CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 20 novembre 2020, n° 17/08489
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
CA Communication Multimédia (SAS)
Défendeur :
Group Digital (SACD)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ardisson
Avocats :
Me Coulon, Me Guéry
Vu le jugement du tribunal de commerce de Lille métropole du 25 janvier 2017 qui a :
- débouté la société Group Digital de sa demande de nullité de l'assignation délivrée par la société Erel conseil,
- dit que la relation commerciale entre la société Erel conseil et la société Group Digital est établie,
- dit la société Group Digital responsable de la rupture brutale des relations commerciales avec la société Erel conseil,
- condamné la société Group Digital à payer à la société Erel conseil la somme de 44.062 euros au titre de réparation du préjudice subi au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies avec intérêts au taux légal à compter du 19 juin 2015,
- ordonné la capitalisation des intérêts,
- débouté la société Erel conseil de sa demande d'indemnisation d'une somme de 50.000 euros pour agissements déloyaux de la société Group Digital,
- débouté la société Erel conseil de sa demande de paiement par la société Group Digital de sa facture du 31 mars 2012 de 5.980 euros TTC,
- débouté la société Group Digital de sa demande en condamnation de la société Erel conseil à des dommages et intérêts pour procédure abusive,
- condamné la société Group Digital à payer à la société Erel conseil la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Group Digital à supporter les entiers frais et dépens et frais de greffe ;
Vu l'appel interjeté le 24 avril 2017 par la société Erel conseil ;
Vu les conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 14 mai 2019 pour la société CA Communication multimédia, venant aux droits de la société Erel conseil, pour entendre, en application des articles 56, 648, 112 et 115 du code de procédure civile, L. 441-6, L. 442-6-I et D. 442-3 du code de commerce, et 1134 du code civil :
- confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la nullité de l'assignation,
- confirmer le jugement en ce qu'il a décidé que la société Group Digital a rompu de manière brutale ses relations commerciales établies avec la société Erel conseil et condamné la société Group Digital aux dépens et aux frais irrépétibles,
- infirmer le jugement pour le surplus,
- dire que le préavis qui aurait dû être accordé à la société Erel conseil est d'une durée de 28 mois,
- condamner la société Group Digital à payer la somme de 595.938 euros en réparation du préjudice subi au titre de la rupture brutale des relations commerciales, augmentée des intérêts légaux à compter de l'assignation de première instance le 19 juin 2015,
- condamner la société Group Digital à payer la somme de 50.000 euros en réparation du préjudice subi au titre de ses agissements déloyaux, augmentée des intérêts légaux à compter de la date de l'assignation,
- condamner la société Group Digital à payer la somme de 5.980 euros au titre de la facture en date du 31 mars 2012 avec intérêts légaux à compter de la mise en demeure du 1er juillet 2013, ainsi que la somme de 40 euros,
- ordonner la capitalisation des intérêts,
- condamner la société Group Digital à payer la somme de 25.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Group Digital aux entiers dépens ;
Vu les conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 16 octobre 2019 pour la société Group Digital afin de voir, en application des articles 1134 du code civil, et L. 442-6-I-5 du code de commerce :
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Erel conseil de sa demande d'indemnisation d'une somme de 50.000 euros pour agissements déloyaux et en paiement de la facture du 31 mars 2012 de 5.980 euros TTC,
- infirmer le jugement en ce qu'il a déclaré établie la relation commerciale entre la société Erel conseil et la société Group Digital, dit la société Group Digital responsable de la rupture brutale des relations commerciales et octroyé des dommages et intérêts à la société Erel conseil,
- débouter la société Erel conseil de l'ensemble de ses demandes,
- infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Group Digital de sa demande de dommages et intérêts en raison du caractère abusif de la procédure,
- condamner la société Erel conseil à régler la somme de 50.000 euros de dommages et intérêts en raison du caractère abusif de procédure
- condamner la société Erel conseil à régler la somme de 25.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Erel conseil aux dépens de première instance et d'appel.
SUR CE, LA COUR,
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties.
En liminaire, il sera donné acte à la société CA Communication multimédia de son intervention aux droits et obligations de la société Erel conseil (société Erel). Il sera d'autre part relevé que la société Group Digital (société Digital) ne conteste pas la régularité de l'assignation délivrée en première instance par la société Erel conseil (société Erel), en sorte qu'il n'y a pas lieu de la discuter.
Il sera succinctement rapporté que la société Erel, qui a pour activité le conseil en publicité, la réalisation de supports et de campagnes publicitaires comprenant la réalisation et l'impression de dépliants, tracts, plaquettes, s'est vue régulièrement confié à compter de 1987 des campagnes de publicité de la société Digital, chargée du référencement et de la promotion des produits des commerçants de son réseau.
Aux termes d'un premier courriel du 4 mars 2013, la directrice marketing et communication de la société Digital a indiqué à la société Erel n'avoir « à ce jour aucune visibilité sur la continuité de notre collaboration avec Erel conseil et par conséquent ne pas [pouvoir] nous engager sur une ligne artistique à plus de 3 mois à compter de ce jour ». Et à la demande de la société Erel du 15 février 2013 « de lui communiquer les caractéristiques techniques pour le prochain guide », la représentante de la société Digital a répondu par courriel du 7 mars suivant qu'elle ne confierait pas la production du guide PEM (« petit électro ménager »). Enfin, par deux autres courriels, la société Digital a indiqué le 17 avril que « pour faire suite à notre conversation je vous confirme que Digital ne confiera pas la réalisation du guide GEM (« gros électro ménager ») 2013 à Erel Conseil » puis le 26 avril, elle a « [confirmé] ne pas être certaine de produire ce tract, néanmoins si nous le produisons il ne se fera pas avec Erel Conseil ».
Tandis que plus aucune commande ne sera facturée à compter de juin 2013, la société Erel a fait établir par constats d'huissier des 21 juin 2013 puis du 20 février 2014 que la société Digital a recouru à l'agence Horizon Bleu pour la réalisation de ses campagnes de publicité.
Imputant à la société Digital la rupture brutale de leur relation commerciale établie depuis vingt-six ans, la société Erel l'a mise en demeure le 1er juillet 2013 de l'indemniser de ce chef et de lui régler une facture du 31 mars 2012, ce que la société Digital a contesté par lettres des 12 juillet et 5 août 2013 avant d'être assignée le 15 juin 2015 en dommages et intérêts et en paiement de la facture.
1. Sur la preuve de la relation commerciale établie et la faute dans la rupture
Pour voir infirmer le jugement qui a retenu sa responsabilité dans la rupture brutale de la relation commerciale établie avec la société Erel, la société Digital conteste, en premier lieu, l'existence de celle-ci en relevant, d'une part, qu'il n'a jamais été convenu entre les parties d'un chiffre d'affaires à atteindre, ni d'exclusivité, en particulier pour la réalisation des catalogues, de deuxième part, que la société Erel entretenait des relations commerciales non exclusives avec la société Digital, de troisième part, que la société Digital a toujours mis en concurrence la société Erel avec d'autres agences de publicité, notamment au moyen d'appel d'offres tant en ce qui concerne les prestations de conseil en communication que pour la réalisation de campagnes spécifiques, et en soutenant enfin, que la relation commerciale était fondée sur un modèle d'offre de devis préalable de la société Erel pour le lancement de ces catalogues ou d'autres tracts, suivie de son évaluation avant chaque campagne et qu'enfin, ces relations étaient régulièrement l'objet de discussion manifestant l'insatisfaction de la société Digital.
Au demeurant l'essentiel des échanges de courriels que la société Digital met aux débats se limitent à démontrer la réalité de discussions sur l'évaluation des prix ou sur la consistance des prestations conduites entre les parties et n'établissent pas le préalable régulier et constant d'un recours à l'appel d'offres pour la soumission de ses prestations, et tandis que le surplus des moyens n'est pas de nature à contester la preuve de la commande régulière et continue ayant existé entre les deux entreprises depuis vingt-six ans et qui s'est établie pour des chiffres d'affaires, hors taxe, de 1.151.476 euros en 2010, 1.058.615 euros en 2011 puis 718.637 euros hors taxes en 2012 avant de ne plus représenter que 81.886 euros de janvier à mai 2013, les premiers juges seront confirmés de ce chef.
La société Digital conteste, en deuxième lieu, la brutalité de la rupture de la relation commerciale qu'elle entend imputer à la société Erel en opposant, d'abord, des alertes qu'elle a adressées à la société Erel sur les tarifs élevés de ses devis depuis octobre 2008, en suite, les carences de la société Erel en 2011 dans l'hébergement du site « letourdigital » et l'accès à des mini sites promotionnel la carence de la société Erel dans la mise en place d'un interface devant remplacer l'outil Wedia convenu courant 2012 et déploré par la société Digital dans un courriel du 26 février 2013, puis à compter de janvier 2013 les carences de la société Erel dans l'offre de prestation résultant des départs des trois responsables de son établissement à Metz et du licenciement du directeur avec lesquels les contrats étaient exécutés suivi d'un licenciement économique de six salariés, enfin, les termes des courriels précités qu'elle lui a adressés en février et mars 2013 et ceux d'un courriel du 3 avril 2013 dans lequel elle dénonce le prix prohibitif d'une prestation. La société Digital estime enfin que sa mise en demeure du 1er juillet 2013 constitue l'initiative de la rupture de la relation par la société Erel.
Subsidiairement, la société Digital conclut que les courriels qu'elle a adressés en février et mars 2013 tiennent lieu de préavis à la société Erel et à tout le moins celui d'un an qu'elle a dénoncé à la société Erel dans sa lettre du 13 juillet 2013.
D'une manière générale, la société Digital conclut que la stratégie globale de la société Erel a consisté dans la volonté de fermer l'agence de Metz et de pousser les clients à la cessation des relations, ainsi qu'a pu le déplorer par ailleurs un autre client, le conseil national des entreprises de la coiffure, pour ultérieurement engager des contentieux en invoquant la brutalité dans la rupture en vue de financer ses difficultés financières.
Toutefois les échanges entre les parties sur les tarifs n'excèdent pas la pratique commerciale admissible, la société Digital s'étant en suite régulièrement accordée sur les prix négociés, le tarif excessif dénoncé le 3 avril 2013 par la société Digital ne portant que ponctuellement que sur une valeur de prestation de 3.225 euros pour un dossier valorisé par le passé 500 euros. Les difficultés techniques rencontrées sur la mise en œuvre de supports internet ont quant à elles trouvé des solutions dont la preuve qu'elles avaient impacté la substance des prestations n'est pas rapportée. Les rares courriels que la société Digital a adressés à la société Erel à compter de 2013 ainsi que les difficultés que son établissement de Metz a connu ne caractérisent pas en eux-mêmes les carences alléguées de l'établissement qui conservait encore 13 salariés et tandis qu'il est constant que la société Digital a tari les demandes de prestations à la société Erel à partir de 2013 y compris en recourant à d'autres prestataires pour la réalisation des catalogues de 2013 sans que l'incapacité de la société Erel d'y répondre ne soit établie, les griefs seront écartés.
Et tandis que les termes des courriels précités de la société Digital ne caractérisent pas la dénonciation d'un préavis pour la rupture de la relation commerciale établie et que les mises en demeure de la société Erel se limitent à déplorer la rupture injustifiée de cette relation, le préavis d'un an dénoncé par la société Digital le 13 juillet 2013 sous conditions n'apparaît de nature à restaurer la relation commerciale et les juges seront confirmés par conséquent en ce qu'ils ont retenu la responsabilité de la société Digital.
2. Sur le délai de préavis et la réparation du préjudice économique
La société Erel prétend fixer le délai de préavis à vingt-huit mois en se prévalant de l'ancienneté de la relation commerciale établie avec la société Digital qui représentait entre 20 et 27 % de son chiffre d'affaire et en invoquant des décisions judiciaires reconnaissant sur des bases comparables des préavis de durées supérieures.
Toutefois pour contester cette prétention, la société Digital est bien fondée à invoquer la référence à l'usage entre les annonceurs et les agents de publicité issu du contrat type publié le 19 septembre 1961 selon lequel la faculté de rompre le contrat passé à durée indéterminée entre un annonceur et une agence doit être précédé d'un préavis de six mois, de sorte que sur la base de l'ancienneté de la relation établie entre les deux sociétés ainsi que l'état de dépendance que traduit seulement la part du chiffre d'affaires de cette relation dans l'activité globale de la société Erel, les premiers juges seront confirmés en ce qu'ils ont fixé la durée de ce préavis à dix mois à compter du 4 mars 2013 pour se terminer au 31 décembre 2013.
Pour la détermination du préjudice, la société Digital reprend en substance les motifs des premiers juges selon lesquels elle a enregistré une diminution en 2013 de son budget de publicité à la suite de la perte de ses adhérents et que la société Erel était confrontée à des difficultés, un manque de moyens et de disponibilité pour ainsi diviser par deux le montant de la marge brute que la société Erel entendait voir appliquer au multiple des mois de préavis, la société Digital faisant encore valoir les économies réalisées par la société Erel pendant le préavis à raison de la fermeture de son établissement de Metz.
Au demeurant et en premier lieu, la diminution du budget de la société Digital n'est pas de nature à réduire le préjudice qui résulte de la perte de marge liée à la rupture fautive de la relation commerciale, et cela d'autant moins que des contrats dont la société Erel a été privée ont été attribués à d'autres concurrents et qu'au surplus la baisse de budget est pour l'essentiel postérieure à la rupture sans préavis de la relation commerciale. En second lieu, il n'est pas établi financièrement le montant des économies que le préavis dont la société Erel a été privée lui a permis de réaliser ni par ailleurs le lien de causalité entre les supposées économies et les effets sur le préavis dont elle a été privée.
Le jugement sera en conséquence infirmé de ce chef et tandis qu'il est constant que la marge brute de la société Erel sur les contrats exécutés de 2010 à 2012 pour la société Digital s'établit à 255.402 euros, il convient de condamner cette dernière à payer la somme de 212.835 euros de dommages et intérêts.
3. Sur la demande de dommages et intérêts pour agissement déloyal
Pour voir confirmer le jugement en ce qu'il a écarté la demande de dommages et intérêts de la société Erel au titre du refus déloyal d'octroyer le marché du catalogue PEM en 2013 qui a été confié à la société Horizon bleu, la société Digital relève que cette prestation ne lui était pas confiée depuis l'origine, mais depuis 2000.
Toutefois, l'ancienneté de ce partenariat pour cette prestation ainsi que la reconduction de la demande de confection de catalogue en février 2013 qui a été suivie d'un travail de la société Erel avant que la société Digital ne refuse la réalisation de cette prestation au profit d'une concurrent de la société Erel suffisent à caractériser le manquement fautif, de sorte que le jugement sera infirmé de ce chef et la société Digital condamnée à payer la somme de 15.000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice qui en est résulté.
4. Sur la demande en paiement de facture
Pour voir confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Erel conseil de sa demande de paiement de facture de 5.980 euros TTC émise le 31 mars 2012, la société Group Digital soutient péremptoirement qu'aucune preuve de la prestation n'est établie, alors qu'il suit des courriels et des documents attachés produits par la société Erel en pièces n°68 à 71 a preuve de la réalité de la prestation et correspondant au descriptif de cette facture, de sorte que le jugement sera infirmé de ce chef et la demande satisfaite assortie du taux d'intérêt au taux légal à compter de la mise en demeure de payer.
5. Sur les dommages et intérêts pour procédure abusive, les frais irrépétibles et les dépens
En suite des motifs adoptés ci-dessus, l'action de la société Erel est dépourvue d'abus de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Digital de sa demande de ce chef.
La société Digital succombant à l'action, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles, et en cause d'appel, elle sera condamnée aux dépens et à payer la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
Donne acte à la société CA Communication multimédia de son intervention aux droits et obligations de la société Erel conseil ;
Confirme le jugement en l'état de ses dispositions déférées, sauf sur le montant des dommages et intérêts liés à la rupture brutale de la relation commerciale établie et en ce qu'il a débouté la société Erel conseil de ses demandes au titre de comportement déloyal et en paiement de facture ;
Statuant à nouveau de ces chefs,
Condamne la société Group Digital à verser à la société CA Communication multimédia :
212.835 euros de dommages et intérêts au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie,
15.000 euros de dommages et intérêts au titre du manquement déloyal,
5.980 euros au titre de la facture émise le 31 mars 2012 avec intérêts au taux légal à compter du 1er juillet 2013 outre 40 euros ;
Condamne la société Group Digital aux dépens ;
Condamne la société Group Digital à verser à la société CA Communication multimédia la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.