CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 25 novembre 2020, n° 20/07556
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Cooperl Arc Atlantique (Sté)
Défendeur :
KWS Momont (SASU)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Birolleau
Conseillers :
Mme Chegaray, Mme Bongrand
La société coopérative agricole Cooperl Arc Atlantique (Cooperl), spécialisée dans la production, l'abattage et la commercialisation de porc, et la société KWS Momont (KWS), productrice de semences de maïs destinées à l'alimentation du bétail, ont été en relation d'affaires à partir de 2003, la coopérative commandant à KWS Momont des semences de leur revente aux adhérents de la coopérative et à des clients tiers.
A la fin de l'année 2017, la société Cooperl a informé la société KWS Momont qu'elle ne lui commanderait pas la campagne 2018 produite pour Cooperl.
Arguant de ce que cette décision était constitutive d'une rupture brutale de la relation commerciale établie, la société KWS Momont a, par acte du novembre 2018, assigné la société Cooperl en référé devant le président du tribunal de grande instance de Rennes, aux fins de voir ordonner, sous astreinte, à la société Cooperl de reprendre la relation commerciale pour une nouvelle année et de la condamner à lui payer, à titre provisionnel, la somme de 344 642,95 euros, correspondant à sa perte de marge brute pour une saison, à valoir sur la réparation du préjudice causé par la rupture d'une relation commerciale établie.
Par ordonnance contradictoire rendue le 14 février 2019, le juge des référés du tribunal de grande instance de Rennes a :
- rejeté l'exception d'incompétence de la société coopérative agricole Cooperl Arc Atlantique, comme étant mal fondée ;
- ordonné à la société Cooperl de reprendre la relation commerciale précédemment établie avec la SAS KWS Momont, pour l'année 2017-2018, en lui passant commande de semence de maïs comme suit :
- Santimo : 3 700 doses au prix unitaire de 51 euros HT ;
- Farmoso : 2 800 doses au prix unitaire de 49 euros HT ;
- Baylissimo : 3 500 doses au prix unitaire de 52 euros HT,
Sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, à l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de la signification de la présente ordonnance et ce pendant trente jours, délai à l'issue duquel il sera de nouveau statué, le cas échéant, par le juge de l'exécution ;
- condamné la société Cooperl Arc Atlantique à payer à la SAS KWS Momont une provision, à valoir sur la réparation de son préjudice, d'un montant de 344 642,95 euros ;
- condamné la société Cooperl Arc Atlantique aux entiers dépens de l'instance ;
- condamné la société Cooperl Arc Atlantique à payer à la SAS KWS Momont la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- rejeté tout autre demande, plus ample ou contraire.
Le 5 mars 2019, la société Cooperl a interjeté appel de cette décision.
La société Cooperl Arc Atlantique, par ses dernières conclusions remises le 16 septembre 2020, demande à la cour, au visa des articles 12, 42, 43, 484 et 809 du code de procédure civile, D. 442-4, L. 110-1, et L. 721-3 du code de commerce, l'ancien article L 442-6 I 5° du code de commerce, 1103, 1112-1,1114, 1137, 1178, 1240 et 1604 du code civil, L 213-1 L. 441-1 du code de la consommation, L. 521-5 du code rural et de la pêche maritime, de :
In limine litis,
- juger que le juge des référés du tribunal de grande instance de Rennes n'était pas compétent pour connaître de la présente affaire ;
À titre principal,
- juger que les conditions de l'article 809, alinéa 1er, du code de procédure civile ne sont pas réunies en l'espèce, à savoir qu'il ne saurait être considéré que KWS Momont justifie d'un trouble manifestement illicite ou d'un dommage imminent ;
- juger qu'en conséquence, la preuve de l'existence d'un trouble manifestement illicite ou d'un dommage imminent n'étant pas rapportée par KWS Momont, aucune mesure ne saurait être prise par le juge des référés en faveur de KWS Momont ;
- juger que KWS Momont a commis une inexécution de ses obligations au sens de l'ancien article L 442-6 du code de commerce de sorte que Cooperl Arc Atlantique avait une faculté de résiliation sans préavis de sa relation commerciale avec KWS Momont ;
- juger que Cooperl Arc Atlantique rapporte bien la preuve que la condition de l'article 809 alinéa 2 du code de procédure civile d'absence de contestation sérieuse n'est pas remplie afin de permettre l'octroi par le juge des référés d'une provision à KWS Momont ;
- juger qu'en conséquence, aucune provision ne saurait être octroyée à KWS Momont ;
- juger que les mesures ordonnées par le juge des référés ont un caractère excessif et disproportionné dans leurs effets, Cooperl Arc Atlantique étant condamnée à passer commandes de 10 000 doses de semences pour l'année 2017-2018 et en même temps à lui verser une provision d'un montant de 344 642,95 euros ;
- juger qu'en conséquence, en statuant de la sorte le juge des référés a commis un excès de pouvoir ;
- réformer en conséquence intégralement l'ordonnance du juge des référés en ce qu'elle condamnée Cooperl Arc Atlantique :
- à reprendre la relation commerciale précédemment établie avec la SAS KWS Momont pour l'année 2017-2018, en lui passant commande de semences de maïs de la manière suivante :
- Santimo : 3 700 doses au prix unitaire de 51 euros HT ;
- Farmoso : 2 800 doses au prix unitaire de 49 euros HT ;
- Baylissimo : 3 500 doses au prix unitaire de 52 euros HT ;
Ce, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, à l'expiration d'un délai de15 jours à compter de la signification del'ordonnance de référé et ce pendant 30 jours, délai à l'issue duquel il sera de nouveau statué, le cas échéant, par le Juge de l'exécution,
- à payer à la SAS KWS Momont une provision, à valoir sur la réparation de son préjudice, d'un montant de 344 642,95 euros, la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens de l'instance.
À titre subsidiaire,
- juger que KWS Momont n'a pas respecté son obligation d'information à son égard en ce qu'elle ne lui a pas donné des informations déterminantes pour son consentement quant à l'origine de la génétique des semences qu'elle lui vendait
- juger que KWS Momont a commis un dol à son égard en retenant des informations déterminantes pour cette dernière quant à l'origine de la génétique des semences qu'elle lui vendait ;
- juger qu'aucune des demandes fins et prétentions de KWS Momont n'est juridiquement fondée à son égard ;
- débouter en conséquence la société KWS Momont de l'ensemble de ses demandes fins et prétentions ;
- condamner au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile la société KWS Momont à lui payer la somme de 15 000 euros,
- condamner la société KWS Momont aux entiers dépens.
Elle fait valoir que le litige entre une coopérative agricole et un tiers relève de la compétence des juridictions civiles dès lors que la coopérative agricole agit dans l'intérêt de ses membres, et plus précisément, dès lors qu'elle effectue, pour ses membres, des achats pour revendre ; qu'en revanche, le litige relève de la compétence des juridictions commerciales lorsque la coopérative agricole agit dans l'intérêt de tiers non-coopérateurs ; que le tribunal de commerce de Rennes est seul compétent pour connaître du litige, en ce que les actes effectués par la société Cooperl étaient dans l'intérêt de ses membres et de tiers non-coopérateurs.
Elle indique que :
- elle n'a pas commis une rupture brutale de ses relations commerciales avec la société KWS Momont, puisque, depuis l'année 2014, les commandes avaient diminué de 20 à 25 % et que les essais de nouvelles variétés de semences ne sont pas les indicateurs d'une prise de commande future ;
- la diminution des commandes auprès de la société KWS Momont s'explique par l'obsolescence des variétés Santimo, Farmoso et Baylissimo et la non-performance des nouvelles variétés de semences maïs proposées ;
- il ne peut avoir rupture brutale des relations commerciales entre les sociétés, étant donné que la société Cooperl est, à ce jour, encore cliente de la société KWS, eu égard, notamment d'une part aux importantes commandes de betteraves et d'autre part des commandes de semences passées auprès de la société KWS France filiale du Groupe KWS ;
- qu'elle n'a pas formellement adressé de lettre avec accusé de réception indiquant un préavis concernant l'arrêt des commandes, mais a simplement pas commandé de maïs pour l'année 2018 attendant que la société KWS Momont réalise des progrès génétiques pour ce type de semence ;
- que la société KWS Momont a agi en toute mauvaise foi en saisissant de manière abusive le juge des référés et ne saurait en réalité faire valoir un trouble manifestement illicite au sens des dispositions de l'article 809 du code de procédure civile, n'ayant subi aucune perturbation du fait de la baisse des commandes de semences de maïs de la société Cooperl, et ne rapportant pas la preuve qu'elle a produit 17 000 doses de semences spécifiquement pour la société Cooperl;
- que les commandes effectuées en février 2020 ne sauraient être interprétées comme une reprise de ses relations commerciales avec KWS Momont ;
- qu'il n'existe aucun dommage imminent en raison de la possibilité pour la société KWS Momont, filiale à 100% d'un géant mondial de semence, d'écouler sa production à travers les autres filiales du Groupe KWS, et du fait de la durée de vie de plusieurs années des variétés de semences ;
- qu'elle a été trompé par la société KWS Momont sur l'origine des semences vendues, qui proviennent en réalité de l'obtenteur allemand Von M., ce qui constitue une absence de délivrance conforme, cause de résolution du contrat, justifiant sa rupture sans que la responsabilité de l'auteur de la rupture ne soit engagée selon l'ancien article L442-6 du code de commerce ;
- que la société KWS Momont en tant que vendeur professionnel de semences de maïs était titulaire d'une obligation d'information et de conseil à l'égard de la société Cooperl ;
- que la société KWS Momont a laissé croire à la société Cooperl qu'elle était obtenteur des semences qu'elle vendait, alors qu'en réalité elle achète sa génétique à la société Von M. ou la société RWA en Slovaquie, et se rend alors responsable de réticence dolosive ;
- que le juge des référés a excédé ses pouvoirs en permettant un enrichissement disproportionné de la société KWS Momont lorsqu'il a obligé la société Cooperl a acheté 10.000 doses à des prix très supérieurs à ceux pratiqués par la concurrence ;
- que le préjudice économique que prétendu subir la société KWS Momont n'est ni démontré dans son principe, ni dans son évaluation, et qu'à ce titre aucune provision n'aurait dû lui être accordée.
La société KWS Momont, appelante à titre incident, par conclusions remises le 23 septembre 2020, demande à la cour, au visa des articles L.442-6 du code de commerce et 809 du code de procédure civile applicables au jour du litige, de :
In limine litis,
- juger que le président du tribunal judiciaire de Rennes était compétent matériellement et géographiquement ;
- juger que le président du tribunal judiciaire de Rennes est compétent pour connaître de la procédure de référé ;
En conséquence,
- confirmer l'ordonnance sur la compétence matérielle et territoriale du président du tribunal judiciaire de Rennes ;
- débouter la société Cooperl de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
À titre subsidiaire,
- juger que la cour de céans est juridiction d'appel relativement à la juridiction qu'elle estime compétente en l'espèce ;
Statuer sur le présent litige,
- constater qu'elle-même et la société Cooperl étaient en relations commerciales établies ;
- constater que la société Cooperl a rompu brutalement sans préavis les relations commerciales établies entre elle et la société Cooperl en ne commandant pas la campagne 2018 déjà produite ;
- juger que la rupture brutale des relations commerciales par la société Cooperl constitue un trouble manifestement illicite et est à l'origine d'un dommage imminent pour KWS Momont ;
- juger que le préavis que la société Cooperl aurait dû respecter équivaut à deux campagnes ;
- juger qu'elle subit un préjudice du fait de cette rupture brutale ;
- juger qu'elle est bien fondée à demander la poursuite des relations commerciales avec Cooperl sur une campagne et l'indemnisation du préjudice à titre provisionnel sur une autre campagne ;
- juger que l'octroi d'une provision est justifié par l'absence de contestation sérieuse de l'obligation dont se prévaut la société KWS Momont dans son principe ;
- juger que la provision demandée est justifiée dans son quantum ;
- juger que les mesures ordonnées par le président du tribunal judiciaire de Rennes sont proportionnées et non excessives ;
- juger qu'elle n'a commis aucune faute ;
En conséquence,
- confirmer l'ordonnance du président du tribunal judiciaire de Rennes en ce qu'elle a :
- ordonné à Cooperl de reprendre les relations commerciales avec KWS Momont pour une campagne dans les conditions suivantes :
Pour les variétés suivantes : Santimo TM 2.4 (std), Farmoso TM2.4 (std), Baylissimo TM 2.4 (std), dans les conditions de prix prévus pour la campagne 2018 (prix HT unitaire par dose) ;
- Santimo TM 2.4 (std) : 51 euros
- Farmoso TM2.4 (std) : 49 euros
- Baylissimo TM 2.4 (std) : 52 euros
Pour les volumes de doses produits par KWS Momont pour la campagne 2018 à savoir : Santimo TM 2.4 (std): 3 700, Farmoso TM2.4 (std) : 2 800, Baylissimo TM 2.4 (std) : 3 500 ;
- condamné Cooperl au paiement d'une somme de 344 642,95 euros à KWS Momont à titre provisionnel pour le préjudice subi par KWS Momont ;
- condamné la société Cooperl aux entiers dépens de la procédure sur le fondement de l'article 696 du code de procédure civile dont distraction au profit de l'AARPI Astura en application de l'article 699 du même code ;
En tout état de cause,
- condamner la société Cooperl au paiement d'une somme de 30.000 euros à KWS Momont en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens ;
- débouter la société Cooperl de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, au titre du présent appel ;
- débouter la société Cooperl de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, à titre principal et à titre subsidiaire.
Elle fait valoir qu'en application des dispositions des articles L. 442-6 et D. 442-4 du code de commerce, le litige en matière de rupture des relations commerciales établies peut être porté devant le tribunal judiciaire géographiquement compétent ; qu'elle fonde sa demande à l'encontre de la société Cooperl sur la rupture des relations commerciales établies et l'article L. 442-6-I du code de commerce qui fait l'objet, des règles de compétences de droit commun, à savoir l'article 42 du code de procédure civile, et des règles de compétences territoriale spécifique découlant de l'article D. 442-4 du code de commerce ; qu'en application de ses dispositions, le tribunal judiciaire de Rennes est compétent territorialement.
Sur les conditions de la rupture de la relation, elle indique que la société Cooperl ne peut valablement invoquer une baisse progressive des commandes depuis l'année 2014 pour justifier la rupture intervenue, alors qu'elle a laissé croire, de longue date, à la poursuite des relations commerciales normales pour la campagne 2018. Elle précise qu'il est de jurisprudence constante qu'une chute brutale de commande ou de chiffre d'affaires constitue une rupture brutale de relations commerciales établies ; or, entre 2017 et 2018, le total de commandes a chuté de 97 %, de sorte que la société Cooperl ne saurait sérieusement prétendre ne pas avoir rompu ses relations commerciales avec KWS Momont ; aux termes de l'article L. 442-6 I 5° du code du commerce, il incombait à la société Cooperl de respecter un préavis « écrit tenant compte de la durée de la relation » lorsqu'elle cesse des relations commerciales établies de longue date avec son partenaire.
Elle précise que la société Cooperl fait preuve de mauvaise foi lorsqu'elle invoque l'obsolescence ou un manque d'adaptation des semences de maïs, la société KWS n'étant tenue à aucune obligation de résultat sur les rendements, lesquels dépendent de plusieurs facteurs, notamment climatiques, géographiques et des modes de cultures ; qu'il est de jurisprudence constante que l'existence de manquements mis en avant pour tenter de justifier une rupture sans préavis est exclue lorsque, après une première notification de rupture, les relations commerciales ont été reprises ; que la société Cooperl a rompu les relations commerciales à partir de la campagne 2018, sans justification, invoquant des inexécutions des obligations de KWS Momont sans les justifier. Le trouble manifestement illicite est caractérisé en ce que :
- aucun préavis écrit n'a été notifié, l'éventuelle reprise partielle des relations commerciales pour la campagne 2021 étant indifférente quant à la responsabilité de la société Cooperl pour rupture brutale des relations dès la campagne 2018 ;
- elle avait mis en production les semences destinées à Cooperl ; or, KWS doit écouler le plus rapidement ses productions, les semences ayant une durée de vie limitée à la suite de leur récolte (entre deux à trois années), et étant exposées à des risques de péremption.
Elle précise que le préavis qu'aurait dû respecter Cooperl est de deux campagnes, compte tenu de la durée des relations commerciales entre les parties, entamées en 2003, de la spécificité et de l'étroitesse du marché en cause, de la saisonnalité de la production d'une campagne qui s'amorce sur des discussions commençant deux avant la livraison, de la structure d'activité de KWS Momont qui ne peut vendre ses semences qu'une seule fois par an après la récolte annuelle, et enfin de la part importante du chiffre d'affaires de KWS réalisé par la vente de semences de maïs à Cooperl, ces ventes représentant près de 46 % du chiffre d'affaires de KWS.
Elle en déduit que l'ordonnance attaquée a justement ordonné :
- pour la première campagne, la reprise des relations entre les sociétés Cooperlet et KWS Momont, cette mesure étant la plus adaptée pour faire cesser le trouble manifestement illicite et le dommage imminent ;
- pour la deuxième campagne, le paiement d'une provision, en l'absence de contestation sérieuse de l'obligation de KWS en son principe, d'un montant de 344 642,95 euros, justifié dans son quantum.
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.
MOTIFS
Sur la compétence
L'exception d'incompétence du juge des référés du tribunal judiciaire de Rennes au profit de celui du tribunal de commerce de Rennes soulevée par l'appelante est sans intérêt dès lors que la présente cour est, en application des articles L. 442-1 (ancien article L. 442-6) et D. 442-4 du code de commerce, juridiction d'appel des deux juridictions de première instance et qu'elle est saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel.
Sur la rupture brutale de la relation commerciale établie
L'article 834 du code de procédure civile (ancien article 808) dispose que, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.
L'article L. 442-6 I 5° du code du commerce, dans sa rédaction applicable à la cause, prévoit :
« I - Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (...)
5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précédent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas ; (…)
IV. - Le juge des référés peut ordonner, au besoin sous astreinte, la cessation des pratiques abusives ou toute autre mesure provisoire. »
Il est constant que :
- le 15 novembre 2017, la société Cooperl a informé la société KWS qu'elle n'effectuerait aucune commande pour la Campagne 2018 en invoquant "la réorganisation des achats et la simplification de [la] gamme" (pièce KWS Momont n° 12) ;
- le 26 décembre 2017, la société Cooperl a notifié à la société KWS " l'arrêt de collaboration (...) lié à la non-pertinence de votre offre " et " un décalage de prix significatif hors marché ".
La société Cooperl conteste toute rupture brutale dès lors que les commandes à KWS avaient connu une baisse progressive à partir de 2014-2015.
Toutefois, il n'est pas contesté que KWS recevait régulièrement, depuis 2003, des commandes de Cooperl ; si ces commandes ont diminué à partir de 2014 :
- elles sont néanmoins restées à un niveau élevé entre 2015 et 2017 et n'ont donné lieu à aucun effondrement, ni en quantités (23 354 doses en 2013-2014, 18 905 doses en 2014-2015, 13 710 doses en 2015-2016, 10 495 doses en 2016-2017), ni valeur (799 145 euros HT en 2015, 629 683 euros HT en 2016, pour remonter à 744 003 euros HT en 2017) ;
- les produits commandés n'ont fait l'objet d'aucune critique avant la notification de la rupture - le courriel du 15 décembre 2017 ne contenant pas la moindre dénonciation de la qualité des produits - de sorte que les critiques avancées n'ont nullement empêché la poursuite de la relation et ne peuvent donc constituer un manquement grave propre à justifier une absence de préavis de rupture ; il n'est, en tout état de cause, produit aucun élément susceptible de démontrer, avec toute l'évidence nécessaire en référé, une inadaptation des semences en cause.
Ces éléments autorisaient KWS à anticiper, pour l'avenir, une certaine continuité du flux d'affaires.
Il est, par ailleurs, constant que les commandes de semences de maïs ont totalement cessé au titre de la campagne de 2018. Il est donc indifférent que des commandes de semences de betteraves se soient poursuivies en 2018, dès lors que, compte tenu de l'arrêt subit des commandes de semences de maïs, le total des achats (en semences de maïs et en semences de betteraves) est passé, entre 2017 et 2018, de 762 879 euros HT à 19 842 euros HT, soit une chute brutale de 97 % qui caractérise une rupture partielle brutale de la relation commerciale établie.
La décision prise le 15 novembre 2017 par la société Cooperl de mettre un terme à la relation sans préavis a causé à KWS un trouble manifestement illicite, alors que :
- Cooperl a laissé se dérouler le calendrier habituel des essais de maïs admis par Cooperl, calendrier qui a donné lieu aux échanges et aux tests prévus (deuxième quinzaine de septembre : rendez-vous physique avec chacun des fournisseurs pour la présentation de leurs offres de semences de maïs ; octobre de chaque année : négociation avec chacun des fournisseurs sur les offres de prix des semences et de leur(s) traitement(s) et des volumes ; première quinzaine de novembre : validation par Cooperl des commandes des différentes variétés de semences de maïs auprès de chacun des fournisseurs ; début novembre : lancement de la campagne des semences de maïs référencées par Cooperl auprès de ses adhérents par le biais de ses techniciens commerciaux) ;
- la campagne de 2018 a été produite, ainsi que cela ressort des pièces versées aux débats (pièce KWS n° 24) ;
- la brutalité de la rupture a empêché la société KWS de réorienter son activité vers d'autres clients.
Il s'en déduit l'existence d'un trouble manifestement illicite auquel il appartient au juge des référés de mettre un terme.
Ces éléments justifient que soit ordonnée la poursuite de la relation pendant un délai tenant compte de la durée de la relation ayant existé entre les parties et de la nature de l'activité concernée. Cooperl doit, ainsi que l'ordonné le premier juge, être condamnée à maintenir la relation commerciale jusqu'à la fin du délai d'affermissement des commandes de semences et de livraison de la campagne de 2018.
L'octroi d'un préavis supposant le maintien de la relation commerciale aux conditions antérieures, la cour confirmera l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a fixé :
- le volume total des commandes de semence de maïs à 10 000 doses, soit un volume correspondant à la moyenne des commandes passées par Cooperl entre 2014 et 2017 (pièces KWS n°4-5 à 4-9) ;
- la répartition entre produits en Santimo : 3 700 doses, Farmoso : 2 800 doses, Baylissimo : 3 500 doses.
Toutefois, sur les prix, il convient de retenir le prix proposé par KWS par courriel du 22 février 2018 (pièce KWS n° 19), soit un prix de 43,50 euros HT la dose, prix dont Cooperl ne démontre pas qu'il soit exorbitant.
Il sera suffisamment mis un terme au trouble manifestement illicite en ordonnant la poursuite de la campagne de 2018. KWS ne démontre pas, en effet, avec toute l'évidence exigée, que le trouble manifestement illicite occasionné par l'absence de préavis se poursuive au-delà de cette seule campagne, dès lors qu'en novembre 2017, aucune démarche n'avait encore été entreprise au titre de la campagne de 2019 et qu'en tout état de cause, la mise en production de cette campagne 2019 ne pouvait pas intervenir avant avril 2018 aux termes du schéma de KWS en page 35 de ses conclusions.
En conséquence, la cour dira n'y avoir lieu à référé sur la demande, de la société KWS, de provision au titre de la campagne de 2019 et infirmera en ce sens l'ordonnance entreprise.
PAR CES MOTIFS
Dit sans objet l'exception d'incompétence du juge des référés du tribunal judiciaire de Rennes ;
Confirme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a dit que la société Cooperl Arc Atlantique a brutalement rompu la relation commerciale établie entretenue avec la SAS KWS Momont, a condamné la société Cooperl Arc Atlantique à poursuivre la relation au titre de la campagne de 2018, et sur les condamnations accessoires ;
L'infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés ;
Ordonne à la société Cooperl Arc Atlantique de reprendre la relation commerciale pour l'année 2017-2018, en lui passant commande de semence de maïs aux conditions suivantes :
- Santimo : 3 700 doses, au prix unitaire de 43,50 euros HT ;
- Farmoso : 2 800 doses, au prix unitaire de 43,50 euros HT ;
- Baylissimo : 3 500 doses, au prix unitaire de 43,50 euros HT,
Sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, à l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de la signification de la présente ordonnance, et ce pendant trente jours, délai à l'issue duquel il sera de nouveau statué, le cas échéant, par le juge de l'exécution ;
Dit n'y avoir lieu à référé sur la demande la société KWS Momont de condamnation à paiement d'une provision ;
Condamne la société Cooperl Arc Atlantique aux dépens d'appel avec application de l'article 699 du code de procédure civile ;
Condamne la société Cooperl Arc Atlantique à payer à la SAS KWS Momont la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.