CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 26 novembre 2020, n° 19/21650
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Staffmatch France (SAS), Staffmatch France 1 (SARL)
Défendeur :
Onestaff (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Guillou
Conseillers :
M. Rondeau, Mme Chopin
Avocats :
Cabinet Golowin , Selarl Lexavoue Paris-Versailles
Exposé du litige
La SAS Onestaff, anciennement dénommée Le Club des extras, fondée en mai 2016, exploite une plate-forme internet ayant pour objet de mettre en relation des établissements exerçant dans le secteur de la restauration et de l'hôtellerie avec des professionnels indépendants exerçant, en général, sous le statut d'auto-entrepreneur.
La SAS Staffmatch France est une société holding contrôlant quatre entreprises de travail temporaire, dont la SAS Staffmatch France 1.
Le 10 août 2017, estimant que le système mis en place par la société Le Club des extras cause un grave trouble aux entreprises de travail temporaire dans le secteur de l'hôtellerie et de la restauration tant sur le plan de la concurrence déloyale qu'en commettant les délits de prêt de main d'œuvre illicite, de dissimulation d'emploi et de marchandage, la société Staffmatch France a assigné la société Le Club des extras devant le président du tribunal de commerce de Paris aux fins de voir reconnaître un trouble manifestement illicite et l'imminence de dommages, ordonner à cette dernière sous astreinte la suspension de la plate-forme « Le Club des extras » et de l'ensemble des services afférents sur l'ensemble des supports, ainsi que la suppression de toute référence à la notion d' « extra indépendant ».
La société Staffmatch France 1, filiale de la société Staffmatch France, exerçant une activité de travail temporaire, est intervenue volontairement à la procédure au soutien des prétentions de la société Staffmatch France.
Par ordonnance contradictoire du 10 octobre 2017, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a :
- dit n'y avoir lieu à référé, ni à l'application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné les sociétés Staffmatch France et Staffmatch France 1 aux entiers dépens.
Le premier juge a estimé notamment que la mesure sollicitée avait un caractère irréversible et que l'existence d'un trouble manifestement illicite n'était pas démontrée.
Par arrêt du 30 mai 2018 rendu sur l'appel interjeté par les sociétés Staffmatch France et Staffmatch France 1, la cour d'appel de Paris a :
- déclaré irrecevables les conclusions des sociétés Staffmatch France et Staffmatch France 1 remises le 20 mars 2018 et les conclusions de la société Le Club des extras remises le 29 mars 2018 ;
- confirmé l'ordonnance entreprise ;
Y ajoutant ;
- condamné les sociétés Staffmatch France et Staffmatch France 1 à payer à la société Le Club des extras la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné les sociétés Staffmatch France et Staffmatch France 1 aux dépens.
Par un arrêt du 14 novembre 2019 (pourvoi n° 18-20.400) rendu sur un pourvoi formé par les sociétés Staffmatch France et Staffmatch France 1, la Cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 mai 2018 par la cour d'appel de Paris, faisant grief à la cour d'avoir, sans motivation suffisante, rejeté les conclusions déposées le jour de la clôture par les sociétés Staffmatch France et Staffmatch France 1.
Par déclaration du 22 novembre 2019, les sociétés Staffmatch France et Staffmatch France 1 ont saisi la cour d'appel de Paris, cour d'appel de renvoi.
Dans leurs dernières conclusions remises le 24 avril 2020, les sociétés Staffmatch France et Staffmatch France 1 demandent à la cour, sur le fondement des articles 2, 700, 809 et 873 du code de procédure civile, des articles 1101, 1102, et 1199 du code civil, des articles L. 111-7, L. 121-1 et L. 121-2 du code de la consommation, des articles L. 1251-1 et suivants, L. 7342-1 et suivants, L. 8241-1, L. 8221-6 et L. 8221-6-1 du code du travail, de l'article L. 442-6 du code de commerce et de la convention collective nationale des hôtels, cafés, restaurants du 30 avril 1997, de :
- infirmer en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 10 octobre 2017 par le président du tribunal de commerce de Paris,
Et statuant à nouveau :
- les déclarer recevables et bien fondées en leurs demandes,
- dire que les différents éléments publiés par la société intimée sur son site internet et les réseaux sociaux constituent des pratiques commerciales trompeuses génératrices d'un trouble manifestement illicite qu'il convient de faire cesser,
- dire que les activités outrepassant le champ de plate-forme de mise en relation et l'exercice illégal d'une activité d'entreprise de travail temporaire constituent un trouble manifestement illicite qu'il convient de faire cesser,
Y faisant droit :
- ordonner à la société Onestaff de supprimer de tous les supports de présentation, de commercialisation et de publicité, actuels ou à venir, les références suivantes :
- les termes d' « extra », de « mission » et d' « intérim » à propos de la qualification des travailleurs de la plate-forme et des services proposés par celle-ci, ainsi que de l'utilisation de l'expression « c'est la seule plate-forme qui ne taxe pas les extras »,
- les termes « premier » et « meilleur » qui ne font pas référence à une quelconque mention restrictive quant à la localisation de l'étude ayant abouti à ce classement,
et cela, dans un délai de deux semaines à compter de la signification de la décision à intervenir et ce, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard,
- ordonner à la société Onestaff de cesser de violer les dispositions régissant les entreprises de travail temporaire en permettant grâce à sa plate-forme et à but lucratif, à des établissements d'avoir recours à des indépendants pour occuper des emplois qui sont normalement occupés par des salariés au sein de ces mêmes établissements et tel qu'ils relèvent des emplois repères de la convention collective Hotels, cafés, restaurants soit :
- secteur de l'hébergement : employé de hall, femme et valet de chambre, veilleur de nuit, réceptionnaire, gouvernante, concierge, chef de réception, chef de service, directeur d'hébergement,
- secteur de la restauration : commis de salle, vestiaire, serveur, écailler, sommelier, chef de rang, maître d'hôtel, plongeur, commis de cuisine, cuisinier, chef de partie, chef de cuisine,
- secteur de l'administration d'exploitation et maintenance : agent technique, ouvrier de maintenance, comptable, secrétaire, employé administratif, économe, chef de service, directeur d'établissement,
- secteur des Cafés/Brasseries : garçon compt/limonadier, garçons brasserie, commis de table, caissière, gérant limonadier, directeur de salle,
- secteur des Cafétérias/Restaurants à thèmes : employé de restaurant libre-service, commis de table, hôtesse de table, employé de production/fabrication, assistant de direction, directeur. - secteur des Bars : commis de bar, barman, chef barman,
- ordonner à la société Onestaff de cesser de violer les dispositions régissant les entreprises de travail temporaire en fournissant de la main d’œuvre dont les conditions de travail sont définies exclusivement par l'entreprise utilisatrice en contravention à l'article L. 221-6-1 du code du travail régissant le statut de travailleur indépendant,
- ordonner à la société Onestaff de cesser de violer les dispositions régissant les entreprises de travail temporaire en exerçant de manière directe ou indirecte par l'intermédiaire d'entreprises utilisatrices :
- un pouvoir de contrôle sur la sélection des travailleurs de sa plate-forme,
- un pouvoir de sanction sur la mauvaise exécution des prestations effectuées par les travailleurs de sa plate-forme ou en empêchant ces derniers d'annuler une mission sans justifier d'un motif,
- un pouvoir de contrôle sur l'engagement contractuel entre le travailleur de sa plate-forme et l'entreprise utilisatrice,
- une limitation dans le temps du nombre de mission par travailleur de la plate-forme ;
- une fixation d'un prix minimum de la rémunération du travailleur de la plate-forme constituant une pratique restrictive de concurrence,
et cela, dans un délai de deux semaines à compter de la signification de la décision à intervenir, et ce sous astreinte de 1000 euros par jour de retard,
- condamner la société Onestaff à verser aux sociétés appelantes la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure de civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Les sociétés Staffmatch France et Staffmatch France 1 (les sociétés Staff match) soutiennent essentiellement :
Sur les pratiques commerciales trompeuses :
- qu'une pratique commerciale trompeuse est une violation de la loi et est donc constitutive d'un trouble manifestement illicite, de même que l'exercice illégal d'une profession ou une fraude à la loi,
- qu'en l'espèce, la société Onestaff utilise le champ lexical du travail temporaire (« extra », « intérimaire », « mission d'extra ») pour décrire son service alors qu'elle se qualifie de société de mise en relation,
- qu'il importe peu que la publicité ait effectivement induit en erreur, qu'il suffit qu'elle ait été propre à le faire,
- que la société Onestaff intervient dans le secteur de la restauration et de l'hôtellerie dans lesquels un extra ne peut pas être indépendant, aux termes de la convention collective nationale du 30 avril 1997 ; que c'est consciente de l'utilisation inappropriée de ce terme que la société a changé sa dénomination sociale de « Le Club des extras » en « Onestaff »,
- que la société met en avant sur son site internet que « c'est la seule plate-forme qui ne taxe pas les extras' et que les extras sont 'en toute liberté » ; que ces allégations sont fausses puisque les auto-entrepreneurs ont des obligations comptables, fiscales et des cotisations sociales, et ne disposent pas d'indépendance dans leurs tâches,
- que les expressions superlatives « les meilleures missions », « les mieux rémunérés du marché » etc ne sont pas fondées,
- que la société donne de ses services une représentation fausse et de nature à induire en erreur la clientèle visée, ce qui constitue des pratiques commerciales trompeuses,
- que les notions employées sont sources de confusion par rapport aux services proposés par les entreprises de travail temporaire comme la société Staffmatch,
Sur la recevabilité de leurs demandes :
- qu'elles demandent la suppression de tous les supports de présentation, de commercialisation et de publicité des termes « mission », « intérim », « premier » et « meilleur »,
- que ces demandes sont des compléments des demandes formulées en première instance en cessation des pratiques commerciales trompeuses, que ce ne sont pas des prétentions nouvelles,
- qu'elles ont un intérêt à agir en tant que concurrents de la société sur le marché de l'emploi dans la branche d'activité Hôtels, cafés, restaurants ; que d'ailleurs la société Onestaff démarche directement leurs clients,
- que leur action n'est pas fondée sur la concurrence déloyale,
Sur la violation du statut régissant les plateformes :
- que les plateformes numériques collaboratrices, sont régies par la loi « Travail » du 8 août 2016,
- que la société Onestaff n'est pas un tiers à la relation contractuelle liant l'extra et l'entreprise utilisatrice puisqu'elle intervient dans la sélection, le contrôle et les sanctions des extras ; qu'elle leur impose une limite dans leur recherche et les offres de mission de travail,
- que son activité ne se limite pas à l'intermédiation et qu'elle ne correspond donc pas à la qualification de plate-forme de mise en relation tel que définie par la CJUE,
- que les travailleurs de la plate-forme sont intégrés dans un service organisé le temps de la mission, qu'ils n'ont aucune indépendance dans l'exercice de la mission, ne peuvent pas négocier leur rémunération ; qu'en conséquence, les travailleurs ne sont pas des travailleurs indépendants mais des salariés de fait de la société utilisatrice, que d'ailleurs la société Onestaff met en exergue le fait que 80% de ses utilisateurs pratiquent l’auto-entreprenariat en complément d'un travail salarié,
- que la société Onestaff exerce illégalement une activité d'entreprise de travail temporaire, puisqu'en réalité elle place de faux indépendants, ce qui constitue un trouble manifestement illicite,
- que ce faisant elle contourne le régime réglementé du travail temporaire, dans le but de proposer des offres plus intéressantes que les entreprises exerçant dans le même secteur,
- que la fraude suppose la réunion de trois éléments :
- une règle obligatoire à éluder,
- un moyen efficace,
- une intention frauduleuse, cette dernière résultant de la volonté de se jouer de la concurrence en détournant la réglementation pour bénéficier d'un avantage concurrentiel incontestable.
Dans ses dernières conclusions remises le 29 avril 2020, la société Onestaff demande à la cour, sur le fondement des articles 873 et 564 du code de procédure civile, des articles 1101, 1102 et 1199 du code civil, les articles L. 121-1 et suivants du code de la consommation et les articles L. 1251-2, L. 8221-6 et L. 7341-1 du code du travail, de :
- confirmer l'ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Paris le 10 octobre 2017 en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à référé,
- rejeter les demandes des sociétés Staffmatch France et Staffmatch France 1 fondées sur de prétendues pratiques commerciales trompeuses,
- débouter les sociétés Staffmatch France et Staffmatch France 1 de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,
- infirmer l'ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Paris le 10 octobre 2017 en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant de nouveau :
- condamner in solidum les sociétés Staffmatch France et Staffmatch France 1 à payer à la société Le Club des extras la somme de 40 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la 1ère instance et de l'appel,
- condamner les sociétés Staff match France et Staffmatch France 1 aux entiers dépens.
La société Onestaff soutient essentiellement :
Sur le trouble manifestement illicite :
- que l'activité de mise en relation de travailleurs indépendants par Internet qu'elle exerce est parfaitement légale,
- qu'elle n'exerce pas une activité d'entreprise de travail temporaire qui suppose trois conditions :
-la mise à disposition de personnels au profit des entreprises utilisatrices, le statut de salarié du personnel ainsi mis à disposition, et l'embauche du salarié par l'entreprise de travail temporaire qui le recrute et le rémunère le salarié en vue de sa mise à disposition,
- que dans son cas, elle se contente de fournir un instrument facilitant la conclusion de contrats sur des missions à réaliser,
- qu'elle ne réalise aucun travail de sélection des extras, que ce sont les entreprises utilisatrices qui déposent des annonces en précisant les profils recherchés et que les extras répondent à ces annonces ou non,
- que les entreprises peuvent publier des offres de missions sur leurs propres sites internet et que sa plate-forme n'est pas indispensable à la réalisation des missions,
- qu'elle n'intervient pas dans la détermination de la rémunération de l'extra, se contentant de constater le prix moyen proposé,
- qu'elle ne met pas de personnel à disposition des entreprises,
- qu'elle recommande, mais n'interdit pas aux extras et entreprises de limiter le nombre de missions à 60 par trimestre,
- que rien n'oblige les extras à limiter leurs prestations à celles offertes via la plate-forme,
- qu'il existe une présomption légale de non-salariat pour les travailleurs indépendants utilisant une plate-forme de mise en relation, et que la preuve de l'existence d'un lien de subordination pour renverser cette présomption incombe aux sociétés Staffmatch France et Staffmatch France 1,
- qu'elle n'a aucun contrôle sur l'exécution de la mission, ni sur la qualité du travail, ni sur la rémunération, et n'impose aucune mission,
- que les candidats de la plate-forme souhaitent rester indépendants ; qu'elle n'est liée à eux par aucun contrat de prestation d'extras ; que ces travailleurs paient des cotisations sociales,
Sur les pratiques commerciales trompeuses :
- que les demandes des sociétés Staffmatch de suppression de certains termes sont irrecevables car présentées pour la première fois en cause d'appel,
- que Staffmatch ne prétend pas avoir été trompée et n'est ni un de ses clients, ni un consommateur moyen ; qu'elle n'a donc pas qualité à agir sur le fondement des articles L. 121-1 et suivants du code de la consommation,
- qu'en tout état de cause, les termes « extra » et « mission » ne sont pas réservés au travail temporaire,
- que la convention collective ne s'applique pas à elle puisque, en l'absence de contrats de travail, elle n'entre pas dans les employeurs compris dans le champ d'application professionnel et territorial de cette convention,
- que les allégations relatives à la liberté des extras visent un choix de mode d'exercice et ne sont pas trompeuses ni mensongères : qu'ainsi elle ne taxe pas les extras,
- que les termes « meilleurs » résultent de témoignages d'extra inscrits sur sa plate-forme et constituent un usage dans le domaine publicitaire.
Il sera renvoyé aux conclusions susvisées pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS :
Il sera préalablement précisé que, conformément au vocabulaire de la plate-forme Onestaff, le vocable « Utilisateur » désignera l'extra en recherche de mission, l' « Établissement » désignera la société utilisatrice et la « Société », la société Onestaff, propriétaire de la plate-forme.
En vertu de l'article 873 alinéa 1er du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut toujours, dans les limites de la compétence de ce tribunal, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le trouble manifestement illicite désigne toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou non, constitue une violation évidente de la règle de droit et le dommage imminent s'entend de celui qui n'est pas encore réalisé mais qui se produira sûrement si la situation dénoncée perdure.
Le trouble manifestement illicite auquel les sociétés Staffmatch demandent qu'il soit mis fin est celui qui résulterait selon elle :
- d'une part des pratiques commerciales trompeuses de la société Onestaff,
- utilisation d'un vocabulaire qui renvoie à celui du travail temporaire (mission, extra, intérimaire), publication d'informations mensongères, pour décrire son service et induire ses utilisateurs en erreur,
- d'autre part de la fraude à la loi visant à contourner le statut de société d'intérim pour y échapper, alors qu'elle met en réalité de véritables salariés à la disposition d'entreprises utilisatrices.
Sur les pratiques commerciales trompeuses :
Aux termes de l'article L. 121-2 du Code de la consommation, une pratique commerciale est trompeuse :
« 1° Lorsqu'elle crée une confusion avec un autre bien ou service, une marque, un nom commercial ou un autre signe distinctif d'un concurrent ;
2° Lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l'un ou plusieurs des éléments suivants :
a) L'existence, la disponibilité ou la nature du bien ou du service ;
En l'espèce la société Staffmatch soutient essentiellement que la société Onestaff utilise le vocabulaire propre au travail temporaire (« extra », « mission », « intérimaire ») alors qu'elle est censée n'effectuer que de la mise en relation et qu'elle prétend permettre le recrutement d'extras indépendants alors que ceux-ci ne peuvent être que des salariés, que d'ailleurs elle a abandonné en cours de procédure le nom de « Club des extras » pour celui de « Onestaff », qu'elle promeut un statut prétendument totalement libre où le travailleur ne serait pas assujetti à des taxes, toutes choses trompeuses qui induisent en erreur et altèrent le comportement d'un consommateur moyen.
Une telle confusion n'est cependant pas établie.
Il ressort au contraire du constat d'huissier versé aux débats, des publicités produites et des conditions générales de la plate-forme que l'attention des parties est constamment attirée sur le statut de travailleur indépendant de l'utilisateur, que le mot d'extra est dans la quasi-totalité des cas, immédiatement suivi du mot « indépendant » ou « autoentrepreneur », que les conditions générales de vente obligent l'utilisateur à rentrer son numéro d'immatriculation au RCS lors de son inscription.
Les publicités insistent également sur le caractère indépendant de la relation et si le mot d'intérimaire est utilisé, comme par exemple dans la publicité proclamant « les indépendants, - nouvel Eldorado des acteurs intérimaires- voient leur statut de Freelance enfin reconnu sur le marché du travail, il est immédiatement insisté sur l'originalité du statut de « freelance ».
De la même manière l'affirmation de la plate-forme selon laquelle « l'extra n'est pas taxé » est manifestement en lien avec le fait que c'est l'Etablissement qui paie 10% du prix total TTC de la mission et rémunère ainsi la Société et non pas l'Utilisateur..
Aucune des mentions du site ne permet une quelconque confusion avec le statut de salarié ou ne prétend à l'absence de toute obligation, alors que le statut d’auto-entrepreneur comporte ses propres contraintes juridiques, fiscales et que la condition pour bénéficier des services est de s'être d'ores et déjà inscrit en tant que travailleur indépendant.
Enfin la liberté vantée est mise directement en lien avec la faculté pour l'extra de choisir lui-même ses plages horaires et le secteur géographique des missions.
Il apparaît donc que loin de vouloir créer une confusion avec le travail intérimaire, la société Onestaff communique au contraire sur l'indépendance des extras qu'elle met en relation avec les Etablissements, rappelant chaque fois leur statut de travailleur indépendant et en faisant même un critère de reconnaissance.
Les sociétés Staff match France et Staffmatch France 1 ajoutent que la société Onestaff emploie pour son activité les expressions suivantes: « meilleures missions », « membre du premier club, leader sur son marché », « meilleure réponse pour les professionnels », « beaucoup mieux rémunérés » etc... sans aucun fondement à ces qualificatifs et sans aucune mention quant à la localisation de la potentielle étude ayant abouti à l'utilisation de ces termes, ce qui constitue une pratique commerciale trompeuse au sens de l'article L. 121-2 du code de la consommation et par conséquent un trouble manifestement illicite.
La société Onestaff réplique que ces qualificatifs résultent des témoignages d'extras inscrits.
Une pratique commerciale ne peut être qualifiée de trompeuse, au sens des articles L. 121-1 et L. 121-2 du code de la consommation, que si tout à la fois elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire les consommateurs en erreur et si elle altère ou est susceptible d'altérer le comportement économique des 'consommateurs', en l'espèce des Etablissements et Utilisateurs.
Or les sociétés Staff match France et Staffmatch France 1 ne développent dans ce paragraphe consacré aux affirmations mensongères, aucune conséquence de l'emploi de ces termes sur le comportement de l'utilisateur du site (extra comme Etablissement proposant les missions) dont il a été relevé que leur attention était au contraire attirée sur la spécificité du statut utilisé.
Les éléments produits devant le juge des référés ne donnent aucune indication sur l'éventuelle altération substantielle du comportement économique des utilisateurs qui résulteraient de la seule mention de l'excellence auto proclamée du site, sans aucun élément de comparaison.
Enfin parmi les expressions critiquées il sera relevé à plusieurs reprises l'atténuation exprimée par le pluriel « parmi les meilleurs », « membre du premier club des meilleurs », aucune comparaison avec un quelconque concurrent n'étant opérée.
Les sociétés Staff match France et Staffmatch France 1 ne caractérisent donc pas avec évidence une pratique commerciale trompeuse.
L'absence de pratiques commerciales trompeuses étant retenue la demande relative à la suppression de ces termes ne peut qu'être rejetée sans qu'il y ait même lieu de s'interroger sur leur recevabilité.
Sur la fraude :
Les sociétés Staff match France et Staffmatch France 1 soutiennent en second lieu le caractère frauduleux de l'activité de la société Onestaff, en ce qu'elle viole le statut régissant les plateformes de mise en relation et les travailleurs de plate-forme et exerce une activité de travail temporaire.
Sur la violation du statut des plateformes de mise en relation.
Les sociétés Staff match France et Staffmatch France 1 soutiennent une fraude à la loi en ce que, si la légalité des plateformes de mise en relation n'est pas contestée, la société Onestaff n'est, selon elles, précisément pas une plate-forme de mise en relation. Elles rappellent les critères retenus par la CJUE soit :
- le fait de fournir un instrument facilitant la conclusion de contrat portant sur des opérations futures,
- le caractère non indispensable du service d'intermédiation, les utilisateurs de la plate-forme pouvant choisir d'autres moyens,
- le prix qui n'est ni fixé ni plafonné par la plate-forme.
Selon elles la société Onestaff n'est pas véritablement un tiers à la relation contractuelle liant l'extra à l'entreprise utilisatrice, mais fournit un service global qui doit être soumis à la législation sur le travail temporaire.
Elles soutiennent que notamment la société Onestaff contrôle la sélection des extras, dispose d'un pouvoir de sanction sur la mauvaise exécution de la mission ainsi qu'un contrôle sur la relation contractuelle puisqu'elle peut mettre automatiquement un autre extra sur la mission en cas d'annulation, qu'enfin elle limite le nombre de mission à 60 par trimestre civil.
Or il ressort des conditions générales que la société Onestaff propose les services suivants :
- mise en relation facilitée entre des extras et des établissements
- mise à disposition d'outil de facturation et de moyens de paiement
- prestations de conseil sur mesure pour assister un établissement dans la recherche et la sélection d'extra.
Il fonctionne de la façon suivante : les extras, inscrits sur le site après avoir communiqué leur n° d'inscription au RCS et renseigné leur 'page profil' avec les champs photos, métier, niveau d'expérience et références, acceptent une mission postée sur le site par un Etablissement, au sens rappelé ci-dessus, et dans ce cas seulement l'Etablissement a accès à leur profil et envoie une demande de mise en relation détaillant l'offre de mission en ce compris le prix. En cas d'accord l'extra valide sa disponibilité et l'Etablissement provisionne son compte de monnaie électronique du montant du prix de la mission augmenté de 10% HT destinée à la plate-forme. Une facture est établie et émise par la plate-forme au nom et pour le compte de l'extra.
Puis l'Etablissement doit évaluer l'extra par une note de 1 à 5.
Tout extra dont la note est inférieure à 4 pouvant faire l'objet d'une étude puis se voir interdire l'accès à la plate-forme.
Il en résulte :
- que ce sont les extras qui s'inscrivent et décrivent eux-mêmes leurs compétences, même si la plate-forme peut leur demander de justifier des diplômes qu'ils revendiquent,
- que l'inscription sur le site ne nécessite aucun entretien préalable avec la plate-forme,
- que c'est l'extra qui choisit la mission, et l'Établissement qui en propose, sans l'intervention de la société Onestaff,
- que la mission y compris en sa rémunération, est fixée par l'Établissement, qui, après sa réalisation, évalue l'extra.
La société Onestaff n'a donc aucun pouvoir d'évaluation de l'extra, quand bien même elle se réserve le droit de ne conserver les profils que des utilisateurs dont les notes sont élevées, pour remplir l'objectif de plate-forme d'extra haut de gamme.
Elle ne fixe pas davantage les prix, ceux-ci étant fixés par l'Établissement.
La pièce 26 produite par les sociétés Staff match France et Staffmatch France 1 corrobore l'absence de service global fourni par la société. En effet en réponse à la demande d'un hôtel qui indique vouloir recruter et précise les métiers qu'il recherche, les volumes horaires, jour et horaires précisément proposés, la société Onestaff loin de sélectionner des profils et de les lui soumettre, se contente de renvoyer son interlocuteur vers la plate-forme en lui rappelant le mode d'emploi et la commission à sa charge.
Le fonctionnement de la plate-forme est donc fondamentalement différent de la société d'intérim qui sélectionne les profils pouvant convenir à l'entreprise utilisatrice, emploie elle-même les intérimaires qu'elle met à leur disposition dont elle paie les cotisations patronales et salariées.
Les sociétés Staff match France et Staffmatch France 1 font valoir en outre que le recrutement des extras ne peut relever que des entreprises de travail temporaire dans la mesure où les extras sont par nature des salariés et que seules les entreprises de travail temporaires peuvent mettre des salariés à la disposition de sociétés utilisatrices. Elle s'appuie pour ce faire sur l'article 1er de la convention collective nationale des hôtels, cafés restaurants (HCR) du 30 avril 1997 qui dispose en son article 14 que « l'emploi d'extra qui, par nature est temporaire, est régi par les dispositions légales en vigueur ». Elle en déduit que l'extra ne peut être que salarié.
Or l'article 14 précité est une disposition d'une convention collective qui, par définition, ne contient que les règles particulières du droit du travail applicable à un secteur donné, si bien que cette disposition ne peut avoir d'autre portée que celle du travail salarié. Si, en matière de travail salarié dans le secteur de la restauration et de l'hôtellerie un salarié qualifié d'extra a, par nature, un emploi temporaire, il n'en résulte pas pour autant en tout cas pas avec l'évidence requise en référé, que de ce seul fait, il ne puisse exister d'extra non salarié.
Si à l'évidence l'extra qui utilise la plate-forme Onestaff n'est pas salarié de celle-ci, aucun lien de subordination n'étant caractérisé, il est soutenu par les sociétés Staff match France et Staffmatch France 1 que tel n'est pas le cas des relations entre l'Utilisateur et l'Établissement avec qui il a contracté car la nature du travail de l'extra est justement celle d'un salarié qui ne peut imposer sa rémunération, doit se rendre au lieu déterminé par l'établissement soumis à des horaires stricts de travail, doit porter l'uniforme de la société, effectue sa mission avec le matériel de celle-ci et qui doit se conformer au règlement intérieur de la société pour laquelle il effectue sa mission, l'extra n'ayant au surplus ni savoir-faire particulier, ni clientèle propre et étant ensuite noté à la fin de sa mission.
Elles relèvent que d'ailleurs la plate-forme recommande de limiter le nombre de mission par extra à 60 par trimestre civil.
L'article 10 des conditions générales est en effet ainsi rédigé « Par ailleurs pour éviter tout risque potentiel de requalification de l'Établissement en qualité d'employeur des extras, le nombre de missions par Extra doit être limité à 60 par trimestre civil.
Cette limite évoque certes celle de la convention collective Hôtel café restaurant précitée qui prévoit la requalification d'une mission en contrat à durée indéterminée lorsque le même établissement confie des missions au même extra pendant plus de 60 jours dans un trimestre civil.
Cependant elle est très insuffisante à démontrer avec l'évidence requise en référé que l'utilisateur de la plate-forme Onestaff est en réalité un salarié de l'Établissement avec lequel il contracte via la plate-forme, en renversant la présomption de l'article L. 8221-6 du code du travail qui dispose que sont présumés ne pas être liés avec le donneur d'ordre par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation ou inscription : 1° Les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales pour le recouvrement des cotisations d'allocations familiales ».
Pour établir la fraude qu'elles invoquent, il appartiendrait en outre aux sociétés Staff match France et Staffmatch France 1 d'établir que la société Onestaff a eu pour intention d'éluder la règle sur le travail temporaire et notamment le cadre réglementé des entreprises de travail temporaire, ce qui ne ressort pas davantage de ce qui précède, alors au contraire que, comme il a été relevé, la société Onestaff insiste dans ses relations avec ses clients sur le seule mise en relation, et qu'aucune mission globale comparable à celle d'une entreprise de travail temporaire n'est caractérisée.
L'ordonnance dont appel sera donc confirmée en toutes ses dispositions.
Il sera fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile selon les modalités prévues au dispositif.
PAR CES MOTIFS
Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance du tribunal de commerce de Paris du 10 octobre 2017,
Y ajoutant,
Déboute les sociétés Staff match France et Staffmatch France 1 de l'ensemble de leurs demandes,
Condamne les sociétés Staff match France et Staffmatch France 1 à payer à la société Onestaff la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne les sociétés Staff match France et Staffmatch France 1 aux dépens d'appel.