Cass. com., 18 novembre 2020, n° 18-25.709
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Apodiss (SAS), Porte, Picard (ès qual.), Desprat (ès qual.)
Défendeur :
Urban State Group (SARL), Financière Cardinal (SAS), Cardinal Entreprises (SAS), PNI (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guérin
Rapporteur :
Mme Michel-Amsellem
Avocat général :
Mme Beaudonnet
Avocats :
SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 octobre 2018), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 24 mai 2017, pourvoi n° 15-16.953), M. Porte, professionnel de l'immobilier, a créé, le 10 mars 2003, la société Apodissimo, devenue Apodiss, et engagé une collaboration avec la société Groupe cardinal, qui avait une activité d'études immobilières et de promotion immobilière, par le truchement de sociétés filiales dédiées. Cette collaboration s'est notamment traduite par la constitution de la société Cardinal Consulting, dans le capital de laquelle la société Apodiss a pris une participation de 33 %, provisoirement portée par la société Groupe cardinal.
2. Le 27 octobre 2005, une convention de prestation de services a été conclue entre les sociétés Groupe cardinal et Apodiss, aux termes de laquelle cette dernière devait recevoir, en contrepartie de ses services, une rémunération forfaitaire mensuelle et une rémunération proportionnelle au chiffre d'affaires réalisé dans le cadre des opérations immobilières auxquelles elle aurait apporté son concours.
3. Le 2 août 2007, à la suite de la comparution de M. Porte devant un tribunal correctionnel, la société Groupe cardinal a décidé de mettre fin à leur collaboration et un protocole transactionnel a été conclu pour résilier la convention de 2005 et prévoir le versement à M. Porte d'une certaine somme au titre de plusieurs opérations immobilières en cours.
4. En juin 2008, la société Groupe cardinal et la société Apodiss ont repris leurs relations d'affaires, sans qu'un contrat écrit ait été formalisé.
5. La société Groupe cardinal, devenue Urban State Group, ayant mis fin à ces relations par lettre du 30 juin 2010, la société Apodiss et M. Porte l'ont assignée, ainsi que ses filiales, les sociétés Financière cardinal, Cardinal investissement, devenue Cardinal promotion, Cardinal entreprises et PNI, en dommages-intérêts pour rupture brutale d'une relation commerciale établie et paiement de diverses sommes restant dues à titre de rémunération.
6. La société Apodiss ayant été mise en redressement judiciaire, les sociétés Administrateurs judiciaires partenaires (la société AJP), prise en la personne de M. Picard, administrateur judiciaire, et MJ Synergie, prise en la personne de M. Desprat, mandataire judiciaire, sont intervenues à la cause.
Examen des moyens
Sur les premier, deuxième et troisième moyens, ci-après annexés
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
8. M. Porte, la société Apodiss et la société AJP, ès qualités, font grief à l'arrêt de condamner la société Groupe cardinal, devenue Urban State Group, à payer à la société Apodiss la seule somme de 66 087,50 euros au titre de la rupture brutale d'une relation commerciale établie, alors :
« 1°) que pour limiter à trois mois la durée du préavis qui aurait dû être accordé à la société Apodiss, la cour d'appel a considéré que cette société avait entretenu avec la société Groupe cardinal une première relation d'affaires qui s'était achevée par la conclusion d'un protocole d'accord signé en août 2007, et qu'une seconde relation d'affaires, brutalement rompue le 30 juin 2010, avait été suivie entre le mois de juin 2008 et le 30 juin 2010 ; que la cour d'appel en a déduit que le délai de préavis qui avait être accordé à la société Apodiss préalablement à la rupture de cette seconde relation aurait dû être de trois mois ; qu'en statuant ainsi, sans s'expliquer, comme elle y était invitée, sur les pièces 15, 16 par lesquelles la société Apodiss avait démontré que les relations d'affaires entretenues avec le Groupe cardinal avaient repris bien avant juin 2008, pour un chiffre d'affaires avoisinant en outre les 20 000 000 d'euros, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°) que pour déterminer la durée du préavis qui doit être délivré à la partie qui supporte la rupture d'une relation commerciale établie, le juge doit tenir compte de l'état de dépendance dans laquelle celle-ci se trouve placée vis-à-vis de son partenaire commercial, sans que ne puisse lui être opposé l'absence de diversification de ses activités ; que pour limiter à trois mois la durée du préavis qui aurait dû être accordé à la société Apodiss par la société Groupe cardinal à l'occasion de la rupture de leurs relations commerciales, la cour d'appel a retenu qu'il n'y avait pas lieu de tenir compte de l'état de dépendance économique dans lequel la société Apodiss avait été placée, dès lors que cet état relevait de « sa propre responsabilité » ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6 du code de commerce ;
3°) que l'état de dépendance dans lequel se trouvait placée la société Apodiss vis-à-vis de la société groupe Cardinal devait d'autant plus être pris en considération dans le calcul du préavis prévu par l'article L. 442-6 du code de commerce que cet état de dépendance ne résultait pas d'un choix exclusivement personnel émanant de la société Apodiss mais bien d'une stratégie d'ensemble à la construction et à l'initiative de laquelle se trouvait également la société Groupe cardinal ; qu'à cet égard, la société Apodiss rappelait qu'elle avait été constituée à l'initiative de M. Porte et de M. Larose, gérant de la société Groupe cardinal, dans le but précis d'assister le groupe dans la réalisation des opérations immobilières qu'il conduisait ; qu'elle rappelait que les relations entre les parties étaient à ce point enchevêtrées que M. Porte exerçait de fait des fonctions de direction au sein de la société Groupe cardinal et que les parties avaient conjointement engagé des négociations en vue de l'entrée de la société Apodiss dans le capital de la société Financière cardinal et de la nomination de M. Porte en qualité de directeur général de cette société ; qu'en ne s'expliquant pas sur ces circonstances, qui justifiaient en tout état de cause la prise en considération de l'état de dépendance dans lequel se trouvait placée la société Apodiss vis-à-vis de la société Groupe cardinal, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6 du code de commerce ;
4°) que le juge doit tenir compte, dans la détermination du préavis qui doit être délivré au commerçant qui supporte la rupture d'une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6 du code de commerce, des spécificités liées au secteur dans lequel les parties interviennent ; qu'en statuant comme elle l'a fait, par des motifs qui ne permettent pas d'établir qu'elle aurait tenu compte, comme elle y était pourtant invitée, des spécificités inhérentes à l'activité de la promotion immobilière, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
9. Après avoir relevé que la société Urban State Group n'apportait pas la preuve de manquements suffisamment graves imputables à la société Apodiss, justifiant de la rupture sans préavis de leurs relations commerciales, le 30 juin 2010, l'arrêt, par une appréciation souveraine de la portée du protocole transactionnel conclu par les parties le 2 août 2007, retient que les relations d'affaires nouées entre elles en 2003 ont été interrompues par l'effet de ce protocole et en déduit que les relations nouvelles que les parties ont entretenues à partir de juin 2008 avaient une durée de deux ans lorsqu'elles ont été rompues en juin 2010.
10. L'arrêt retient ensuite que l'état de dépendance économique invoqué par la société Apodiss, n'est pas fondé dès lors qu'il n'est pas la conséquence de circonstances juridiques ou économiques imposées par la société Urban State Group mais, résultant d'une démarche personnelle de la société Apodiss qui avait toute liberté pour rechercher d'autres partenaires, relève de sa propre responsabilité.
11. En l'état de ces constatations et appréciations, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a retenu que la cessation des relations commerciales entre les parties aurait dû être précédée d'un préavis de trois mois.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
Et sur le cinquième moyen
Enoncé du moyen
13. M. Porte, la société Apodiss et la société AJP, ès qualités, font grief à l'arrêt de rejeter l'ensemble de leurs demandes au titre de la rupture abusive de pourparlers, alors :
« 1°) qu'en l'espèce, la société Apodiss et M. Porte faisaient valoir qu'ils avaient engagé des pourparlers avec la société Groupe cardinal en vue du transfert d'actions de la société Financière cardinal au profit de la société Apodiss, qu'un protocole d'accord avait été rédigé à cette fin par le conseil des sociétés du groupe Cardinal, et que les pourparlers ainsi engagés, qui étaient très avancés, avaient été brutalement rompus, en juin 2010, de la même façon que l'avaient été leurs relations commerciales ; qu'en énonçant, pour écarter les demandes présentées par la société Apodiss et M. Porte à ce titre que ces derniers « ne démontraient pas l'intensité des pourparlers, leur durée ou la légèreté du groupe Cardinal dans la rupture », sans rechercher, comme elle y était invitée, si en faisant établir par ses propres conseils le protocole d'accord litigieux, en entretenant des relations commerciales continues avec la société Apodiss, et en permettant même à M. Porte d'occuper d'ores et déjà, dans les faits, les fonctions et qualité de directeur général, ainsi que le prévoyait le protocole d'accord, la société Groupe cardinal n'avait pas fait naître chez la société Apodiss et M. Porte la croyance légitime que les négociations entreprises se poursuivraient et si la faute commise par la société Groupe cardinal dans la rupture de ces pourparlers ne résultait pas de la brutalité avec laquelle il y avait été mis fin, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause ;
2°) qu'en statuant comme elle l'a fait, sans même s'expliquer sur les circonstances précitées, qui caractérisaient l'existence d'une faute, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°) qu'en retenant, par motifs éventuellement adoptés des premiers juges, que le préjudice résultant d'une rupture de pourparlers ne peut pas être évalué par référence à la perte d'une chance de réaliser les gains que permettrait d'espérer la conclusion du contrat quand les préjudices allégués résultait également du temps, des frais et des nombreux investissements réalisés dans le projet envisagé, la cour d'appel a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
14. L'arrêt retient que, si la rupture de la relation commerciale liant les parties a mis fin aux pourparlers en cours concernant la prise de capital de la société Apodiss dans la société Financière cardinal et la nomination de M. Porte comme directeur général de cette société, la société Apodiss et M. Porte ne démontraient pas l'intensité des pourparlers, leur durée et la légèreté de la société Urban State Group, constitutives d'une faute dans la rupture de ceux-ci.
15. En cet état, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis que la cour d'appel a retenu que la société Apodiss et M. Porte ne rapportaient pas la preuve, qui leur incombait, de l'existence d'un abus de la société Urban State Group dans son droit de rompre ces pourparlers.
16. Le rejet des deux premières branches rend sans objet la critique de la troisième branche relative à l'évaluation du préjudice résultant de la rupture des pourparlers.
17. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS,
La Cour :
REJETTE le pourvoi.