CA Agen, 1re ch. civ. sect. com., 18 novembre 2020, n° 20/00273
AGEN
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
General Mills International (SARL)
Défendeur :
Le Royaume Glacé (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vidalie
Conseillers :
M. Segonnes, Mme Schmidt
Par acte sous seings privés du 6 novembre 2014, la SARL Le Royaume Glacé dirigée par X a conclu avec la SARL General Mills International un contrat de franchise unique de boutique Häagen-Dazs.
X et son épouse Y (les époux X) se sont personnellement portés cautions des engagements de la SARL Le Royaume Glacé le même jour et ont signé le contrat de franchise.
La SARL Le Royaume Glacé ayant été confrontée à des difficultés financières, X a déposé une déclaration de cessation des paiements qui a été suivie de la liquidation judiciaire de la société prononcée par un jugement du tribunal de commerce d'Agen du 14 septembre 2016.
Les époux X et Maître Z, qui a été désigné en qualité de mandataire liquidateur de la SARL Le Royaume Glacé, ont assigné devant le tribunal de commerce d'Agen la SARL General Mills International pour obtenir au visa de l'article 331 du code de procédure civile relatif à l'intervention forcée :
- la condamnation de la SARL General Mills International à garantir X des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre dans les instances l'opposant à la Banque Populaire Occitane et la Socama (enrôlée sous le numéro 2017004368) et à Natixis Lease (enrôlée sous le numéro 2018006261), lui reprochant des manquements à ses obligations de franchiseur l'ayant conduit à souscrire des engagements envers ces établissements financiers puis à subir leurs poursuites,
- l'annulation du contrat de franchise,
- la condamnation de la SARL General Mills International à payer à Maître Z, pris en sa qualité de mandataire liquidateur de la SARL Le Royaume Glacé et aux époux X diverses sommes.
Les époux X et Maître Z, agissant en qualité de liquidateur de la SARL Le Royaume Glacé, ont sollicité la jonction de cette nouvelle instance avec les deux instances précitées.
Rejetant l'exception soulevée par la SARL General Mills International qui entendait se prévaloir de l'incompétence territoriale du tribunal de commerce d'Agen au profit du tribunal de commerce de Versailles en raison de l'existence dans le contrat de franchise d'une clause attributive de compétence, le tribunal de commerce d'Agen, par un jugement du 19 février 2020 a rejeté la demande de jonction de procédures, s'est déclaré compétent pour connaître du litige et a renvoyé l'affaire à la mise en état.
Le tribunal a considéré que rien ne permettait de distinguer la clause invoquée des autres clauses du contrat qui ne respectait pas les dispositions de l'article 48 du code de procédure civile exigeant qu'elle soit très apparente, et devait être réputée non-écrite.
La SARL General Mills International a relevé appel de la décision par déclaration du 13 mars 2020, puis, sur autorisation du premier président de la cour d'appel d'Agen du même jour, a assigné à jour fixe les époux X et Maître Z, pris en sa qualité de mandataire liquidateur de la SARL Le Royaume Glacé, par acte d'huissier délivré le 14 avril 2020 à comparaître devant cette juridiction le 10 juin 2020.
À cette date, l'examen de l'affaire a été reporté au 30 septembre 2020.
Par dernières conclusions du 10 juin 2020, auxquelles il est renvoyé pour le détail de l'argumentation, la SARL General Mills International demande à la Cour de :
- infirmer le jugement dont appel,
- déclarer incompétent le tribunal de commerce d'Agen au profit du tribunal de commerce de Versailles,
- renvoyer en conséquence la cause et les parties devant ce tribunal,
- condamner les époux X et Maître Z, es qualité, aux dépens d'appel à recouvrer par Maître A conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La SARL Mills International présente l'argumentation suivante :
- l'article 333 du code de procédure civile prévoyant que la partie appelée en intervention forcée est tenue de procéder devant la juridiction saisie de la demande originaire sans pouvoir décliner sa compétence y compris en invoquant une clause attributive de compétence, n'est pas applicable au présent litige qui relève du droit international privé puisque si le contrat est soumis au droit français, la SARL Mills International est suisse, et qu'il importe de faire prévaloir les prévisions des parties sur les règles nationales de compétence,
- la clause attributive de compétence est conforme à l'article 48 du code de procédure civile, car elle figure sur une page paraphée par les époux X, met en évidence le titre évocateur « résolution des litiges », se trouve dans un paragraphe court, distinct des autres et sur une page aérée, et est libellée dans les termes clairs.
Par dernières conclusions du 10 juin 2020, auxquelles il est renvoyé pour le détail de l'argumentation, les époux X et Maître Z, agissant en qualité de mandataire liquidateur de la SARL Le Royaume Glacé, demandent à la Cour de :
- confirmer le jugement entrepris,
- condamner la SARL General Mills International à verser aux époux X et à Maître Z agissant en qualité de mandataire liquidateur de la SARL Le Royaume Glacé 2 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la SARL General Mills International aux dépens dont distraction au profit de Maître B.
Ils présentent d'argumentation suivante :
- l'exception d'incompétence ne peut être soulevée en vertu des règles relatives à l'intervention forcée des articles 331 et suivants du code de procédure civile, qui excluent la possibilité d'invoquer une clause attributive de compétence,
- si l'article 333 de ce code ne s'impose pas en matière de droit international privé, il n'en demeure pas moins que, pour être invoquée la clause doit être valable, or la clause litigieuse ne respecte pas l'article 48 du code de procédure civile, car elle n'est pas très apparente, mais au contraire, figure dans un contrat de 84 pages sans distinction typographique, de format ou de caractères, alors même qu'une autre clause relative à la reconnaissance par le franchisé qu'il lui a été recommandé par le franchiseur de s'entourer du conseil d'un professionnel a fait l'objet d'une distinction particulière en étant inscrite en lettres capitales ; de plus, le libellé « résolution des litiges » ne permet pas d'identifier d'emblée l'objet de la clause, elle est portée sur une page qui n'est pas signée mais simplement paraphée, et elle fait lien avec un appendice qui est noyé dans une page dense et ne contient aucune information sur l'attribution de compétence.
MOTIFS
Sur l'exception d'incompétence
L'appelante dont le siège est situé en Suisse n'étant pas de droit français, les parties ne s'opposent pas sur l'inapplicabilité au litige de l'article 333 du code de procédure civile et sur l'applicabilité de la clause d'attribution de compétence litigieuse sous condition de sa conformité à l'article 48 du code de procédure civile.
Selon ce texte, toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale, est réputée non écrite à moins qu'elle n'ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu'elle n'ait été spécifiée de façon très apparente dans l'engagement de la partie à qui elle est opposée.
Il appartient donc aux parties de renforcer l'apparence de la clause attributive de compétence afin de susciter leur attention au moment de sa signature.
En l'espèce, la clause litigieuse figure en « appendice F » du contrat intitulée « résolution des litiges » et stipule :
« Les parties tenteront de résoudre de bonne foi tout litige ou réclamation découlant de ou se rapportant au contrat par le biais de négociations entre leurs personnels d'encadrement respectifs qui sont habilités à les régler. »
« En cas d'échec, tout litige pouvant survenir à propos du contrat, et notamment son interprétation, son exécution ou sa résiliation est de la compétence exclusive des juridictions compétentes du ressort de la cour d'appel de Versailles. »
Cette clause est imprimée en caractères noirs sur fond blanc identiques à ceux du reste de la convention qui comporte plusieurs appendices insérés dans le contrat, représentant un ensemble de 80 pages, et tandis que certains documents sont présentés en couleurs afin de faire ressortir des points particuliers, qu'il s'agisse de cartes géographiques de la zone d'implantation du commerce, ou de tableaux, son apparence n'est renforcée par aucune caractéristique permettant de la distinguer et de susciter l'attention du franchisé, par l'emploi de procédés tels qu'une insertion dans un cadre de couleur, une impression en caractères gras, ou encore l'utilisation de caractères différents, telle que mentionnée à juste titre par le tribunal s'agissant de la clause relative aux conseils d'un professionnel inscrite en lettres capitales la distinguant d'emblée des clauses l'entourant.
De plus, la clause d'attribution de compétence figure dans l'appendice F comportant une page unique, qui est précédé d'un appendice E comportant plusieurs pages présentant des tableaux en couleurs, et suivi d'un appendice G illustré de tableaux et de cartes mis en relief par des couleurs vives, ce qui a pour effet d'affaiblir son apparence, et de la rendre moins attractive pour le lecteur.
Enfin, il sera observé que la clause ne désigne pas le tribunal de commerce de Versailles pour connaître du litige, mais évoque « la compétence exclusive des juridictions compétentes du ressort de la cour d'appel de Versailles », laquelle couvre les tribunaux de commerce de Versailles, Nanterre, Pontoise et Chartres, de sorte que pour déterminer la juridiction compétente en cas de litige, une analyse des autres stipulations du contrat susceptibles de contenir des critères de compétence est nécessaire.
L'appelante ne justifie d'ailleurs pas sa demande de désignation du tribunal de commerce de Versailles.
Or une clause attributive de compétence doit à tout le moins désigner la juridiction désignée par les parties pour être valablement consentie.
La clause attributive de compétence ne peut donc être regardée comme satisfaisant aux conditions prévues par l'article 48 du code de procédure civile.
Le jugement sera confirmé.
Sur les autres demandes
Les dépens de première instance ont été à juste titre mis à la charge de la société General Mills International.
Les dépens d'appel seront mis à sa charge puisque son recours n'est pas fondé.
La société General Mills International sera condamnée à payer aux époux X et à Maître Z agissant en qualité de mandataire liquidateur de la SARL Le Royaume Glacé 2 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition et en dernier ressort,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la société General Mills International à payer à X, Y, et Maître Z, agissant en qualité de mandataire liquidateur de la SARL Le Royaume Glacé, 2 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société General Mills International aux dépens d'appel,
Autorise Maître B à recouvrer directement ceux des dépens dont il a fait l'avance sans en avoir reçu provision, par application de l'article 699 du code de procédure civile.