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Décisions

Cass. com., 18 novembre 2020, n° 18-19.012

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Fiduciaire Ryvol & associes (SARL)

Défendeur :

Cabinet Care (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin

Rapporteur :

M. Mollard

Avocat général :

Mme Beaudonnet

Avocats :

SCP Marlange et de La Burgade, SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer

T. com. Paris, du 14 sept. 2015

14 septembre 2015

Faits et procédure  

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 mai 2018), Mmes Turpin et Charpentier, collaboratrices comptables de la société d'expertise comptable Fiduciaire Ryvol & associés (la société Ryvol) ont démissionné de leurs fonctions en août 2012 et ont été embauchées le 1er octobre 2012 par la société d'expertise comptable Cabinet Care (la société Care). Treize clients ont, à la même période, quitté la société Ryvol pour rejoindre la société Care.

2. Après avoir été autorisée judiciairement à faire opérer des constats et recherches de documents par huissier de justice au sein de la société Care, la société Ryvol l'a assignée en paiement de dommages-intérêts pour concurrence déloyale.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

3. La société Ryvol fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande, alors : « 1°) que la caractérisation de la faute de concurrence déloyale n'exige pas la constatation d'un élément intentionnel ; que, pour débouter la société Ryvol de sa demande indemnitaire pour concurrence déloyale, la cour d'appel affirme qu'aucune incitation au départ de la société Care à l'égard de deux salariées, « avec intention de nuire », n'est avérée ; qu'en exigeant de la société Ryvol la démonstration d'une intention de nuire de la société Care dans l'embauche de ses deux salariées, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ; 2°) que constitue un acte de concurrence déloyale le débauchage de la moitié du personnel d'une société, entraînant sa désorganisation ; que, pour débouter la société Ryvol de sa demande indemnitaire, la cour d'appel affirme que, compte tenu de l'absence de pièces établissant des échanges, avant le 1er octobre 2012, entre la société Care et Mmes Turpin et Charpentier, aucune incitation au départ de la société Care à l'égard des deux salariées, avec intention de nuire, n'est avérée ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme l'y invitait la société Ryvol, si les démissions concertées de Mmes Turpin et Charpentier en août 2012, et leur embauche concomitante, le 1er octobre 2012, par la société Care, n'impliquaient pas l'existence nécessaire de pourparlers, et donc d'échanges avec cette dernière, avant le 1er octobre 2012, caractérisant ainsi des actes positifs de débauchage de la moitié du personnel de la société Ryvol, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;  3°) que constitue un acte de concurrence déloyale le débauchage de la moitié du personnel d'une société, entraînant sa désorganisation ; que, pour débouter la société Ryvol de sa demande indemnitaire, la cour d'appel affirme que, compte tenu de l'absence de pièces établissant des échanges, avant le 1er octobre 2012, entre la société Care et Mmes Turpin et Charpentier, aucune incitation au départ de la société Care à l'égard des deux salariées, avec intention de nuire, n'est avérée, et que la société Ryvol ne rapporte pas la preuve de l'utilisation, par la société Care, de procédés déloyaux pour inciter les salariés concernés à démissionner ; qu'en statuant par ces motifs inopérants, sans rechercher, comme l'y invitait la société Ryvol, si les démissions concomitantes, en août 2012, de Mme Turpin, assistante principale depuis 1991, et de Mme Charpentier, collaboratrice comptable depuis 2008, qui représentaient plus de la moitié des effectifs de la société Ryvol, et traitaient à elles seules un portefeuille d'une soixantaine de clients, représentant 208 500 euros d'honoraires à l'année sur les 350 000 euros facturés, suivies de leur embauche concomitante, le 1er octobre 2012, par la société Care, qui avait obtenu de surcroît le transfert de treize clients de la société Ryvol, avaient gravement désorganisé cette dernière, en faisant chuter son chiffre d'affaires et la contraignant à des frais de formation importants pour remplacer les salariées démissionnaires, de sorte qu'était caractérisée l'existence d'actes de concurrence déloyale de la part de la société Care, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »  

Réponse de la Cour  

4. Après avoir exactement rappelé que le débauchage de salariés n'est illicite que s'il résulte de manoeuvres déloyales et entraîne une désorganisation de l'entreprise concurrente, l'arrêt retient qu'en l'absence de pièces établissant des échanges avant le 1er octobre 2012 entre la société Care et Mmes Turpin et Charpentier, aucune incitation au départ de ces salariées, qui n'étaient pas liées par une clause de non-concurrence, n'est avérée et que la proposition de rémunération de 5 % plus élevée qui leur a été faite ne constitue pas un procédé déloyal à l'égard de l'ancien employeur. En l'état de ces constatations et appréciations, dont elle a souverainement déduit que la preuve de l'utilisation par la société Care de procédés déloyaux pour inciter Mmes Turpin et Charpentier à démissionner n'était pas rapportée, et abstraction faite du motif surabondant critiqué par la première branche, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, invoquée par la deuxième branche, et n'était pas tenue d'effectuer celle, devenue inopérante, invoquée par la troisième branche, a légalement justifié sa décision.

5. Le moyen n'est donc pas fondé.  

Mais sur le moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches

Enoncé du moyen

6. La société Ryvol fait le même grief à l'arrêt, alors : « 4°) que l'appropriation par des procédés déloyaux d'informations confidentielles relatives à l'activité d'un concurrent et de sa clientèle, constitue un acte de concurrence déloyale ; que, dans ses conclusions, se fondant sur le mail du 29 janvier 2013 adressé à la société Eurolight System par Mme Turpin, au nom de la société Care, et sur les constatations portées au procès-verbal d'huissier établi le 18 avril 2014, la société Ryvol faisait valoir qu'en juillet 2012, soit avant leurs démissions, Mmes Turpin et Charpentier avaient converti et édité au format PDF les documents comptables de trente-six clients dont elle suivait les dossiers, parmi lesquels se trouvaient les treize clients qui les avaient suivies auprès de la société Care, et que cette dernière avait ultérieurement exploité ces données, puisqu'elle avait été en mesure, le 9 janvier 2013, d'adresser à la société Eurolight System un extrait de compte fournisseur « CM2 », avec une reprise de balance au 31 décembre 2011, ces données ne pouvant provenir que des pièces comptables détenues par la société Ryvol ; qu'en se bornant à affirmer qu'aucun acte de concurrence déloyale n'était caractérisé à l'encontre de la société Care, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les faits dénoncés par la société Ryvol étaient constitutifs d'actes positifs de concurrence déloyale de la société Care qui avait utilisé ses données comptables et fiscales, après avoir embauché ses deux anciennes employées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;  5°) que l'appropriation par des procédés déloyaux d'informations confidentielles relatives à l'activité d'un concurrent et de sa clientèle, constitue un acte de concurrence déloyale ; que, dans ses conclusions, se fondant sur le procès-verbal d'huissier établi le 2 juillet 2015, la société Ryvol faisait valoir qu'elle disposait de l'intégralité du dossier comptable de M. Mickaël Ly, pour la période du 1er janvier à juillet 2012, comprenant tous les originaux, et que le client, dont le dossier était traité par Mmes Turpin et Charpentier au sein de la société Ryvol, avant de rejoindre la société Care avec elles, n'avait jamais réclamé de pièces comptables, journaux, grands livres et balances qui lui étaient en principe nécessaire pour établir ses comptes de l'exercice 2012 ; qu'elle en déduisait que ses comptes avaient nécessairement été établis par la société Care au moyen des données transférées par Mmes Turpin et Charpentier avant leur départ de la société Ryvol ; qu'en se bornant à affirmer qu'aucun acte de concurrence déloyale n'était caractérisé à l'encontre de la société Care, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les faits dénoncés par la société Ryvol étaient constitutifs d'actes positifs de concurrence déloyale de la société Care qui avait utilisé ses données comptables et fiscales, après avoir embauché ses deux anciennes employées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour  

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :

7. Il résulte de ce texte que l'appropriation, par des procédés déloyaux, d'informations confidentielles relatives à l'activité d'un concurrent et de sa clientèle, constitue un acte de concurrence déloyale.

8. L'arrêt retient que, s'agissant du transfert de clientèle, aucun acte de concurrence déloyale n'est établi contre la société Care.  

9. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la société Care n'avait pas exploité les données comptables et fiscales de la société Ryvol, provenant des documents comptables édités par Mmes Turpin et Charpentier avant leur démission, concernant les trente-six clients dont elles avaient la charge, parmi lesquels se trouvaient les treize clients qui les avaient suivies auprès de la société Care, et du transfert de l'intégralité du contenu du dossier comptable de M. Mickaël Ly, pour la période du 1er janvier à juillet 2012, effectué par Mmes Turpin et Charpentier avant leur départ, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS,  

La Cour : CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 mai 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.