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Décisions

Cass. 1re civ., 25 novembre 2020, n° 19-11.600

COUR DE CASSATION

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

M. Blanc, Mme Gravet (Epouse)

Défendeur :

M. Anselme, BNP Paribas Personal Finance (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Batut

Rapporteur :

M. Avel

Avocats :

Me Goldman, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano

Reims, ch. civ., 1re sect., du 15 mai 20…

15 mai 2018

Faits et procédure  

1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 15 mai 2018), M. et Mme Blanc (les emprunteurs) ont accepté, le 29 mai 2009, une offre de prêt de la société BNP Paribas Personal Finance (la banque) libellé en francs suisses et remboursable en euros, dénommé « Helvet Immo » destiné à financer l’acquisition de biens immobiliers à usage locatif. Le prêt leur a été proposée par M. Anselme, en vertu d'un mandat d'intermédiaire en opérations de banque conclu, le 5 avril 2009, avec la banque.

2. Invoquant la violation des règles relatives au démarchage bancaire et l’existence d’un dol, les emprunteurs ont, le 3 avril 2013, assigné la banque et M. Anselme en nullité du contrat de prêt et en indemnisation.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. Les emprunteurs font grief à l’arrêt de rejeter leur demande en nullité du prêt et  d'indemnisation, alors « que les emprunteurs faisaient valoir que M. Anselme, par l’entremise duquel le prêt litigieux avait été souscrit, ne contestait pas l’existence d’un démarchage, ce que ses écritures permettaient de vérifier ; qu’en ne répondant pas à ce moyen, de nature à établir la reconnaissance implicite par M. Anselme de ce qu’il avait procédé à un démarchage auprès des emprunteurs, la cour d'appel a violé l’article 455 du code de procédure civile. »

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

4. Les emprunteurs font grief à l’arrêt de rejeter leur demande en nullité du prêt et d'indemnisation, alors : « 1°) que la cassation à intervenir sur le premier moyen de cassation entraînera, par voie de conséquence, la cassation sur le deuxième moyen, la cour d'appel s'étant expressément fondée, pour écarter le dol, sur ce qu'elle a jugé relativement au démarchage, et ce en application de l'article 625 du code de procédure civile ; 2°) qu'après avoir relevé que les emprunteurs avait été informés de ce que le taux de change euro / franc suisse était « très stable dans le temps », que selon les mois ils rembourseraient « un peu » plus ou « un peu » moins de francs suisses, que l'impact des variations du taux de change était « quasi nul » et que la somme de toutes les variations lisse l'impact des variations du taux de change jusqu'à « pratiquement annihiler » les effets de ces variations, ce dont il résultait que les emprunteurs étaient appelés à croire à la quasi absence d'incidence sur le prêt des variations du taux de change, la cour d'appel qui a néanmoins retenu, pour écarter le dol, que la banque avait bien informé les emprunteurs des « conséquences des variations inévitables » du taux de change sur le remboursement du crédit, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a ainsi violé l'article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ; 3°) que l'offre de prêt stipulait que « si au terme de la durée initiale de votre crédit le solde de votre compte n'était pas apuré, la durée de votre crédit sera allongée dans la limite de 5 ans. Le taux d'intérêt de votre crédit sera alors révisé (…) et vos échéances en francs suisses et vos règlements en euros correspondants, déterminés sur la base du taux de change euros contre francs suisses applicable deux jours ouvrés avant la fin de la durée initiale de votre crédit, seront recalculés pour permettre le remboursement en totalité de votre crédit au plus tard à la fin de la période complémentaire de 5 ans », de sorte que pendant la période complémentaire de cinq ans le montant des mensualités étaient susceptibles d'augmenter ; qu'en retenant néanmoins, pour écarter le dol, qu'il était exact que les variations du taux de change n'impactaient pas le montant des mensualités, mais seulement l'amortissement du prêt, la cour d'appel a violé l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; 4°) qu'en se fondant encore, pour statuer comme elle l'a fait, sur la circonstance inopérante que les emprunteurs ne pourraient en l'état prouver que l'impact des variations du cours de l'euro par rapport au franc suisse n'est pas lissé sur la durée du prêt puisque celui-ci n'est pas encore arrivé à son terme, ce qui était sans incidence sur l'existence de manœuvres destinées à surprendre le consentement des emprunteurs, la cour d'appel a violé l'article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

5. Les emprunteurs font grief à l’arrêt de rejeter leur demande au titre du manquement de la banque et de son mandataire au devoir d’information et  leur demande d’indemnisation, alors, « que le banquier dispensateur d'un crédit en devise étrangère remboursable en euros doit, au titre de son devoir d'information, exposer de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme de conversion de la devise étrangère, de sorte que l'emprunteur soit mis en mesure d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques et les risques qui en découlent pour lui, notamment en lui fournissant des informations suffisantes pour lui permettre de prendre ses décisions avec prudence et en toute connaissance de cause, ces informations devant au moins traiter de l'incidence sur les remboursements d'une dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l'État membre où l'emprunteur est domicilié et d'une hausse du taux d'intérêt étranger, en informant les emprunteurs qu'en souscrivant un contrat de prêt libellé dans une devise étrangère, il s'expose à un risque de change qu'il lui sera, éventuellement, économiquement difficile d'assumer en cas de dépréciation de la monnaie dans laquelle il perçoit ses revenus par rapport à la devise étrangère dans laquelle le prêt a été accordé, mais également en exposant à l'emprunteur les possibles variations des taux de change et les risques inhérents à la souscription d'un prêt en devises étrangères tels que le risque d'impossibilité d'exercer le mécanisme d'option en euros, le risque d'impossibilité de procéder au rachat du prêt ou à la revente du bien ; qu'en se bornant à relever, pour écarter la responsabilité de la banque et de son mandataire, que les « caractéristiques » du prêt avaient été clairement et précisément expliquées aux emprunteurs, sans constater que ces derniers avaient également été informés des conséquences économiques de ce prêt et des risques encourus, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »

Sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

6. Les emprunteurs font grief à l’arrêt de dire que la clause de monnaie de compte ne présentait pas le caractère d’une clause abusive et de rejeter leur demande d’indemnisation, alors : « 1°) qu’il résulte des stipulations du prêt qu’en cas d’évolution défavorable du taux de change pour l’emprunteur ses mensualités en euros sont susceptibles d’augmenter sans plafond pendant les cinq dernières années du prêt tandis qu’en cas d’évolution défavorable à la banque cette dernière, qui se voit dans tous les cas rembourser de la totalité de la somme prêtée en francs suisses, ne s’expose qu’à percevoir une somme moindre au titre des intérêts, de sorte que la clause litigieuse crée un déséquilibre significatif au détriment de l’emprunteur ; qu’en retenant cependant, pour écarter le caractère abusif des clauses du prêt, que les variations du taux de change étaient subies réciproquement par les deux parties, la cour d'appel a méconnu la portée du contrat et ainsi violé l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016, ensemble l’article L. 132-1 du code de la consommation ; 2°) qu’en tout état de cause, en se bornant à relever que les variations du taux de change étaient subies réciproquement par les deux parties puisqu’elles avaient pour conséquence soit d’allonger soit de réduire la durée d’amortissement, sans rechercher, ainsi que cela résultait du contrat litigieux, si les mensualités n’étaient pas susceptibles d'augmenter sans plafond lors des cinq dernières années du prêt et s’il ne résultait par ailleurs pas des stipulations du contrat que « le crédit est financé par un emprunt souscrit en francs suisses par le prêteur sur les marchés monétaires internationaux de devises », de sorte que le risque de change pesait exclusivement sur les emprunteurs et que la clause litigieuse avait pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif à leur détriment, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 132-1 du code de la consommation ; 3°) qu’en se fondant encore sur la circonstance inopérante que les emprunteurs qui ne veulent plus être soumis aux variations du taux de change ont la possibilité de demander la conversion du prêt en euros, ce qui est sans incidence sur l’existence d’un déséquilibre intrinsèque à la clause implicite d’indexation, la cour d'appel a violé l’article L. 132-1 du code de la consommation ; 4°) que, subsidiairement, en retenant, pour écarter le caractère abusif des clauses du prêt, que les emprunteurs qui ne veulent plus être soumis aux variations du taux de change ont la possibilité de demander la conversion du prêt en euros, sans toutefois rechercher si l’option de conversion ne pouvait pas être rendue concrètement impossible en raison de l’augmentation consécutive des mensualités prévue par le mécanisme du prêt, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 132-1 du code de la consommation. »

Sur le cinquième moyen

Enoncé du moyen

7. Les emprunteurs font grief à l’arrêt de ne pas avoir examiné d’office le caractère abusif de la clause d’option de conversion en euros, alors « que le juge est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès lors qu'il dispose des éléments de fait et de droit pour le faire ; qu'en s'abstenant de rechercher s’il ne résultait pas des éléments de fait et de droit débattus devant elle, notamment l’absence d’obligation d’information des emprunteurs, les modalités d’exercice de l’option ainsi que le délai anormalement long au terme duquel il était possible d’exercer l’option qui résultaient de la clause intitulée « option pour un changement de monnaie de compte », que la clause d’option stipulée par le contrat litigieux créait un déséquilibre significatif en défaveur du consommateur, la cour d’appel a violé l’article L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation. »

Réponse de la Cour aux moyens

8. Par arrêt distinct rendu ce jour sur le pourvoi no 19-17.996, il est sursis à statuer jusqu'au prononcé de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne dans les affaires C-609/19 et C-776/19 à C-782/19 relatives aux questions posées par le tribunal d'instance de Lagny-sur-Marne par jugement du 2 août 2019 et par le tribunal de grande instance de Paris par sept jugements du 1er octobre 2019 et une ordonnance de mise en état du jour suivant.

9. Au regard des griefs formulés par le moyen et des questions préjudicielles posées, la décision de la Cour de justice de l'Union européenne à intervenir est de nature à influer sur la solution du présent pourvoi. Il y a lieu, dès lors, de surseoir à statuer jusqu'au prononcé de celle-ci.

PAR CES MOTIFS,  

la Cour :

SURSOIT à statuer sur le pourvoi jusqu'au prononcé de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne dans les affaires C-609/19 et C-776/19 à C-782/19 ;

Renvoie la cause et les parties à l'audience du 19 octobre 2021 ;

Réserve les dépens.