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Décisions

CA Montpellier, 5e ch. civ., 17 novembre 2020, n° 17/06704

MONTPELLIER

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Med El Elektromedizinische Geraete Gesellschaft (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gaillard

Conseillers :

Mme Azouard, M. Garcia

Avocat :

SELARL Lexem Conseil

CA Montpellier n° 17/06704

17 novembre 2020

EXPOSE DES FAITS

Souffrant d'une altération sévère de l'audition Serge B. consultait le Docteur V. qui préconisait la mise en place d'un implant cochléaire.

La pose de l'implant droit était réalisée le 9 janvier 2015.

En avril 2015 le patient se plaignant de douleurs dans la zone implantée et d'importantes variations d'impédances sur certaines électrodes apparaissant, le remplacement d'une partie de l'implant était envisagé.

Le 5 juin 2015 une nouvelle intervention était réalisée pour procéder au changement de l'implant.

Cette nouvelle intervention devait améliorer la symptomatologie.

Supposant un dysfonctionnement du premier implant suite au rapport non contradictoire établi par le docteur A. mandaté par son assureur, Serge B. sollicitait en référé la mise en place d'une mesure d'expertise.

Par ordonnance en date du 29 septembre 2016 Monsieur C. était désigné en qualité d'expert afin de donner son avis sur les causes de la nouvelle intervention et de chiffrer un éventuel préjudice corporel.

L'expert déposait son rapport le 14 avril 2017.

Par acte d'huissier en date du 7 septembre 2017 Serge B. a fait assigner devant le Tribunal d'Instance de Montpellier, la société de droit étranger MED-EL ELEKTROMEDIZINISCHE GERAETE GESELLSCHAFT pour la voir condamner à l'indemniser des préjudices corporels subis à la suite d'un dysfonctionnement d'un implant cochléaire.

Le jugement contradictoire en date du 27 novembre 2017 rendu par le Tribunal d'Instance de Montpellier énonce :

- Déboute Serge B. de l'ensemble de ses demandes.

- Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

- Dit que Serge B. supportera les dépens.

Le premier juge en liminaire relève que l'action est fondée en droit sur les articles 1245 et suivants du code civil tels que résultant de l'ordonnance du 10 février 2016 qui ne sont entrés en vigueur que le 1er octobre 2016 et ne sont donc pas applicables aux contrats conclus avant cette date.

Ainsi le présent litige doit être jugé au visa des articles 1386-1 et suivants du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance précitée.

En application de ces articles le juge d'instance considère que la défectuosité de l'implant n'est pas démontrée, le rapport d'expertise judiciaire relevant simplement une suspicion de dysfonctionnement tout en indiquant qu'en dehors de tout dysfonctionnement une douleur dans la région opératoire et des acouphènes pouvaient apparaître s'ils étaient déjà présents avant l'intervention.

Le tribunal ajoute que le lien de causalité n'est pas établi dans la mesure où la mauvaise tolérance de l'implant peut résulter d'un aléa thérapeutique duquel Serge B. avait été informé lors du recueil de son consentement éclairé et la simple implication du produit dans le dommage ne suffit pas à établir son défaut au sens de l'article 1386-4 du code civil.

Serge B. a déposé au greffe une déclaration d'appel le 27 décembre 2017.

La clôture de l'instruction a été ordonnée par ordonnance en date du 21 septembre 2020.

Serge B. a déposé ses dernières écritures le 17 septembre 2020.

Dans ses dernières écritures déposées le 21 septembre 2020 la société MED-EL ELEKTROMEDIZINISCHE GERAETE GESELLSCHAFT demande à titre liminaire de rejeter les conclusions récapitulatives d'appelant et la pièce n°3 communiquée le 17 septembre 2020 et à titre subsidiaire d'ordonner la révocation de l'ordonnance de clôture et admettre ses écritures en date du 21 septembre 2020.

MED-EL expose sur le rejet des dernières écritures adverses que Serge B. a conclu le 7 février 2018 et qu'elle a répliqué le 06 mai 2018, 30 mai 2018, puis le 25 septembre 2019.

L'appelant a ensuite attendu le 17 septembre 2020 soit 1 jour ouvré avant l'ordonnance de clôture pour adresser des conclusions récapitulatives et une nouvelle pièce.

La cour observe à la lecture comparée des conclusions de l'appelant aux dates respectives des 7 février 2018 et 17 septembre 2020 que le dispositif des écritures est identique mais que dans les dernières écritures il apparaît des développements supplémentaires sur un rapport du docteur A. et que ce rapport du docteur A. est communiqué en pièce 3 s'agissant d'une pièce complémentaire.

La cour observe également à la lecture comparée des conclusions de l'appelant que le rapport non contradictoire du docteur A. était connu de Serge B. dès février 2018 puisqu'il en fait mention en quelques lignes en page 2 et 3 de ses écritures de février 2018.

La cour retiendra alors que dans une procédure d'appel ouverte depuis le 27 décembre 2017, alors que les parties ont échangé leurs premières écritures d'appel respectivement le 7 février 2018 et le 06 mai 2018, le dépôt de nouvelles écritures le jeudi 17 septembre 2020 par l'appelant soit la veille du dernier jour ouvré avant la clôture pour développer des arguments et communiquer un rapport d'expertise non contradictoire qui était déjà en sa possession en février 2018 ne répond pas à l'exigence de la loyauté des débats dans l'exercice du principe fondamental en procédure civile du contradictoire.

La cour rejette en conséquence les écritures déposées par MED-EL ELEKTROMEDIZINISCHE GERAETE GESELLSCHAFT le 21 septembre 2020, et les écritures déposées par Serge B. le 17 septembre 2020 ainsi que les nouvelles pièces qui y sont annexées.

La cour retiendra par conséquent pour Serge B. les écritures déposées le 7 février 2018 et pour MED-EL ELEKTROMEDIZINISCHE GERAETE GESELLSCHAFT les écritures déposées le 25 septembre 2019.

Le dispositif des dernières écritures de Serge B. énonce :

Tenant le rapport C.,

Tenant les dispositions des articles 1386-1 ancien et suivants du code civil,

- Condamner MED-EL à payer à Serge B. :

- 400 € au titre du déficit fonctionnel temporaire du 14 avril au 3 juin 2015,

- 60 € au titre du déficit fonctionnel temporaire du 4 au 6 juin 2016,

- 200 € au titre du déficit fonctionnel temporaire du 7 au 22 juin 2015,

- 5 000 € au titre des souffrances endurées ;

- Condamner MED-EL ELEKTROMEDIZINISCHE GERAETE GESELLSCHAFT au paiement de la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Il expose que l'implication d'un dysfonctionnement dans les impédances et les douleurs qu'il a ressenties après la première pose de l'implant ressort du rapport non contradictoire établi par le docteur A. mandaté par son assureur qui considère que le fait que le résultat ait été satisfaisant dès le changement d'implant parait confirmer l'implication d'un dysfonctionnement du premier appareil même si le fabricant n'a pas identifié de dysfonctionnement spécifique.

Serge B. ajoute que l'expert judiciaire C. avait dans le cadre de son pré-rapport conclu au dysfonctionnement de l'appareil initialement implanté mais considérant que le patient avait été informé de la possibilité d'un dysfonctionnement de l'appareil et de la nécessité d'une seconde intervention il n'avait pas évalué et chiffré les préjudices.

Selon l'appelant l'expert confirme qu'il y a une forte suspicion d'un problème technique dès lors qu'une fois l'appareil remplacé la symptomatologie s'est amendée et le fait qu'il ait été informé d'un possible dysfonctionnement à supposer que cette information ait été donnée par le fabriquant ne saurait exonérer pour autant la responsabilité de ce dernier.

Le dispositif des dernières écritures de MED-EL ELEKTROMEDIZINISCHE GERAETE GESELLSCHAF énonce :

Vu les articles 1386-1 et suivants du code civil dans leur version antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016,

Vu l'article 1315 du code civil dans sa version antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016,

- Dire que Serge B. ne rapporte pas la preuve que le premier implant cochléaire MED-EL qui lui a été posé le 9 janvier 2015 était défectueux.

- En conséquence,

- Débouter Serge B. de l'ensemble de ses demandes.

- Condamner Serge B. au paiement de la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

MED-EL rappelle d'abord que la partie qui invoque la mise en cause de la responsabilité du fabricant d'un produit doit démontrer l'existence du défaut de son produit et elle doit aussi démontrer que la défectuosité est à l'origine de son dommage conformément aux règles classiques de la responsabilité civile délictuelle.

Or en l'espèce aucun dysfonctionnement du premier implant cochléaire mis en place sur Serge B. n'est établi avec certitude dans le cadre de l'expertise judiciaire.

Bien au contraire le rapport d'expertise met en lumière l'état antérieur du patient avant la première pose d'implant qui démontre qu'il souffrait déjà d'acouphènes invalidants et le fait que ces acouphènes aient persisté après la pose de l'implant incriminé ne peut donc constituer la preuve d'un dysfonctionnement dudit implant, ce d'autant que les acouphènes se manifestaient lorsque l'implant était inactif.

L'expert au vu de ces éléments n'a pas conclu à un dysfonctionnement mais à une suspicion de dysfonctionnement, considération qui suffit à exclure l'engagement de la responsabilité de MED-EL qui ne peut reposer sur des suspicions.

Le fabriquant ajoute qu'en outre l'expert n'a jamais réalisé d'expertise technique de l'implant incriminé se contentant d'examiner les comptes-rendus opératoires et de réaliser un examen médical de Serge B. une fois le second implant posé.

La seule expertise technique de l'implant en lui-même est celle réalisée par MED-EL après la dépose de l'implant et aux termes de laquelle il n'a été démontré aucun dysfonctionnement de l'appareil.

Enfin MED-EL ajoute que rien ne permet d'exclure que les douleurs et les sifflements ressentis par Serge B. aient été la conséquence de la chirurgie ou tout simplement d'une mauvaise tolérance par l'organisme du patient ou encore d'un déplacement ou de la compression de l'implant lors de l'utilisation par Serge B. d'un casque de moto quelques semaines après la première intervention.

MOTIFS :

Selon l'ancien article 1386-1 code civil en vigueur avant l'ordonnance du 10 février 2016 et applicable aux faits de l'espèce « Le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime. »

Il est en outre constant que la simple implication d'un produit dans la réalisation d'un dommage ne suffit pas à établir son défaut au sens de 1386-1 mais la preuve de la défectuosité du produit peut être rapportée par des présomptions graves, précises et concordantes.

En l'espèce le seul élément de preuve recevable produit au débat par Serge B. sur qui pèse la charge de la preuve de la défectuosité du premier implant cochléaire MED-EL est l'expertise médicale judiciaire de Monsieur C..

Il ressort tout d'abord de la lecture du rapport d'expertise que ce n'est qu'à compter du 14 avril 2015 soit plus de trois mois après l'implantation que des sifflements forts côté droit, mais aussi des acouphènes côté gauche (non implanté) sont apparus alors que les premières synthèses réalisées à un mois et à deux mois de l'intervention faisaient état de bilan positif et encourageant.

L'expert qui n'a jamais examiné le matériel implanté puis retiré ne conclut qu'à une suspicion de dysfonctionnement, la symptomatologie s'étant améliorée après le changement de l'implant et cette seule suspicion ne peut suffire à établir le défaut de l'implant, ce d'autant que l'expert précise qu'en la matière de possibles complications sont connues comme des douleurs de la région opératoire ou des acouphènes s'ils étaient déjà présents avant l'intervention ce qui était le cas pour Serge B..

C'est donc à juste titre que le premier juge en l'absence de preuve de défaut du produit et la seule implication du produit n'étant pas suffisante a considéré que la responsabilité du fabriquant de l'implant ne pouvait être retenue et a donc débouté Serge B. de ses demandes.

En appel ce dernier ne produit aucun élément médical ou technique qui pourrait amener la cour à infirmer le jugement dont appel.

Par conséquent le jugement entrepris sera confirmé en l'ensemble de ses dispositions.

En outre Serge B. succombant en son appel sera condamné à payer à la société MED-EL la somme de 1 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

PAR CES MOTIFS :

La cour statuant par arrêt contradictoire et rendu par mise à disposition au greffe ;

Confirmes-en toutes ses dispositions le jugement rendu le 27 novembre 2017 par le tribunal d'instance de Montpellier ;

Y ajoutant,

Condamne Serge B. à payer à la société MED-ELEKTROMEDIZINISCHE GERAETE GESELLSCHAFT la somme de 1 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Serge B. aux dépens de la procédure d'appel.