Livv
Décisions

CJUE, 2e ch., 3 décembre 2020, n° C-461/18 P

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Changmao Biochemical Engineering Co. Ltd, Distillerie Bonollo SpA, Industria Chimica Valenzana (ICV) SpA, Distillerie Mazzari SpA, Caviro Distillerie Srl, Comercial Química Sarasa SL

Défendeur :

Conseil de l’Union européenne, Commission européenne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Arabadjiev

Juges :

M. von Danwitz , M. Xuereb (rapporteur)

Avocat général :

M. Tanchev

Avocats :

M. Adamantopoulos, M. Billiet, M. MacLean, M. Bochon

CJUE n° C-461/18 P

3 décembre 2020

LA COUR (deuxième chambre),

1 Par son pourvoi, Changmao Biochemical Engineering Co. Ltd demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 3 mai 2018, Distillerie Bonollo e.a./Conseil (T‑431/12, ci-après l’« arrêt attaqué »,  EU:T:2018:251), par lequel celui-ci a annulé le règlement d’exécution (UE) no 626/2012 du Conseil, du 26 juin 2012,  modifiant le règlement d’exécution (UE) no 349/2012  du Conseil instituant un droit antidumping définitif sur les importations d’acide tartrique originaire de la République populaire de Chine (JO 2012, L 182, p. 1, ci-après le « règlement litigieux »).

2 Par son pourvoi incident, la Commission européenne demande à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué ou, à titre subsidiaire, d’annuler ce dernier dans la mesure où le Tribunal a imposé au Conseil de l’Union européenne de prendre les mesures que comporte l’exécution de cet arrêt, alors que le pouvoir d’exécution relèverait de la compétence exclusive de la Commission.

 Le cadre juridique

3 Le règlement (CE) no 1225/2009 du Conseil, du 30 novembre 2009, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO 2009, L 343, p. 51, ainsi que rectificatifs JO 2010, L 7, p. 22 et JO 2016, L 44, p. 20, ci-après le « règlement de base »), qui était en vigueur à la date d’adoption du règlement litigieux, disposait, à son article 4, paragraphe 1 :

« Aux fins du présent règlement, on entend par “industrie [de l’Union européenne]” l’ensemble des producteurs [de l’Union]  de produits similaires ou ceux d’entre eux dont les productions additionnées constituent une proportion majeure au sens de l’article 5, paragraphe 4, de la production [de l’Union] totale de ces produits [...]. »

4 Aux termes de l’article 5, paragraphe 4, de ce règlement :

« Une enquête n’est ouverte conformément au paragraphe 1 que s’il a été déterminé, en se fondant sur un examen du degré de soutien ou d’opposition à la plainte exprimé par les producteurs [de l’Union] du produit similaire, que la plainte a été présentée par l’industrie [de l’Union] ou en son nom. La plainte est réputée avoir été déposée par l’industrie [de l’Union]  ou en son nom si elle est soutenue par des producteurs [de l’Union]  dont les productions additionnées constituent plus de 50 % de la production totale du produit similaire par la partie de l’industrie [de l’Union]  exprimant son soutien ou son opposition à la plainte. Toutefois, il ne sera pas ouvert d’enquête lorsque les producteurs [de l’Union] soutenant expressément la plainte représentent moins de 25 % de la production totale du produit similaire produit par l’industrie [de l’Union]. »

5 L’article 6, paragraphe 5, dudit règlement prévoyait :

« Les parties intéressées qui se sont fait connaître conformément à l’article, 5 paragraphe 10, sont entendues si, dans le délai fixé dans l’avis publié au Journal officiel de l’Union européenne, elles en ont fait la demande par écrit tout en démontrant qu’elles sont effectivement des parties intéressées susceptibles d’être concernées par le résultat de la procédure et qu’il existe des raisons particulières de les entendre. »

6 L’article 9, paragraphe 4, de ce même règlement était ainsi libellé :

« Lorsqu’il ressort de la constatation définitive des faits qu’il y a dumping et préjudice en résultant et que l’intérêt de [l’Union]  nécessite une action conformément à l’article 21, un droit antidumping définitif est imposé par le Conseil, statuant sur proposition de la Commission présentée après consultation du comité consultatif. La proposition est adoptée par le Conseil à moins qu’il ne décide, en statuant à la majorité simple, de la rejeter dans un délai d’un mois à partir de sa présentation par la Commission. Lorsque des droits provisoires sont en vigueur, une proposition de mesures définitives est soumise au plus tard un mois avant l’expiration de ces droits. Le montant du droit antidumping ne doit pas excéder la marge de dumping établie et devrait être inférieur à cette marge, si ce droit moindre suffit à éliminer le préjudice causé à l’industrie [de l’Union]. »

7 L’article 9, paragraphe 4, du règlement de base, tel que modifié par le règlement (UE) n° 37/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 15 janvier 2014, modifiant certains règlements relatifs à la politique commerciale commune en ce qui concerne les procédures d’adoption de certaines mesures (JO 2014, L 18, p. 1) se lisait comme suit :

« Lorsqu’il ressort de la constatation définitive des faits qu’il y a dumping et préjudice en résultant et que l’intérêt de l’Union nécessite une action conformément à l’article 21, un droit antidumping définitif est imposé par la Commission, statuant conformément à la procédure d’examen visée à l’article 15, paragraphe 3. Lorsque des droits provisoires sont en vigueur, la Commission lance cette procédure au plus tard un mois avant l’expiration de ces droits. Le montant du droit antidumping n’excède pas la marge de dumping établie et devrait être inférieur à cette marge, si ce droit moindre suffit à éliminer le préjudice causé à l’industrie de l’Union. »

8 Cette disposition est reprise en des termes identiques à l’article 9, paragraphe 4, du règlement (UE) n° 2016/1036 du Parlement et du Conseil, du 8 juin 2016, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de l’Union européenne (JO 2016, L 176, p. 21) qui procède à la codification du règlement de base tel que modifié.

9 Aux termes de l’article 11, paragraphe 9, du règlement de base :

« Dans toutes les enquêtes de réexamen ou de remboursement effectuées en vertu du présent article, la Commission applique, dans la mesure où les circonstances n’ont pas changé, la même méthode que dans l’enquête ayant abouti à l’imposition du droit, compte tenu des dispositions de l’article 2, et en particulier de ses paragraphes 11 et 12, et des dispositions de l’article 17. »

10 L’article 21 de ce règlement, intitulé « Intérêt de l’[Union] », disposait :

« 1. Il convient, afin de déterminer s’il est de l’intérêt de l’[Union] que des mesures soient prises, d’apprécier tous les intérêts en jeu pris dans leur ensemble, y compris ceux de l’industrie nationale et des utilisateurs et consommateurs, et une telle détermination ne peut intervenir que si toutes les parties ont eu la possibilité de faire connaître leur point de vue conformément au paragraphe 2. Dans le cadre de cet examen, une attention particulière est accordée à la nécessité d’éliminer les effets de distorsion des échanges d’un dumping préjudiciable et de restaurer une concurrence effective. Des mesures déterminées sur la base du dumping et du préjudice établis peuvent ne pas être appliquées, lorsque les autorités, compte tenu de toutes les informations fournies, peuvent clairement conclure qu’il n’est pas dans l’intérêt de l’[Union]  d’appliquer de telles mesures.

2.  Afin que les autorités disposent d’une base fiable leur permettant de prendre en compte tous les points de vue et tous les renseignements lorsqu’elles statuent sur la question de savoir si l’institution de mesures est dans l’intérêt de l’[Union], les plaignants, les importateurs et leur association représentative et les organisations représentatives des utilisateurs et des consommateurs peuvent, dans les délais fixés dans l’avis d’ouverture de l’enquête antidumping, se faire connaître et fournir des informations à la Commission. Ces informations ou des synthèses appropriées de ces dernières sont communiquées aux autres parties désignées dans le présent article, lesquelles sont habilitées à y répondre.

[...] »

 Les antécédents du litige

11 L’acide tartrique est utilisé, notamment, dans la production du vin et d’autres boissons, comme additif alimentaire et comme retardateur de prise pour le plâtre. Dans l’Union européenne et en Argentine, l’acide tartrique L+ est fabriqué à partir de sous-produits de la fabrication du vin, les lies de vin. En Chine, l’acide tartrique L+ et l’acide tartrique DL sont fabriqués à partir du benzène. L’acide tartrique fabriqué par synthèse chimique a les mêmes caractéristiques physiques et chimiques et est destiné aux mêmes utilisations de base que celui fabriqué à partir des sous-produits de la fabrication du vin.

12 Changmao Biochemical Engineering est un producteur-exportateur chinois d’acide tartrique. Distillerie Bonollo SpA, Industria Chimica Valenzana (ICV) SpA, Distillerie Mazzari SpA, Caviro Distillerie Srl et Comercial Química Sarasa SL sont des producteurs d’acide tartrique établis dans l’Union.

13 À la suite d’une plainte relative à des pratiques de dumping dans le domaine de l’acide tartrique déposée, le 24 septembre 2004, par plusieurs producteurs établis dans l’Union, dont Industria Chimica Valenzana (ICV), Distillerie Mazzari et Comercial Química Sarasa, la Commission a publié, le 30 octobre 2004, au Journal officiel de l’Union européenne, un avis d’ouverture d’une procédure antidumping concernant les importations d’acide tartrique originaire de la République populaire de Chine (JO 2004, C 267, p. 4).

14 Le 27 juillet 2005, la Commission a adopté le règlement (CE) no 1259/2005 instituant un droit antidumping provisoire sur les importations d’acide tartrique originaire de la République populaire de Chine (JO 2005, L 200, p. 73).

15 Le 23 janvier 2006, le Conseil a adopté le règlement (CE) no 130/2006 instituant un droit antidumping définitif et portant perception définitive du droit provisoire institué sur les importations d’acide tartrique originaire de la République populaire de Chine (JO 2006, L 23, p. 1).

16 Par ce règlement, d’une part, le Conseil a confirmé le statut de société opérant dans les conditions d’une économie de marché (SEM) accordé par le règlement no 1259/2005 à Changmao Biochemical Engineering et à Ninghai Organic Chemical Factory, un autre producteur-exportateur chinois d’acide tartrique, conformément à l’article 2, paragraphe 7, sous c), du règlement (CE) no 384/96 du Conseil, du 22 décembre 1995, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO 1996, L 56, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 2117/2005 du Conseil, du 21 décembre 2005 (JO 2005, L 340, p. 17), ce qui leur a permis de bénéficier d’un traitement individuel au titre de l’article 9, paragraphe 5, de celui-ci. En conséquence, la valeur normale des produits concernés a été calculée sur la base de leurs prix de vente intérieurs réels respectifs.

17 D’autre part, s’agissant des autres producteurs-exportateurs chinois ne bénéficiant pas du statut de SEM, la valeur normale a été calculée sur la base du prix de vente intérieur effectif des producteurs du pays analogue de référence, à savoir l’Argentine.

18 En application de ces méthodes de calcul, des droits antidumping de 10,1 % et de 4,7 % ont été institués respectivement sur les biens produits par Changmao Biochemical Engineering et par Ninghai Organic Chemical Factory, tandis que les autres producteurs chinois se sont vu imposer un droit antidumping de 34,9 %.

19 À la suite de la publication, le 4 août 2010, d’un avis d’expiration prochaine de certaines mesures antidumping (JO 2010, C 211, p. 11), la Commission a reçu, le 27 octobre 2010, une demande de réexamen de ces mesures, déposée par les cinq producteurs d’acide tartrique de l’Union, parties demanderesses en première instance. Le 26 janvier 2011, la Commission a publié l’avis d’ouverture d’un réexamen au titre de l’expiration desdites mesures (JO 2011, C 24, p. 14).

20 Le 9 juin 2011, ces producteurs ont déposé une demande de réexamen intermédiaire partiel visant les deux producteurs-exportateurs chinois, Changmao Biochemical Engineering et Ninghai Organic Chemical Factory, au titre de l’article 11, paragraphe 3, du règlement de base. Un avis d’ouverture en ce sens a été publié par la Commission le 29 juillet 2011 (JO 2011, C 223, p. 16).

21 Le 16 avril 2012, le Conseil a adopté le règlement d’exécution (UE) no 349/2012 instituant un droit antidumping définitif sur les importations d’acide tartrique originaire de la République populaire de Chine à l’issue d’un réexamen au titre de l’expiration des mesures effectué en vertu de l’article 11, paragraphe 2, du règlement (CE) no 1225/2009 (JO 2012, L 110, p. 3), lequel a maintenu les droits antidumping institués par le règlement no 130/2006.

22 À la même date, la Commission a communiqué aux parties demanderesses en première instance un document d’information finale contenant les faits et les considérations essentiels sur la base desquels elle envisageait de recommander la modification des mesures antidumping en vigueur. Le même jour, ces parties ont envoyé une demande de clarification relative au calcul de la valeur normale, à laquelle ladite institution a répondu par courrier du 19 avril 2012.

23 Le 25 avril 2012, lesdites parties ont envoyé à la Commission leurs commentaires sur le document d’information finale, critiquant en particulier le prétendu changement de la méthodologie utilisée pour calculer la valeur normale. Elles ont, par ailleurs, demandé une audition avec les représentants de la Commission, qui a eu lieu le 10 mai 2012, au cours de laquelle elles ont pu formuler leurs objections. Des observations écrites additionnelles ont, en outre, été soumises par celles-ci les 16 mai et 7 juin 2012.

24 Le 26 juin 2012, à l’issue de la procédure de réexamen intermédiaire partiel mentionnée au point 20 du présent arrêt, le règlement litigieux a été adopté. Par ce règlement, le Conseil a refusé à Changmao Biochemical Engineering et à Ninghai Organic Chemical Factory le statut de SEM dont elles avaient bénéficié auparavant et, après avoir construit  la valeur normale sur la base des informations communiquées par un producteur ayant coopéré dans un pays analogue, à savoir l’Argentine, a appliqué aux produits fabriqués par ces deux producteurs-exportateurs chinois des droits antidumping d’un taux, respectivement, de 13,1 % et de 8,3 %.

25 Considérant que les droits antidumping ainsi imposés n’étaient pas suffisamment élevés pour remédier à l’ampleur du dumping pratiqué par lesdits producteurs-exportateurs chinois et, partant, pour éliminer le préjudice subi par l’industrie européenne, les parties demanderesses en première instance ont formé un recours devant le Tribunal tendant à l’annulation du règlement litigieux, sur lequel celui-ci s’est prononcé par l’arrêt attaqué.

26 Estimant, pour sa part, que les droits antidumping imposés par le règlement litigieux étaient trop élevés,  Changmao Biochemical Engineering a également formé un recours devant le Tribunal aux fins d’obtenir l’annulation de ce règlement en tant qu’elle la concerne. Par l’arrêt du 1er juin 2017, Changmao Biochemical Engineering/Conseil (T442/12, EU:T:2017:372), le Tribunal a accueilli le cinquième moyen du recours, de nature procédurale, invoqué par Changmao Biochemical Engineering. Il a, dès lors, annulé le règlement litigieux en tant qu’il s’appliquait à celle-ci, au motif que, en ayant refusé de lui communiquer les informations relatives à la différence de prix entre l’acide tartrique DL et l’acide tartrique L+, différence qui constituait l’un des éléments fondamentaux du calcul de la valeur normale pour l’acide DL, le Conseil et la Commission avaient violé les droits de la défense ainsi que l’article 20, paragraphe 2, du règlement de base. Cet arrêt du Tribunal n’a pas fait l’objet d’un pourvoi.

27 Dans son avis relatif à cet arrêt (JO 2017, C 296, p. 16, ci-après l’« avis du 7 septembre 2017 »), la Commission a, s’agissant de la portée de la réouverture de la procédure de dumping, d’une part, indiqué que « la procédure ayant conduit à l’adoption du [règlement litigieux] [pouvait] être reprise au point précis auquel l’illégalité [était] intervenue. Dès lors, pour se conformer à l’arrêt du Tribunal du 1er juin 2017, la Commission a[vait] la possibilité de remédier aux aspects de la procédure qui [avaient] entraîné l’annulation, sans pour autant modifier les parties non visées par l’arrêt ». Elle a, d’autre part, précisé que « [l]es conclusions exposées dans le [règlement litigieux] qui n’[avaient] pas été contestées ou qui [avaient] été contestées mais pour lesquelles le requérant a[vait] été débouté par le Tribunal ou qui n’[avaient] pas été examinées par le Tribunal, de sorte qu’elles n’[avaient] pas entraîné l’annulation du [règlement litigieux], conserv[ai]ent toute leur validité ». Cette institution a relevé, par ailleurs, que « [l]a réouverture port[ait] uniquement sur l’exécution de l’arrêt du Tribunal en ce qui concerne Changmao Biochemical Engineering Co. Ltd. et n’affect[ait] pas les autres enquêtes. Par conséquent, le règlement d’exécution [no 349/2012] rest[ait] applicable en ce qui concerne le producteur exportateur concerné ».

28 La Commission a entrepris, en parallèle, de nouvelles démarches au titre de l’article 11, paragraphe 2, du règlement de base, qui ont abouti à l’adoption, le 28 juin 2018, du règlement d’exécution (UE) no 2018/921  instituant un droit antidumping définitif sur les importations d’acide tartrique originaire de la République populaire de Chine à l’issue d’un réexamen au titre de l’expiration des mesures effectué en vertu de l’article 11, paragraphe 2, du règlement (UE) 2016/1036 (JO 2018, L 164, p. 14). Par ce règlement, la Commission a, notamment, maintenu à un taux de 10,1 % le droit anti-dumping imposé à Changmao Biochemical Engineering par le règlement no 349/2012. Elle a, par ailleurs, précisé au point 58 dudit règlement, figurant à la section 2.1.4 de ce dernier, destinée au calcul de la marge de dumping de Changmao Biochemical Engineering, que, « étant donné que le délai pour former un recours contre cet arrêt est toujours en cours, aucune conclusion définitive ne peut être formulée sur cette base à ce stade. »

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

29 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 septembre 2012, les parties demanderesses en première instance ont formé un recours tendant à l’annulation du règlement litigieux.

30 Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 29 juin 2015, le Conseil a soulevé une exception d’irrecevabilité tirée du défaut de qualité et d’intérêt à agir des parties demanderesses en première instance, qui a été jointe au fond par le Tribunal par ordonnance du 20 juillet 2016.

31 Par décision du 9 septembre 2016 et par ordonnance du 15 septembre 2016, le président de la sixième chambre du Tribunal a admis les interventions respectives de la Commission et de Changmao Biochemical Engineering, en précisant que, dès lors que leur demande d’intervention avait été déposée après l’expiration du délai imparti à cet égard, elles seraient autorisées à présenter leurs observations lors de la procédure orale, sur la base du rapport d’audience qui leur avait été communiqué.

32 À l’appui de leur recours, les parties demanderesses en première instance ont soulevé cinq moyens, tirés, le premier, de la violation de l’article 11, paragraphe 9, du règlement de base en raison du changement de la méthodologie utilisée pour calculer la valeur normale, les deuxième à quatrième, du recours erroné à une valeur normale construite et à des modalités incorrectes de construction de cette valeur et, enfin, le cinquième, de la violation des droits de la défense et de l’obligation de motivation.

33 Par le premier moyen, les parties demanderesses en première instance soutenaient que le Conseil, en ayant changé la méthodologie utilisée pour calculer la valeur normale sans que cela soit justifié par un changement de circonstances, à savoir en ayant « construit » la valeur normale utilisée pour calculer la marge de dumping des deux producteurs-exportateurs chinois visés par l’enquête de réexamen intermédiaire partiel, au lieu d’utiliser « les prix intérieurs effectifs dans le pays analogue », ainsi qu’il l’avait fait à l’égard de tous les autres producteurs ne bénéficiant pas du statut de SEM lors de la procédure initiale, avait violé cet article 11, paragraphe 9.

34 Le Tribunal, après avoir écarté l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Conseil, a accueilli le premier moyen et annulé le règlement litigieux sur ce fondement, sans se prononcer sur les autres moyens.

35 À la demande des parties demanderesses en première instance, il a maintenu le droit antidumping institué par le règlement litigieux en ce qui concerne Ninghai Organic Chemical Factory jusqu’à ce que la Commission et le Conseil aient pris les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt attaqué. S’agissant de Changmao Biochemical Engineering, le Tribunal a considéré, en substance, que, en raison de l’annulation du règlement litigieux prononcée par l’arrêt du 1er juin 2017, Changmao  Biochemical Engineering/Conseil (T442/12, EU:T:2017:372), ce droit ne pouvait être maintenu à l’égard de cette société.

 Les conclusions des parties devant la Cour

36 Par son pourvoi, Changmao Biochemical Engineering demande à la Cour :

– d’annuler l’arrêt attaqué et 

– de condamner les parties demanderesses en première instance à supporter les dépens qu’elle a exposés, et qui sont afférents à la procédure de pourvoi et de première instance.

37 Distillerie Bonollo, Industria Chimica Valenzana (ICV), Distillerie Mazzari et Caviro Distillerie (ci-après, ensemble, « Distillerie Bonollo e.a. ») demandent à la Cour :

– de rejeter le pourvoi dans son intégralité comme étant irrecevable et, en tout état de cause, comme étant non fondé, et

– de condamner Changmao Biochemical Engineering et toute partie intervenante à supporter les dépens qu’elles ont exposés dans la procédure de pourvoi et de première instance.

38 Le Conseil demande à la Cour :

– de rejeter le pourvoi et

– de condamner Changmao Biochemical Engineering aux dépens afférents à la procédure de pourvoi.

39 La Commission demande à la Cour :

– de rejeter le pourvoi comme étant irrecevable et, en tout état de cause, comme étant dénué de fondement, et

– de condamner Changmao Biochemical Engineering aux dépens.

40 Par son pourvoi incident, la Commission, soutenue par le Conseil, demande à la Cour :

– d’annuler l’arrêt attaqué ;

– de déclarer irrecevables les quatre premiers moyens du recours en premier instance ;

– de rejeter le cinquième moyen du recours en première instance comme étant dénué de fondement ou, à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue sur ce moyen,

– à titre également subsidiaire, d’annuler l’arrêt attaqué en ce qu’il habilite le Conseil à adopter les mesures que comporte son exécution, et

– de condamner Distillerie Bonollo e.a. aux dépens.

41 Changmao Biochemical Engineering demande à la Cour :

– d’annuler l’arrêt attaqué ;

– de déclarer irrecevables les quatre premiers moyens du recours en première instance ;

– de rejeter le cinquième moyen du recours en première instance comme étant dénué de fondement ou, à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue sur ce moyen, et

– de condamner Distillerie Bonollo e.a. aux dépens.

42 Distillerie Bonollo e.a. demandent à la Cour :

– de rejeter le premier moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi incident comme étant, à titre principal, irrecevable ou, à titre subsidiaire, non fondé ou inopérant ;

– de rejeter les autres moyens du pourvoi incident comme étant non fondés ou inopérants, et

– de condamner la Commission à supporter les dépens qu’elles ont exposés dans le cadre de la présente procédure, ainsi que ceux afférents à un éventuel renvoi devant le Tribunal.

 Sur le pourvoi incident

43 Le pourvoi incident introduit par la Commission vise, à titre principal, à contester la recevabilité du recours de première instance, ce qui constitue une question préalable à celles relatives au fond soulevées dans le pourvoi principal. Il y a donc lieu de l’examiner en premier.

44 À l’appui de son pouvoir incident, la Commission, soutenue par le Conseil, soulève deux moyens. Le premier moyen, invoqué à titre principal, est tiré, d’une part, de l’erreur de droit commise par le Tribunal en ce qu’il a considéré comme étant recevables les quatre moyens de fond soulevés par les requérantes en première instance et, dès lors, le recours dans son ensemble, et, d’autre part, de la demande de la Commission de rejeter comme non fondé le cinquième moyen, d’ordre procédural, qui avait été invoqué par celles-ci devant le Tribunal. Le second moyen, présenté à titre subsidiaire, est tiré de l’erreur de droit commise par le Tribunal en ce que, par la formulation employée au point 2 du dispositif de l’arrêt attaqué, il a habilité le Conseil à adopter les mesures que comporte l’exécution de cet arrêt, alors que la Commission disposerait d’une compétence exclusive pour ce faire.

 Sur le premier moyen du pourvoi incident

45 Le premier moyen comporte deux branches. Par la première branche de celui-ci, la Commission estime que le Tribunal a procédé à une interprétation extensive de la condition tenant au fait, pour un requérant, d’être « directement concerné » par l’acte dont il demande l’annulation, posée à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. Par la seconde branche de ce moyen, la Commission fait valoir, en substance, qu’il y lieu de rejeter comme non fondé le cinquième moyen de recours soulevé par les parties demanderesses en première instance devant le Tribunal, tiré de la violation des droits de la défense et d’un défaut de motivation.

 Sur la première branche du premier moyen, tirée de l’erreur de droit commise par le Tribunal dans l’interprétation de la condition tenant à l’« affectation directe » au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE

–  Argumentation des parties

46 Par la première branche de ce moyen, qui porte sur les points 51 à 73 de l’arrêt attaqué, la Commission reproche, en substance, au Tribunal d’avoir considéré que les parties demanderesses en première instance étaient directement concernées par le règlement litigieux, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

47 En premier lieu, la Commission relève que l’appréciation du Tribunal figurant au point 51 de l’arrêt attaqué, selon laquelle, « contrairement à ce que font valoir le Conseil et la Commission, une interprétation restrictive de l’exigence d’une affectation directe de la situation juridique des requérantes ne saurait être accueillie », doit être mise en perspective avec celle figurant au point 93 de cet arrêt, aux termes de laquelle la condition selon laquelle une personne ne peut former un recours contre un règlement que si elle est concernée non seulement directement mais également individuellement « doit être interprétée à la lumière du droit à une protection juridictionnelle effective ». Il résulterait d’une lecture combinée de ces points que le Tribunal s’est fondé sur ce dernier droit pour interpréter de manière extensive la condition tenant à l’« affectation directe ». Or, une telle interprétation, d’une part, serait en contradiction avec la jurisprudence de la Cour en matière de recevabilité, notamment l’arrêt du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil (C‑583/11 P, EU:C:2013:625, point 97 ainsi que jurisprudence citée), et, d’autre part, entraînerait une modification de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, qui méconnaîtrait la compétence exclusive à cet égard attribuée au pouvoir constituant de l’Union. Par ailleurs, selon la Commission, l’interprétation retenue par la Cour dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci (C‑622/16 P à C‑624/16 P, EU:C:2018:873), de la condition tenant au fait d’être directement concerné ne saurait être transposable en l’espèce, au motif, principalement, des différences importantes entre le domaine des aides d’État et celui de l’antidumping dont relèvent, respectivement, ces deux affaires.

48 En deuxième lieu, la Commission considère qu’il n’y a pas lieu d’assouplir la condition tenant à l’« affectation directe » pour exiger du requérant qu’il soit simplement affecté matériellement par l’acte dont il demande l’annulation. Il conviendrait, dès lors, de s’en tenir à la jurisprudence constante en vertu de laquelle il est exigé que l’acte de l’Union attaqué produise des effets sur la situation juridique du requérant. Or, selon elle, pour que le règlement litigieux puisse être considéré comme produisant des effets sur la situation juridique des parties demanderesses en première instance, il doit conférer à ces dernières un droit matériel, sous la forme d’un droit subjectif à l’institution de droits antidumping d’un niveau précis. La Commission estime, à cet égard, que l’arrêt attaqué est entaché d’une contradiction de motifs en ce que le Tribunal a reconnu, au point 63 de l’arrêt attaqué, que les parties demanderesses en première instance ne bénéficiaient pas d’un droit subjectif à l’institution de droits antidumping d’un niveau précis, tout en fondant la recevabilité des moyens de fond sur le constat, relevé au point 59 de cet arrêt, qu’elles avaient cherché à obtenir de la Commission et du Conseil qu’ils adoptent des mesures adéquates pour contrebalancer le dumping à l’origine de leur préjudice.

49 Selon la Commission, ce constat peut faire l’objet de deux interprétations. D’une part, le Tribunal pourrait avoir supposé que les parties demanderesses en première instance jouissaient d’un droit matériel à obtenir un certain résultat de l’enquête, sous la forme d’un niveau précis de protection tarifaire, quand bien même l’article 21  du règlement de base n’instaurerait nullement un tel droit.

50 D’autre part, ce constat pourrait être interprété comme laissant entendre que le Tribunal avait supposé que les parties demanderesses en première instance jouissaient  d’un droit matériel plus large à une application correcte des dispositions du règlement de base, appréhendé non seulement sous l’angle de la procédure mais également du fond, pour autant qu’il pouvait être considéré que leurs propres intérêts avaient été affectés. Toutefois, selon la Commission, il n’y aurait aucune raison d’octroyer à l’industrie de l’acide tartrique de l’Union un tel droit matériel à obtenir l’application correcte du règlement de base afin de pouvoir défendre leurs intérêts, étant donné que ce règlement ne garantirait pas le droit à une catégorie particulière d’acteurs du marché à obtenir un résultat donné.

51 En troisième et dernier lieu, la Commission estime que le Tribunal a commis une erreur de droit, au point 59 de l’arrêt attaqué, en estimant que les parties demanderesses en première instance étaient directement concernées par le règlement litigieux au motif que les mesures adoptées à l’issue de la procédure de réexamen intermédiaire partiel étaient destinées à contrebalancer le « préjudice dont elles [étaient] victimes en tant que producteurs concurrents opérant sur le même marché », alors que le règlement litigieux ne comporte aucune conclusion quant au préjudice subi par l’industrie de l’Union. En effet, les conclusions relatives à ce préjudice figureraient non pas dans le règlement litigieux, mais dans le règlement no 349/2012, lequel n’avait pas été examiné dans le cadre du présent litige. Or, selon la Commission, la question de savoir si le règlement litigieux affectait directement la situation juridique des parties demanderesses en première instance devait être examinée au regard des effets juridiques du règlement litigieux lui-même et non pas d’actes antérieurs ayant un lien avec ce règlement. En décider autrement créerait une « présomption d’affectation directe » pour tous les actes juridiques qui se trouveraient liés, quand bien même une telle présomption ne serait pas prévue par le traité FUE.

52 Le Conseil et Changmao Biochemical Engineering partagent l’argumentation de la Commission. Le Conseil relève, en outre, qu’un règlement instituant des droits antidumping à l’égard de producteurs-exportateurs établis en dehors de l’Union n’est pas susceptible de produire des effets juridiques à l’égard des producteurs de l’Union, au motif que ceux-ci ne paient pas de droits antidumping.

53 Distillerie Bonollo e.a. considèrent que la première branche de ce moyen est non fondée.

–  Appréciation de la Cour

54 Il convient de rappeler que la recevabilité d’un recours introduit par une personne physique ou morale contre un acte dont elle n’est pas le destinataire, au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, est subordonnée à la condition que lui soit reconnue la qualité pour agir, laquelle se présente dans deux cas de figure. D’une part, un tel recours peut être formé à condition que cet acte la concerne directement et individuellement. D’autre part, une telle personne peut introduire un recours contre un acte réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution si celui-ci la concerne directement (arrêt du 18 octobre 2018, Internacional de Productos Metálicos/Commission, C‑145/17 P, EU:C:2018:839, point 32 et jurisprudence citée).

55 Les conditions de recevabilité prévues à cette disposition doivent être interprétées à la lumière du droit fondamental à une protection juridictionnelle effective, tel qu’affirmé à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, sans pour autant aboutir à écarter ces conditions, qui sont expressément prévues par le traité FUE (arrêt du 28 avril 2015, T & L Sugars et Sidul Açúcares/Commission, C‑456/13 P, EU:C:2015:284, point 44 et jurisprudence citée).

56 Le Tribunal, après avoir recherché aux points 47 à 93 de l’arrêt attaqué si les parties demanderesses en première instance disposaient, conformément à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, de la qualité pour agir contre le règlement litigieux, a estimé, au point 94 de celui-ci, qu’elles étaient directement et individuellement concernées par ce règlement.

57 Par le premier moyen de son pourvoi incident, la Commission soutient, en substance, que le Tribunal a considéré à tort que le recours formé par les parties demanderesses en première instance était recevable, alors que ces parties n’étaient, selon elle, pas directement concernées par ledit règlement.

58 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la condition selon laquelle une personne physique ou morale doit être directement concernée par la mesure faisant l’objet du recours requiert la réunion de deux critères cumulatifs, à savoir que la mesure contestée, d’une part, produise directement des effets sur la situation juridique de cette personne et, d’autre part, ne laisse aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de la mettre en œuvre, cette mise en œuvre ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union sans application d’autres règles intermédiaires (arrêt du 5 novembre 2019, BCE e.a./Trasta Komercbanka e.a., C‑663/17 P, C‑665/17 P et C‑669/17 P, EU:C:2019:923, point 103 ainsi que jurisprudence citée).

59 En l’espèce, ainsi qu’il ressort du point 50 de l’arrêt attaqué, les États membres, chargés de la mise en œuvre du règlement litigieux, n’avaient aucune marge d’appréciation à l’égard du taux du droit antidumping fixé par celui-ci et de l’imposition de ce taux aux produits visés. Ainsi, le Tribunal a à bon droit considéré que le second critère était rempli.

60 Lors de l’examen du premier critère, le Tribunal a procédé, aux points 55 à 58 de l’arrêt attaqué, à un rappel de la jurisprudence pertinente de la Cour, dont, notamment, l’arrêt du 20 mars 1985, Timex/Conseil et Commission (264/82, EU:C:1985:119), qui concernait une situation comparable à celle de l’espèce, dans lequel la Cour a jugé que la partie requérante en cause dans cette affaire, à savoir un producteur européen qui estimait que les droits antidumping imposés à ses concurrents n’étaient pas suffisamment élevés, était directement concernée par le règlement dont elle demandait l’annulation. Au point 59 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé que « le règlement [litigieux] met fin à la procédure de réexamen intermédiaire partiel, engagée à la demande des [parties demanderesses en première instance], en modifiant les droits antidumping applicables aux importations des deux producteurs-exportateurs chinois. En effet, en introduisant leur demande de réexamen intermédiaire partiel en vertu de l’article 11, paragraphe 3, du règlement de base, les [parties demanderesses en première instance] ont cherché à obtenir que la Commission et le Conseil adoptent des mesures adéquates pour contrebalancer le dumping à l’origine de leur préjudice. Dans la mesure où [les parties demanderesses en première instance] sont à l’origine de la procédure de réexamen intermédiaire partiel et où les mesures adoptées à l’issue de cette procédure étaient destinées à contrebalancer le dumping à l’origine du préjudice dont elles sont victimes en tant que producteurs concurrents opérant sur le même marché, elles sont directement concernées par le règlement [litigieux] ».

61 En ce qui concerne l’appréciation du préjudice invoqué par les parties demanderesses en première instance, le Tribunal a précisé que le règlement d’exécution no 349/2012 faisait état d’une réduction de la part de marché des producteurs de l’Union de plus de 7 points entre l’année 2007 et l’année 2010, ainsi que d’une réduction de 28 % du niveau d’emploi pendant la même période. Par ailleurs, il a constaté qu’il ressortait clairement des considérants nos 62 et 80 de ce règlement d’exécution, que le volume des importations dans l’Union des produits en cause provenant des deux producteurs-exportateurs chinois faisant l’objet de mesures antidumping avait atteint une part de marché de plus de 12 % en 2010 et que l’industrie de l’Union restait vulnérable aux effets préjudiciables du dumping. Enfin, le Tribunal, après avoir souligné que le Conseil lui-même avait admis que le règlement litigieux ne remettait pas en question les constatations figurant dans le règlement d’exécution no 349/2012 concernant l’existence d’un préjudice important subi par l’industrie de l’Union ainsi que l’existence d’un lien de causalité entre les importations en provenance de Chine, y compris celles des deux producteurs-exportateurs chinois en cause, et ledit préjudice, a considéré qu’il ne pouvait être nié que les parties demanderesses en première instance subissaient les effets négatifs graves des pratiques de dumping que le règlement litigieux visait à éliminer.

62 La question de recevabilité du recours soulevée par la Commission dans le cadre de la première branche du premier moyen du pourvoi incident doit être examinée à la lumière du système institué par le règlement de base et de la nature des mesures antidumping prévues par celui-ci, au regard des dispositions de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

63 Il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que, si les règlements instituant des droits antidumping sur un produit ont, par leur nature et leur portée, un caractère normatif, en ce qu’ils s’appliquent à la généralité des opérateurs économiques intéressés, il n’est pas exclu qu’ils puissent concerner directement et individuellement certains d’entre eux, notamment, sous certaines conditions, les producteurs dudit produit (voir, en ce sens, arrêt du 30 septembre 2003, Eurocoton e.a./Conseil, C‑76/01 P, EU:C:2003:511, point 73 ainsi que jurisprudence citée). À cet égard, il y a lieu d’examiner notamment le rôle du producteur requérant dans le cadre de la procédure antidumping et sa position sur le marché visé par la réglementation attaquée (arrêt du 20 mars 1985, Timex/Conseil et Commission, 264/82, EU:C:1985:119, point 12).

64 La Cour a, par ailleurs, jugé que de tels règlements sont également de nature à concerner directement et individuellement, entre autres, celles des entreprises productrices qui peuvent démontrer qu’elles ont été identifiées dans les actes de la Commission ou du Conseil ou concernées par les enquêtes préparatoires (arrêt du 15 février 2001, Nachi Europe, C‑239/99, EU:C:2001:101, point 21 et jurisprudence citée).

65 À cet égard, il y a lieu de rappeler que le montant du droit antidumping doit être calculé par référence aux conclusions auxquelles la Commission ou le Conseil est parvenu à la suite de l’examen relatif à la détermination de l’existence d’un préjudice, au sens de l’article 3, paragraphes 6 et 7, du règlement de base. Ce constat est corroboré, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, par le libellé de l’article 9, paragraphe 4, de ce règlement, en ce qu’il vise, dans sa première phrase, le « dumping et [le] préjudice en résultant » (arrêt du 27 mars 2019, Canadian Solar Emea e.a./Conseil, C‑236/17 P, EU:C:2019:258, points 169 et 170).

66 Ainsi, aux fins de l’établissement du droit antidumping, la Commission détermine, en application de la dernière disposition mentionnée au point précédent, non seulement la marge de dumping, mais également la marge de préjudice, laquelle est calculée par rapport à un montant de droit antidumping susceptible de mettre fin au préjudice subi par l’industrie de l’Union. Ce calcul permet d’imposer un droit antidumping sur la base non pas de la marge de dumping, mais de la marge de préjudice de l’industrie de l’Union, si cette dernière est inférieure à la première – conformément à la règle du droit moindre à laquelle renvoie également M. l’avocat général au point 93 de ses conclusions.

67 Lorsque le montant du droit antidumping a été établi, il convient également, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 98 de ses conclusions, d’apprécier si l’imposition de ce droit est justifiée au regard de l’intérêt de l’Union. En effet, selon l’article 9, paragraphe 4, du règlement de base, lorsqu’il ressort de la constatation définitive des faits qu’il y a dumping et préjudice en résultant et que l’intérêt de l’Union nécessite une action, conformément à l’article 21 de ce règlement, un droit antidumping définitif est imposé (voir, en ce sens, arrêt du 30 septembre 2003, Eurocoton e.a./Conseil, C‑76/01 P, EU:C:2003:511, point 90).

68 À cet égard, il importe de rappeler que l’article 21, paragraphe 1, dudit règlement impose aux institutions de l’Union, appelées à déterminer s’il est de l’intérêt de l’Union d’adopter ou de proroger des mesures antidumping, d’apprécier tous les intérêts en jeu pris dans leur ensemble, y compris ceux de l’industrie nationale ainsi que ceux des utilisateurs et des consommateurs, en accordant une attention particulière à la nécessité d’éliminer les effets de distorsion des échanges d’un dumping préjudiciable et de restaurer une concurrence effective. Une telle détermination ne peut intervenir que si toutes les parties ont eu la possibilité de faire connaître leur point de vue, conformément au paragraphe 2 de cet article (arrêt du 15 juin 2017, T.KUP, C‑349/16, EU:C:2017:469, point 42).

69 De surcroît, la Cour a jugé, aux points 25 et 31 de l’arrêt du 4 octobre 1983, Fediol/Commission (191/82, EU:C:1983:259), que le règlement relatif à la défense contre les pratiques de dumping et l’octroi de subventions, en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, reconnaissait l’existence d’un intérêt légitime des producteurs de l’Union à l’institution de mesures antidumping et qu’il définissait, en leur faveur, certains droits précis de nature procédurale. Dès lors, lorsqu’ils sont lésés par des pratiques de dumping de la part des pays non membres de l’Union, lesdits producteurs disposent d’un intérêt légitime à l’introduction d’une action défensive de l’Union et doivent, partant, se voir reconnaître un droit de recours au titre de la position juridique que leur confère ce règlement.

70 Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence que, dans le cadre d’un litige relatif à la validité d’un règlement instituant un droit antidumping tel que le règlement litigieux, la Cour a déjà relevé que doivent être considérées comme ayant, en principe, un intérêt à la solution du litige, non seulement les entreprises qui se sont vu imposer un droit antidumping particulier et celles important le produit concerné par ledit règlement qui doivent, à ce titre, payer un droit antidumping spécifique, mais également les entreprises qui ont été considérées par la Commission comme faisant partie de l’industrie de l’Union prise en considération dans le règlement instituant des droits antidumping définitifs et qui ont activement participé à la procédure administrative ayant abouti à l’adoption de ce règlement. En effet, dans la mesure où un tel règlement est adopté à la suite de la constatation d’un préjudice subi par l’industrie de l’Union, il y a lieu de considérer que ces entreprises peuvent être affectées par une éventuelle annulation du règlement en cause [voir, par analogie, ordonnance du président de la Cour du 13 octobre 2016, Commission/Xinyi PV Products (Anhui) Holdings, C‑301/16 P, non publiée, EU:C:2016:796, points 12 et 13].

71 En l’espèce, conformément à la jurisprudence rappelée au point 63 du présent arrêt, il convient de prendre en compte, en premier lieu, le fait que les parties demanderesses en première instance ont joué un rôle important dans toutes les étapes de la procédure administrative ayant conduit à l’adoption du règlement litigieux. Ainsi qu’il ressort des points 13 à 24 du présent arrêt, ces parties ont été à l’origine tant de la plainte initiale formée auprès de la Commission, dénonçant les pratiques de dumping dans le domaine de l’acide tartrique, que des demandes de réexamen au titre de l’expiration des mesures antidumping applicables aux importations d’acide tartrique originaire de Chine et de réexamen intermédiaire partiel concernant Changmao Biochemical Engineering et Ninghai Organic Chemical Factory ayant conduit, respectivement, à l’adoption du règlement no 349/2012 et du règlement litigieux. En outre, ainsi que cela a été relevé aux points 22 et 23 de cet arrêt, dans le cadre des enquêtes ouvertes par la Commission à la suite de ces demandes de réexamen, lesdites parties, en leur qualité de producteurs de l’Union, ont été entendues dans leurs observations tant écrites qu’orales et ont reçu des éclaircissements de la part de la Commission concernant leur demande de clarification relative au calcul de la valeur normale.

72 Dans ce contexte, s’agissant de la position des parties demanderesses en première instance sur le marché concerné par le règlement litigieux, ainsi qu’il ressort du point 87 de l’arrêt attaqué, celles-ci sont représentatives de l’industrie de l’Union, au sens de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 5, paragraphe 4, du règlement de base. Par ailleurs, parmi elles figure le principal producteur d’acide tartrique de l’Union, à savoir Distillerie Mazzari. Ainsi, il y a lieu de relever que ces mêmes parties ont été concernées par les enquêtes préparatoires, au sens de la jurisprudence citée au point 63 du présent arrêt, en raison de leur contribution significative dans le cadre de la procédure administrative ayant conduit à l’adoption du règlement litigieux.

73 En deuxième lieu, il ressort du considérant 2 du règlement litigieux que les parties demanderesses en première instance sont identifiés nominativement dans ce règlement, en tant que producteurs de l’Union ayant déposé une demande de réexamen intermédiaire. La plupart d’entre elles l’ont été, par ailleurs, dès le plus précoce stade de la procédure, ainsi que cela ressort des considérants 1 et 8 du règlement no 1259/2005. En outre, il y a lieu de constater que ces parties ont été qualifiées, ainsi que cela ressort du point 1.2 de ce dernier règlement, de « parties concernées par la procédure » ou de « parties intéressées ». À cet égard, il importe de rappeler que, selon l’article 6, paragraphe 5, du règlement de base, de telles parties peuvent, sur demande, être entendues, à la condition qu’elles démontrent qu’elles sont effectivement des parties intéressées susceptibles d’être concernées par le résultat de la procédure et qu’il existe des raisons particulières de les entendre. En l’espèce, dès lors que, ainsi que cela a été souligné au point 71 du présent arrêt, les parties demanderesses en première instance ont été entendues lors de la procédure administrative ayant conduit à l’adoption du règlement litigieux, elles ont été considérées comme des parties susceptibles d’être concernées par le résultat de la procédure.

74 En troisième lieu, il y a lieu de relever que ces mêmes parties ont été concernées par les enquêtes préparatoires, au sens de la jurisprudence citée au point 64 du présent arrêt, en raison également du fait que le droit antidumping établi par ce règlement a été déterminé par référence à leur situation particulière sur le marché visé par ce règlement et au préjudice qu’elles ont subi à la suite des pratiques de dumping que le règlement litigieux visait à éliminer.

75 En effet, ainsi qu’il ressort des considérants 53 à 82 du règlement no 1259/2005, dont les conclusions ont été confirmées au considérant 27 du règlement no 130/2006, à la suite de l’examen relatif à l’incidence des importations faisant l’objet du dumping constaté sur l’industrie de l’Union, il a été conclu que ladite industrie avait subi un préjudice important, au sens de l’article 3 du règlement de base. Ensuite, la Commission a considéré, aux considérants 115 à 118 du règlement no 1259/2005, que l’institution de mesures provisoires était nécessaire afin d’empêcher l’aggravation du préjudice causé à l’industrie de l’Union par les importations faisant l’objet du dumping en cause et que ces mesures devaient être instituées à un niveau suffisant pour éliminer les effets du dumping préjudiciable. Ces considérations ont été confirmées par le Conseil au point 39 du règlement no 130/2006.

76 Dès lors que le droit antidumping en cause avait été établi en fonction de la marge du préjudice que les importations faisant l’objet du dumping constaté avait entraîné pour l’industrie de l’Union, dont les parties demanderesses en première instance étaient représentatives, et que ces parties subissaient les effets négatifs graves des pratiques de dumping que le règlement litigieux visait à éliminer, il y a lieu de considérer que lesdites parties avaient un intérêt légitime, au sens de la jurisprudence citée au point 69 du présent arrêt, à l’introduction d’une action défensive de l’Union et qu’elles devaient, dès lors, se voir reconnaître un droit de recours au titre de la position juridique que leur confère le règlement de base.

77 Partant, c’est sans commettre d’erreur que le Tribunal a considéré, aux points 49 à 59 de l’arrêt attaqué, que, dans la mesure où les parties demanderesses en première instance étaient à l’origine de la procédure de réexamen intermédiaire partiel et où les mesures adoptées à l’issue de cette procédure étaient destinées à contrebalancer le dumping à l’origine du préjudice dont elles étaient victimes en tant que producteurs concurrents de l’Union opérant sur le même marché que les deux producteurs-exportateurs chinois visés par le règlement litigieux, ce dernier produisait directement des effets sur leur situation juridique.

78 Cette appréciation ne saurait être remise en cause par les arguments que font valoir la Commission et le Conseil, tels qu’ils ont été exposés aux points 47 à 52 du présent arrêt.

79 Premièrement, s’agissant de l’argument que la Commission tire de ce que le Tribunal se serait fondé sur le principe de protection juridictionnelle effective pour étendre la condition tenant à l’« affectation directe », au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, il suffit de constater que ce n’est qu’à titre surabondant que le Tribunal s’est référé à ce principe, au point 93 de l’arrêt attaqué.

80 Or, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, les arguments dirigés contre un motif de l’arrêt attaqué qui présente un caractère surabondant, même à les supposer fondés, ne sont pas de nature à entraîner l’annulation de cet arrêt (arrêt du 19 avril 2007, OHMI/Celltech, C‑273/05 P, EU:C:2007:224, point 56).

81 Il s’ensuit que ce premier argument doit être écarté comme étant inopérant.

82 Deuxièmement, s’agissant de l’argument par lequel la Commission estime que le Tribunal a commis une erreur de droit en ayant considéré que les parties demanderesses en première instance étaient directement affectées par le règlement litigieux du seul fait que ce règlement produisait des effets sur leur situation matérielle, il y a lieu de rappeler que, ainsi que cela a été relevé aux points 71 à 77 du présent arrêt, ledit règlement affecte ces parties en raison non seulement de leur situation matérielle, mais également de leur situation juridique dans le cadre de la procédure ayant conduit à l’adoption du règlement litigieux.

83 Cet argument doit, dès lors, être rejeté comme étant non fondé.

84 Par ailleurs, eu égard au fait que, d’une part, en l’espèce, le critère tenant à l’« affectation directe », au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, a été appréhendé à la lumière du système institué par le règlement de base et de la nature des mesures antidumping prévues par celui-ci, ainsi que cela ressort des points 62 à 77 du présent arrêt, l’argumentation de la Commission relative à l’éventuelle transposition, dans le domaine de l’antidumping, de l’approche suivie par la Cour à l’égard de ce critère dans l’arrêt du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci (C‑622/16 P à C‑624/16 P, EU:C:2018:873), adopté dans le domaine des aides d’État est, en tout état de cause, inopérante.

85 D’autre part, dès lors qu’il a été établi, ainsi que cela ressort des points 71 à 77 et 82 du présent arrêt, que le règlement litigieux affecte la situation juridique des parties demanderesses en première instance, doivent également être écartées comme étant inopérants tant l’argumentation de la Commission relative à la prétendue nécessité, pour ce règlement, de conférer à ces parties un droit matériel, sous la forme d’un droit subjectif à l’institution des droits antidumping d’un niveau précis, que l’argument du Conseil en vertu duquel ledit règlement ne saurait produire des effets sur la situation juridique desdites parties, dès lors que celles-ci ne paient pas de droit antidumping sur le produit concerné.

86 Troisièmement, c’est à tort que la Commission estime que le préjudice subi par les parties demanderesses en première instance avait été apprécié non pas dans le règlement litigieux, mais dans le règlement no 349/2012, lequel n’avait pas été examiné dans le cadre du présent litige. En effet, il suffit de constater qu’il ressort des points 86 à 89 de l’arrêt attaqué que le Conseil a admis, lors de la procédure devant le Tribunal, que le règlement litigieux, adopté deux mois après le règlement no 349/2012, ne remettait pas en question les constatations établies par ce règlement, relatives à l’existence tant d’un préjudice important subi par l’industrie de l’Union que d’un lien de causalité entre les importations en provenance de Chine, y compris celles des deux producteurs-exportateurs chinois en cause, et ledit préjudice.

87 Par conséquent, cet argument de la Commission doit être rejeté comme étant non fondé.

88 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter la première branche du premier moyen soulevé par la Commission dans son pourvoi incident comme étant, en partie, inopérante et, en partie, non fondée.

 Sur la seconde branche du premier moyen, tirée de la demande de la Commission tendant au rejet, comme non fondé, du cinquième moyen d’ordre procédural soulevé devant le Tribunal

–  Argumentation des parties

89 Par sa deuxième branche du premier moyen, la Commission, soutenue par le Conseil et par Changmao Biochemical Engineering, fait valoir, en substance, que, dans l’hypothèse où la Cour déciderait d’accueillir la première branche de ce moyen du pourvoi incident et d’annuler l’arrêt attaqué sur ce fondement, il y aurait lieu de rejeter comme non fondé le cinquième moyen soulevé par les requérantes en première instance devant le Tribunal, tiré de la violation des droits de la défense et d’un défaut de motivation.

90 Distillerie Bonollo e.a. contestent la recevabilité de la demande de la Commission tendant au rejet, comme non fondé, du cinquième moyen soulevé devant le Tribunal.

–  Appréciation de la Cour

91 À cet égard, il suffit de constater que, ainsi que cela a été souligné au point 89 du présent arrêt, cette seconde branche du premier moyen du pourvoi incident n’a été soulevée par la Commission qu’à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la Cour déciderait d’accueillir la première branche de ce moyen du pourvoi incident et d’annuler l’arrêt attaqué sur ce fondement.

92 Dès lors que, ainsi qu’il ressort du point 88 du présent arrêt, la première branche du présent moyen du pourvoi incident n’a pas été accueillie, la deuxième branche de ce moyen doit être rejetée comme étant, en tout état de cause, inopérante.

 Sur le second moyen du pourvoi incident 

 Argumentation des parties

93 Par son second moyen, invoqué à titre subsidiaire dans l’hypothèse où la Cour déciderait de ne pas annuler l’arrêt attaqué, la Commission, soutenue par le Conseil et par  Changmao Biochemical Engineering, fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en décidant, au deuxième point du dispositif de cet arrêt, de maintenir les effets du règlement litigieux jusqu’à ce que non seulement la Commission, mais également le Conseil, aient pris les mesures que comporte l’exécution dudit arrêt. Elle soutient que le Tribunal en ayant, à ce point, conféré au Conseil la compétence pour adopter des mesures antidumping, a méconnu le règlement no 37/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 15 janvier 2014, (JO 2014, L 18, p. 1), qui attribue une compétence exclusive à la Commission en ce domaine, y compris lorsque les mesures antidumping étaient relatives à des droits initialement adoptés par le Conseil, préalablement à l’entrée en vigueur de ce règlement, et réinstitués après la réouverture de l’enquête en exécution d’un arrêt des juridictions de l’Union annulant ces droits.

94 Distillerie Bonollo e.a. contestent cette argumentation. Elles relèvent que, si le règlement no 37/2014 a entraîné un transfert de compétence au profit de la Commission en ce qui concerne l’adoption des mesures antidumping définitives, à la date d’introduction de la requête introductive d’instance dans cette affaire, à savoir le 28 septembre 2012, le Conseil, lequel était d’ailleurs l’« architecte initial » du règlement litigieux, disposait de cette compétence. Distillerie Bonollo e.a.  rappellent à cet égard que, aux termes de l’article 266 TFUE, il incombe à l’institution dont émane l’acte attaqué de prendre les mesures que comporte l’exécution des arrêts des juridictions de l’Union, tout en précisant que cela ne peut plus être le cas en l’espèce. Dès lors, elles estiment que le Tribunal, par le point 2 du dispositif de l’arrêt attaqué, a, en réalité, essayé de résoudre cette question de transfert des compétences. Par ailleurs, ce point devrait être interprété en ce sens que la Commission n’est pas, en tout état de cause, dispensée des obligations lui incombant à cet égard.

 Appréciation de la Cour

95 Il y a lieu de relever que, ainsi que le constate M. l’avocat général au point 127 de ses conclusions, l’article 1er du règlement no 37/2014 modifie l’article 9, paragraphe 4, du règlement de base, en ce sens que les droits antidumping définitifs, qui étaient précédemment imposés par le Conseil, sont désormais institués par la Commission.

96 En effet, si, préalablement à la modification intervenue avec l’entrée en vigueur du règlement no 37/2014, l’article 9, paragraphe 4, du règlement de base conférait au Conseil le pouvoir d’imposer des droits antidumping, cette disposition du règlement de base, tel que modifié par le règlement no 37/2014, et reprise, ensuite, par le règlement no 2016/1036, prévoit que, lorsqu’il ressort de la constatation définitive des faits qu’il y a dumping et préjudice en résultant et que l’intérêt de l’Union nécessite une action conformément à l’article 21, un droit antidumping définitif est imposé par la Commission.

97 À cet égard, la Cour a déjà jugé, en substance, que ladite disposition telle que modifiée, lue conjointement avec l’article 14, paragraphe 1, du règlement de base, constitue la base juridique habilitant la Commission non seulement à imposer des droits antidumping par voie de règlement, mais également à réinstituer de tels droits à la suite du prononcé d’un arrêt annulant un règlement instituant des droits antidumping (arrêt du 19 juin 2019, C & J Clark International, C‑612/16, non publié, EU:C:2019:508, points 42 et 43 ainsi que jurisprudence citée).

98 En l’espèce, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 128 de ses conclusions, les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt attaqué ne peuvent être prises qu’à compter de la date du prononcé de cet arrêt, soit postérieurement au 3 mai 2018. Ainsi, dès lors que ces mesures ne peuvent intervenir que postérieurement à l’entrée en vigueur du règlement no 2016/1036, à savoir le 20 juillet 2016, elles doivent être fondées sur l’article 9, paragraphe 4 de ce règlement, lu conjointement avec l’article 14, paragraphe 1, de celui-ci. Il s’ensuit que seule la Commission est compétente pour adopter ces mesures.

99 Par conséquent, il y a lieu de considérer que, en ce qu’il a jugé, au point 2 du dispositif de l’arrêt attaqué, qu’il incombait non seulement à la Commission, mais également au Conseil d’adopter les mesures que comporte l’exécution de cet arrêt, le Tribunal a commis une erreur de droit.

100 Cette appréciation ne saurait être remise en cause par l’argumentation de Distillerie Bonollo e.a. tirée des obligations qui incombaient au Conseil, en sa qualité d’institution dont émane le règlement litigieux, au titre de l’article 266 TFUE.

101 Certes, en vertu de cette disposition, l’institution de l’Union dont émane l’acte annulé par la Cour ou le Tribunal est tenue de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt ayant prononcé l’annulation de cet acte (arrêts du 14 juin 2016, Commission/McBride e.a., C‑361/14 P, EU:C:2016:434, point 35, ainsi que du 19 juin 2019, C & J Clark International, C‑612/16, non publié, EU:C:2019:508, point 37).

102 Cependant, préalablement à l’adoption de telles mesures par l’institution dont émane l’acte annulé, se pose la question de la compétence de celle-ci, dès lors que les institutions de l’Union ne peuvent agir que dans les limites de leur compétence d’attribution (arrêt du 14 juin 2016,  Commission/McBride e.a., C‑361/14 P, EU:C:2016:434, point 36). Les principes de l’équilibre institutionnel et de l’attribution des compétences, tels que consacrés à l’article 13, paragraphe 2, TUE, impliquent, en effet, que chaque institution agisse dans les limites des attributions qui lui sont conférées dans les traités, conformément aux procédures, aux conditions et aux fins prévues par ceux-ci (voir, en ce sens, arrêt du 28 juillet 2016, Conseil/Commission, C‑660/13, EU:C:2016:616, points 31 et 32 ainsi que jurisprudence citée).

103 Dès lors, si l’article 266 TFUE crée certes une obligation d’agir à la charge de l’institution concernée, elle ne constitue pas une source de compétence pour celle-ci ni ne permet à cette dernière de se fonder sur une base juridique qui a entretemps été abrogée (voir, en ce sens, arrêt du 19 juin 2019, C & J Clark International, C‑612/16, non publié, EU:C:2019:508, point 39 et jurisprudence citée). Par ailleurs, selon la jurisprudence, d’une part, la disposition constituant la base juridique d’un acte et habilitant une institution de l’Union à adopter l’acte en cause doit être en vigueur au moment de l’adoption de celui-ci et, d’autre part, les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer au moment où elles entrent en vigueur (arrêt du 29 mars 2011, ThyssenKrupp Nirosta/Commission, C‑352/09 P, EU:C:2011:191, point 88 et jurisprudence citée).

104 Dans ces conditions, il y a lieu d’accueillir le deuxième moyen du pourvoi incident, en ce qu’il vise l’erreur de droit commise par le Tribunal au point 2 du dispositif, tirée de ce que le Conseil a l’obligation de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt attaqué. Dès lors, il convient d’annuler le point 2 du dispositif de l’arrêt attaqué en tant que, par celui-ci, le Tribunal a imposé au Conseil de prendre les mesures que comporte l’exécution de cet arrêt et de rejeter le pourvoi incident pour le surplus.

 Sur le pourvoi principal

105 Dans le cadre de son pourvoi, Changmao Biochemical Engineering soulève un moyen unique qui vise les points 130, 133, 134, 136, 137 et 139 à 141 de l’arrêt attaqué et par lequel elle reproche au Tribunal d’avoir commis plusieurs erreurs de droit dans le cadre de l’analyse qu’il a effectuée au regard du premier moyen soulevé devant lui par les parties demanderesses en première instance.

106 Le Conseil excipe de l’irrecevabilité du pourvoi, au motif que l’arrêt attaqué n’affecterait pas directement Changmao Biochemical Engineering, au sens de l’article 56, deuxième alinéa, deuxième phrase, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

107 La Commission ainsi que Distillerie Bonollo e.a. soutiennent, à titre principal, l’argumentation soulevée par le Conseil.

 Sur la recevabilité du pourvoi principal

 Argumentation des parties

108 Le Conseil fait valoir que l’arrêt attaqué n’affecte pas directement la requérante au pourvoi, dès lors que le règlement litigieux a déjà été annulé, en tant qu’il s’appliquait à celle-ci, par l’arrêt du 1er juin 2017, Changmao  Biochemical Engineering/Conseil (T442/12, EU:T:2017:372). Ainsi, elle ne serait pas recevable, en application des conditions posées à l’article 56, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne,  à former ce pourvoi.

109 En premier lieu, le Conseil relève que, d’une part, cet arrêt est devenu définitif avant que l’arrêt attaqué ne soit prononcé. D’autre part, il fait valoir que l’annulation du règlement litigieux prononcée par l’arrêt du 1er juin 2017, Changmao Biochemical Engineering/Conseil (T‑442/12, EU:T:2017:372), à l’égard de Changmao Biochemical Engineering avait replacé celle-ci dans la situation dans laquelle elle se trouvait antérieurement à l’adoption de ce règlement, à savoir celle régie par le règlement no 349/2012. Pour cette raison il y aurait lieu de considérer que l’annulation du règlement litigieux par le Tribunal dans l’arrêt attaqué et le maintien de ses effets à l’égard de Ninghai Organic Chemical Factory ne sauraient produire d’effets en droit sur la situation juridique de Changmao Biochemical Engineering.

110 Dès lors qu’il n’existe aucun lien juridique entre la requérante au pourvoi et Ninghai Organic Chemical Factory, l’obligation incombant aux institutions compétentes, au titre de l’article 266 TFUE, de prendre les mesures nécessaires pour se conformer à l’arrêt attaqué ne concernerait que les produits de cette dernière entreprise.

111 Par ailleurs, le Conseil considère que la qualité de partie intervenante en première instance de Changmao Biochemical Engineering ne lui conférait pas la qualité pour former le présent pourvoi.

112 En deuxième lieu, le Conseil considère que Changmao Biochemical Engineering confond les effets juridiques de l’arrêt du 1er juin 2017, Changmao Biochemical Engineering/Conseil  (T‑442/12, EU:T:2017:372), avec ceux de l’arrêt attaqué. En effet, contrairement à l’argumentation de celle-ci, en vertu de laquelle le point 2 du dispositif de l’arrêt attaqué ordonnerait, dans les faits, à la Commission d’augmenter le niveau des droits antidumping applicable à ses produits de la manière exposée aux considérants 55 à 57 du règlement no 2018/921, le niveau de ces droits ne pourrait être modifié à l’égard des importations des produits de Changmao Biochemical Engineering qu’à la suite de la procédure initiée par la Commission par l’avis du 7 septembre 2017. Par ailleurs, il ne résulterait pas du considérant 58 du règlement no 2018/921 que Changmao Biochemical Engineering était directement affectée par l’arrêt attaqué, de sorte que ce dernier ne saurait être interprété comme lui conférant la qualité pour agir dans le cadre du présent pourvoi.

113 En troisième lieu, le Conseil soutient que Changmao Biochemical Engineering n’a aucun intérêt à former un pourvoi contre l’arrêt attaqué, au motif que l’annulation de celui-ci ne lui procurerait aucun bénéfice.

114 En quatrième lieu, selon le Conseil, l’irrecevabilité du présent pourvoi ne limite pas le droit au juge de Changmao Biochemical Engineering à l’égard des actes affectant directement cette dernière. En effet, si cette société n’était pas satisfaite du résultat de l’enquête concernant ses produits, consécutive à la réouverture par la Commission de la procédure de dumping, elle pourrait former un recours devant le Tribunal contre la décision de la Commission ordonnant cette réouverture, à savoir la décision que la Commission sera amenée à adopter à la suite de l’avis du 7 septembre 2017.

115 La Commission ainsi que Distillerie Bonollo e.a. soutiennent cette argumentation.

116 La Commission rappelle également que, aux points 52 et 57 de ses conclusions dans les affaires jointes Fresh Del Monte Produce/Commission et Commission/Fresh Del Monte Produce (C‑293/13 P et C‑294/13 P, EU:C:2014:2439), l’avocate générale Kokott a relevé qu’« [e]st directement affecté au sens de l’article 56, deuxième alinéa, deuxième phrase, du statut de la Cour [de justice de l’Union européenne] le requérant au pourvoi ou la partie ayant formé le pourvoi incident lorsque l’arrêt attaqué entraîne une modification défavorable de sa situation juridique ou de ses intérêts économiques ou immatériels [et que cet] arrêt doit donc lui causer un préjudice de fond ». La Commission considère cependant que, en l’espèce, dès lors que le règlement litigieux a été annulé par l’arrêt du 1er juin 2017, Changmao Biochemical Engineering/Conseil (T442/12, EU:T:2017:372), en tant qu’il s’appliquait à la requérante au pourvoi, l’arrêt attaqué, par lequel le Tribunal annule ce règlement, ne modifie que la situation juridique de Ninghai Organic Chemical Factory et n’a aucune incidence sur celle de Changmao Biochemical Engineering.

117 La Commission précise en outre que la décision, qui ressort de l’avis du 7 septembre 2017, de rouvrir l’enquête antidumping concernant les importations d’acide tartrique originaire de Chine qui avait conduit à l’adoption du règlement litigieux, dans la mesure où celui-ci s’applique à Changmao Biochemical Engineering, et de la reprendre au point où l’irrégularité est survenue ne constituait qu’un acte préparatoire et n’était pas susceptible de modifier les effets juridiques découlant du dispositif et des motifs de l’arrêt attaqué, lequel a été rendu, par ailleurs, postérieurement à cet acte préparatoire.

118 Distillerie Bonollo e.a. font valoir que, par son argumentation, Changmao Biochemical Engineering modifie la condition de recevabilité des pourvois formés par les parties intervenantes autres que les États membres et les institutions de l’Union, prévue à l’article 56, deuxième alinéa, deuxième phrase, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, tenant au fait d’être « affectées directement » par la décision du Tribunal dont elles demandent l’annulation, en ce sens que ces parties pourraient être recevables à former un pourvoi lorsque la décision du Tribunal peut conduire à l’adoption d’un acte juridique, dont les effets ne se seraient pas encore matérialisés et qui ne pourrait, dès lors, les affecter que dans le futur. Selon Distillerie Bonollo e.a., la requérante au pourvoi ne fait que renvoyer, de manière préventive, à un acte juridique distinct et futur, à savoir un nouveau règlement d’exécution, que les institutions de l’Union compétentes seraient amenées à adopter, afin de se conformer à l’arrêt attaqué, et qui pourrait conduire ces institutions à déterminer une marge de dumping plus élevée en ce qui concerne l’acide tartrique. Toutefois, à la date d’introduction du pourvoi, cette argumentation reposerait sur des considérations purement hypothétiques.  

119 La requérante au pourvoi conteste ces arguments, dans leur intégralité. Ainsi, aux fins de démontrer que l’arrêt attaqué l’affecte directement, au sens de l’article 56, deuxième alinéa, deuxième phrase, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, Changmao Biochemical Engineering fait valoir que les institutions de l’Union devront adopter, en application du point 2 du dispositif de cet arrêt, des mesures anti-dumping reposant sur une méthode de calcul de la valeur des produits en cause différente de celle prévue par le règlement litigieux. Ainsi, la méthode de calcul de la valeur « construite » utilisée dans ce règlement serait remplacée par celle relative au « prix de vente intérieur effectif des producteurs du pays analogue de référence », à savoir l’Argentine. Le nouveau calcul de la marge de dumping, tel que déterminé selon cette dernière méthode, aurait pour effet d’instituer sur les exportations de ses produits vers l’Union, des droits antidumping nettement plus élevés que celui de 13,1 %, établi par le règlement litigieux, ou encore de 10,1 %, tel qu’arrêté par le règlement d’exécution no 349/2012 et confirmé, en dernier lieu, par le règlement d’exécution no 2018/921.

120 Selon Changmao Biochemical Engineering, il ressort clairement de ces éléments que le point 2 du dispositif de l’arrêt attaqué l’affecte directement.

121 La requérante au pourvoi ajoute que, en tout état de cause, elle remplit également les critères de recevabilité énoncés par l’arrêt du 2 octobre 2003, International Power e.a./NALOO (C‑172/01 P, C‑175/01 P, C‑176/01 P et C‑180/01 P, EU:C:2003:534), par lequel la Cour a reconnu, en substance, que seraient « directement affectées » par une décision du Tribunal des parties intervenantes en première instance qui pourraient se voir exposées au risque de formation de recours en indemnité devant les juridictions nationales en raison de mesures prises par la Commission, visant à l’exécution de cette décision. Elle fait valoir qu’un tel risque pèse en l’espèce sur elle.

 Appréciation de la Cour

122 Aux termes de l’article 56, deuxième alinéa, deuxième phrase, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, un pourvoi ne peut être formé contre une décision du Tribunal par une partie intervenante en première instance autre qu’un État membre ou une institution de l’Union que lorsque cette décision l’« affecte directement ».

123 En l’espèce, ainsi que le font valoir le Conseil, la Commission et Distillerie Bonollo e.a., le règlement litigieux a été annulé, dans la mesure où il s’appliquait à la requérante au présent pourvoi, par l’arrêt du 1er juin 2017, Changmao Biochemical Engineering/Conseil (T442/12, EU:T:2017:372), devenu définitif. Celle-ci a, dès lors, été placée dans la situation dans laquelle elle se trouvait préalablement à l’entrée en vigueur de ce règlement, à savoir celle régie par le règlement d’exécution no 349/2012, lequel prévoyait un droit antidumping de 10,1 % à l’égard des produits de Changmao Biochemical Engineering.

124 Étant donné que, ainsi que la Commission l’a confirmé lors de l’audience devant la Cour, l’enquête de réexamen qu’elle avait ouverte à la suite de l’avis du 7 septembre 2017 avait été suspendue dans l’attente de l’arrêt que la Cour serait amenée à rendre dans le cadre de la présente procédure, la recevabilité du pourvoi est  uniquement subordonnée à la question de savoir si l’arrêt attaqué affecte directement Changmao Biochemical Engineering, au sens de l’article 56, deuxième alinéa, deuxième phrase, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

125 À ce titre, il convient de rappeler que, par l’arrêt attaqué, le Tribunal a annulé le règlement litigieux au motif que, en raison du refus opposé à Changmao Biochemical Engineering et à Ninghai Organic Chemical Factory de continuer à bénéficier du statut de SEM, la valeur normale de leurs produits n’a pas été déterminée, lors de la procédure de réexamen intermédiaire partiel, « sur la base des prix de vente intérieurs en Argentine », ainsi que ce fut le cas pour les producteurs-exportateurs n’ayant pas bénéficié du statut de SEM lors de la procédure initiale, mais a été « construite » « sur la base des coûts de production en Argentine ». Ce changement de méthodologie par rapport au calcul qui avait été effectué lors de la procédure initiale à l’égard des producteurs-exportateurs non bénéficiaires du statut de SEM a été considéré par le Tribunal comme une violation de l’article 11, paragraphe 9, du règlement de base, dès lors qu’il n’était pas fondé sur un changement de circonstances. Le Tribunal a précisé par ailleurs, au point 134 de l’arrêt attaqué, que, même s’il ressortait du règlement litigieux que le choix de la méthodologie ainsi utilisée était due aux différences, notamment de coût, entre les procédés de production de l’acide tartrique en Argentine et en Chine, à savoir, respectivement, entre le procédé naturel et le procédé synthétique, ces différences existaient et étaient déjà connues au stade de la procédure initiale.

126 Il convient de relever que l’allégation de Changmao Biochemical Engineering selon laquelle la valeur normale, telle que calculée non pas « sur la base des coûts de production en Argentine », mais sur le fondement des prix de vente intérieurs argentins aurait pour effet d’instituer des droits d’un niveau nettement plus élevé que celui de 13,1 % imposé par le règlement litigieux, n’a été contestée par aucune des parties ayant participé à la présente procédure. Dès lors, comme dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 2 octobre 2003, International Power e.a./NALOO (C‑172/01 P, C‑175/01 P, C‑176/01 P et C‑180/01 P,EU:C:2003:534point 52), auquel renvoie la requérante au pourvoi, il existe bien un risque que les mesures prises par la Commission en exécution de l’arrêt attaqué soient défavorables à Changmao Biochemical Engineering et que celle-ci se voie exposée au risque de recours en paiement de droits antidumping nettement plus élevés que celui imposé par le règlement litigieux.

127 Par ailleurs, ainsi que cela ressort du point 1 du dispositif de l’arrêt attaqué, le règlement litigieux est annulé dans son intégralité et non à l’égard d’un producteur-exportateur déterminé.

128 Il s’ensuit que, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, aux points 152 et 153 de ses conclusions, la Commission devra, en exécution de cet arrêt, recalculer la valeur normale sur la base des prix de vente intérieurs argentins non seulement pour Ninghai Organic Chemical Factory, mais également pour Changmao Biochemical Engineering.

129 Par conséquent, il y a lieu de considérer que Changmao Biochemical Engineering est directement affectée par l’arrêt attaqué, au sens de l’article 56, deuxième alinéa, deuxième phrase, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et que, dès lors, son recours doit être déclaré recevable.

130 Les arguments du Conseil tirés de l’avis du 7 septembre 2017 sont, à cet égard, sans incidence sur l’appréciation de la recevabilité du présent pourvoi.

131 Il en va de même de l’argumentation de Distillerie Bonollo e.a., selon laquelle Changmao Biochemical Engineering serait directement concernée non pas par l’arrêt attaqué, mais par les mesures qui seront prises, ultérieurement, par les institutions de l’Union, en exécution de cet arrêt. Elles font valoir que ce ne n’est qu’après l’adoption de ces mesures que la requérante au pourvoi peut être considérée comme étant directement concernée par ledit arrêt, au sens de l’article 56, deuxième alinéa, deuxième phrase, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

132 À cet égard, il suffit de constater que, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 162 de ses conclusions, dès lors que l’acte annulé par l’arrêt du Tribunal est un règlement, l’obligation pour la Commission de prendre les mesures que comporte l’exécution de cet arrêt ne naît qu’à compter de la fin de la procédure du présent pourvoi.

133 Au vu de toutes les considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter la fin de non-recevoir soulevée par le Conseil et déclarer le présent pourvoi recevable.

 Sur le moyen unique du pourvoi principal

134 Le moyen unique du pourvoi comporte trois branches. Par la première branche de ce moyen, la requérante au pourvoi soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit lorsqu’il a estimé que le Conseil avait changé de méthodologie pour déterminer la valeur normale des produits concernés, en violation de l’article 11, paragraphe 9, du règlement de base. La deuxième branche dudit moyen est tirée de l’absence de distinction entre les producteurs-exportateurs ayant coopéré et ceux ne l’ayant pas fait. Enfin, par la troisième branche du même moyen, elle fait valoir que l’arrêt attaqué est entaché d’erreurs d’appréciation concernant la valeur normale dans les pays n’ayant pas d’économie de marché.

 Sur la première branche du moyen unique, tirée d’une violation de l’article 11, paragraphe 9, du règlement de base

–  Argumentation des parties

135 Par la première branche de son moyen unique, Changmao Biochemical Engineering soutient que le Tribunal a considéré à tort que le Conseil, en violation de l’article 11, paragraphe 9, du règlement de base, avait utilisé, lors de la procédure de réexamen partiel ayant conduit à l’adoption du règlement litigieux, une méthode de calcul de la valeur normale différente de celle ayant été utilisée lors de la procédure initiale. Elle estime que la même et unique méthode a été appliquée en l’espèce. La différence de résultat serait due aux faits spécifiques de l’espèce et, en particulier, aux différences matérielles de production de l’acide tartrique en Argentine et en Chine.

136 En outre, selon la requérante au pourvoi, le fait pour le Tribunal d’avoir considéré que l’utilisation d’une valeur normale construite et non d’une valeur normale fondée sur les prix de vente effectifs dans le pays analogue de référence reflétait un changement de méthode, interdit au titre de l’article 11, paragraphe 9, du règlement de base, reviendrait à limiter indûment le pouvoir discrétionnaire dont disposent les institutions de l’Union pour construire la valeur normale.

137 La requérante au pourvoi ajoute que, à supposer même qu’un tel changement de méthode ait eu lieu, celui-ci serait justifié en raison du changement majeur de circonstances, au cours de la procédure de réexamen intermédiaire partiel, affectant les opérations des exportateurs chinois et qui a conduit à l’impossibilité pour celle-ci de pouvoir continuer à bénéficier du statut de SEM, dont elle avait pu se prévaloir lors de la procédure initiale. Elle considère que c’est à tort que le Tribunal n’a pas qualifié la perte de ce statut de changement de circonstances, au sens de l’article 11, paragraphe 9, du règlement de base. Or, le Conseil aurait eu recours, lors de la procédure de réexamen, à la valeur normale construite sur la base des coûts de production dans le pays analogue de référence en raison de la perte de ce statut.

138 La Commission fait valoir qu’il convient de déterminer si l’article 11, paragraphe 9, du règlement de base doit être interprété en ce sens qu’il s’applique de la manière restrictive suggérée par la requérante au pourvoi, à savoir « entreprise par entreprise » ou de la manière extensive retenue par le Tribunal dans l’arrêt attaqué et qui implique, en substance, une comparaison opérée « enquête par enquête ».

139 La Commission considère qu’il y lieu de retenir l’interprétation du Tribunal. Selon elle, il peut être déduit du contexte global de l’article 11, paragraphe 9, du règlement de base, que l’objectif de cette disposition vise à garantir la sécurité juridique de toutes les entreprises concernées par des mesures antidumping. En conséquence, la Commission fait valoir que ladite disposition peut être considérée, dans le cadre des procédures de réexamen, telle que la procédure de réexamen intermédiaire partiel ayant conduit à l’adoption du règlement litigieux, comme l’expression du principe général d’égalité de traitement, qui est désormais consacré à l’article 20 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Or, le raisonnement suivi par le Tribunal dans l’arrêt attaqué serait conforme à cette interprétation.

140 Dès lors, cette première branche du moyen unique du pourvoi ainsi que le pourvoi dans son ensemble devraient être rejetés comme étant dénués de fondement.

141 Distillerie Bonollo e.a. excipent de l’irrecevabilité du moyen unique du pourvoi, dans chacune de ses branches, en ce que Changmao Biochemical Engineering demanderait à la Cour de contrôler l’appréciation des faits, effectuée par le Tribunal, ou se bornerait à réitérer des arguments qui avaient déjà été soulevés par le Conseil et la Commission au cours de la procédure en première instance. De surcroît, les parties demanderesses en première instance considèrent que ce moyen unique devrait, en tout état de cause, être rejeté comme étant non fondé.

–  Appréciation de la Cour

142 Aux termes de l’article 11, paragraphe 9, du règlement de base, dans toutes les enquêtes de réexamen, la Commission doit appliquer, dans la mesure où les circonstances n’ont pas changé, la même méthode que celle utilisée lors de l’enquête ayant abouti à l’imposition du droit antidumping en question, compte tenu notamment des dispositions de l’article 2 de ce règlement.

143 Selon la jurisprudence, l’exception permettant aux institutions d’appliquer, lors d’une procédure de réexamen, une méthode différente de celle utilisée lors de la procédure initiale lorsque les circonstances ont changé doit nécessairement faire l’objet d’une interprétation stricte, une dérogation ou une exception à une règle générale devant être interprétée restrictivement (arrêt du 19 septembre 2013, Dashiqiao Sanqiang Refractory Materials/Conseil, C‑15/12 P, EU:C:2013:572, point 17 et jurisprudence citée).

144 L’exigence d’une interprétation stricte ne saurait toutefois permettre auxdites institutions d’interpréter et d’appliquer cette disposition d’une manière incompatible avec le libellé et la finalité de celle-ci (arrêt du 19 septembre 2013, Dashiqiao Sanqiang Refractory Materials/Conseil, C‑15/12 P, EU:C:2013:572, point 19 et jurisprudence citée).

145 En l’espèce, d’une part, ainsi qu’il ressort du point 129 de l’arrêt attaqué, lors de l’enquête ayant conduit à l’adoption du règlement no 130/2006, la valeur normale des produits concernés de Changmao Biochemical Engineering et de Ninghai Organic Chemical Factory, qui bénéficiaient du statut de SEM, avait été établie sur la base de leurs prix de vente intérieurs réels, conformément à l’article 2, paragraphes 1 à 6, du règlement de base, tandis que la valeur normale des produits des producteurs-exportateurs ne bénéficiant pas de ce statut de SEM avait été calculée sur celle des prix de vente intérieurs dans un pays analogue, à savoir l’Argentine, conformément à l’article 2, paragraphe 7, sous a), de ce règlement.

146 D’autre part, il ressort du point 131 de l’arrêt attaqué que, dans le cadre de l’enquête ayant abouti à l’adoption du règlement litigieux, la valeur normale des produits concernés de Changmao Biochemical Engineering et de Ninghai Organic Chemical Factory a été calculée sur la base des coûts de production du pays analogue, à savoir l’Argentine, conformément à l’article 2, paragraphe 7, du règlement de base.

147 À cet égard, ainsi que M. l’avocat général l’a constaté, en substance, au point 174 de ses conclusions, le statut de SEM ayant été refusé à ces deux producteurs-exportateurs chinois lors de l’enquête ayant conduit à l’adoption du règlement litigieux, la valeur normale ne pouvait plus être établie conformément à l’article 2, paragraphes 1 à 6, du règlement de base.

148 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a jugé, au point 132 de l’arrêt attaqué, que le fait que la valeur normale a été construite, pour les deux producteurs-exportateurs chinois, sur la base des coûts de production en Argentine et n’a pas été déterminée sur le fondement des prix de vente intérieurs dans ce pays constituait un changement de méthodologie au sens de l’article 11, paragraphe 9, du règlement de base. En effet, il expose à juste titre à ce même point que « la valeur normale pour les producteurs-exportateurs ne bénéficiant pas du SEM avait été calculée sur la base des prix de vente intérieurs argentins lors de l’enquête initiale, alors qu’elle a été construite, en substance, sur les coûts de production en Argentine lors de l’enquête de réexamen pour les deux producteurs-exportateurs chinois qui ne pouvaient plus bénéficier du SEM ». C’est également à bon droit qu’il a souligné que le libellé de l’article 11, paragraphe 9, du règlement de base faisant référence à l’application d’une même méthode dans l’enquête initiale et dans l’enquête de réexamen, cette disposition ne se bornait pas à exiger seulement l’application d’une même méthode à la même entité économique.

149 Par ailleurs, si, ainsi que cela ressort de l’article 11, paragraphe 9, du règlement de base, les institutions de l’Union sont tenues d’appliquer la même méthode pour calculer la valeur normale pour des producteurs-exportateurs ne bénéficiant pas du statut de SEM, lors de l’enquête initiale et lors de l’enquête de réexamen, sous réserve d’un changement de circonstances, c’est en vain que Changmao Biochemical Engineering reproche au Tribunal de ne pas avoir justifié le changement de méthodologie en l’espèce par l’existence d’un changement de circonstances. À cet égard, il suffit de relever que le Tribunal a constaté, au point 134 de l’arrêt attaqué, que « le règlement [litigieux] ne fait pas référence à un changement de circonstances », la justification apportée par le Conseil, exposée au considérant 27 de ce règlement, tenant à la différence entre les méthodes de production en Argentine et en Chine, ne pouvant caractériser un changement de circonstances, dès lors que « ces différences existaient et étaient déjà connues au stade de l’enquête initiale ».

150 En outre, il convient de préciser que la perte de statut de SEM d’une entreprise ne saurait être considérée comme constituant un changement des circonstances, au sens de l’article 11, paragraphe 9, du règlement de base, permettant de justifier l’application, lors d’une procédure de réexamen, d’une méthode différente de celle mise en œuvre lors de la procédure ayant abouti à l’imposition du droit antidumping concerné.

151 En effet, toute autre interprétation conduirait à faire dépendre l’applicabilité de cette disposition, en ce qui concerne les entreprises provenant des pays dépourvus d’une économie de marché qui se sont vu attribuer le statut de SEM, de la bonne volonté de ces entreprises ou de la possibilité offerte à ces dernières de continuer à opérer dans des conditions propres à une économie de marché.

152 S’agissant, enfin, de l’argument de Changmao Biochemical Engineering, tel que relevé au point 136 de cet arrêt, ayant trait au pouvoir discrétionnaire dont disposent les institutions de l’Union pour construire la valeur normale, il ressort de la jurisprudence constante de la Cour que le choix entre différentes méthodes de calcul de la marge de dumping et l’appréciation de la valeur normale d’un produit impliquent d’apprécier des situations économiques complexes, dans le cadre desquelles ces institutions disposent d’un large pouvoir d’appréciation (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 2007,  Ikea Wholesale, C‑351/04, EU:C:2007:547, points 40 et 41 ainsi que jurisprudence citée).

153 Il convient toutefois de préciser que le législateur de l’Union ayant entendu limiter ledit pouvoir discrétionnaire au regard de l’application de l’article 11, paragraphe 9, du règlement de base, le Conseil était tenu, lors de l’enquête ayant abouti à l’adoption du règlement litigieux, d’adopter, en l’absence d’un changement de circonstances, la même méthode que celle qui avait été appliquée lors de la procédure ayant conduit à l’imposition du droit antidumping en cause.

154 Partant, il y a lieu d’écarter la première branche du moyen unique du pourvoi.

 Sur les deuxième et troisième branches du moyen unique, tirées des erreurs de droit commises par le Tribunal lorsqu’il a estimé que la requérante était dans la même situation que les producteurs n’ayant pas coopéré et qu’il a considéré qu’une valeur normale unique devait être appliquée à l’ensemble des producteurs-exportateurs qui se voient refuser le statut de SEM

–  Argumentation des parties

155 Par les deuxième et troisième branches de son moyen unique, Changmao Biochemical Engineering soutient que le Tribunal, aux points 139 à 141 de l’arrêt attaqué, a commis plusieurs erreurs de droit portant principalement sur l’absence de distinction entre les catégories des producteurs-exportateurs ayant coopéré et ceux n’ayant pas coopéré et sur l’application d’une valeur normale unique à l’ensemble des producteurs-exportateurs qui se voient refuser le statut de SEM.

156 Selon la requérante au pourvoi, c’est à tort que le Tribunal n’a pas tenu compte de cette distinction lors de la détermination de la valeur normale utilisée pour calculer la marge de dumping. À cet égard, Changmao Biochemical Engineering précise que, si le calcul de la marge de dumping pour la catégorie des producteurs-exportateurs n’ayant pas coopéré s’effectue sur la base des « meilleurs données disponibles » provenant d’un pays analogue, conformément à l’article 18 du règlement de base, le calcul de cette marge relatif à la catégorie des producteurs-exportateurs ayant coopéré est fondé sur des données que ceux-ci ont eux-mêmes fournies aux institutions de l’Union, dans la cadre de leur coopération avec ces dernières. Or, en n’opérant aucune distinction entre ces deux catégories de producteurs, le Tribunal les placerait à tort dans la même situation et soumettrait les producteurs-exportateurs ayant coopéré aux mêmes règles de calcul de la valeur normale que celles applicables aux producteurs-exportateurs n’ayant pas coopéré, à savoir celles fondées sur les « meilleures données disponibles », au titre de l’article 18 du règlement de base.

157 La requérante au pourvoi estime que le Tribunal aurait dû reconnaître l’existence d’une troisième catégorie de producteurs-exportateurs, dont elle faisait elle-même partie depuis la perte de son statut de SEM, à savoir la catégorie des producteurs-exportateurs chinois ne bénéficiant plus du statut de SEM mais qui ont coopéré dans le cadre de l’enquête de réexamen partiel intermédiaire. Or, selon elle, l’article 11, paragraphe 9, du règlement de base ne peut s’appliquer à cette catégorie de producteurs-exportateurs. En effet, le traitement appliqué aux producteurs-exportateurs ayant coopéré qui ont bénéficié du statut de SEM lors de la procédure initiale ne saurait donner lieu à l’application de cette disposition à l’égard de ces mêmes producteurs-exportateurs qui, bien qu’ayant coopéré lors du réexamen intermédiaire partiel ayant conduit à l’adoption du règlement litigieux, n’ont cependant pas été considérés comme opérant dans les conditions d’une économie de marché. 

158 Selon Changmao Biochemical Engineering, les institutions de l’Union devraient, en tout état de cause, être libres d’appliquer l’article 2 du règlement de base à l’égard de cette catégorie de producteurs-exportateurs, en tenant compte tant des nouvelles circonstances ayant entraîné la perte de leur statut de SEM que du fait que ces derniers ont entièrement coopéré avec lesdites institutions.

159 La Commission fait valoir que la distinction entre les producteurs-exportateurs ayant coopéré et ceux ne l’ayant pas fait n’est pertinente que si le cadre juridique de référence se fonde sur  une approche « entreprise par entreprise », ce que Changmao Biochemical Engineering n’aurait pas réussi à établir. Par ailleurs, les références faites par cette dernière, d’une part, à l’article 18 du règlement de base et, d’autre part, au risque de discrimination, seraient inopérantes.

160 Distillerie Bonollo e.a. considèrent que les deuxième et troisième branches du moyen unique doivent être rejetées comme étant irrecevables.

–  Appréciation de la Cour

161 L’argumentation de Changmao Biochemical Engineering soulevée à l’appui des deuxième et troisième branches de son moyen unique procède d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué. En effet, au point 139 de cet arrêt, le Tribunal a considéré que, « à la différence des autres producteurs-exportateurs n’ayant pas coopéré, [Changmao Biochemical Engineering et Ninghai Organic Chemical Factory] ont bénéficié d’un droit antidumping individuel fondé sur leurs prix à l’exportation respectifs ». Il a, pour ce faire, relevé qu’il ressortait du considérant 22 du règlement litigieux que ces deux producteurs-exportateurs ayant coopéré ont bénéficié d’un traitement individuel en ce qui concerne le calcul de la valeur normale de leurs produits respectifs.

162 Partant, il y a lieu de rejeter la deuxième branche du moyen unique comme étant non fondée.

163 Quant aux prétendues erreurs du Tribunal concernant l’application d’une même valeur normale pour l’ensemble des producteurs-exportateurs qui se voient refuser le statut de SEM, le Tribunal a d’abord exposé, au point 140 de l’arrêt attaqué, qu’il ressortait de la jurisprudence que, « en vertu de l’article 9, paragraphe 5, du règlement de base, un droit antidumping individuel est normalement calculé en comparant la valeur normale applicable à l’ensemble des producteurs-exportateurs avec les prix individuels à l’exportation du producteur en cause ». Il a ensuite indiqué, au point 141 de cet arrêt, qu’une valeur normale unique était retenue à l’égard des producteurs-exportateurs n’ayant pas coopéré et qui se sont vu refuser le statut de SEM, « puisque, dans cette situation, les calculs de la valeur normale se fondent sur les données d’un pays analogue et donc indépendamment de leurs données respectives ». Le Tribunal a d’ailleurs ajouté, à ce point, que, « dans cette dernière hypothèse, un producteur-exportateur peut toujours demander un traitement individuel, ce qui implique qu’une marge de dumping individuelle sera calculée en comparant la valeur normale, qui est la même pour tous, avec ses propres prix à l’exportation, au lieu de comparer la valeur normale avec les prix à l’exportation de l’industrie ».

164 Ne saurait prospérer l’allégation de Changmao Biochemical Engineering selon  laquelle les institutions de l’Union devraient être libres d’appliquer l’article 2 du règlement de base aux producteurs-exportateurs ayant coopéré, dès lors que cette disposition ne confère pas à un producteur-exportateur non éligible au SEM et ayant coopéré le droit à un traitement plus favorable en ce qui concerne l’établissement de la valeur normale. Par ailleurs, il y a lieu de constater que, en tout état de cause, la requérante au pourvoi n’a pas démontré de quelle manière la distinction entre les producteurs-exportateurs ayant coopéré et ceux ne l’ayant pas fait autoriserait légalement le Conseil à passer de l’utilisation des prix effectifs dans le pays analogue, tel que ce fut le cas dans le cadre de la procédure initiale pour les producteurs-exportateurs chinois non éligibles au SEM, à l’utilisation des valeurs normales construites.

165 Dans ces conditions, il y a lieu d’écarter la troisième branche du moyen unique comme étant non fondée et de rejeter ce moyen.

166 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le pourvoi doit être rejeté.

 Sur les dépens

167 Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé ou lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens.

168 L’article 138 de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, prévoit, à son paragraphe 1, que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En vertu du paragraphe 2 de cet article 138, si plusieurs parties succombent, la Cour décide du partage des dépens.

169 En l’espèce, Changmao Biochemical Engineering ayant succombé dans son pourvoi principal et Distillerie Bonollo e.a. ainsi que le Conseil et la Commission ayant conclu à la condamnation de Changmao Biochemical Engineering aux dépens, il y a lieu de condamner cette dernière à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par Distillerie Bonollo e.a. ainsi que par le Conseil et la Commission au titre de la procédure du pourvoi principal.

170 La Commission ayant partiellement succombé en ses moyens dans le cadre du pourvoi incident, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, les quatre cinquièmes de ceux exposés par Distillerie Bonollo e.a. afférents à ce pourvoi incident.

171 Changmao Biochemical Engineering et le Conseil supporteront leurs propres dépens exposés dans le cadre du pourvoi incident.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête :

1) Le pourvoi principal est rejeté.

2) Le point 2 du dispositif de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 3 mai 2018, Distillerie Bonollo e.a./Conseil (T‑431/12, EU:T:2018:251), est annulé en tant que, par celui-ci, le Tribunal de l’Union européenne a imposé au Conseil de l’Union européenne de prendre les mesures que comporte l’exécution de cet arrêt.

3) Le pourvoi incident est rejeté pour le surplus.

4) Changmao Biochemical Engineering Co. Ltd est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par Distillerie Bonollo SpA, Industria Chimica Valenzana (ICV) SpA, Distillerie Mazzari SpA et Caviro Distillerie Srl ainsi que par le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne au titre du pourvoi principal.

5) La Commission européenne est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, les quatre cinquièmes des dépens exposés par Distillerie Bonollo SpA, Industria Chimica Valenzana (ICV) SpA, Distillerie Mazzari SpA et Caviro Distillerie Srl au titre du pourvoi incident.

6) Changmao Biochemical Engineering Co. Ltd et le Conseil de l’Union européenne supportent leurs propres dépens afférents au pourvoi incident.