autorisation et de manière illicite et de bénéficier ainsi d'avantages concurrentiels à son détriment, la société Viacab les a assignées en réparation de son préjudice.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche  

Enoncé du moyen

4. La société Viacab fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors « que le fait d'exercer son activité sans respecter la réglementation applicable fait bénéficier l'opérateur d'un avantage concurrentiel par rapport à ses concurrents qui respectent cette réglementation ; que, d'une part, la cour d'appel rappelle que l'arrêté du préfet de police de Paris n° 95-11067 du 10 juillet 1995 interdit le stationnement des véhicules de location en attente d'affectation à un client sur la voie publique ou ses dépendances, assimilant cette pratique à du stationnement abusif, et que l'article 442-8 alinéa 1er du code de commerce dispose qu' « il est interdit à toute personne d'offrir à la vente des produits ou de proposer des services en utilisant, dans des conditions irrégulières, le domaine public de l'Etat, des collectivités locales et de leurs établissements publics » ; que la cour d'appel constate, d'autre part, que la société Viacab produit trois procès-verbaux de constat d'huissier, établis les 23 octobre 2014, 14 janvier et 4 juin 2015, montrant le stationnement de véhicules de luxe de la société Dream on board, notamment, en attente de clients dans divers endroits touristiques de Paris ; qu'il résulte de ces constatations que la société Dream on board faisait stationner ses véhicules, en attente d'affectation à un client, sur la voie publique, en méconnaissance des textes précités ; qu'en refusant néanmoins d'admettre ces faits, dont elle constatait qu'ils étaient contraires à la réglementation applicable, comme constituant des actes de concurrence déloyale, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, et a violé l'article 1382, devenu 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour  

Vu l'article 1382, devenu 1240 du code civil :

5. Aux termes de ce texte, tout fait quelconque, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

6. Pour rejeter les demandes de la société Viacab, l'arrêt retient qu'il est constant que l'arrêté du préfet de police de Paris n° 95-11067 du 10 juillet 1995 interdit le stationnement des véhicules de location en attente d'affectation à un client sur la voie publique ou ses dépendances, assimilant cette pratique à du stationnement abusif, que la société Viacab produit trois procès-verbaux de constat d'huissier, établis les 23 octobre 2014, 14 janvier et 4 juin 2015, montrant le stationnement de véhicules de luxe de la société Dream on board en attente de clients dans divers endroits touristiques de Paris. Il relève que dans un courrier du 21 avril 2015, la préfecture de police de Paris, en réponse à un courrier du représentant légal de la société Viacab dénonçant le fonctionnement de la société Dream on board en sa qualité de loueur de véhicules haut de gamme sur trois sites touristiques à Paris, indique notamment : « A Paris, le règlement relatif aux activités commerciales sur l'espace public, en dehors des foires et marchés, concerne les activités commerciales ambulantes permanentes établies sur des emplacements permanents. La présence des véhicules de la société Dream on board sur la voie publique n'est pas synonyme d'emplacement permanent, puisqu'elle se limite à la mise à disposition du véhicule sur un site et à la consommation de la prestation par insertion dans la circulation générale puis au débarquement du client sur le même site ou un autre, une fois la prestation consommée. Il n'y a pas d'implantation sur la voie publique. Par conséquent les activités commerciales itinérantes telles que celles proposées par la société Dream on board ne sont pas soumises à la réglementation des activités commerciales permanentes. Par ailleurs, la transaction elle-même a lieu sur internet (...) s'effectue en dehors du domaine public. Ce type de transaction relève de la vente à distance, conformément au code de la consommation. La récupération des véhicules réservés sur le domaine public sur les lieux de rendez-vous déterminés par les clients relève de l'exécution d'un contrat (...) pas de l'activité ambulante. (...) Au vu de la réglementation actuelle, il n'est pas possible d'opposer une absence d'autorisation d'occupation du domaine public et de verbaliser à ce titre la société Dream on board », et que dans un courrier du 8 octobre 2015, la préfecture de police de Paris indique encore : « Le phénomène que vous évoquez, du stationnement de véhicules de sport proposés à la location sur la voie publique en divers lieux de la Capitale (...) est apparu il y a un an environ. Cette nouvelle forme de location de courte durée est désormais bien connue (...) des effectifs de police et des ASP, qui déploient une activité contraventionnelle très soutenue en matière de contrôle et de répression du stationnement irrégulier à leur encontre (...). Seules ces actions, fondées sur le code de la route, sont pertinentes en la matière, l'exercice de la location de tels véhicules sur la voie publique n'étant pas interdit en tant que tel ». Il retient également qu'il ressort d'échanges de courriels, en septembre 2014, entre le représentant légal de la société Viacab et la société Dream on board, qu'une réservation est obligatoire, par téléphone ou par courriel, et que les clients ne peuvent donc pas louer directement les véhicules en stationnement sur l'espace public, ce qui correspond à l'analyse de la préfecture de police de Paris.  

7. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que les véhicules de la société Dream on board stationnaient sur le domaine public en contravention avec l'arrêté du préfet de police de Paris invoqué qui interdisait tout stationnement des véhicules de location sur la voie publique, ce dont il résultait que cette société exerçait son activité en violation des dispositions réglementaires sur la police des lieux, méconnaissant ainsi l'article L. 442-8 du code de commerce, fait constitutif de concurrence déloyale, peu important que son activité ne soit pas soumise à une autorisation d'occupation du domaine public, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations.

Portée et conséquences de la cassation

8. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée sur le caractère illicite de l'activité exercée par la société Dream on board entraîne, par voie de conséquence, celle du chef de dispositif rejetant la demande formée par cette société à lui payer des dommages-intérêts pour procédure abusive, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.  

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 mars 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne la société Dream on board aux dépens ;  

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Dream on board et la condamne à payer à la société Viacab la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé.