CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 3 décembre 2020, n° 13/13058
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Brenntag (SA), Brenntag France Holding (SAS), Brachem France Holding (SAS), Brenntag Foreign Holding GmbH (Sté), Brenntag Beteiligung GmbH (Sté), Brenntag Holding GmbH (Sté), Deutsche Bahn AG (Sté), Solvadis Deutschland GmbH (Sté), Solvadis Distribution GmbH (Sté)
Défendeur :
Gâches Chimie (SAS), Autorité de la concurrence, Ministre chargé de l'Econonmie
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Maitrepierre
Conseillers :
Mme Schmidt, Mme Brun-Lallemand
Avocats :
Me Tardif, Me Lévy, Me Kumar, Me Hardouin, Me Thill-Tayara, Me Guyonnet, Me Gransard, Me Durand, Me Bricogne, Me Grappotte-Benetreau
Vu la décision n° 13-D-12 du 28 mai 2013 de l’Autorité de la concurrence relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la commercialisation de commodités chimiques ;
Vu le recours en annulation et en réformation de cette décision déposé au greffe de la Cour le 28 juin 2013 par la société DB Mobility Logistics AG ;
Vu le recours en réformation déposé au greffe de la Cour le 28 juin 2013 par la société GEA Group ;
Vu le recours en annulation et en réformation déposé au greffe de la Cour le 1er juillet 2013 par les sociétés Brenntag SA, Brenntag France Holding SAS, Brachem France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Holding GmbH, Brenntag Beteiligung GmbH, Brenntag Holding GmbH (les sociétés Brenntag) ;
Vu la déclaration d’intervention volontaire déposée au greffe de la Cour par la société Gâches Chimie le 19 juillet 2013 ;
Vu la déclaration d’intervention volontaire déposée au greffe de la Cour par les sociétés Solvadis France, Solvadis Holding SARL et Solvadis Gmbh le 23 juillet 2013 et la lettre déposée au greffe de la Cour le 20 novembre 2015, par laquelle le conseil des sociétés Solvadis a fait savoir que la société Solvadis France a été mise en liquidation judiciaire et que son liquidateur renonçait à intervenir à l’instance ;
Vu l’arrêt de la Cour du 2 février 2017 ayant notamment annulé le rapport et partiellement la décision attaquée ;
Vu les conclusions d’intervention volontaire déposées au greffe de la Cour le 11 février 2019 par la société Solvadis Deutschland GmbH et la société Solvadis GmbH ;
Vu l’arrêt de la Cour du 18 avril 2019 ayant statué sur des incidents de procédure et déclaré recevable l’intervention volontaire des sociétés Solvadis Distribution GmbH, anciennement Solvadis GmbH, et Solvadis Deutschland GmbH, anciennement Solvadis Holding GmbH ;
Vu les observations de l’Autorité de la concurrence du 28 janvier 2020 ;
Vu les observations du ministre chargé de l’économie du 25 février 2020 ;
Vu les dernières conclusions au fond de la société Deutsche Bahn AG, en tant que venant aux droits de la société DB Mobility Logistics AG, du 11 mai 2020 ;
Vu les dernières conclusions au fond des sociétés Brenntag du 2 juin 2020 ;
Vu les dernières conclusions au fond de la société Gaches Chimie du 23 juin 2020 ;
Vu les dernières conclusions au fond des sociétés Solvadis Distribution GmbH et Solvadis Deutschland GmbH du 23 juin 2020 ;
Vu les conclusions d’incident des sociétés Brenntag du 29 mai 2020 et les observations en réponse à cet incident déposées le 8 juin 2020 par la société Deutsche Bahn AG, venant aux droits de la société DB Mobility Logistics AG, le 23 juin 2020 par l’Autorité de la concurrence, le ministre chargé de l’économie et les sociétés Solvadis, le 24 juin 2020 par la société Gaches Chimie ;
L’affaire ayant été transmise au ministère public ;
Après avoir entendu à l’audience publique du 2 juillet 2020, les conseils des sociétés Brenntag, Deutsche Bahn AG en tant que venant aux droits de la société DB Mobility Logistics AG, qui ont été mises en mesure de répliquer et eu la parole en dernier, le conseil de la société Gaches Chimie, celui des sociétés Solvadis Deutschland Gmbh et Solvadis Distribtion Gmbh, ainsi que le représentant de l’Autorité de la concurrence, celui du ministre chargé de l’économie ;
Après avoir invité l’Autorité de la concurrence à adresser à la Cour une note en délibéré précisant la méthode de calcul de la sanction qu’elle a retenue dans ses observations déposées devant la Cour le 20 janvier 2020 et autorisé les parties à y répondre.
FAITS ET PROCÉDURE
Le secteur et les entreprises concernés
1. Les pratiques anticoncurrentielles sanctionnées par l’Autorité dans sa décision n°13-D-12 du 28 mai 2013 ont été mises en œuvre dans le secteur de la distribution des commodités chimiques.
2. Les commodités chimiques désignent les produits chimiques de base issus principalement de la chimie minérale et de la pétrochimie. Elles sont constituées d’un très large éventail de références (près de 3 000) dont notamment les solvants pétroliers, les acétates, les glycols, les alcools, les éthers, la soude, les acides, la javel, le peroxyde d’hydrogène, le chlorure ferrique, le formol, les bisulfites, la potasse.
3. Elles sont produites par les principaux groupes de la chimie, parmi lesquels, Exxon, Shell, BP, Lyondell, Solvay, Rhodia, Atochem, BASF, Bayer, Cerestar.
4. Ces producteurs vendent entre 85 % et 97 % de leur production directement aux industriels utilisateurs qui achètent par grandes quantités (camion de 24 tonnes). Le restant est distribué par des intermédiaires, les distributeurs, qui revendent à leurs propres clients industriels, lesquels achètent en moins grande quantité (camion inférieur à 24 tonnes).
5. Les clients des distributeurs de commodités chimiques exercent une grande variété d’activités. Ils sont notamment actifs dans les secteurs tels que l’industrie chimique, l’agro-alimentaire, l’automobile, les blanchisseries hospitalières et privées, le traitement des eaux, l’armement, l’industrie du béton et du liant routier, l’industrie de la désinfection et du nettoyage, les laiteries, la fabrication de peinture, les industries mécanique et aéronautique, le textile.
6. Les distributeurs gèrent ainsi une multiplicité de fournisseurs et de clients ainsi qu’une large gamme de produits. Ils assurent la logistique de leurs produits (stockage, transport et livraison) parfois avec leurs moyens propres, mais de plus en plus avec le concours de prestataires extérieurs.
7. À la distribution classique à partir de dépôts, s’ajoute un ensemble de services spécifiques dont certains sont directement liés au caractère dangereux de nombreux produits faisant l’objet de contraintes réglementaires spécifiques pour le stockage, le transport, les procédures. Ces services comportent le conditionnement en fonction des besoins de la clientèle sous emballage perdu ou consigné, la réalisation de mélanges et dilution et leur conditionnement, la gestion globale des approvisionnements du client (« global sourcing » ou « out sourcing »), l’information sur la mise en œuvre, la gestion de la sécurité, l’étiquetage, la gestion des produits chez l’utilisateur et enfin la gestion des effluents ainsi que des emballages.
8. Le stockage de produits chimiques, nécessaire à l’activité des distributeurs, est rigoureusement encadré, la réglementation des sites industriels prévoyant notamment des autorisations spéciales pour ces établissements et un classement pour certains en site Seveso, du nom des directives européennes applicables à ces établissements, dont la directive n° 96/82/CE du Conseil du 9 décembre 1996 concernant la maîtrise des dangers liés aux accidents majeurs impliquant des substances dangereuses (dite « Seveso II »).
9. Ces contraintes administratives, qui nécessitent de lourds investissements et des remises à jour constantes, constituent des barrières à l’entrée rendant, de fait, le secteur de la distribution peu accessible à de nouveaux entrants. En outre, la distribution des commodités chimiques, qui s’est concentrée ces dernières années, se caractérise par des écarts importants entre les performances respectives des distributeurs.
10. Les clients industriels peuvent également s’adresser à des « traders », qui se distinguent des distributeurs en ce qu’ils limitent leur fonction à la simple transaction commerciale d’achat auprès des producteurs et de revente aux clients utilisateurs, sans que la marchandise ne transite physiquement par leur intermédiaire. Les produits sont livrés directement par le fournisseur au client du trader.
11. Enfin, il existe une forme intermédiaire de distribution qui se situe entre la distribution directe et la distribution par les dépôts : « les droitures ». Il s’agit de livraisons commandées auprès d’un distributeur qui portent sur des camions complets mais pour lesquelles les produits sont directement livrés au client par le producteur, sans passer par les entrepôts du distributeur.
12. Les pratiques sanctionnées sont des ententes qui portent sur des ventes réalisées par des distributeurs et par des traders.
13. Elles ont été dénoncées par trois des plus importants distributeurs qui ont, successivement, présenté une demande de clémence en application de l’article L. 464-2, IV du code de commerce :
– la société Solvadis France (ex-Langlois Chimie et sa filiale, RPC-Clément), filiale du groupe Solvadis détenu par la société de droit luxembourgeois Solvadis Holding SARL, qui exerce l’activité de distributeur de commodités chimiques en France, principalement sur la zone Ouest de la France. En octobre 2005, la société Solvadis a cédé son fonds de commerce à la société Quaron, détenue par le fonds d’investissement luxembourgeois Bencis Capital Partner qui exerce également l’activité de distributeur de commodités chimiques en Belgique, aux Pays-Bas et en France.
– la société Brenntag SA, filiale française du groupe allemand Brenntag dont la holding est une société de droit luxembourgeois, Brachem SCA. La société Brenntag SA résulte de l’acquisition de plusieurs sociétés, actives sur le territoire français : la société Interdepot Le Prieur en 1989, le groupe Distribution Chimie/Debauche en 1992, la société Orchidis en 1994, le groupe Bonnave en 1996, la société Marce en 2001, APC en 2007. Dès 1998, date de début des pratiques dénoncées, Brenntag disposait d’une implantation nationale avec 25 sites de stockage, lui conférant une position de leader sur le territoire français (cotes 23451 à 23453). Ses principaux concurrents, de taille plus modeste, ne disposaient que d’une implantation régionale ou, au mieux, multirégionale (cotes 23455 à 23460, 34283 à 34285, 35921, et 35922).
– le groupe Brenntag a connu plusieurs changements de contrôle entre la fin 1997, date de début des pratiques et 2005, fin des pratiques. En décembre 1997, il faisait partie du groupe énergétique allemand Eon AG qui, en octobre 2002, a cédé sa participation à la société Deustche Bahn AG. En février 2004, cette dernière a cédé sa participation au fonds d’investissement Bain Capital, lequel l’a cédée à son tour au fonds d’investissement allemand BC Partners en septembre 2006.
– la société Univar SAS qui résulte de la fusion fin 2002 de trois sociétés françaises : Lambert-Rivière, Quarrechim et Vaissière-Favre. Les sociétés Lambert-Rivière et Quarrechim étaient respectivement mère et fille depuis 1998 et faisaient toutes deux partie du groupe Vopak. Les sociétés de ce groupe ont ensuite racheté fin 2000 les sociétés du groupe Vaissière-Favre, de sorte qu’à partir de cette date jusqu’à leur fusion fin 2002, les trois sociétés étaient sous contrôle commun. La société Univar SAS appartient au groupe Univar, un des leaders mondiaux de la distribution de produits chimiques présent aux États-Unis, au Canada, en Europe ainsi qu’en Chine.
Les procédures de clémence en cause
14. Le 20 septembre 2006, le rapporteur général du Conseil de la concurrence, devenu l’Autorité de la concurrence (ci-après « l’Autorité »), a reçu une demande de clémence présentée par les sociétés Solvadis France et Quaron portant à sa connaissance des pratiques d’entente prohibées par les articles L. 420-1 du code de commerce et 81 du Traité instituant la Communauté européenne, ci-après traité CE (devenu 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne, ci-après « TFUE »), impliquant également les sociétés Brenntag SA et Univar, dans le secteur de la distribution des commodités chimiques, sur la région du « grand ouest ». Par des pièces complémentaires, ces sociétés ont étendu le champ des pratiques dénoncées. Cette demande de clémence a porté sur des pratiques commises sur les grandes régions Ouest, Rhône-Alpes, et le Nord, entre 1999 et 2005.
15. Ce même 20 septembre 2006, la société Solvadis France a déposé, seule, une demande de clémence portant à la connaissance du Conseil de la concurrence des pratiques d’entente sur la tarification des consignes et sur les frais techniques, dans le secteur de la distribution des commodités chimiques sur le marché français.
16. Le 26 octobre 2006, le rapporteur général a reçu une autre demande de clémence présentée au bénéfice de la société BC Partners et de ses filiales, en particulier les sociétés Brenntag Holding GmbH et Brenntag SA, qui portaient à sa connaissance des informations établissant l’existence de pratiques prohibées par les articles L. 420-1 du code de commerce et 81 du traité CE, (devenu 101 du TFUE) et impliquant, notamment, outre la société Brenntag, les sociétés Quaron, Solvadis, Univar, et Caldic dans le secteur de la distribution de commodités chimiques en France.
17. Ces sociétés ont, elles aussi, complété les éléments apportés initialement et il ressort de l’ensemble des éléments transmis à l’Autorité que les pratiques dénoncées consistaient en :
– une entente générale sur la fixation des prix pour les consignes et les frais techniques ;
– des ententes régionales ou locales pour la répartition des clients et des marchés, ainsi que sur le niveau des prix lors de la passation des marchés par des utilisateurs de commodités chimiques, en particulier au travers d’offres de couverture et d’échanges d’informations préalables au dépôt des offres. Les zones concernées par ces pratiques étaient : la zone nord (Île-de-France, Picardie, Lorraine, Ardennes), la zone centre-ouest (Maine-et-Loire, Loire, Bretagne, Normandie et Val de Loire), la zone grand sud (Bourgogne, Dauphiné, Rhône-Alpes, Aquitaine, Midi-Pyrénées, et Provence-Méditerranée) ;
– des échanges d’informations entre concurrents portant sur le niveau des marges, la structure de prix, les volumes et les calendriers de commandes des clients.
18. Le 13 décembre 2006, le rapporteur général a reçu une demande de clémence présentée par la société Univar portant sur des pratiques prohibées par les articles L. 420-1 et 81 du traité CE (devenu 101 du TFUE) concernant les sociétés Brenntag SA, Platret, Caldic et APC dans le secteur de la distribution de commodités chimiques en France, en particulier dans la région Rhône-Alpes.
19. Ces sociétés ont été admises au bénéfice de la clémence aux termes de quatre avis de clémence :
– l’avis n°07-AC-01 du 7 février 2007 au profit des sociétés Solvadis France et Quaron accordant à la société Solvadis France une exonération totale des sanctions encourues et à la société Quaron, dans le cas où elle serait tenue pour responsable des faits, la même exonération ;
– l’avis n°07-AC-02 du 8 février 2007 au profit de la société Solvadis France lui accordant une exonération totale des sanctions encourues ;
– l’avis n° 07-AC-04 du 23 mars 2007 au profit des sociétés Brenntag leur accordant une exonération pouvant aller de 13 à 35 % des sanctions encourues ;
– l’avis n° 07-AC-05 du 7 mai 2007 au profit de la société Univar lui accordant une exonération pouvant aller de 10 à 20 % des sanctions encourues.
La procédure devant l’Autorité
20. Le Conseil de la concurrence s’est saisi d’office des pratiques par une décision du 5 avril 2007, et l’affaire a fait l’objet d’actes de visites et saisies, puis d’une instruction.
21. Au cours de cette instruction, les sociétés Brenntag ont, par une lettre du 17 mai 2008, dénoncé une entente impliquant la société Chemco France et consistant en un partage de livraisons en méthanol à l’égard d’un de leur client commun, la société GKN Driveline de 1999 à 2007.
22. À l’issue de l’instruction, la rapporteure générale de l’Autorité a, le 12 juin 2012, notifié aux sociétés :
– Solvadis France et ses sociétés mères Solvadis GmbH, Solvadis Holding SARL, GEA Group Aktiengesellschaft ;
– Brenntag SA et ses sociétés mères DB Mobility Logistics AG (ex-Stinnes AG), E.ON AG, Deutsche Bahn AG, Brenntag France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Beteiligungs GmbH, Brenntag Holding GmbH ;
– Univar et ses sociétés mères Univar France SNC, Univar France BV, Univar Europe Holdings BV, UnivarNV ;
– Caldic Est,
un grief consistant à avoir participé à une entente complexe et continue sur le marché de la distribution des commodités chimiques en France, en mettant en œuvre, dans plusieurs zones géographiques du territoire français, des accords et pratiques concertées participant au même objectif global visant :
– d’une part, à fixer en commun les prix de vente de l’ensemble des commodités chimiques en répercutant simultanément les hausses tarifaires de leurs fournisseurs respectifs en matière de solvants et de chimie minérale et,
– d’autre part, à la stabilisation de leurs parts de marché par le biais de pratiques de répartition de clientèle (attribution des clients, répartition des commandes par volumes ou par périodes, offres de couverture).
23. Cette notification précisait qu’en poursuivant cet objectif anticoncurrentiel, les destinataires des griefs ont imposé sur le marché français de la distribution des commodités chimiques, dans plusieurs zones géographiques du territoire français, un mode d’organisation substituant au libre jeu de la concurrence, à l’autonomie et l’incertitude, une collusion généralisée entre distributeurs de commodités chimiques portant atteinte à la fixation des prix par le libre jeu du marché et en organisant une répartition des marchés.
24. Elle ajoutait que ces accords et pratiques ont eu pour objet et étaient de nature à avoir eu, notamment, pour effet, un maintien des prix de vente artificiellement élevés et à avoir fait obstacle au libre choix des consommateurs de commodités chimiques quant à leur fournisseur.
25. Il était encore précisé que ces accords et pratiques avaient été mis en œuvre depuis au moins le 17 décembre 1997 et jusqu’à juin 2005.
26. Le grief a été notifié aux sociétés selon les périodes pour lesquelles elles étaient concernées.
27. Le même jour, la rapporteure générale de l’Autorité a notifié un second grief aux sociétés Brenntag SA, DB Mobility Logistics AG (ex-Stinnnes AG), E.ON AG, Deutsche Bahn AG, Brenntag France Holding SAS, Brachem France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Beteiligungs GmbH, Brenntag Holding GmbH, et Chemco France, consistant à avoir de janvier 2000 à mars 2007, période non couverte par la prescription, participé à une entente unique et continue, en mettant en œuvre une pratique concertée visant à se répartir les livraisons des commandes de la commodité chimique méthanol de la société GKN Driveline et à fixer en commun les prix pratiqués à l’égard de ce client, ayant pour conséquence de le tromper sur la réalité et l’étendue de la concurrence sur le marché, pratique contraire aux dispositions de l’article L. 420-1, notamment 2°et 4° du code de commerce, prohibant les ententes anticoncurrentielles.
28.À la suite de ces notifications de griefs, les sociétés :
– Solvadis, Solvadis GmbH, Solvadis Holding SARL, GEA Group Aktiengesellschaft ;
– Univar, Univar France SNC, Univar France BV, Univar Europe Holdings BV, Univar NV ;
– Caldic Est,
ont sollicité le bénéfice de la procédure dite de non-contestation des griefs prévue par les dispositions du III de l’article L. 464-2 du code de commerce, dans sa rédaction alors applicable.
La décision de l’Autorité du 28 mai 2013
29. Le 28 mai 2013, l’Autorité a adopté la décision suivante :
Article 1er : Il est établi que les sociétés Brenntag SA, Caldic Est SASU, Solvadis France et Univar SAS, en tant qu’auteurs des pratiques, ainsi que les sociétés DB Mobility Logistics AG, Brenntag France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Beteiligungs GmbH, Brenntag Holding GmbH, GEA Group Aktiengesellschaft, Solvadis Gmbh, Solvadis Holding SARL, Univar NV, Univar Europe Holdings BV, Univar France BV et Univar France SNC, en leur qualité de société mère, ont enfreint les dispositions de l’article L. 420-1 du code de commerce ainsi que celles de l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne en mettant en œuvre une entente anticoncurrentielle visant à stabiliser leurs parts de marché et à augmenter leurs marges par le biais de répartitions de clientèles et de coordinations tarifaires.
Article 2 : Il est établi que les sociétés Brenntag SA et Chemco France SARL, en tant qu’auteurs des pratiques, ainsi que les sociétés DB Mobility Logistics AG, Brenntag France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Beteiligungs GmbH, Brenntag Holding GmbH et Brachem France Holding SAS, en leur qualité de société mère, ont enfreint les dispositions de l’article L. 420-1 du code de commerce en mettant en œuvre une entente anticoncurrentielle consistant en une répartition des livraisons et en une fixation de prix.
Article 3 : Les sociétés Deutsche Bahn AG et E.ON AG sont mises hors de cause au titre des griefs visés à l’article 1er et à l’article 2.
Article 4 : Sont infligées, au titre des pratiques visées à l’article 1er, les sanctions pécuniaires suivantes :
. de 47 802 789 euros à la société Brenntag SA, conjointement et solidairement avec la société DB Mobility Logistics AG ;
. de 5 311 422 euros à la société DB Mobility Logistics AG ;
. de 1 335 036 euros à la société Caldic Est SASU ;
. de 9 405 279 euros à la société GEA Group AG ;
. de 15 180 461 euros à la société Univar SAS.
Article 5 : La société Solvadis France et ses sociétés mères sont exonérées de sanction pécuniaire au titre des pratiques visées à l’article 1er, par application du IV de l’article L. 464-2 du code de commerce.
Article 6 : Sont infligées, au titre des pratiques visées à l’article 2, les sanctions pécuniaires suivantes :
. de 10 000 euros à la société Chemco France SARL ;
. de 50 916 euros à la société DB Mobility Logistics AG.
Article 7 : La société Brenntag SA est exonérée de sanction pécuniaire au titre de la pratique visée à l’article 2, par application du IV de l’article L. 464-2 du code de commerce.
Les recours en annulation/réformation
30. Des recours en annulation et/ou réformation de cette décision ont été formés par les sociétés suivantes :
– les sociétés Brenntag SA, et ses sociétés mères : Brenntag France Holding SAS, Brachem France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Holding GmbH, Brenntag Beteiligung GmbH, Brenntag Holding GmbH (ci-après « les sociétés Brenntag ») ;
– la société DB Mobility Logistics AG, ex Stinnes AG, ancienne société mère de la société Brenntag SA ;
– la société GEA Group AG, ex-société MG Technologie AG, ancienne société mère de Solvadis France, sont intervenues volontairement à l’instance les sociétés Solvadis France, Solvadis Holding SARL et Solvadis Gmbh et la société Gaches Chimie.
31. Les sociétés Brenntag et la société DB Mobility Logistics AG ont saisi la cour d’appel de demandes de transmission de questions prioritaires de constitutionnalité, dont l’une portait sur l’article L. 464-2, I et IV du code de commerce. Sa conformité à la Constitution était contestée au motif que ce texte ne précise pas les conditions et critères d’octroi de l’exonération de sanction dont peut bénéficier la personne poursuivie ayant sollicité le bénéfice de la procédure de clémence, le taux de cette exonération, et à tout le moins les éléments objectifs et susceptibles de contrôle juridictionnel à prendre en compte par l’Autorité de la concurrence pour déterminer ce taux. Cette question a été transmise par la cour d’appel à la Cour de cassation, laquelle a dit n’y avoir lieu à renvoi au Conseil constitutionnel (arrêt CA Paris du 27 novembre 2014, RG n°14/18420 et RG n°14/04209, arrêt Cass. Com., 4 mars 2015, pourvoi n° 14-40.052).
32. La Cour a également été saisie d’incidents de procédure portant sur la recevabilité de l’intervention volontaire de la société Gaches Chimie et de sa demande d’accéder aux pièces transmises par les sociétés Brenntag dans le cadre de la procédure de clémence. Par un arrêt 22 octobre 2015, interprété par un arrêt du 12 janvier 2016, la cour d’appel a déclaré recevable l’intervention volontaire de la société Gaches Chimie et rejeté ses demandes de transmission de pièces.
33. Puis, statuant partiellement sur les recours par un arrêt du 2 février 2017, la Cour a notamment :
– rejeté la demande d’annulation de l’auto-saisine du 5 avril 2007, de l’avis de clémence de la société Solvadis France du 7 février 2007 et de la notification de griefs, présentée par les sociétés Brenntag ;
– rejeté le recours de la société GEA Group AG ;
– déclaré irrecevables les demandes formées par les sociétés Brenntag tendant au prononcé de la nullité du procès-verbal recevant la demande de clémence de la société Solvadis France et l’avis de clémence délivré à cette société ;
– constaté qu’il a été porté atteinte aux droits de la défense des sociétés Brenntag au stade du rapport et dans la procédure qui s’en est suivie devant l’Autorité de la concurrence ;
– annulé le rapport des rapporteurs ;
– annulé la décision attaquée en ce qu’elle a dit :
. article 1er, que la sociétés Brenntag SA, en tant qu’auteur des pratiques, ainsi que les sociétés DB Mobility Logistics AG, Brenntag France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Beteiligungs GmbH, Brenntag Holding GmbH, en leur qualité de société mère, ont enfreint les dispositions de l’article L. 420-1 du code de commerce ainsi que celles de l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne en mettant en œuvre une entente anticoncurrentielle visant à stabiliser leurs parts de marché et à augmenter leurs marges par le biais de répartitions de clientèles et de coordinations tarifaires ;
. article 2, que la société Brenntag SA en tant qu’auteur des pratiques, ainsi que les sociétés DB Mobility Logistics AG, Brenntag France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Beteiligungs GmbH, Brenntag Holding GmbH et Brachem France Holding SAS, en leur qualité de société mère, ont enfreint les dispositions de l’article L. 420-1 du code de commerce en mettant en œuvre une entente anticoncurrentielle consistant en une répartition des livraisons et en une fixation de prix ;
– annulé, en conséquence, la décision attaquée en ce qu’elle a infligé des sanctions pécuniaires aux sociétés Brenntag SA et DB Mobility Logistics AG ;
– annulé la décision attaquée en ce qu’elle a dit que la société Brenntag SA est exonérée de sanction pécuniaire au titre de la pratique visée à l’article 2, par application du IV de l’article L. 464-2 du code de commerce ;
Statuant à nouveau en vertu des dispositions des articles 561 et 562 du code de procédure civile, la Cour a ordonné la réouverture des débats sur les griefs notifiés le 12 juin 2012.
34. Le 20 janvier 2019, les sociétés Brenntag ont saisi la Cour d’un incident de procédure tendant au retrait de pièces du dossier d’instruction aux motifs soit qu’elles contiennent des propos qualifiés de calomnieux insultants et diffamants (pièces figurant en annexe 1 de leur mémoire d’incident), soit qu’elles sont des pièces recelées (annexe 2), soit qu’elles comportent des atteintes à la vie privée (annexe 3) soit, enfin, qu’elles constituent des courriers échangés entre un avocat et son client (annexe 4). Au cours de l’instance, les sociétés du groupe Solvadis sont intervenues volontairement, intervention dont la recevabilité a été contestée par les sociétés Brenntag et la société Deutche Bahn AG venant aux droits de la société DB Mobility Logistics AG à la suite d’une opération de fusion absorption.
35. Par un arrêt du 18 avril 2019, la Cour a rejeté les fins de non-recevoir opposées aux interventions volontaires des sociétés Solvadis Distribution GmbH, anciennement Solvadis GmbH, et Solvadis Deutschland GmbH, anciennement Solvadis Holding GmbH (ci-après « les sociétés Solvadis ») et, statuant sur les demandes de retrait de pièces :
– a déclaré irrecevables les demandes en ce qu’elles visent les pièces portant atteinte à la vie privée (pièces listées à l’annexe 3) et les pièces contenant des propos calomnieux insultants et diffamants (pièces listées à l’annexe 1) après avoir constaté que ces pièces ne visaient pas directement les sociétés Brenntag de sorte que celles-ci étaient sans qualité à agir ;
– a déclaré que la demande de retrait des pièces, listées à l’annexe 4 et concernant des correspondances entre avocat et client, était devenue sans objet, au motif qu’elles avaient été exclues de la nouvelle transmission de pièces effectuée par l’Autorité le 14 février 2019 ;
– a joint au fond l’examen de l’incident relatif à la communication de pièces visées par l’annexe 2, pièces déposées lors de la demande de clémence par M. A, agissant alors au nom de la société Solvadis, et pour lesquelles ce dernier, qui a été le dirigeant de la société Brenntag SA jusqu’au mois de juin 1998, a été condamné à titre personnel par la Cour d’appel de Paris, par un arrêt du 26 novembre 2015 (Pôle 4, chambre 11, RG n° 12/06120), (ci-après, l’ « arrêt du 26 novembre 2015 »), pour s’être rendu coupable du délit de recel de vol et d’abus de confiance pour détenir un certain nombre de documents d’affaires de la société anonyme Brenntag et les avoir transmis à des tiers, notamment la société Gaches Chimie.
Les pourvois en cassation
36. Les sociétés Brenntag et la société GEA Group AG ont formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt du 2 février 2017 (pourvois n°17-14.140 et 17-13.973). Par une décision du 10 juillet 2018, la Cour de cassation a déclaré irrecevable le pourvoi formé par les sociétés Brenntag et rejeté celui formé par la société GEA Group AG.
37. Il en résulte qu’est devenu irrévocable l’arrêt de la Cour du 2 février 2017 en ce qu’il a rejeté le recours formé par la société GEA Group AG, et par voie de conséquence, est devenue irrévocable la décision de l’Autorité en ce qu’elle a dit que la société Solvadis France, en qualité d’auteur, et les sociétés GEA Group Aktiengesellschaft, Solvadis Gmbh, Solvadis Holding SARL, en leur qualité de société mère, avaient enfreint les dispositions de l’article L. 420-1 du code de commerce ainsi que celles de l’article 101 du TFUE en mettant en œuvre une entente anticoncurrentielle visant à stabiliser leurs parts de marché et à augmenter leurs marges par le biais de répartitions de clientèles et de coordinations tarifaires, infligé une sanction de 9 405 279 euros à la société GEA Group, et exonéré de toute sanction la société Solvadis France et ses sociétés mères au titre de la clémence.
38. La Cour, bien qu’ayant ordonné la réouverture des débats sur les griefs notifiés, n’a ni annulé ni réformé l’article 3 de la décision de l’Autorité en ce qu’elle a mis hors de cause les sociétés Deutsche Bahn AG et E.ON AG au titre des deux griefs qui leur avaient été notifiés de sorte que cet article 3 est devenu irrévocable.
39. Il résulte des décisions précitées que la Cour doit statuer sur le bien fondé des griefs notifiés aux sociétés Brenntag et à la société DB Mobility Logistics AG, aux droits de laquelle vient la société Deutsche Bahn AG, en présence des sociétés Gaches Chimie et Solvadis.
40. Mais avant tout examen au fond, il lui appartient, préalablement, de statuer sur le bien fondé de l’incident de procédure déposé par les sociétés Brenntag ainsi que sur les demandes d’annulation de la procédure formées d’une part, par les sociétés Brenntag, et d’autre part, par la société Deutsche Bahn AG, en tant que venant aux droits de la société DB Mobility Logistics AG.
MOTIVATION
I. SUR L’INCIDENT DÉPOSÉ PAR LES SOCIÉTÉS BRENNTAG AUX FINS D’ANNULATION DE L’ENTIÈRE PROCÉDURE
41. À titre liminaire, avant d’exposer la teneur de cet incident de procédure et pour une meilleure compréhension de celui-ci, il y a lieu de rappeler que la Cour a déjà été saisie par les sociétés Brenntag d’une demande tendant à mettre fin aux poursuites engagées contre elles et à l’annulation, sans renvoi à l’instruction, de l’entière procédure dont notamment le procès-verbal de clémence de la société Solvadis France, la décision d’auto-saisine de l’Autorité, l’avis de clémence délivré à la société Solvadis France, la notification des griefs, le rapport et la décision attaquée.
42. Cette demande était fondée sur l’atteinte irrémédiable à leurs droits de la défense résultant de la mise en cause personnelle de leur avocat dans des termes calomnieux par M. A, dans des pièces jointes à la demande de clémence et que ce dernier avait déposées, pour le compte de la société Solvadis France.
43. Dans son arrêt du 2 février 2017, la Cour a partiellement accueilli ce moyen d’annulation. Elle n’a pas annulé l’entière procédure comme le demandaient les sociétés Brenntag, mais annulé le rapport et la décision attaquée en ce qu’elle a dit établi que les sociétés Brenntag et ses sociétés mères, dont DB Mobiliy Logistics AG, avaient participé aux pratiques anticoncurrentielles visées par les deux griefs, et leur avait infligé une sanction.
44. Pour accueillir ce moyen tiré de l’atteinte aux droits de la défense des sociétés Brenntag (§56 et suivants de l’arrêt du 2 février 2017), la Cour a retenu que les accusations de M. A formulées contre le conseil de la société Brenntag dans les documents remis lors de la procédure de clémence, n’étaient étayées par aucun élément et que le maintien de ces pièces dans le dossier de procédure sans occultation des éléments mettant en cause personnellement le conseil des sociétés Brenntag, ou sans distanciation expresse des rapporteurs, maintien auquel s’est ajoutée une phrase dans le rapport donnant un certain crédit à ces accusations, a vicié la procédure en laissant se développer, jusque devant le collège, le soupçon que ces sociétés étaient défendues par un conseil « dont on pouvait pour le moins douter ».
45. Elle a considéré que « la défense des sociétés Brenntag a[vait] été nécessairement décrédibilisée, tant dans ses développements écrits qu’oraux, ce qui ne pouvait qu’altérer et fausser la présentation de cette défense à la suite du rapport et, de surcroît, déstabiliser l’avocat des sociétés Brenntag lorsqu’il s’est présenté devant le collège (...). En effet, à supposer même que le collège n’ait pas ajouté foi aux accusations portées contre l’avocat des sociétés Brenntag, ce que tend à démontrer l’absence de toute référence dans la décision attaquée, il n’en reste pas moins que celui-ci n’a pu qu’être déstabilisé lorsqu’il s’est présenté devant la formation de jugement de l’Autorité, eu égard à la crainte légitime qu’il n’en soit pas ainsi ». (§70).
46. Elle en a déduit une atteinte aux droits de la défense des sociétés Brenntag et que le rapport devait être, en conséquence annulé.
47. Elle a toutefois relevé (§80) que cette atteinte n’avait pas été irrémédiable en ce qu’en l’espèce, elle « consiste dans le fait que la défense des sociétés Brenntag n’a pas pu s’exercer librement devant l’Autorité du fait du maintien dans le dossier communiqué aux parties, au Ministre de l’économie et au collège, d’accusations graves et infondées, énoncées par le représentant d’une des parties, sans que les rapporteurs se démarquent de ces accusations auxquelles ils ont manifesté qu’ils leur accordaient un certain crédit. Si ce vice de procédure a pu s’étendre à la procédure de recours dans la mesure où les pièces en cause, ainsi que le rapport, ont été communiqués à la Cour dans le même état que devant l’Autorité, il n’en demeure pas moins que les motifs qui précèdent démontrent que la Cour non seulement n’accorde aucun crédit aux accusations proférées dans les pièces en cause, mais aussi rétablit la réalité des faits en constatant, d’une part, qu’elles n’étaient étayées d’aucune preuve, d’autre part, que l’avocat concerné a été expressément réhabilité par le délégué du Bâtonnier de Paris dans un avis public du 10 décembre 2012 précisant qu’il ne s’est vu reprocher aucun manquement de quelque nature que ce soit à la suite de dénonciations diligentées contre lui par M. A. ».
48. Elle a également précisé la portée de cette annulation en retenant :
– au § 60 « le fait que les notes de synthèse et autres documents rédigés par M. A contiennent des accusations contre une personne précisément dénommée, qui est de surcroît l’avocat des sociétés Brenntag, ne rend pas l’intégralité de ces documents, qui comportent d’autres informations utiles pour l’enquête, illégale comme le soutiennent à tort ces sociétés. En effet, si ces documents n’auraient pas dû comporter des accusations graves dépourvues de preuve, ceci n’en altère la validité que pour cette partie individuelle, mais n’en affecte pas l’ensemble. De même, les documents de la procédure, avis de clémence et notification de griefs, qui se sont référés à ces pièces sans toutefois citer, ni même faire référence, aux passages portant atteinte à la réputation d’une personne ne sont pas, de ce fait, entachés de nullité. » ;
– au §74 : « les mises en cause personnelles de l’avocat de la société Brenntag n’ont été ni citées par les actes de la procédure, ni utilisées par les rapporteurs pour fonder les griefs notifiés. En conséquence elles n’ont pas, par leur présence dans le dossier, vicié l’instruction en ce qu’elle a porté sur les agissements des parties et il n’y a, en conséquence, pas lieu d’annuler la demande de clémence de la société Solvadis, l’avis de clémence qui lui a été accordé, la saisine d’office et la notification de griefs. ».
49. Aux termes de leurs conclusions d’incident déposées le 29 mai 2020, les sociétés Brenntag demandent à la Cour, à titre principal, d’annuler « l’ensemble de la procédure contre Brenntag », et, à titre subsidiaire, d’« écarter l’Autorité de la concurrence et ses écritures de la présente procédure pour la suite des débats devant la Cour d’appel de Paris ».
50. Au soutien de leurs prétentions, les sociétés Brenntag font valoir que la rapporteure, qui était en charge de l’instruction tant des demandes de clémence que du fond, et dont le rapport a été annulé :
– a ouvertement pris une position biaisée à leur égard dès l’examen des demandes de clémence en raison de son manque de distanciation et d’objectivité dans son appréciation des pièces et déclarations faites par M. A au nom de la société Solvadis, position biaisée qui a perduré lors de l’instruction et qui a influencé l’Autorité dans le cadre de l’examen au fond ;
– a mené une instruction partiale en reprenant « pour son compte » toutes les accusations et les propos calomnieux soutenus par M. A à l’encontre de leur conseil ;
– a exercé des pressions sur la défense des sociétés Brenntag pour conclure une non contestation des griefs ;
– s’est comportée de manière déloyale en lui adressant, dans le délai de réponse aux griefs qui venaient de leur être notifiés une convocation pour une audition qui a duré plus de six heures sur des prétendus manquements à la coopération, audition au cours de laquelle des questions ont été formulées sur un ton particulièrement accusatoire, voire auto-incriminant, ainsi que des demandes de renseignements en vue de la détermination de la sanction, et en décidant de reprendre l’instruction d’une affaire ancienne d’abus de position dominante, et lui adressant, pour les besoins de cette instruction, de multiples demandes de renseignements.
51. Elles relèvent encore que cette rapporteure intervient devant la cour d’appel en qualité de membre du service juridique de l’Autorité, intervention que les sociétés Brenntag prétendent avoir apprise lors d’un échange de courriels avec la Cour pendant la période de confinement et qui serait démontrée par les reproductions à l’identique d’extraits significatifs du rapport dans les observations de l’Autorité du 28 janvier 2020, lesquelles continuent de faire référence à des documents qui ont poussé la Cour à prononcer une annulation de la procédure.
52. Les sociétés Brenntag soutiennent que cette intervention constitue une violation des obligations qui s’imposent à tout membre de l’Autorité, notamment l’obligation générale d’impartialité et les règles de conflit d’intérêts et qu’elle est également une source de violation du principe de l’égalité des armes entre les parties devant la Cour et qu’il appartenait à l’Autorité de prendre les mesures nécessaires pour assurer le respect de ces obligations et principes fondamentaux, ce qu’elle n’a pas fait.
53. Elles en déduisent qu’elles sont empêchées de se défendre sans contrainte et avec un débat véritablement contradictoire devant la Cour depuis la réouverture des débats, les observations de l’Autorité n’étant que le reflet de la position annulée de la rapporteure des services d’instruction et qu’il ne pourra être mis fin à cette atteinte que par une annulation de l’ensemble de la procédure.
54.À titre subsidiaire, elles demandent à ce que l’Autorité et ses écritures soient écartées des débats.
55. L’Autorité estime que la Cour, dans son arrêt du 2 février 2017, a déjà répondu aux arguments des sociétés Brenntag relatifs à l’absence d’objectivité de l’instruction menée dans ce dossier.
56. Quant à l’intervention alléguée du rapporteur à l’instance devant la Cour, l’Autorité considère qu’une telle intervention n’est pas démontrée par la seule circonstance que le rapporteur, devenu membre du service juridique, ait été mis en copie de certains courriels échangés entre les parties et l’Autorité ou avec la cour d’appel.
57. S’agissant des observations écrites qu’elle a déposées, elle rappelle qu’elles ont été signées de sa présidente, contrairement aux actes de procédure d’instruction, notifications des griefs et rapports, qui sont signés des rapporteurs eux-mêmes.
58. Quant au contenu de ces observations, la circonstance que celui-ci s’inspire pour partie de certains éléments qui figuraient dans le rapport faisant suite à la notification des griefs, n’est en rien irrégulière et s’explique par le cadre procédural de l’affaire où la Cour exerce son pouvoir d’évocation à la suite de son arrêt du 2 février 2017 ayant annulé le rapport et partiellement la décision. L’Autorité a ainsi repris les débats au stade de la notification des griefs, pour la bonne information de la Cour.
59. Elle considère que le moyen d’annulation manque en fait et doit donc être rejeté.
60. Le ministre chargé de l’économie développe les mêmes arguments tout en soulignant que si l’Autorité est partie à la procédure devant la cour d’appel de Paris en vertu de l’article R. 464-11 du code de commerce, c’est précisément afin de défendre sa décision et, plus généralement, son analyse du dossier. Il estime que, dans ces conditions, il ne saurait donc être sérieusement reproché à l’Autorité de manquer d’impartialité ou d’objectivité devant la Cour.
61. Il ajoute que l’invocation du principe de la séparation des fonctions d’instruction et de jugement, ainsi que de la jurisprudence afférente de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), n’est pas pertinente en l’espèce, s’agissant d’une affaire sur laquelle l’Autorité a d’ores et déjà statué, et qui doit désormais être examinée par la cour d’appel de Paris. Enfin, il relève qu’il serait problématique, au nom du principe fondamental de l’égalité des armes mis en exergue par les requérantes aux pages 35 et suivantes de leurs conclusions, de faire droit à leur demande, formée à titre subsidiaire, d’écarter l’Autorité et ses écritures de la suite des débats.
62. La société Deutsche Bahn AG demande que lui soit étendue toute décision qui serait rendue dans un sens favorable aux sociétés Brenntag.
63. Les sociétés Solvadis concluent au rejet de l’incident. Elles exposent qu’il n’est pas démontré que le rapporteur ait participé à la rédaction des observations présentées par l’Autorité devant la Cour et qu’à supposer cette intervention démontrée, elle ne contrevient en rien aux obligations et principes fondamentaux d’impartialité, de conflit d’intérêts, et d’égalité des armes qui s’imposent selon les sociétés Brenntag aux membres de l’Autorité dès lors qu’à ce stade de la procédure, la position de l’Autorité est débattue et discutée par l’ensemble des parties devant la Cour et que l’Autorité ne vient pas juger comme cela a pu être le cas en première instance, mais vient ici, comme les autres parties, soutenir sa position dans ce dossier. Elles soulignent le caractère dilatoire et abusif de cette demande d’incident qui illustre, selon elles, une nouvelle fois les stratagèmes utilisés par les sociétés Brenntag pour faire durer encore un peu plus cette procédure initiée avec la notification de griefs adressée aux parties le 5 juin 2012.
64. La société Gaches Chimie conclut au rejet de l’incident au motif d’une part, que la mention parmi les destinataires en copie de l’ancien rapporteur dans les échanges de mails ayant eu lieu avec la Cour pendant la période de confinement ne signifie pas nécessairement qu’il ait été personnellement en charge du dossier, et qu’à supposer même qu’il soit intervenu devant la Cour, aucun conflit d’intérêts n’est démontré et ne saurait dès lors fonder une demande de nullité ; d’autre part, que les sociétés Brenntag sont irrecevables à invoquer les prétendus agissements déloyaux pendant la procédure devant l’Autorité au soutien d’une demande d’annulation sur laquelle la Cour s’est déjà prononcée dans son arrêt du 2 février 2017.
Sur ce, la Cour,
65. La demande d’annulation, en ce qu’elle porte sur l’entière procédure, vise tant la procédure suivie devant l’Autorité que l’instance judiciaire pendante devant la Cour.
66. S’agissant de la procédure devant l’Autorité, la Cour a déjà été saisie d’une demande d’annulation de cette procédure par les sociétés Brenntag, et a statué sur cette demande dans sa décision du 2 février 2017 comme il a été rappelé aux paragraphes 41 à 48 du présent arrêt.
67. Les faits que les sociétés Brenntag allèguent au soutien de cette seconde demande d’annulation, quant au prétendu comportement déloyal et partial de l’un des rapporteurs à leur égard pendant l’instruction, ne sont pas nouveaux.
68. Cette seconde demande, qui n’est donc fondée sur aucun élément qu’elles n’auraient pas été en mesure de connaître lors de leur précédente demande d’annulation, heurte l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt du 2 février 2017 et, par conséquent, est irrecevable.
69. S’agissant de l’instance pendante devant la Cour, il y a lieu de relever, en premier lieu, que les courriels invoqués par les sociétés Brenntag sont ceux échangés entre les parties et l’Autorité pour la transmission à cette dernière de leurs conclusions après l’arrêt du 2 février 2017, ainsi que ceux échangés entre les parties, l’Autorité et le magistrat délégué par le premier président de cette Cour en vue d’exercer les attributions prévues à l’article R. 464-18 du code de commerce, pendant la période d’urgence sanitaire, afin de permettre à ce dernier de suivre et d’aménager le calendrier de procédure fixé initialement dans cette affaire. Ces courriels avaient ainsi pour seule vocation d’organiser les échanges des écritures de chacune des parties dans le respect du principe de la contradiction. Il s’en suit que la circonstance qu’un des anciens rapporteurs, co-auteur du rapport annulé devenu ultérieurement membre du service juridique de l’Autorité, ait été l’un des destinataires, en cette dernière qualité, des courriels ainsi échangés, en vue de s’assurer de leur réception par ce service durant la période particulière d’urgence sanitaire, n’a pas pu porter une atteinte effective et irrémédiable aux droits de la défense des sociétés Brenntag, et pas davantage caractériser une violation du principe de l’égalité des armes ou d’impartialité de la part de l’Autorité.
70. En second lieu, ne peut davantage caractériser une violation de ces droits et principes la circonstance que les observations déposées par l’Autorité, à la suite de l’annulation du rapport et l’annulation partielle de sa décision par l’arrêt du 2 février 2017, reprennent des éléments d’analyse qui figuraient dans le rapport annulé et visent des pièces qui contiennent les propos calomnieux.
71. En effet, l’Autorité, représentée à l’instance par sa présidente, signataire de ces observations, pouvait faire siens ces éléments d’analyse qu’elle estimait pertinents pour défendre sa position sur le bien fondé des griefs qui ont été notifiés par ses services aux sociétés Brenntag et se fonder sur les pièces litigieuses dès lors que ces pièces, que la Cour, dans son arrêt du 2 février 2017 a refusées d’annuler comme il l’a déjà été rappelé au paragraphe 48 du présent arrêt, figurent toujours au dossier.
72. En outre, la Cour constate que ces observations ne contiennent aucune appréciation pouvant laisser croire que l’Autorité donnerait un quelconque crédit aux propos incriminant le conseil des sociétés Brenntag initialement mis en cause, étant relevé, de surcroît, que l’atteinte aux droits de la défense de ces sociétés, née de l’absence de distanciation du rapport à l’égard de propos mettant personnellement en cause l’avocat qui les défendait alors, et qui a seule motivé l’annulation du rapport prononcée par l’arrêt du 2 février 2017, est inopérante dans cette nouvelle phase de la procédure, où le bien fondé des griefs est à nouveau examiné et où les sociétés Brenntag sont représentées par de nouveaux conseils qui ont été en mesure de présenter des observations en défense
73. Rien ne permet, ni ne justifie par ailleurs, d’exclure l’Autorité d’une instance au cours de laquelle est examiné le recours formé contre une décision rendue en application de l’article L. 464-2 du code de commerce, pour les motifs qui seront plus amplement développés aux paragraphes 84 et suivants du présent arrêt.
74. La demande tant d’annulation que celle tendant à ce que l’Autorité et ses écritures soient écartées des débats sont rejetées.
II. SUR LES AUTRES DEMANDES D’ANNULATION DE LA PROCEDURE FORMÉES PAR LES SOCIÉTÉS BRENNTAG
A. Sur la demande d’annulation de l’entière procédure fondée sur la violation du droit à un recours juridictionnel et au principe d’égalité des armes
75. Les sociétés Brenntag concluent à l’annulation de la procédure pour violation irrémédiable de leurs droits de la défense et leur droit à un recours juridictionnel effectif, au motif que l’Autorité a développé dans ses observations du 28 janvier 2020 des arguments nouveaux qui ne figurent ni dans la décision attaquée, ni dans la notification des griefs, et ce comme l’admet expressément l’Autorité dans ses observations aux points 16 et 1388 en ce qu’elle y précise apporter des éléments complémentaires.
76. Elles précisent que ces éléments nouveaux sont :
– les observations préliminaires de l’Autorité relatives à l’arrêt du 2 février 2017 ;
– la partie relative aux éléments recueillis au cours de l’instruction, en particulier les éléments recueillis auprès des sociétés Gaches Chimie, Solvadis, Brenntag SA, Univar, Ciron, et de l’UFCC ;
– certains développements sur les pratiques non établies ;
– quelques développements sur le grief d’entente complexe et continue multilatérale (grief n° 1), par exemple les paragraphes 728 à 755, 817 à 822 avec la qualification de « concertation en étoile dont la société Brenntag SA est le cœur et la région Ouest est le centre de gravité », 841 à 862 ;
– certains développements sur la sanction en paragraphes 1127 à 1176.
77. Elle soutiennent que l’admission de ces nouveaux arguments de l’Autorité prive la société Brenntag d’un recours juridictionnel effectif et viole ses droits de la défense, peu important qu’elles aient eu la possibilité d’y répliquer. Elles invoquent sur ce point à un arrêt rendu par la Cour du 9 avril 2002 (RG n° 01/19855) dont elles citent certains extraits.
78. Elles demandent également que soient écartées les conclusions de la société Gaches Chimie qui excèdent le champ de l’intervention volontaire en ce qu’elles évoquent des pratiques qui n’ont pas fait l’objet de notification de griefs.
79. L’Autorité répond, par ses observations orales formulées à l’audience, que ses écritures ont été établies pour permettre à la Cour d’exercer son pouvoir d’évocation de l’affaire en application de l’effet dévolutif prévu aux articles 561 et 562 du code de procédure civile, lequel impliquait qu’elle présente des observations complémentaires. Elle souligne que les sociétés Brenntag ont déjà exercé leur recours juridictionnel.
Sur ce, la Cour,
80. Le recours juridictionnel effectif, garanti par l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après « CSDH ») ainsi que par l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, exige la mise en œuvre d’un contrôle juridictionnel effectif des décisions par lesquelles l’Autorité inflige des sanctions en cas d’infractions aux règles de la concurrence
81. Ce contrôle juridictionnel est mis en œuvre en droit interne par l’ouverture au profit des entreprises sanctionnées d’un recours devant la présente cour d’appel, laquelle exerce un contrôle de légalité de la décision adoptée par l’Autorité et a également, en cas d’annulation de celle-ci, l’obligation de statuer tant en droit qu’en fait sur les pratiques reprochées et sur leur sanction.
82. En l’espèce, c’est par l’exercice de leur droit de recours que les sociétés Brenntag ont obtenu l’annulation de la décision de l’Autorité. L’appréciation du bien fondé des griefs et de la sanction éventuellement à infliger, à laquelle la Cour doit procéder par suite de cette annulation en vertu de l’effet dévolutif du recours, s’inscrit dans la continuité de ce recours.
83. Le fait que l’Autorité, dans ses observations, a présenté des arguments autres ou complémentaires qui ne figuraient pas dans la notification des griefs ou dans la décision annulée ne saurait donc constituer une violation du droit des sociétés Brenntag à un recours juridictionnel effectif.
84. En outre, il convient de rappeler que, dans l’arrêt du 7 décembre 2010, dit Vebic Confédération flamande regroupant les associations de boulangers et pâtissiers, de glaciers et de chocolatiers, C-439/08, la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après « CJUE »), a dit pour droit que l’article 35 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui n’accorde pas la faculté à une autorité de concurrence nationale de participer, en tant que partie défenderesse, à une procédure judiciaire dirigée contre la décision dont cette autorité est l’auteur. La CJUE a notamment considéré que le fait de ne pas accorder à l’autorité de concurrence nationale les droits en tant que partie au litige et, partant, de l’empêcher de défendre la décision qu’elle a adoptée dans l’intérêt général comporte le risque que la juridiction saisie soit entièrement « captive » des moyens et arguments développés par la ou les entreprises requérantes. Or, la CJUE a souligné que dans un domaine tel que celui de la constatation d’infractions aux règles de concurrence et d’imposition d’amendes, qui comporte des appréciations juridiques et économiques complexes, l’existence même d’un tel risque est susceptible de compromettre l’exercice de l’obligation particulière qui incombe aux autorités de concurrence nationales, en vertu du règlement, de garantir l’application effective des articles 101 TFUE et 102 TFUE.
85. Il en résulte que l’Autorité, à qui l’article R. 464-11 du code de commerce confère la qualité de partie dans les conditions déterminées par les article R. 464-12 et suivants du même code, doit pouvoir défendre la décision qu’elle a adoptée, ou, lorsque comme en l’espèce, sa décision a été annulée, doit pouvoir défendre sa position sur le bien fondé des griefs notifiés, en présentant les arguments qu’il lui apparaissent pertinents sur la matérialité des faits, leur qualification et leur sanction, tant que cette argumentation n’invoque aucun nouvel élément de fait qui ne soit pas issu de l’enquête et de l’instruction et qu’elle reste dans la limite de la qualification retenue par la notification des griefs.
86. Les sociétés Brenntag invoquent également une violation du principe de l’égalité des armes sans toutefois démontrer en quoi la formulation d’arguments nouveaux ou la présentation d’une argumentation plus développée serait de nature à rompre l’équilibre entre les parties en leur faisant perdre toute possibilité de défendre à ces arguments ou en les plaçant dans une situation de net désavantage par rapport à l’Autorité.
87.À cet égard, il y a lieu de constater que la Cour, en ordonnant la réouverture des débats, a permis aux sociétés Brenntag de répondre tant aux griefs notifiés qu’aux observations de l’Autorité déposées le 20 janvier 2020, ce qu’elles ont fait en déposant, le 2 juin 2020, leurs écritures récapitulatives.
88. Le moyen pris de la violation du contrôle juridictionnel effectif et du principe de l’égalité des armes est donc mal fondé et doit être rejeté.
89. Quant aux conclusions de la société Gaches Chimie, force est de constater que cette dernière se borne, dans le dispositif de ses conclusions, qui seul saisit la Cour, à demander le rejet des moyens présentés par les sociétés Brenntag et à statuer ce que de droit sur les griefs notifiés à ces sociétés Brenntag. Ces prétentions n’excédant pas celles de l’Autorité, au soutien de laquelle la société Gaches Chimie intervient, ses écritures n’ont pas à être écartées des débats.
B. Sur la demande d’annulation de la procédure suivie devant l’Autorité fondée sur une violation irrémédiable des droits de la défense
90. Les sociétés Brenntag demandent à la Cour de juger que leurs droits de la défense ont été violés dès le début de l’instruction de manière irrémédiable, de sorte qu’est entachée d’irrégularité non seulement le rapport et la décision rendue par l’Autorité mais également l’ensemble des actes de la procédure, et de dire, qu’en conséquence, aucune sanction ne peut leur être infligée.
91. Elle font valoir, en premier lieu, que la violation irrémédiable de leur droit de la défense, telle que constatée par la Cour dans son arrêt du 2 février 2017, entache d’irrégularité non seulement le rapport et la décision attaquée, comme la Cour l’a jugé, mais également la notification des griefs et les actes antérieurs d’instruction, la Cour ayant elle-même retenu que les pièces litigieuses, versées lors des demandes de clémence, auraient dû être occultées dès l’ouverture de l’accès aux pièces suite à la notification des griefs. Elles soutiennent, que par leur seule présence, ces pièces diffamatoires et calomnieuses à l’égard de leur conseil, versées par la société Solvadis lors de la sa demande de clémence, ont vicié la procédure, la Cour ayant elle-même relevé que les services de l’instruction avaient adhéré aux thèses diffamatoires de ces pièces en prenant un parti injustifié dans le rapport. Elles soulignent que ce parti pris peut ainsi expliquer la fourchette anormalement basse que les services de l’instruction lui ont proposée et les multiples de demandes de renseignement qui leur ont été adressées entre juin et juillet 2012 alors qu’elles préparaient leur réponse à la notification des griefs.
92. Elles soutiennent, en second lieu, qu’elles se trouvent dans une situation moins favorable que s’il n’y avait pas eu d’atteinte à leurs droits dès lors qu’elles sont privées d’un second degré de juridiction, et de la possibilité de recourir à la procédure de non contestation des griefs, laquelle ne peut être mise en œuvre que devant les services de l’instruction de l’Autorité.
93. L’Autorité fait valoir que la Cour d’appel a, dans son arrêt du 2 février 2017, déjà écarté le moyen de nullité de la totalité de la procédure présentée par les sociétés Brenntag.
94. La société Gaches Chimie concluent à l’irrecevabilité de ce moyen de nullité en ce qu’il a déjà été écarté par la Cour dans son arrêt du 2 février 2017.
Sur ce, la Cour,
95. Comme exposé aux paragraphes 41 à 48 du présent arrêt, la Cour a déjà statué, dans son arrêt du 2 février 2017, sur la demande tendant à mettre fin aux poursuites contre les sociétés Brenntag et à l’annulation de l’entière procédure, dernière demande qu’elle n’a accueilli que partiellement en n’annulant que le rapport et la décision attaquée et en rejetant la demande d’annulation du procès-verbal de clémence de la société Solvadis, de l’avis de clémence de cette dernière, de la décision d’auto-saisine et de la notification des griefs.
96. La demande présentée par les sociétés Brenntag tend aux mêmes fins en ce qu’elles prétendent faire juger que l’atteinte irrémédiable à leur droit de la défense, née des propos calomnieux tenus à l’encontre de leur conseil, interdit qu’elles puissent être sanctionnées au titre des pratiques reprochées. Elle n’est fondée sur aucun élément de fait qui n’était pas connu ni sur aucun moyen de droit qui n’aurait pas pu être soutenu lors la première audience. Cette demande heurte donc l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt du 2 février 2017, et doit en conséquence être déclarée irrecevable par application de l’article 1355 du code civil.
97. En revanche, la demande d’annulation fondée sur l’atteinte à leur droit de la défense née de la perte, d’une part, d’un double degré de juridiction et, d’autre part, de la possibilité de recourir à la procédure de non contestation des griefs, invoque des moyens nés de la décision de la Cour du 2 février 2017, et partant, est recevable.
98. S’agissant du premier point, les sociétés Brenntag ne peuvent se plaindre de la perte d’un double degré de juridiction alors que c’est sur leur recours en annulation que la décision adoptée par l’Autorité le 28 mai 2013, qui leur avait infligé une sanction pécuniaire sur le fondement de l’article L. 464-2 du code de commerce, a été annulée par la Cour.
99. S’agissant du second point, la circonstance que le rapport ait été annulé et, par voie de conséquence, la décision en ces dispositions relatives aux sociétés Brenntag, n’est pas de nature à remettre en cause le choix individuel opéré par ces dernières de ne pas opter pour la procédure de non contestation des griefs, les annulations prononcées n’ayant pas eu pour effet d’entraîner, par voie de conséquence, l’annulation de la décision individuelle que les sociétés Brenntag ont prise de contester les griefs qui leur ont été notifiés.
100. Cette demande, mal fondée, sera donc rejetée.
III. SUR LA DEMANDE DE LA SOCIÉTÉ DEUTSCHE BAHN AG, VENANT AUX DROITS DE LA SOCIÉTÉ DB MOBILITY LOGISTICS AG, EN INOPPOSABILITÉ DE LA NOTIFICATION DES GRIEFS
101. La société Deutsche Bahn AG demande à la Cour de constater la violation de son droit à un procès équitable, et de juger, en conséquence que la notification des griefs lui est inopposable.
102. Elle soutient que son droit à un procès équitable au sens de l’article 6, § 1, de la CSDH, en ce qu’il implique celui d’être jugé dans un délai raisonnable, par un tribunal impartial et dans le respect du principe de l’égalité de traitement, n’a pas été respecté en l’espèce.
A. Sur le moyen pris de la violation du droit à être jugé dans un délai raisonnable
103. La société Deutche Bahn AG soutient que la procédure d’instruction n’a pas été menée dans un délai raisonnable puisqu’un délai de plus six ans s’est écoulé entre la première demande de clémence et la notification des griefs alors que l’affaire ne présentait pas de complexité particulière et que son instruction a été facilitée par les éléments d’incrimination fournis par quatre demandeurs à la clémence. Elle souligne qu’à l’exception des sociétés Brenntag et DB Mobility Logistics AG, les autres entreprises mises en cause n’ont pas contesté les griefs et que le caractère excessif du délai de traitement de l’affaire, au regard du délai moyen de traitement d’affaires comparables, est encore accentué par la décision de la Cour de réouvrir les débats à l’encontre des sociétés Brenntag et Deutsche Bahn AG, treize années s’étant d’ores et déjà écoulées entre la première demande de clémence datant de septembre 2006 et ses dernières observations déposées dans le cadre de l’instance pendante devant la Cour.
104. Elle ajoute qu’elle n’a été informée que tardivement de l’instruction menée par l’Autorité la concernant, et ce au mépris du droit, garanti par l’article 6 § 3 de la CSDH, de tout « accusé (...) à être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ». Elle souligne qu’elle n’a jamais été contactée par les services d’instruction de l’Autorité entre le moment où ceux-ci ont procédé aux opérations de visite et saisies, à savoir le 26 avril 2007, et la date d’envoi de la notification des griefs, le 12 juin 2012, soit une durée de plus de 5 ans.
105. Elle fait valoir que la durée excessive de la procédure et l’absence d’information de la conduite d’une instruction sur des pratiques impliquant la société Brenntag SA ont porté une atteinte irrémédiable à ses droits de la défense justifiant l’annulation de l’ensemble de la procédure en ce que :
– elle a été dans l’impossibilité de récupérer auprès de la société Brenntag SA des informations utiles à sa défense, en raison des cessions successives de de la société Brenntag SA, d’abord à la société Bain Capital en février 2004, puis à la société BC Partners en septembre 2006, et de la réorganisation générale du groupe Deutsche Bahn intervenue en juin 2008 ayant conduit à un bouleversement des effectifs. Elle souligne que jusqu’à sa cession par la société Deutsche Bahn AG, la société Brenntag SA a toujours exercé son activité de distribution de commodités chimiques en France en parfaite autonomie de sorte que ses archives ne contiennent aucun élément relatif à l’activité de la société Brenntag SA, hormis de seuls éléments comptables nécessaires à l’établissement de comptes consolidés.
– qu’informée de la procédure qu’au stade de la notification des griefs, elle a été placée dans une situation d’asymétrie d’informations par rapport aux autres entreprises en cause, la privant de la possibilité de recourir à la procédure de clémence. Elle souligne, à cet égard, que l’Autorité, consciente qu’une telle asymétrie d’informations peut porter atteinte au droit à un procès équitable, a modifié sa pratique depuis 2014 en publiant un communiqué de presse à l’issue des opérations de visite et saisies et afin, comme le point 14 de son communiqué de procédure sur la clémence le précise, de remédier à l’asymétrie d’informations existant entre les entreprises non visitées et les entreprises visitées et assurer ainsi l’égalité d’accès au programme de clémence pour ces entreprises.
106. L’Autorité de la concurrence répond, sur la longueur de la procédure, que le dossier présente une ampleur et une complexité particulières en raison notamment de la multiplicité des produits, de la complexité du secteur, du volume et des contradictions des pièces et souligne que la société DB Mobility Logistics AG n’établit pas concrètement en quoi ses droits de la défense auraient été irrémédiablement atteints par la durée de la procédure
107. Sur l’information tardive, elle observe que les conseils des sociétés Deutsche Bahn AG et de DB Mobility Logistics AG, bien qu’ayant pris tardivement contact avec l’Autorité, ont pu préparer leur défense au mieux grâce à la disponibilité des services d’instruction et formuler des réponses détaillées en réponse au rapport, preuve d’une défense préparée. Elle ajoute que la société DB Mobility Logistics AG ne démontre pas en quoi ses droits de la défense auraient été irrémédiablement affectés par le délai de réponse qui lui a finalement été accordés et en quoi les démarches effectuées auprès des conseils ou dirigeants de leur ancienne filiale, ayant connaissance à mettre des faits puisque ayant demandé une clémence, n’aurait pas pu être effectuées entre le 28 juin 2012 et le 24 septembre 2012.
108. Le ministre chargé de l’économie développe des arguments analogues à ceux de l’Autorité.
Sur ce, la Cour,
1. Sur le délai raisonnable
109. Selon une jurisprudence constante, le délai raisonnable prescrit par l’article 6, paragraphe 1, de la CSDH doit s’apprécier au regard notamment de l’ampleur et de la complexité de l’affaire, de son contexte et du comportement des parties au cours de la procédure.
110. Selon une jurisprudence toute aussi constante, la sanction qui s’attache à la violation par l’Autorité de l’obligation de se prononcer dans un délai raisonnable n’est pas l’annulation de la procédure mais la réparation du préjudice résultant éventuellement du délai subi, sous réserve, toutefois, que le délai écoulé durant la phase d’instruction, en ce compris la phase non contradictoire, devant l’Autorité n’ait pas causé à chacune des entreprises, formulant un grief à cet égard, une atteinte personnelle, effective et irrémédiable à son droit de se défendre.
111. Une telle sanction ne saurait donc davantage consister en une inopposabilité de la procédure et plus particulièrement en une inopposabilité des griefs comme le soutient à tort la société Deutsche Bahn AG.
112. En l’espèce, la phase non contradictoire de la procédure qui s’étend de la date de l’auto-saisine du 5 avril 2007 à la notification des griefs du 12 juin 2012 a duré cinq ans et neuf mois, et celle de la phase contradictoire, qui s’étend de la notification des griefs à la décision attaquée adoptée le 28 mai 2013, a duré onze mois de sorte que la durée totale de la procédure devant l’Autorité est de six ans et huit mois.
113. Si ce délai peut sembler de prime abord excéder le délai habituel de traitement des affaires, tel qu’il ressort du tableau comparatif établi par la société Deutsche Bahn AG, cette seule constatation ne suffit pas à démontrer son caractère excessif, lequel doit être apprécié concrètement en tenant compte des particularités propres de l’affaire.
114.À cet égard, il convient de relever que le secteur concerné, celui de la distribution des commodités chimiques, est particulièrement technique et complexe pour porter sur plus de six mille références et compter un nombre important d’opérateurs.
115. L’instruction a porté sur trois séries de pratiques, l’une consistant en une entente sur la facturation des consignes et les frais techniques appliqués par les distributeurs de commodités chimiques à leurs clients, la deuxième consistant en des discussions et échanges entre distributeurs sur les prix d’achat et de vente d’alcool, les volumes et les échanges sur les intentions/souhaits futurs en matière de vente d’alcool, la troisième consistant en la fixation ou l’échange d’informations sur les prix des commodités chimiques (comprenant ou non les frais techniques ou les consignes) et la répartition de clientèle, ces pratiques étant réparties sur plusieurs grandes zones du territoire national, ayant duré jusqu’à sept ans pour la plus longue, et impliquant chacune entre six à huit opérateurs, dont plusieurs appartiennent à des groupes d’envergure supranationale dont la structure a évolué au cours des pratiques et pendant la procédure.
116. Si de nombreux éléments ont été fournis lors des demandes de clémence déposées successivement entre le 20 septembre et le 13 décembre 2006, les services de l’instruction ont dû toutefois vérifier la valeur probante tant des pièces produites que des déclarations faites par chacun des demandeurs à la clémence, étant constaté que de nombreuses pratiques dénoncées n’ont pu être établies, à raison soit d’éléments insuffisamment probants, soit d’éléments erronés (n°919 et suivants de la notification des griefs).
117. Ces vérifications ont été faites notamment au moyen de visites et saisies domiciliaires, qui ont eu lieu dès le mois d’avril 2007 sur plus de quinze sites répartis sur l’ensemble du territoire national, et au cours desquelles un volume très important de pièces a été collecté. Un rapport d’enquête donnant le résultat synthétique de ces visites et saisies a été transmis le 23 novembre 2007 (cote 1479 à 1498) par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). L’exploitation de ce premier rapport a conduit les services de l’instruction à saisir à nouveau la DGCCRF d’un complément d’enquête le 14 avril 2008 (cote 11104), lequel a donné lieu à un rapport transmis le 1er octobre 2008 (cotes 14756 à 14763). De nombreuses auditions et demandes de renseignements se sont ensuite succédé entre 2008 et 2012. Sur les 42 000 pièces collectées au cours de l’instruction, près de 37 000 ont été retenues pour l’établissement des griefs qui ont été notifiés dans un document de près de 350 pages accompagné de plus de 660 annexes.
118. Enfin, l’instruction a été rendue plus complexe du fait des nombreuses contestations des demandes de clémence, tant sur le respect des conditions imposées aux demandeurs que sur la suffisance du contenu de ces demandes ou encore sur les conditions de détention des pièces déposées, imposant de multiples vérifications.
119. Il s’ensuit que compte tenu la complexité du secteur concerné, du nombre d’entreprises mises en cause, de l’ampleur des pratiques dénoncées, et du contexte conflictuel entre les demandeurs à la clémence, la durée de la phase non contradictoire de l’instruction n’est pas excessive.
120. La durée de la phase contradictoire de la procédure d’instruction, onze mois, est, quant à elle, parfaitement justifiée, compte tenu d’une part, du délai incompressible de deux mois ouvert aux sociétés mises en cause pour adresser les observations en réponse aux griefs qui leur ont été notifiés, du recours par certaines d’entre elles à la procédure de non contestation des griefs ayant donné lieu à l’établissement de procès-verbaux par les services de l’instruction les 4 et 5 juillet, 1er août et 17 septembre 2012 contenant des propositions de réduction de la sanction et accordant à chacune de entreprises un délai pour transmettre leur engagement, et d’autre part, du temps nécessaire à la rédaction du rapport, tant à charge qu’à décharge, au délai incompressible de deux mois ouvert aux sociétés mises en cause pour présenter leurs observations sur le rapport qui leur a été notifié, et à l’examen de l’affaire par l’Autorité ainsi qu’à la mise en forme de la décision. Il convient d’observer que le rapport date du 7 novembre 2012 et que l’affaire a été examinée par l’Autorité au cours de sa séance du 26 février 2013, calendrier qui ne témoigne d’aucune carence de l’Autorité dans le traitement de cette affaire.
121.À titre surabondant, la Cour constate que la société Deutsche Bahn AG, qui vient aux droits de la société DB Mobility Logistics AG en tant que société mère de la société Brenntag SA, n’établit pas en quoi cette durée aurait porté une atteinte concrète et irrémédiable à son droit de se défendre.
122. L’argument selon lequel elle a été dans l’impossibilité de récupérer auprès de la société Brenntag SA des informations utiles à sa défense en raison des cessions successives de sa filiale en 2004, puis en 2006 et de la réorganisation de son groupe en 2008, ne peut être accueilli. En effet, il lui appartenait, au titre de l’obligation de prudence et de vigilance qui s’impose à toute entreprise, de veiller, lors de la cession de la société Brenntag SA au profit de la société Bain Capital en 2004, à conserver, en ses propres livres et archives ou par tout autre moyen, tel par exemple un droit d’accès aux archives transférées, les éléments lui permettant de retracer l’activité de sa filiale, afin de disposer des preuves nécessaires pour pouvoir se défendre dans l’hypothèse d’actions judiciaires ou administratives.
123. Quant à la prétendue totale autonomie de sa filiale à son égard qui viendrait expliquer qu’elle ne dispose pas d’éléments lui permettant de se défendre sur les pratiques reprochées à cette dernière, un tel argument est inopérant dans la mesure où en l’absence de contrôle effectif de la part de la société DB Mobility Logistics AG sur sa filiale la société Brenntag SA, la question de sa responsabilité en tant que société mère ne se poserait pas et elle n’aurait donc pas à se défendre sur les agissements de sa filiale. En revanche, si un tel contrôle existait, existence qui sera appréciée au stade de l’imputabilité des pratiques, il lui appartenait de disposer, que ce soit par une conservation en ses archives ou par tout autre moyen, des éléments lui permettant de se défendre contre sa mise en cause personnelle en tant que société mère formant une entreprise unique avec sa filiale.
124. La société Deutsche Bahn AG semble encore reprocher à la Cour d’avoir allongé la durée de la procédure par sa décision de réouvrir les débats sans toutefois préciser en quoi cette décision, prise afin de permettre d’organiser un nouveau débat contradictoire sur le bien fondé de la notification des griefs, aurait porté une atteinte irrémédiable, concrète et personnelle à ses droits de la défense, distincte de celle invoquée au titre de la durée de la procédure devant l’Autorité.
2. Sur la perte de la possibilité de recourir utilement à la procédure de clémence
125. Il y a lieu de rappeler, en premier lieu, que la phase d’instruction préliminaire, durant laquelle l’Autorité fait usage ses pouvoirs d’enquête et qui s’étend jusqu’à la notification des griefs, est destinée à la collecte de tous les éléments pertinents confirmant ou non l’existence d’une infraction aux règles de concurrence et à permettre à l’Autorité de prendre une première position sur l’orientation et la suite ultérieure à réserver à la procédure. En revanche, la phase contradictoire de l’instruction, qui s’étend de la communication des griefs à l’adoption de la décision finale, doit permettre à l’Autorité de se prononcer définitivement sur l’infraction reprochée. Ce n’est qu’au début de la phase contradictoire de la procédure que l’entreprise concernée est informée, par la notification des griefs, de tous les éléments essentiels sur lesquels l’Autorité se fonde à ce stade de la procédure et que cette entreprise dispose d’un droit d’accès au dossier afin de garantir l’exercice effectif de ses droits de la défense. Il s’ensuit que la phase d’instruction préliminaire n’a pas pour objectif de permettre aux entreprises de se défendre, mais de permettre à l’Autorité de réunir tous les éléments nécessaires, cette dernière étant libre de la manière dont elle mène son enquête et de collecter des renseignements auprès des entreprises qu’elle estime susceptibles d’être en possession d’informations utiles.
126. En second lieu, la procédure de clémence prévue à l’article L. 464-2, IV du code de commerce est une procédure incitative destinée à encourager les entreprises à porter à la connaissance de l’Autorité l’existence d’ententes illicites et à lui fournir les éléments de preuve de ces pratiques. Une telle procédure n’a pas pour objectif de permettre aux entreprises de défendre à des accusations de pratiques prohibées mais d’inciter celles qui en sont l’auteur de les dénoncer et d’y mettre fin. Il en résulte que l’existence d’une éventuelle asymétrie d’informations entre d’une part, les entreprises qui, faisant l’objet de visite ou saisie ou d’autres actes d’enquête, ont eu connaissance de cette instruction et peuvent décider de coopérer avec l’Autorité en recourant à la procédure de clémence, et d’autre part, celles qui n’en ont pas eu connaissance, ne saurait caractériser une atteinte au droit de la défense de ces dernières, et partant, une violation du droit à un procès équitable au sens de l’article 6 de la CSDH.
127. À titre surabondant, la Cour relève qu’à supposer que l’Autorité ait informé l’entreprise de l’ouverture d’une procédure juste après la réalisation des opérations de visites et saisies, la société DB Mobility Logistics AG n’aurait pas obtenu d’exonération au titre de la clémence dès lors que l’ouverture de la phase d’instruction fait suite à des demandes de clémences successives ayant porté à la connaissance de l’Autorité les pratiques qui ont été sanctionnées et que ces demandes de clémence avaient déjà donné lieu à des avis de clémence accordant des exonérations. En outre, DB Mobility Logistics AG n’établit pas quel élément supplémentaire elle aurait été en mesure de porter à la connaissance de l’Autorité.
128. Dès lors, le moyen doit être rejeté.
B. Sur la violation du droit à être jugé par un tribunal impartial
129. La société Deutsche Bahn AG, en tant que venant aux droits de la société DB Mobility Logistics AG, fait valoir qu’en raison de l’annulation partielle de la décision de l’Autorité par la Cour et de la décision de poursuivre les débats directement devant elle, il existe un risque, ou du moins l’apparence d’un risque, que l’affaire actuellement réouverte à l’égard de la société Deutsche Bahn AG ait déjà été en réalité préjugée sur la question de la possibilité pour une société mère de bénéficier de la clémence déposée par son ancienne filiale, puisque la Cour en a refusé le bénéfice à la société GEA Group dans son arrêt du 2 février 2017, ce qui laisse craindre qu’elle se sente liée à l’égard de la société Deutsche Bahn AG, par la décision rendue à l’égard de GEA Group, les deux sociétés étant placées dans une situation similaire de deux sociétés mères demandant le bénéfice de la clémence accordée à leur filiale.
130. L’Autorité répond que la Cour est tenue de statuer sur les griefs notifiés à la suite d’une annulation de la décision attaquée. Les parties à l’égard desquelles la Cour s’est déjà prononcée sont distinctes de la société DB Mobility Logistics AG et les arguments avancés par cette dernière différent de ceux de la société GEA Group en ce qu’ils contestent l’imputabilité des pratiques qui ont été mises en œuvre par sa filiale par le renversement de la présomption d’influence déterminante. Elle souligne qu’en tout état de cause, la Cour s’étant totalement renouvelée depuis le 2 février 2017, elle sera en mesure de porter un regard renouvelé sur la situation de la société DB Mobility Logistics AG.
131. Le ministre chargé de l’économie observe que l’analyse selon laquelle la clémence accordée à une filiale ne saurait profiter à son ancienne société mère, avec laquelle elle ne forme plus une unité économique au moment de cette demande, dès lors que cette dernière n’a pas sollicité elle-même le bénéfice de la clémence, ne préjuge en rien de la solution qui sera dégagée par la Cour de céans, autrement composée, dans la mesure où une partie des moyens développés par la société DB Mobility Logistics AG au soutien de ses prétentions sont d’une nature différente, en particulier s’agissant de la question de l’application à la société DB Mobility Logistics AG de la présomption d’influence déterminante.
Sur ce la Cour,
132. Le droit à être jugé par un tribunal impartial exige qu’un juge, qui a connu d’un litige impliquant une partie, ne puisse connaître de ce même litige à l’occasion d’autres fonctions juridictionnelles impliquant cette même partie en raison du risque apparent d’un préjugement sur les prétentions et situation de cette dernière.
133. En revanche, le risque objectif de pré-jugement à l’égard d’une partie ne saurait s’induire de la seule décision prise par le juge, dans la même affaire et en la même qualité, à l’égard d’une autre partie, leurs prétentions fussent-elles identiques, chaque prétention devant être appréciée selon la règle de droit applicable et au regard des éléments et circonstances propres à celui qui la soutient. Ainsi, la seule circonstance que la chambre ait rejetée, dans son arrêt du 2 février 2017 la prétention de la société GEA Group tendant à se voir étendre le bénéfice des effets de la procédure de clémence accordée à sa filiale ne permet pas d’en déduire un risque de pré-jugement partial de la chambre à l’égard de la prétention similaire présentée par une autre partie, la société Deutsche Bahn AG venant aux droit de la société DB Mobility Logistics AG.
134. Le risque objectif de pré-jugement ne saurait davantage résulter de l’application à l’égard de l’égard de cette société de la même règle de droit, appliquée à GEA Group, étant rappelé que la Cour est tenue d’appliquer la loi de manière non discriminatoire.
135. En outre, un tel risque, à supposer qu’il ait pu exister, a disparu en raison de la nouvelle composition de la chambre par des magistrats qui n’étaient pas dans la formation de jugement ayant rendu l’arrêt du 2 février 2017.
136. Le moyen, mal fondé, doit donc être rejeté.
C. Sur la violation du principe de l’égalité de traitement
137. La société Deutsche Bahn AG reproche aux services de l’instruction d’avoir appliqué la présomption d’influence déterminante sur la société Brenntag SA à la société Stinnes AG, devenue DB Mobility Logistics AG, et de l’avoir exclue à l’égard de la société Bain Capital alors, d’une part, que cette dernière a détenu une participation de 99,9 % dans la société Brenntag SA entre février 2004 et septembre 2006 (soit pendant 2 ans et 7 mois), période couverte partiellement par le grief n°1 (dont le terme a été fixé à juin 2005 s’agissant de la société Brenntag SA) et intégralement par le grief n°2 (s’étendant de janvier 2000 à mars 2007 s’agissant de la société Brenntag SA), et d’autre part, que la société Bain Capital a été nommément citée dans la demande de clémence déposée par M. A, pour le compte de la société Solvadis France. Elle ajoute que le dernier acquéreur de la société Brenntag SA, la société BC Partners s’est vu notifier une partie des griefs. Elle en déduit une application discriminatoire de la présomption d’influence déterminante, et donc une violation du principe de l’égalité de traitement qui s’impose à l’Autorité, en invoquant la jurisprudence européenne tirée de l’arrêt rendu par la CJUE du 19 juillet 2012, Alliance One International et autres (C-628/10 et C-14/11, §57-59).
138. L’Autorité répond que, selon une jurisprudence constante, une autorité de concurrence a la faculté mais non l’obligation d’imputer le grief à la seule filiale auteure des pratiques ou de retenir également la responsabilité de la société mère lorsqu’elle exerce une influence déterminante sur sa filiale. Elle ajoute qu’une entreprise ne saurait se prévaloir à son bénéfice d’une illégalité entachant la situation juridique d’une autre entreprise. Partant, dès lors qu’une entreprise a enfreint, directement ou par sa filiale, les règles de concurrence, elle ne saurait échapper à une sanction au motif qu’aucune amende n’a été infligée à d’autres entreprises se trouvant dans des situations similaires. Elle en déduit que l’absence de notification de griefs à la société Bain Capital n’emporte aucun effet sur la situation juridique des mises en cause dans la présente procédure. Elle souligne que la jurisprudence citée par la société Deutsche Bahn AG ne saurait s’appliquer mutatis mutandis puisque, contrairement à l’affaire ici en cause, il était reproché à la Commission d’avoir eu recours, au détriment d’une des parties, à un standard de preuve différent de celui retenu pour les autres mis en cause dans la communication des griefs. Or, dans la présente affaire, la société Bain Capital n’a pas été destinataire de la notification de griefs, ce qui la place dans une situation différente de celle visée par la jurisprudence invoquée.
139. Le ministre chargé de l’économie observe qu’il est de jurisprudence constante que l’Autorité est en droit de ne pas mettre en cause des sociétés qui, compte tenu des constatations de l’enquête et de l’instruction, ne lui apparaissent pas avoir eu une part significative dans la constitution des pratiques dénoncées et que c’est à tort que la société DB Mobility Logistics AG invoque la jurisprudence européenne selon laquelle la même méthode d’imputation à des sociétés mères des pratiques commises par leurs filiales puisqu’il n’y est pas question, comme en l’espèce, de discrimination dans le choix de poursuivre ou non une société mère pour les agissements de sa filiale.
Sur ce, la Cour
140. Le principe d’égalité de traitement requiert que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié. Il en résulte que lorsque l’Autorité, adopte, pour retenir la responsabilité d’une société mère des agissements de sa filiale et lui infliger une sanction, une méthode spécifique, il ne saurait être opéré, par l’application d’une autre méthode pour déterminer une telle responsabilité à l’égard de l’une ou de plusieurs de ces sociétés mères, une discrimination entre les sociétés mères dont les filiales ont participé à ladite entente.
141. En revanche, un tel principe d’égalité de traitement ne requiert pas de l’Autorité de faire application à toutes les sociétés mères successives d’une société poursuivie pour des pratiques anticoncurrentielles de la présomption d’influence déterminante d’une société mère à l’égard de sa filiale à raison de la détention de la quasi-totalité de son capital. L’Autorité dispose de la faculté, mais non de l’obligation, d’imputer la responsabilité de l’infraction à une société mère, lorsque les conditions d’une telle imputation sont remplies, et donc la faculté et non l’obligation d’engager des poursuites en lui notifiant les griefs.
142. La société DB ne saurait donc reprocher à l’Autorité de ne pas avoir poursuivi la société Bain Capital en sa qualité de société mère de la société Brenntag SA pour les pratiques commises par celles-ci.
143. Le moyen doit donc être écarté.
IV. SUR LA DEMANDE D’ANNULATION DU PROCÈS-VERBAL DE CLÉMENCE DE LA SOCIÉTÉ SOLVADIS FRANCE DU 20 SEPTEMBRE 2006 ET DE L’AVIS DE CLÉMENCE N°07-AC-01 DU 7 FÉVRIER 2007, FORMÉE PAR LES SOCIÉTÉS BRENNTAG
144. Les sociétés Brenntag soutiennent que le rang de clémence est affecté d’irrégularités et concluent à l’annulation tant du procès-verbal de clémence que de l’avis de clémence des sociétés Solvadis France.
145. La société Solvadis conclut à l’irrecevabilité de ces demandes au motif que la Cour d’appel a déjà statué.
146. L’Autorité conclut dans le même sens.
Sur ce, la Cour,
147. Dans leurs écritures du 2 mai 2016, les société Brenntag avaient saisi la Cour d’une demande subsidiaire tendant à l’annulation du procès-verbal de clémence du 20 septembre 2006 de la société Solvadis France et de l’avis de clémence n°07-AC-01 de cette même société du 7 février 2007, fondée sur un moyen pris de l’irrégularité de la demande de clémence pour avoir été faite par une personne dépourvue du pouvoir d’agir au nom des sociétés Solvadis et Quaron.
148. Dans leurs dernières écritures, elles reprennent ce moyen pris du défaut de pouvoir de représentation et en ajoutent deux autres : l’un tiré du non-respect par la société Solvadis de la condition tenant à la pertinence des pièces produites au soutien de la demande de clémence lui permettant de bénéficier du premier rang de clémence, de celle tenant à l’obligation ne pas informer les autres entreprises susceptibles d’être mises en cause de la demande de clémence, l’autre tiré du principe de l’égalité de traitement dans les délais de marqueur accordés aux demandeurs à la clémence.
149. La Cour, dans le dispositif de son arrêt du 2 février 2017, a déclaré la demande d’annulation irrecevable faute pour les sociétés Brenntag d’avoir un intérêt à agir pour contester la validité de ces actes.
150. L’autorité de la chose jugée attachée à cet arrêt rend, par application de l’article 1355 du code civil, irrecevable la même demande d’annulation de ces mêmes actes, cette demande fût-elle soutenue par d’autres moyens d’annulation, étant observé que ces moyens sont fondés sur des éléments qui ne sont pas nouveaux pour être connus des sociétés Brenntag lorsqu’elles ont présenté pour la première fois leur demande d’annulation, et qu’ils auraient dû, par conséquent, être présentés la première fois en vertu tant du principe général de la concentration des moyens que de l’obligation faite au demandeur au recours de déposer ses moyens dans le délai fixé à l’article R. 464-15 du code de commerce dans sa rédaction antérieure au décret du 5 mai 2017.
V. SUR LA PRESCRIPTION DES PRATIQUES VISÉES PAR LE GRIEF N°1, EN CAS D’INFRACTION UNIQUE, COMPLEXE ET CONTINUE
151. Les sociétés Brenntag soutiennent que, même si l’infraction visée par le grief n°1 devait être qualifiée d’entente unique, complexe et continue, la prescription décennale de l’article L. 462-7, alinéa 3 du code de commerce serait néanmoins acquise au moins depuis le mois de juin 2015, c’est à dix ans après la date de cessation des pratiques en juin 2005, et au maximum depuis le 16 novembre 2018, soit dix ans après l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 13 novembre 2008 ayant institué ce délai de prescription décennale, dès lors qu’aucune décision de l’Autorité n’a statué sur les pratiques, puisque la décision n° 13-D-12 a été annulée rétroactivement par l’arrêt de la Cour du 2 février 2017. Elles font valoir que ce délai décennal n’a pas pu être suspendu par le recours déposé contre la décision de l’Autorité, cette cause de suspension ayant été introduite à l’article L. 462-7 du code de commerce par une disposition entrée en vigueur postérieurement à la notification des griefs.
152. L’Autorité répond que les dispositions transitoires de l’ordonnance du 13 novembre 2008, prévues à l’article 5, III de cette ordonnance, disposent que l’examen des affaires de pratiques anticoncurrentielles ayant donné lieu à une notification des griefs ou à une proposition de non-lieu avant cette même date [date de la première réunion de l’Autorité de la concurrence] se poursuivent selon les règles de procédure en vigueur antérieurement à cette date, et en déduit que les griefs ayant été notifiés le 12 juin 2012, la prescription décennale s’applique aux pratiques poursuivies. Elle ajoute que ce délai de prescription décennale a pour point de départ le 15 novembre 2008, date d’entrée en vigueur de cette ordonnance l’ayant institué, quand bien même la date de cessation des pratiques est juin 2005, et ce conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation telle que résultant d’un arrêt rendu par la chambre commerciale le 18 février 2014 (pourvoi n° 12-27.643).
153. S’agissant de l’application des nouvelles règles relatives à la suspension de cette prescription, prévues à l’alinéa 5 de l’article L. 462-7 du code de commerce et introduites par la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012, elle rappelle que la cour d’appel a jugé, par un arrêt du 12 décembre 2006, RG n° 06/02510, que « lorsque la prescription n’est pas acquise, les lois relatives à la prescription sont applicables immédiatement aux pratiques commises avant leur entrée en vigueur ».
154. Elle en déduit que les recours formés contre la décision n° 13-D-12 déposés le 28 juin 2013 ont pleinement suspendu, à compter de cette date, l’application de la prescription décennale : la procédure a été initiée avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012, mais le fait générateur de la suspension de la prescription non encore acquise est postérieur à celle-ci de sorte que l’application immédiate de la loi n’a pas d’effet rétroactif.
155. Le ministre chargé de l’économie estime, d’une part, que l’annulation de la décision adoptée par l’Autorité, uniquement à l’égard des sociétés Brenntag et DB Mobility Logistics AG, sans extension à l’ensemble des entreprises impliquées, ne saurait emporter des effets rétroactifs s’agissant de la prescription des faits. Il considère, d’autre part, que la règle de suspension de la prescription introduite par la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012, après la notification des griefs mais avant la décision de l’Autorité, est applicable en l’espèce et que, la Cour n’ayant pas encore rendu, dans cette instance, une décision juridictionnelle irrévocable au fond, la prescription n’est pas acquise.
156. La société Gaches Chimie souligne que les délais écoulés n’ont été que la conséquence de l’usage par les sociétés Brenntag des voies de recours, ce qui ne peut lui porter grief.
Sur ce, la Cour,
157. L’article L. 462-7 du code de commerce, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence, dispose : « L’Autorité ne peut être saisie de faits remontant à plus de cinq ans s’il n’a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction.
Les actes interruptifs de prescription de l’action publique en application de l’article L. 420-6 sont également interruptifs de la prescription devant l’Autorité de la concurrence.
Toutefois, la prescription est acquise en toute hypothèse lorsqu’un délai de dix ans à compter de la cessation de la pratique anticoncurrentielle s’est écoulé sans que l’Autorité de la concurrence ait statué sur celle-ci. ».
158. L’alinéa 3 de ce texte, qui prévoit un délai de prescription décennal à compter de la date de cessation des pratiques nonobstant tout acte interruptif de prescription, a été instauré par l’article 2 de l’ordonnance précitée, laquelle est entrée en vigueur le 15 novembre 2008.
159. En application des dispositions transitoires de cette ordonnance, figurant à son article 5, III, l’examen des affaires de pratiques anticoncurrentielles ayant donné lieu à une notification de griefs ou à une proposition de non-lieu avant la date de la première réunion de l’Autorité, qui a eu lieu le 9 mars 2009, se poursuivent selon les règles de procédure en vigueur antérieurement à cette date.
160. Il en résulte que le délai décennal de prescription instauré par cette ordonnance s’applique aux pratiques ayant donné lieu à une notification de griefs postérieure au 9 mars 2009, et qu’il court à compter de la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance, soit le 15 novembre 2008 à l’égard de ces pratiques lorsqu’elles ont cessé avant cette date.
161. L’article 13 de la loi n°2012-1270 du 20 novembre 2012, entrée en vigueur le 22 novembre 2012, a inséré à l’article L. 462-7 du code de commerce un quatrième alinéa qui précise que, lorsque la décision de l’Autorité a fait l’objet d’un recours en application de l’article L.464-8 du code de commerce, le délai décennal de prescription est suspendu à compter du dépôt du recours jusqu’à la notification à l’Autorité d’une décision juridictionnelle irrévocable.
162. Cette disposition est une loi de procédure qui, comme toute loi de procédure, en l’absence de disposition transitoire contraire, est d’application immédiate sauf si cette application immédiate conduit à lui faire produire un effet rétroactif.
163. S’agissant d’une loi qui ne prévoit pas un nouveau délai de prescription mais attache à un événement précis, à savoir le dépôt d’un recours contre une décision de l’Autorité, un effet suspensif de prescription, son application immédiate est de nature à lui faire produire un effet rétroactif si elle conduit à remettre en cause une prescription acquise, ou à conférer un effet suspensif à un recours déposé avant son entrée en vigueur.
164. En l’espèce, le grief n°1, qui porte sur une entente unique, complexe et continue de juillet 1997 à juin 2005, ayant été notifié aux sociétés Brenntag le 12 juin 2012, le délai de la prescription décennale prévue à l’alinéa 3 de l’article L. 462-7 du code de commerce s’applique et a commencé à courir à compter du 15 novembre 2008 pour expirer le 15 novembre 2018.
165. Cette prescription n’étant pas acquise à la date d’entrée en vigueur de la loi du 20 novembre 2012, et les recours contre la décision adoptée par l’Autorité ayant été déposés les 28 juin et 1er juillet 2013, soit postérieurement à son entrée en vigueur, ces recours ont produit l’effet suspensif de prescription en application de la loi précitée de sorte que le délai a été suspendu, au plus tôt à compter du 28 juin 2013 et au plus tard, à compter du 1er juillet 2013. Ce délai est toujours suspendu en l’absence de décision juridictionnelle, devenue irrévocable à l’égard de la société Brenntag SA, sur les pratiques anticoncurrentielles reprochées à cette dernière.
166. Le moyen tiré de la prescription de l’infraction unique, complexe et continue, visée par le grief n°1, doit donc être écarté.
VI. SUR L’EXISTENCE D’UNE INFRACTION UNIQUE, COMPLEXE ET CONTINUE
A. Sur l’opposabilité aux sociétés Brenntag du choix procédural de non-contestationdes griefs opéré par les autres entreprises poursuivies
167. Les sociétés Brenntag soutiennent que le choix de certaines entreprises de recourir à la procédure de non contestation des griefs ne lui est pas opposable et ne saurait leur interdire de contester la qualification d’entente unique, complexe et continue retenue par le grief n°1 qui leur a été notifié.
168. Elles estiment que la jurisprudence invoquée par l’Autorité, issue de l’arrêt dit Manpower (Cass Com., 29 mars 2011, n° 10-12.913 et 10-13.686), selon laquelle le recours à la procédure de non contestation des griefs aurait pour effet de la dispenser de caractériser, à l’égard des entreprises qui n’y ont pas recouru, l’infraction unique, complexe et continue, est isolée et ne saurait être généralisée sauf à méconnaître ses droits de la défense. Elles soulignent à cet égard, que l’Autorité, elle-même, a pris ses distances avec l’arrêt précité pour avoir, dans son communiqué de 2012, prévu au point 42 que « Lorsqu’elle estime que des circonstances particulières le justifient, l’Autorité peut néanmoins être conduite à ne pas retenir tout ou partie d’un ou plusieurs griefs, nonobstant le fait qu’il(s) n’a ou n’ont pas été contesté(s) ».Elles ajoutent que la non-contestation des griefs n’est ni un aveu, ni une reconnaissance de culpabilité, de sorte qu’elle ne peut être opposée aux tiers et ne peut suffire à établir l’existence et la nature de l’entente.
169. L’Autorité répond que le choix procédural de non contestation des griefs effectué par certaines sociétés est opposable aux sociétés Brenntag de sorte que la qualification d’entente unique, complexe et continue ne peut pas être contestée et que l’Autorité n’a, à l’égard des sociétés Brenntag, qu’à démontrer leur participation à une telle entente, comme l’a jugé la Cour de cassation dans l’arrêt dit Manpower cité par les sociétés Brenntag. Elle conteste toute remise en cause de sa part de cette jurisprudence et précise que le point 42 de son communiqué procédure n’exprime que le fait que le Collège n’est pas lié par la non-contestation des griefs dans sa propre appréciation de ceux-ci, et que le point 43 se réfère d’ailleurs expressément à cette jurisprudence en rappelant que « Dès lors que d’autres parties mises en cause contestent les griefs qui leur ont été notifiés, l’Autorité demeure en revanche tenue de démontrer leur participation aux pratiques anticoncurrentielles en cause ». Elle conclut que cette jurisprudence est applicable et en déduit que, le grief n°1 étant établi à l’égard des entreprises qui n’ont pas contesté ce grief comme les sociétés Solvadis, Solvadis GmbH, Solvadis Holding SARL, GEA Group Aktiengesellschaft, Univar SAS, Univar France SNC, Univar France BV, Univar Europe Holdings BV, Univar, seule la participation individuelle des entreprises qui n’ont pas fait ce choix, les sociétés Brenntag et DB Mobility Logistics AG, doit être démontrée.
170. Le ministre chargé de l’économie soutient qu’en application de la jurisprudence Manpower, seule doit être discutée la question de la participation aux pratiques anticoncurrentielles des parties qui ont choisi de contester les griefs.
Sur ce, la Cour,
171. Le principe de la présomption d’innocence, qui est une expression du principe des droits de la défense, constitue un principe général du droit de l’Union énoncé à l’article 48, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux, lequel s’applique aux procédures relatives à des violations des règles de concurrence applicables aux entreprises susceptibles d’aboutir à la prononciation d’amendes ou d’astreintes (voir arrêt CJUE du 22 novembre 2012, E.ON Energie, C-89/11, points 72 et 73 et jurisprudence citée).
172. Un tel principe requiert que toute personne accusée, est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. Il s’oppose ainsi à tout constat formel et même à toute allusion ayant pour objet la responsabilité d’une personne accusée d’une infraction donnée dans une décision mettant fin à l’action, sans que cette personne ait pu bénéficier de toutes les garanties inhérentes à l’exercice des droits de la défense dans le cadre d’une procédure suivant son cours normal et aboutissant à une décision sur le bien-fondé de la contestation (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal de l’Union européenne, ci-après TUE du 10 novembre 2017, Icap e.a, T-180/15, point n°257 et jurisprudence citée).
173. La présomption d’innocence s’oppose à ce que les éléments retenus contre les sociétés ayant choisi de ne pas contester les griefs puissent à eux seuls établir la responsabilité d’une société qui ne relève pas de ce cadre procédural sans que cette dernière ait pu bénéficier des garanties inhérentes à l’exercice des droits de la défense.
174. Les sociétés qui contestent les griefs doivent, par conséquent, être mises en mesure de se défendre sur la matérialité des faits qui leur sont reprochés, quand bien même ces faits sont ceux qui, en tout ou partie, servent de support aux griefs notifiés aux entreprises qui ont choisi de ne pas les contester, ainsi que sur leur qualification juridique, et quand bien même ces mêmes entreprises ont renoncé à contester cette qualification.
175. Il appartient dès lors à la Cour de vérifier le bien fondé de cette qualification à l’égard des sociétés Brenntag quand bien même les sociétés Solvadis, Univar et Caldic Est ont renoncé à la contester en choisissant de recourir à la procédure de non contestation des griefs.
B. Sur la qualification d’infraction unique, complexe et continue
176. Les sociétés Brenntag concluent à l’absence d’entente unique, complexe et continue faute de réunion des conditions de qualification et de participation exigées par la jurisprudence européenne, et demandent à la Cour, en conséquence, de juger que les pratiques mises en œuvre dans chacune des zones géographiques visées par la notification des griefs sont prescrites, de sorte qu’aucune amende ne peut leur être infligée.
177. Au soutien de leurs prétentions, elles font valoir, en premier lieu, l’absence d’identité de ces pratiques dès lors que toutes les entreprises mises en cause n’étaient pas parties à toutes celles mises en œuvre dans chaque zone géographique, que ces pratiques ont chacune commencé et fini à des dates différentes, qu’elles ont porté sur des produits différents (lessive de soude dans le Nord, solvants et chimie minérale en Rhône-Alpes, chimie minérale en Bourgogne et dans l’Ouest , chimie minérale entre les sociétés Brenntag et Solvadis et solvants entre les sociétés Brenntag, Soldavis et Univar), qu’elles n’étaient pas de même nature, la double pratique de répartition de clientèle et de coordination tarifaire visée par la notification des griefs, n’ayant pas été mise en œuvre dans toutes les zones géographiques, que leur modalités de mise œuvre sont également différentes selon les zones, de sorte qu’il n’existe ni lien d’identité, ni lien de complémentarité ou d’interdépendance entre ces pratiques, pourtant nécessaires à la démonstration de l’élément objectif de l’infraction unique. Elles soutiennent que ces pratiques régionales étaient isolées et mises en œuvre selon des modalités distinctes, sans aucune interaction ou coordination entre elles.
178. Elles font valoir, en deuxième lieu, l’absence de conscience des entreprises participantes aux pratiques d’adhérer à un plan global de la part d’au moins deux d’entre elles, élément subjectif nécessaire à la qualification d’entente unique complexe et continue que la notification des griefs a omis de vérifier. Elles soulignent qu’un tel élément n’existe pas puisque les entreprises concernées avaient uniquement la volonté de s’entendre localement sur la zone où elles exercent leur activité, et qu’aucune réunion multilatérale n’a eu lieu. Elles contestent le postulat de la notification des griefs selon lequel la société Brenntag SA, ayant participé à toutes les ententes, avait la conscience d’adhérer à un plan global, alors que la preuve n’en est pas rapportée et que si tel était le cas, la conscience d’une seule entreprise d’adhérer à un plan global ne suffit pas, une entente unique supposant la conscience d’au moins deux entreprises d’y adhérer. Elles contestent également l’affirmation de la notification de griefs selon laquelle la direction générale de la société Brenntag SA avait connaissance des pratiques mises en œuvre sur le plan local.
179. Elles font valoir, en troisième lieu, l’absence de plan global visant un objectif unique poursuivi par les entreprises participantes à l’entente. Elles soulignent que la notification des griefs définit cet objectif unique comme celui de « coordination tarifaire et de la stabilisation des parts de marché respectives de chacun des membres de la concertation » alors que ces objectifs anticoncurrentiels sont inhérents aux pratiques mises en œuvre. Elles soulignent qu’il ne suffit pas d’affirmer que les pratiques ont toute pour objet de fausser le jeu de la concurrence pour caractériser l’objet unique d’un plan global et alors qu’aucun accord sur un objectif commun n’a été conclu entre les entreprises participantes lors de la mise en œuvre des pratiques régionales auxquelles elles ont participé.
180. Elles soutiennent que l’absence d’infraction unique, complexe et continue doit conduire à une application de la prescription aux pratiques zone par zone où elles ont été mises en œuvre, ce dont il résulte que les pratiques sont prescrites dans la zone Nord par application de la prescription triennale et dans les zones Ouest, Bourgogne et Rhône-Alpes par application de la prescription décennale.
181.À titre subsidiaire, si la qualification d’infraction unique devait être retenue par la Cour, elles soutiennent que l’infraction ne présente pas de caractère continu en raison de la longue interruption de pratiques mises en œuvre dans la zone Rhône-Alpes, celles-ci ayant véritablement cessé en juin 2003 pour ne reprendre qu’à compter de décembre 2003, période d’interruption pendant laquelle il n’y a eu ni réunion, ni contact, ni échanges, comme la notification des griefs l’a constaté. Elles soulignent que cette période a été suffisamment longue au regard du fonctionnement de l’entente structurée autour de contacts fréquents et réguliers pour faire échec au caractère continu de l’infraction. Elles ajoutent que les pratiques ont repris à compter de décembre 2003 selon une autre modalité que celle mise en œuvre jusqu’en juin 2003, pour se limiter à un pacte de non agression, comme l’admet l’Autorité. Elles en déduisent que les pratiques ne peuvent donc présenter un caractère continu dans la zone Rhône-Alpes, que l’infraction unique a pris fin en 2003, de sorte que la prescription est acquise.
182. L’Autorité fait valoir que l’ensemble des accords et pratiques concertées sur chacune des zones identifiées, dont la matérialité n’est pas contestée, ne peut être analysé comme un simple parallélisme de comportements ou même une pratique simple de dimension nationale déclinée à des échelons régionaux, mais en raison d’une forte identité d’objet et de leur contribution à la réalisation d’un plan anticoncurrentiel commun, il convient de retenir l’existence d’une pratique unique, complexe et continue, et ce conformément aux critères retenus par la jurisprudence tant interne que du droit l’Union.
183. Elle souligne, qu’il résulte de cette jurisprudence, que pour pouvoir considérer qu’un ensemble de comportements donnés constitue une infraction unique et complexe, il est nécessaire que ces différentes actions s’inscrivent dans un « plan d’ensemble », en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence au sein du marché intérieur et que si tel est le cas, l’autorité de concurrence est en droit de les considérer dans leur ensemble et d’en imputer la responsabilité aux entreprises qui y ont pris part.
184. Elle précise, d’une part, que le « plan d’ensemble » s’apprécie au travers des convergences qui se dégagent des différentes pratiques constitutives de la pratique unique et que ces convergences permettent de déterminer l’existence d’un objectif unique poursuivi par les participants aux pratiques et, d’autre part, que l’existence d’un tel objectif commun doit être appréciée au regard du seul contenu des accords ou pratiques en cause, et ne doit pas être confondue avec l’intention subjective des différentes entreprises de participer à une infraction unique et complexe.
185. Elle estime, en l’espèce, que les entreprises participantes aux ententes ont poursuivi le double objectif de préserver leur part de marché et d’améliorer leur marge, et ont faussé la concurrence sur le marché en recourant à des pratiques de répartition de clientèle et de coordination tarifaire. Elle considère que ce double objectif constitue le plan d’ensemble requis par la jurisprudence et la pratique décisionnelle en raison des liens de similarité et de complémentarité entre les pratiques lesquels ne doivent pas être compris comme une condition supplémentaire de l’existence d’une infraction unique mais comme des indices objectifs de l’existence d’un plan d’ensemble.
186. Elle conteste toute exigence d’un élément subjectif pour démontrer l’existence d’une infraction unique complexe et continue et invoque sur ce point l’arrêt du TUE du 3 mars 2011 (affaire Siemens, T-122/07) ,qui a jugé que l’objectif commun des accords et pratiques est un critère qui doit être apprécié au regard du seul contenu de ces accords et pratiques et ne doit pas être confondu avec l’intention subjective des différentes entreprises de participer à une entente unique et continue, cette intention subjective ne pouvant et ne devant être prise en compte que dans le cadre de l’appréciation de la participation individuelle d’une entreprise à un tel accord unique et continu.
187. Sur le caractère continu de l’infraction, elle souligne que si les pratiques en zone Rhône-Alpes ont été suspendues à partir de juin 2003, elles ont repris au cours de l’automne 2003 d’abord sous la forme d’un pacte de non agression puis selon les mêmes modalités à compter de décembre 2003 pour ne cesser qu’en juin 2005, de sorte que la période de suspension n’a duré que six mois.
188. Le ministre chargé de l’économie considère que les services d’instruction ont mis en évidence le lien existant entre les pratiques régionales, ce qui leur a permis de retenir une infraction unique, complexe et continue, en se fondant sur un faisceau d’indices précis, graves et concordants établissant l’existence de l’infraction, d’un plan d’ensemble visant un objectif unique, ainsi que de liens de similarité et de complémentarité entre les pratiques (paragraphes 1428 à 1513 de la notification de griefs).
189. Il souligne que quand bien même les éléments constitutifs des différentes pratiques régionales ne sont pas parfaitement identiques, la notification des griefs a mis en évidence que les ententes avaient toutes débuté entre fin 1997 et 1998 et porté sur la distribution d’une même famille de produits (les commodités chimiques, soit les solvants et les produits de la chimie minérale conditionnés et en vrac), que les pratiques, qui se sont toutes matérialisées par une double pratique de répartition de clientèle et par une coordination tarifaire, interdépendantes l’une de l’autre (paragraphe 1435 de la notification de griefs), avaient impliqué les différents distributeurs des zones concernées selon des modalités similaires de conception et de mise en œuvre (paragraphes 1439 à 1444).
190. Il ajoute que les rapporteurs ont également montré que le contexte réglementaire et économique difficile auquel les protagonistes faisaient face a constitué le terreau commun des pratiques incriminées (notamment paragraphes 90 à 109 de la notification de griefs) et que dans un tel contexte, les pratiques poursuivaient le double objectif de préserver les parts de marché des entreprises participantes et d’améliorer leurs marges, ainsi qu’il ressort notamment des déclarations de la société Univar dans le cadre de sa demande de clémence (paragraphes 1433 et 1434 de la notification de griefs).
191. Il souligne que les dirigeants des trois entreprises ayant déposé des demandes de clémence avaient conscience de la mise en œuvre des pratiques sur les différentes zones concernées, en étant informés à l’occasion de réunions de concertation auxquelles certains dirigeants ont participé directement, ou bien lors des comités de direction dans le cas de la société Brenntag (paragraphes 828 et suivants et 1441 de la notification de griefs).
192. Il considère que les éléments du dossier, appréciés dans leur ensemble, permettent d’établir l’existence du concours de volontés des entreprises en cause et rappelle que la démonstration de l’accord de volontés doit s’entendre au niveau de chaque bloc de concertation, la conscience des protagonistes d’adhérer au plan global n’étant pas exigée par la jurisprudence européenne aux fins de qualifier les agissements d’infraction unique mais pour apprécier la participation et les responsabilités individuelles. Il invoque sur ce point les arrêts du TUE, du 3 mars 2011, Siemens, T-122/07 et du 24 mars 2011, Aalberts Industries e.a., T-385/06, et de la CJUE du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens, C 441/11 P et du 26 janvier 2017, Villeroy & Boch, C-644/13 P).
193. La société Gaches Chimie conteste la dimension locale ou régionale des ententes en soulignant qu’elles ont concerné la quasi-totalité du marché français de la distribution des commodités chimiques, que les clients eux-mêmes avaient une dimension nationale et que la connaissance qu’avaient les directions générales des sociétés impliquées des différentes ententes mises en œuvre localement témoigne de leur conscience de participer à un système d’entente globale.
194. Elle souligne qu’elle-même, implantée dans le sud-ouest et cliente de la société Brenntag pour les produits dont celle-ci détenait l’exclusivité de la distribution, ne choisissait pas le dépôt à partir duquel elle se faisait livrer, lequel choix appartient au distributeur en fonction de la disponibilité du produit, de sorte qu’il est illusoire de prétendre qu’un client ne serait victime de l’entente que de façon aléatoire selon que la livraison a été faite selon tel ou tel dépôt, et qu’en réalité, la pluralité de dépôts chez certains distributeurs et leur organisation commerciale ne signifie pas pluralité des marchés locaux ou régionaux.
195. Elle ajoute qu’il est peu crédible que les ententes ne portaient que sur un ou seulement quelques produits dès lors que le rôle d’un distributeur de commodités chimiques est de permettre un approvisionnement des clients de l’ensemble des leurs besoins en commodités chimiques (« global sourcing » et/ou vente en gammes et de portefeuille), de sorte que ce n’est pas le produit qui est cartellisé mais le client.
Sur ce, la Cour,
196. Selon une jurisprudence tant interne qu’européenne, une violation de l’article 101, paragraphe 1, du TFUE peut résulter non seulement d’un acte isolé, mais également d’une série d’actes ou bien encore d’un comportement continu, quand bien même un ou plusieurs éléments de cette série d’actes ou de ce comportement continu pourraient également constituer, en eux-mêmes et pris isolément, une violation de ladite disposition. Ainsi, lorsque les différentes actions s’inscrivent dans un « plan d’ensemble », en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence dans le marché intérieur, la responsabilité de ces actions peut être imputée aux entreprises ayant pris part à tout ou partie de ces comportements en fonction de la participation à l’infraction considérée dans son ensemble (voir, en ce sens, notamment, arrêt de la CJUE du 24 juin 2015, Fresh Del Monte Produce, C-293/13 P et C-294/13 P, point 156 ainsi que la jurisprudence citée).
197. Il résulte également de la jurisprudence européenne qu’il convient d’opérer une distinction entre la qualification des agissements anticoncurrentiels en une infraction unique, d’une part, et l’imputabilité aux entreprises concernées de la responsabilité de ladite infraction dans sa globalité, d’autre part (arrêt du TUE du 15 décembre 2016, Infineon Technologies, T-758/14, point 226, approuvé, dans la même affaire, par un arrêt de la CJUE du 26 septembre 2018, C-99/17 P, point 174).
198. S’agissant du premier point, l’existence d’une infraction unique suppose un ensemble de comportements adoptés par différentes entreprises poursuivant un même but économique anticoncurrentiel. Le fait que les différentes actions des entreprises s’inscrivent dans un « plan d’ensemble », en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence, est déterminant pour retenir l’existence d’une infraction unique, (voir en ce sens, arrêt du TUE, 12 juillet 2019, Quanta Storage Inc, T-772/15 point 210 et jurisprudence citée). Contrairement à ce que soutiennent les sociétés Brenntag, les liens d’identité ou de complémentarité entre les divers agissements anticoncurrentiels ne sont pas une condition de la qualification de ces agissements en infraction unique mais peuvent constituer des indices objectifs de l’existence d’une telle infraction, en ce qu’ils sont de nature à établir que ces comportements s’inscrivaient dans le cadre d’un plan d’ensemble poursuivant un objectif unique.
199. Ainsi, l’existence de ce plan d’ensemble poursuivant un objectif unique peut se déduire d’un faisceau d’indices graves, précis et concordants pouvant porter, notamment, en fonction des circonstances propres à chaque cas d’espèce, sur la similarité ou la complémentarité des comportements, des acteurs et de la chronologie des pratiques, sans qu’il soit exigé une identité quasi absolue entre ces comportements et cumulativement, la preuve de leur caractère complémentaire, comme le soutiennent à tort les sociétés Brenntag.
200. La CJUE a, en outre, rappelé que pour qualifier différents agissements d’infraction unique, il n’y a pas lieu de vérifier s’ils présentent un lien de complémentarité, en ce sens que chacun d’entre eux est destiné à faire face à une ou à plusieurs conséquences du jeu normal de la concurrence, et contribuent, par une interaction, à la réalisation de l’ensemble des effets anticoncurrentiels voulus par leurs auteurs, dans le cadre d’un plan global visant un objectif unique. En revanche, la condition tenant à la notion d’objectif unique implique qu’il doit être vérifié s’il n’existe pas d’éléments caractérisant les différents comportements faisant partie de l’infraction qui soient susceptibles d’indiquer que les comportements matériellement mis en œuvre par d’autres entreprises participantes ne partagent pas le même objet ou le même effet anticoncurrentiel et ne s’inscrivent par conséquent pas dans un « plan d’ensemble » en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence au sein du marché intérieur (voir, en ce sens, CJUE,19 décembre 2013, Siemens e.a. C-239/11 P, C-489/11 P et C-498/11 P, points 247 et 248 ; 26 janvier 2017,Villeroy& Boch, C-644/13 P point 248).
201. Il se déduit également de ces jurisprudences que le critère déterminant de l’infraction unique est la finalité commune des comportements anticoncurrentiels mis en œuvre de sorte qu’en présence d’éléments permettant d’établir que les pratiques s’inscrivent dans un plan d’ensemble poursuivant un objectif unique, elles caractérisent une infraction unique et complexe sans qu’il y ait lieu, comme le soutiennent à tort les sociétés Brenntag, d’établir la volonté d’au moins deux entreprises de conclure un accord portant sur un tel plan.
202. S’agissant du second point tenant à l’imputabilité de la responsabilité, il résulte d’une jurisprudence européenne constante (CJUE, Villeroy&Boch précité, points 48 et 49 et jurisprudence citée) qu’une entreprise ayant participé à l’infraction par des comportements qui lui étaient propres, qui relevaient des notions d’accord ou de pratique concertée ayant un objet anticoncurrentiel et qui visaient à contribuer à la réalisation de l’infraction dans son ensemble, peut ainsi être responsable des comportements mis en œuvre par d’autres entreprises dans le cadre de la même infraction pour toute la période de sa participation à ladite infraction. Tel est le cas lorsqu’il est établi que ladite entreprise entendait contribuer par son propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l’ensemble des participants et qu’elle avait eu connaissance des comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par d’autres entreprises dans la poursuite des mêmes objectifs, ou qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir et qu’elle était prête à en accepter le risque.
203. Ainsi, si la responsabilité de l’infraction, dans sa globalité, peut être imputée à une entreprise qui a directement participé à l’ensemble des comportements anticoncurrentiels composant l’infraction unique et continue, elle peut également être imputée à une entreprise qui n’a directement participé qu’à une partie de ces comportements dès lors qu’elle a eu connaissance de l’ensemble des autres comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par les autres participants à l’entente dans la poursuite des mêmes objectifs, ou avoir pu raisonnablement les prévoir et avoir été prête à en accepter le risque. (CJUE, Villeroy&Boch, précité).
204. L’élément subjectif, tel qu’invoqué par les sociétés Brenntag, n’est donc requis qu’au stade de l’appréciation de l’imputabilité de la responsabilité d’une infraction unique, et non pour déterminer au préalable l’existence d’une infraction unique. Il s’en déduit que contrairement à ce que soutiennent les sociétés Brenntag, pour qualifier divers comportements d’infraction unique, il n’est pas nécessaire de démontrer que toutes les entreprises qui ont pris part à ces agissements ou à certains d’entre eux avaient l’intention de contribuer par ce comportement à l’objectif commun et avaient connaissance des comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par toutes les autres entreprises.
205. C’est à l’aune de cette jurisprudence qu’il convient d’apprécier le bien fondé du grief notifié aux sociétés Brenntag d’avoir participé à une infraction unique, complexe en mettant en œuvre, dans plusieurs zones géographiques du territoire français, des accords et pratiques concertées participant au même objectif global visant, d’une part, à fixer en commun les prix de vente de l’ensemble des commodités chimiques en répercutant simultanément les hausses tarifaires de leurs fournisseurs respectifs en matière de solvants et de chimie minérale et, d’autre part, la stabilisation de leurs parts de marché par le biais de pratiques de répartition de clientèle (attribution des clients, répartition des commandes par volumes ou par périodes, offres de couverture).
206. La Cour doit déterminer si les éléments apportés par les demandeurs de clémence et ceux recueillis pendant l’instruction permettent :
– en premier lieu, d’établir l’existence des accords et pratiques concertés mis en œuvre dans plusieurs zones géographiques visées par la notification des griefs ;
– en deuxième lieu, de qualifier ces agissements en infraction unique, complexe et continu en vérifiant si celles-ci s’inscrivaient dans un plan d’ensemble poursuivant un objectif commun ;
– en troisième lieu, d’établir la participation de la société Brenntag SA à cette infraction unique.
1. Sur l’existence et le contenu des accords et pratiques concertés
207. Les sociétés Brenntag ne contestent pas la matérialité des accords et concertations horizontales mis en œuvre dans chacune des quatre zones géographiques, telle qu’établie dans la notification des griefs à partir d’une part, des déclarations et pièces remises par les entreprises dans leur demande de clémence, des pièces saisies et des déclarations recueillies au cours des auditions réalisées par les rapporteurs, et récapitulées aux pages 68, 121, 169 et 191 ainsi qu’au point 1428 de la notification des griefs. Il résulte des éléments ainsi retenus que :
Dans la zone géographique « Nord » (département du Nord)
208. Des accords et pratiques concertées, du 17 décembre 1997 à septembre 2001ont été mis en œuvre par les entreprises Brenntag SA, RPC Clément (filiale de Langlois- Chimie devenue Solvadis) et Districhimie (devenue Quaron) consistant, premièrement, à coordonner leurs pratiques tarifaires en répercutant des hausses de prix des fournisseurs de lessive de soude, deuxièmement, à se répartir les commandes principalement celles de lessive de soude, et accessoirement, d’autres commodités chimiques, notamment par le biais de pactes de non agression, en s’abstenant de démarcher les clients fidèles des distributeurs et par le biais d’offres de couverture, en s’allouant les clients qui procédaient régulièrement à des mises en concurrence, notamment en coordonnant leurs offres tarifaires (paragraphes n° 211 à 255 de la notification de griefs).
209. La concertation, initialement nouée pour faire échec à l’entrée d’un concurrent belge (la société Holvoet), a perduré au-delà de la tentative de pénétration du marché français de cette société, afin de préserver les parts de marché des entreprises participantes.
210. Il résulte de l’instruction que la pratique a été mise en place à la suite d’une première réunion de concertation dans la région lilloise sur l’initiative de la société Brenntag SA (paragraphes n°156 à 174 de la notification des griefs et les cotes citées).
211. Il résulte de la déclaration de la société Brenntag SA faite lors de la procédure de clémence, corroborée par les éléments recueillis au cours de l’instruction (paragraphes n°180 et suivants de la notification des griefs et cotes citées) que cette concertation a pris la forme, d’une part, de réunions régulières tous les trois ou quatre mois dans des lieux publics (restaurants, hôtels de la région lilloise), en fonction des réajustements des prix opérés par les sociétés Brenntag SA, Districhimie et RPC-Clément à la suite des modifications de prix des fournisseurs de commodités, principalement la lessive de soude. À l’occasion de ces réunions, les trois distributeurs se répartissaient les clients communs. D’autre part, ont eu lieu des contacts téléphoniques réguliers mais peu fréquents entre les représentants des trois entreprises qui consistaient principalement à vérifier l’exactitude des prix proposés par les parties à la concertation et accessoirement se répartir des clients. Enfin, l’instruction a démontré que la société Brenntag SA s’assurait de la bonne mise en œuvre des pratiques décidées en concertation (paragraphes186 et 187 de la notification des griefs et cotes citées).
Dans la zone « Rhône-Alpes » ou « Centre » (départements de l’Ardèche et du Rhône)
212. Des accords et pratiques concertées ont été mis en œuvre, de septembre 1998 à juin 2003, dans une première phase, puis, de décembre 2003 à juin 2005, dans une seconde phase, entre les entreprises Brenntag, Marce (acquise par la société Brenntag en 2001), Lambert-Rivière (détenue par le groupe Vopack devenu Univar en 2002), Vaissière-Favre (détenue par le groupe Vopack devenu Univar en 2002), Quarréchim (détenue par le groupe Vopack devenu Univar) ayant pour objet de fixer un tarif commun (dit « tarif cartel ») pour les commodités chimiques (solvants et produits de chimie minérale) et de se répartir les commandes de commodités chimiques (solvants et produits de chimie minérale) de l’ensemble de leurs clients, soit par le biais d’un pacte de non-agression, soit par le biais d’offres de couverture (paragraphes 338 à 474 de la notification des griefs).
213. Il ressort des explications de la société Brenntag SA, des déclarations de la société Univar et des éléments recueillis au cours de l’instruction, que ces pratiques généralisées et structurées ont eu lieu à la suite d’une réunion déterminante qui s’est tenue à Paris entre les dirigeants des sociétés Brenntag SA, Quarréchim, Lambert-Rivière et Vaissière-Favre. (n° 288 de la notification des griefs et cotes citées) et avaient pour but de limiter la guerre des prix initiée par la société Brenntag SAet d’améliorer les résultats de chacun des sites (paragraphes 306 de la notification des griefs et cotes citées).
214. Ces accords et pratiques concertées ont pris la forme de réunion régulières et des échanges fréquents par téléphone, une ligne dédiée ayant été mise en place à compter de 2002. Ces réunions et contacts téléphoniques avaient pour objet non seulement de mettre en œuvre la concertation, mais également de vérifier sa bonne exécution en s’assurant du respect de la stabilité des volumes et des parts de marché, et le cas échéant de procéder à des réajustements (paragraphes 319 à 337 de la notification des griefs et cotes citées).
Dans la zone géographique « Bourgogne » (départements de la Saône et Loire et de la Côte d’Or)
215. Des accords et pratiques concertées ont été mises en œuvre, du 5 juin 1998 au mois de juin 2003 au moins, entre les sociétés Brenntag SA et Caldic Est ayant pour objet de se répartir les commandes de commodités chimiques (solvants et produits de chimie minérale) de clients, notamment en coordonnant leurs offres tarifaires (pratique d’offres de couverture). Pour la plupart des clients de la zone qui consultaient ces deux distributeurs, les sociétés Brenntag SA et Caldic Est se sont très régulièrement concertées afin de se répartir ces clients et décider laquelle des deux sociétés emporterait les offres et, à cette fin, déterminaient en commun les prix de couverture dans le but de stabiliser leurs parts de marché.
216. Ces pratiques ont été décidées lors d’une réunion qui a eu lieu entre les responsables nationaux, régionaux et locaux des sociétés Brenntag SA et Caldic Est à Reims le 5 juin 1998, réunion de lancement que les sociétés Brenntag, après l’avoir contestée, l’ont reconnue dans leurs dernières écritures. Il résulte d’une déclaration circonstanciée figurant en côte n° 14658 que cette réunion de lancement était présidée par un directeur de région de la société Brenntag SA, établissant ainsi que cette dernière en a pris l’initiative.
217. Ces pratiques ont pris la forme de réunions et d’appels téléphonique réguliers entre les deux sociétés pour s’entendre sur les niveaux de prix à formuler lors de chaque consultation des clients que ces sociétés se répartissaient (paragraphes 584 à 614 de la notification des griefs, et cotes citées).
218. La société Brenntag SA a déclaré qu’elle s’assurait du respect des décisions initiales de répartition de volumes et de clients (paragraphes 615 à 660 de la notification des griefs et cotes citées).
219. Il résulte également des pièces fournies par la société Brenntag SA que cette dernière a procédé à la surveillance du bon fonctionnement des pratiques (paragraphe 619 de la notification des griefs et cotes citées).
Dans la zone géographique « Ouest » (départements de la Mayenne, l’llle-et-Vilaine, et Loire-Atlantique)
220. Deux types de pratiques ont été mises en œuvre du 6 octobre 1998 à octobre 2003, hors Lambert-Rivière dont la participation a cessé en décembre 2002 :
– une entente trilatérale entre les sociétés Brenntag SA, Langlois-Chmie (Solvadis) et Lambert-Rivière (Univar) ayant eu pour objet de se répartir les clients, ou les lignes de produits chez un même client ;
– une entente bilatérale entre les sociétés Brenntag SA et Langlois-Chimie uniquement, consistant également à se répartir les clients, les commandes ou les lignes de produits chez leurs clients mais aussi à coordonner leurs politiques tarifaires, notamment en répercutant sur leurs clients respectifs la hausse des tarifs imposée par leurs fournisseurs de chimie minérale.
221. L’objectif de ces accords était d’accroître la rentabilité des sites en augmentant les marges (paragraphes 684 à 685 de la notification des griefs et cotes citées).
222. Il résulte d’une déclaration circonstanciée figurant en côte n°22504 que la société Brenntag SA, via son directeur de région, a joué un rôle moteur avec un représentant de la société Langlois Chimie dans l’initiative de la pratique même si l’entente a été élargie à la société Lambert-Rivière à l’initiative d’un représentant de la société Langlois-Chimie (paragraphes 647 à 661 de la notification des griefs et cotes citées).
223. Ces pratiques ont essentiellement pris la forme de contacts téléphoniques réguliers et fréquents et de manière plus ponctuelle de réunions. (paragraphes 718 à 731 de la notification des griefs, et cotes citées).
224. Selon la société Brenntag SA, ces échanges permettaient également la surveillance du respect des accords (cote 688).
2. Sur les liens unissant ces différents accords et pratiques concertés
225. Il résulte des éléments décrits ci-dessus que ces pratiques présentent de fortes similitudes :
– quant aux produits concernés : toutes ces ententes régionales ont porté sur la distribution de commodités chimiques, laquelle est considéré comme un marché unique pertinent de produits. La circonstance que certaines d’entre elles aient davantage porté sur les produits de chimie minérale, dont la lessive de soude, et d’autre sur les solvants, n’est pas de nature à écarter ce lien d’identité, dès lors que ces produits relèvent des commodités chimiques et donc du même marché ;
– quant aux entreprises parties aux ententes : la société Brenntag SA est partie à toutes les ententes régionales. Les sociétés Solvadis et Univar participent avec la société Brenntag SA à l’entente dans la zone Ouest et chacune d’entre elles participe individuellement à une autre entente avec la société Brenntag SA dans l’autre zone où elle est active : la zone Nord pour la société Solvadis, celle de Rhône-Alpes pour la société Univar. Constitue également un dénominateur commun la présence de la société Brenntag SA à chacune de ces ententes, avec soit un concurrent, comme dans la zone Bourgogne avec les sociétés Caldic Est et dans Rhône-Alpes avec la société Univar, soit avec deux concurrents, comme dans la zone Nord avec les sociétés Solvadis et Districhimie et dans la zone Ouest avec les sociétés Solvadis et Univar, qui disposent chacun d’une position très forte sur la zone concernée par les accords et les pratiques.
226. Ces circonstances sont suffisantes à relier ces pratiques qui ont un lien d’identité de sujets, sans qu’il y ait lieu, comme le soutiennent à tort les sociétés Brenntag, de constater qu’un même « couple » d’entreprises soit présent à chaque pratique régionale. Il résulte en effet de la jurisprudence rappelée au paragraphe 198 du présent arrêt que, la circonstance qu’une entreprise n’ait pas pris part à l’ensemble des comportements anticoncurrentiels n’est pas de nature à remettre en cause l’existence d’une infraction unique et complexe.
– quant à leurs modalités de mise en œuvre : elles ont toutes pris la forme de réunions de concertation, plus ou moins rapprochées selon les produits concernés solvants ou chimie minérale dont le cours est plus stable et, d’échanges téléphoniques. Les pratiques sont déclinées selon des modalités identiques au niveau des sites de stockage des différentes entités participant à l’entente ;
– quant au rôle majeur de la société Brenntag SA dans l’organisation et la mise en œuvre de ces ententes, pour être la seule entreprise qui ait pris part aux pratiques sur l’ensemble des quatre zones géographiques identifiées, pour avoir pris l’initiative des réunions de lancement des pratiques dans trois zones (nord, Bourgogne et ouest ) et exercé une surveillance des pratiques dans les quatre zones, comme elle l’a admis dans ses déclarations d’entreprise, en s’assurant, par le biais des réunions et d’appels téléphoniques, du bon respect des volumes et clients répartis ainsi que des parts de marché des différents membres ;
– quant à leur objet : quelle que soit la zone géographique concernée, l’ensemble des comportements a pris la forme d’une pratique de répartition de clientèle et de coordination tarifaire, interdépendantes l’une de l’autre, la seconde permettant la première, ces pratiques étant mises en œuvre selon des modalités identiques, à savoir des réunions de concertations et de contacts téléphoniques.
227. La pratique de répartition de clientèle a, dans chacune des zones, porté sur tout ou partie de l’ensemble de la clientèle selon les mêmes modalités : les commandes des clients qui procédaient régulièrement à une mise en concurrence étaient allouées grâce à des offres de couverture calculées à partir de tarifs communs lors des réunions de concertation ou d’appels téléphoniques, ou à chaque consultation tandis que les autres clients, ceux qui restaient fidèles à leur distributeur, ont fait l’objet d’une pacte de non agression.
228. La pratique de coordination tarifaire a consisté, d’une part, dans chacune des zones, à fixer des prix minima dans le cadre d’une pratique généralisée d’offres de couverture afin de faciliter la pratique de répartition des clients ci-dessus mentionnée, et, d’autre part, dans certaines zones, à répercuter, de façon commune et concomitante, les hausses de prix des fournisseurs de commodités chimiques dans les prix de vente à destination de l’ensemble des clients ou encore dans la zone Rhône-Alpes, à fixer un tarif commun dit tarif cartel.
229. Dans chacune des zones, la coordination tarifaire relative aux solvants, a été plus régulière en raison de la volatilité des cours du pétrole, tandis que les décisions relatives à la chimie minérale étaient plus espacées en raison de la stabilité de ces cours.
230. La circonstance que la coordination tarifaire ait pris des formes plus ou moins poussées et abouties selon les zones, comme dans la zone Rhône-Alpes où a été mis en place un véritable « tarif cartel », alors que dans la zone Bourgogne, elle a été limitée à une simple coordination d’offres tarifaire, ne peut être de nature à remettre en cause le constat que ces ententes consistaient toutes en une répartition de clientèle grâce à une coordination tarifaire.
– quant à leur finalité : dans chacune des zones concernées, les pratiques avaient pour finalité la stabilisation de parts de marché respectives des quatre distributeurs et l’amélioration de leur marge comme l’a établi l’instruction au travers les déclarations des demandeurs à la clémence, les auditions et les pièces recueillies. Ainsi :
. sur la « zone nord », la société Brenntag SA, par l’intermédiaire de son directeur de la région nord (M. B), a déclaré que les ententes « ont été mises en place pour “régulariser” le marché soumis aux fluctuations des prix des matières premières et à l’arrivée d’un nouveau concurrent Holvoet » (cote 14652).
. sur la « zone Rhône-Alpes », la société Univar a déclaré que les réunions avaient, en ce qui concerne les solvants, « pour objectif de préserver les parts de marché et maximiser la marge brute (…) Pour ce qui est de la chimie minérale, il s’agissait de geler les positions clients que chaque acteur livrait » (cote 574 du dossier 06/0092 AC). Les déclarations de deux responsables grands comptes qui se sont succédé chez Univar pendant la période infractionnelle vont dans le même sens, le premier ayant indiqué qu’« [i]l s’agissait de préserver les parts de marché, les volumes » (cote 11954), le second que « [l]’intérêt de ces pratiques était de conserver les positions existantes » (cote 14677).
231. La société Brenntag SA a également confirmé à plusieurs reprises que l’entente sur la « zone Rhône-Alpes » avait pour objectif la restauration des marges des participants. Son directeur commercial et directeur des ventes à Lyon (M. C) depuis 1998, a relevé qu’ « [à] partir de 1999, des pratiques d’ententes se sont organisées à Lyon à l’initiative de Brenntag et d’Univar qui, confrontés à des résultats en baisse, souhaitaient restaurer leur marge » (cote 10808). Il a ensuite confirmé que « [l]’objectif de la concertation était de conserver un certain niveau de marge » (cote 33116). Le directeur de la région sud de la société Brenntag SA (M. D) comprenant la « zone Rhône-Alpes » et la « zone Bourgogne », a déclaré que le directeur du site de Lyon de Lambert Rivière lui a « téléphoné pour me proposer de rencontrer le nouveau directeur de Quarrechim (devenu Univar) à l’occasion d’un déjeuner, lors duquel il a proposé que l’on s’entende pour augmenter nos marges » (cote 14670).
. sur la « zone Bourgogne », la société Brenntag SA a dénoncé une entente qui devait permettre aux membres « de maintenir les volumes impartis à chacun d’entre eux. La répartition ne devait pas modifier la proportion de volumes sur lesquels les membres s’étaient accordés » (cote 267 du dossier 06/0075 AC).
. sur la « zone ouest », la société Univar a déclaré que les ententes en cause avaient « pour objectif le maintien des positions et des marges » (cote 577 du dossier 06/0092 AC), déclaration confirmée par celle du directeur régional de la zone Ouest (M. S) de la société Brenntag SA qui a indiqué que la participation de cette dernière aux ententes avait pour but d’« améliorer encore [s]es marges (…) L’objectif était certes d’améliorer nos marges mais pas à outrance » (cote 22505). La société Solvadis a, pour sa part, indiqué que « [l]e fond du débat, était de dire que la région ouest était sinistrée et dont l’activité nécessitait des investissements importants, et qu’il fallait trouver une solution afin de permettre la hausse des marges et favoriser ces investissements » (cote 34050).
232. Ce double objectif de stabilisation de parts de marché et d’amélioration des marges doit être apprécié au regard du contexte dans lesquelles les pratiques ont été initiées.
233. Les déclarations d’entreprise des sociétés Brenntag déposées lors de leur demande de clémence (cote 256 dossier, 06/0075C) soulignent le contexte réglementaire imposant aux distributeurs la réalisation de lourds investissements pour mettre leur site en conformité avec les normes issues de la directive Seveso II de 1996, lesquelles, applicables à compter du 3 février 2001, impliquaient pour les entreprises actives sur ce secteur d’anticiper de plusieurs années ces mises aux normes coûteuses et d’ampleur si elles souhaitaient se maintenir sur le marché. C’est donc en vain que les sociétés Brenntag soutiennent que cet élément de contexte, qu’elles ont elle-même souligné dans leur déclaration, n’est pas pertinent.
234. Les différents représentants des entreprises mises en cause, Brenntag, Univar et Solvadis ont également souligné, au cours de leurs auditions par les rapporteurs, les difficultés financières rencontrées par leurs sites où ont été mises en œuvre les pratiques, difficultés ayant notamment pour origine une politique agressive, mais ruineuse à moyen terme, de prix bas, menée par la société Brenntag SA dans un contexte de forte concurrence.
235. Ainsi, M. P, coordinateur des ventes pour les produits de la chimie minérale chez Vaissière-Favre, a estimé que « [l]orsque Brenntag est arrivé sur la zone de Lyon, il a appliqué une politique de prix très, très bas en dehors de toute cohérence de rentabilité. Il s’agissait, selon moi, d’éradiquer la concurrence ; nous n’étions pas aptes à affronter de tels prix » (cote 13313). M. P a précisé que cette politique tarifaire avait pour objectif d’« affaiblir les structures locales en vue d’éventuels rachats sur la zone Rhône-Alpes. (…) Toutes les sociétés locales ont été contraintes d’entrer dans cette guerre des prix mais cette stratégie affaiblissait les différentes structures. Brenntag avait également des résultats en forte baisse sur la région. Selon moi, M. D (…) a pris l’initiative (…) d’une entente (…). Progressivement nous avons remonté les prix afin de redresser les marges » (cote 22788).
236. M. R, directeur régional à Bordeaux puis à compter de 2002 directeur de la région ouest au sein de la société Langlois-Chimie, a « constaté que Brenntag s’était implanté et avait cassé la concurrence en pratiquant des prix très bas, puis s’était entendu avec la concurrence pour stabiliser les prix » (c ote 13349).
237. M. S, directeur de la région centre ouest depuis 1999 de la société Brenntag SA, a constaté qu’« [e]n 1997, alors que j’avais déjà pris contact avec M. N…, lors d’un tour d’horizon sur les concurrents, je lui (M. A) ai fait part du développement important de Brenntag et de ce que Langlois se débattait. Je me rappelle lui avoir dit, soit on continue le travail de sape et on fait capoter le concurrent, soit on fait la “politique de la main tendue” (j’entendais par là, “on s’entend”). M. A m’a répondu : “la nature a horreur du vide”. Je ne suis pas sûr de ce que cela sous-entendait mais selon moi, cela pouvait signifier qu’il validait cette option d’entente que je proposais » (cote 22505).
238. Les sites situés dans les différentes zones géographiques où les pratiques ont été mises en œuvre connaissaient tous des résultats dégradés ou insuffisants.
239. Ainsi, M. I, président du directoire de la société Quaron, répondant à la question des raisons ayant conduit son entreprise à participer à des ententes, a invoqué, de manière générale, les résultats exécrables de l’entreprise Solvadis (cote 13333), tandis que M. Q, ancien président de la société Solvadis a précisé qu’« [u]ltérieurement à ma prise de fonction chez Langlois, j’ai été informé par M. C [ directeur industrie en charge de la région ouest au sein de Solvadis ] des échanges qu’il avait avec M. B lors d’un déjeuner organisé par M. C et nous réunissant tous les trois en compagnie de M. T. Le fond du débat, était de dire que la région ouest était sinistrée et dont l’activité nécessitait des investissements importants, et qu’il fallait trouver une solution afin de permettre la hausse des marges et favoriser ces investissements » (cotes 34049 à 34056).
240. M. E, président de la société Brenntag SA de juin 1998 à 2002, a déclaré, s’agissant de la zone Rhône-Alpes qu’« en 1998, le dépôt n’allait pas très bien, son efficacité n’était pas très bonne, le contexte concurrentiel était dur » (cote 13320). M. D, directeur de la région sud et du site de Chassieu de la société Brenntag SA, a expliqué que « [l]a première entente, à laquelle j’ai pris part, s’est tenue a Lyon, à la fin de l’été 1998, alors que les résultats de Brenntag Rhône-Alpes étaient très mauvais de même que ceux de nos concurrents principaux sur le plan régional, tels que Quarrechim, Lambert Rivière, Vaissière) » (cote 14669). M. C, anciennement directeur commercial et directeur des ventes à Lyon à compter de 1998 chez la société Brenntag SA, a déclaré qu’« [à] partir de 1999, des pratiques d’ententes se sont organisées à Lyon à l’initiative de Brenntag et d’Univar qui, confrontés à des résultats en baisse, souhaitaient restaurer leur marge » (cote 10808).
241. De manière plus générale, s’agissant des résultats de la société Brenntag SA, un compte-rendu de direction de cette société du 26 juin 1998, analysant les résultats bruts par tonne de l’ensemble de ses sites dans le secteur des commodités chimiques, montre que les sites à partir desquels sont organisées les pratiques dénoncées par les sociétés Brenntag dans leur demande de clémence sont ceux qui ont généré à la fois les plus faibles résultats (exprimés en deutsche marks par tonnes : DM/T) et les coûts logistiques les plus élevés rapportés aux résultats bruts, alors que ces sites sont confrontés à une vive concurrence de la part des principaux concurrents, fortement implantés sur les zones concernées (cotes 37285 à 37 262). Ainsi, les sites situés en Bourgogne, dans la zone Nord et dans la zone Ouest généraient de résultats de 250DM/T, et celui de Rhône- Alpes 200 DM/T, montants particulièrement faibles en comparaison avec celui généré par le site d’Ile-de-France de 650 DM/T qualifié de « bon », comparaison qui tend à relativiser les déclarations M. S, directeur régional de la zone Ouest de la société Brenntag SA, selon lesquelles il enregistrait de bons résultats. Il ressort en outre de ce compte rendu que si aucune pratique similaire à celles dénoncées n’ont été mise en œuvre à partir d’autres sites de la société Brenntag SA connaissant des résultats se situant dans cette fourchette de 200 à 250 DM/T, c’est en raison soit de l’isolement du site qui n’est pas confronté à une forte concurrence de la part d’autres entreprises, comme celui de Normandie et celui de la région Alpes-Côte d’Azur, soit en raison du refus des concurrents de participer aux ententes comme la société Gaches Chimie dans la région Aquitaine. En outre, dans la zone Ardennes-Lorraine où les sites connaissaient également des résultats insuffisants, la société Brenntag SA a dénoncé des pratiques similaires, lesquelles n’ont cependant pas été établies.
242. C’est donc en vain que, pour remettre en cause cet élément de contexte de dégradation ou d’insuffisance de résultats des sites concernés par les pratiques litigieuses, les sociétés Brenntag invoquent les déclarations de M. S précitées ou encore la circonstance que les résultats de 250DM/T se situeraient dans la moyenne nationale des résultats de la société Brenntag SA et que tous ces sites n’ont pas mis en œuvre des pratiques similaires.
243. Les actions et pratiques concertées ont d’ailleurs toutes commencé au moins au cours de l’année 1998 (5 juin 1998 dans la zone Bourgogne, septembre 1998 pour la zone Rhône-Alpes et 6 octobre 1998 pour la zone Ouest). Si les pratiques ont commencé un peu plus tôt dans la zone Nord entre les sociétés Brenntag SA et RPC-Clément (Solvadis), en réaction à l’arrivée d’un nouveau concurrent, elles se sont poursuivies au-delà de la tentative de pénétration du marché par ce dernier. Le décalage de quelques mois entre les manifestations de l’entente n’est pas de nature, compte tenu du contexte dans lequel les pratiques ont été toutes été mises en œuvre, à remettre en cause ce lien d’identité temporelle des pratiques dénoncées.
244. Quant à la date de fin des pratiques, même si elles n’ont pas toutes cessé la même année, l’année 2003 reste l’année commune des cessations de l’entente bilatérale dans la zone Ouest, des pratiques mise en œuvre dans la zone Bourgogne et marque une suspension dans la zone Rhône-Alpes.
245. Il ressort également de l’instruction que les directions générales des entreprises mises en cause ont soit directement participé aux réunions de lancement soit en ont été informées.
246. Ainsi, dans la zone Nord, étaient présents le directeur général de la société Districhimie (devenue Quaron) et le directeur du site de la société RPC-Clément, également membre de l’équipe dirigeante de cette société et de la société Langlois-Chimie devenues Solvadis (cotes 697 à 703, dossier 06/0075AC). Le directeur régional de la société Brenntag SA de cette zone (M. B), également membre du comité de direction de la société Brenntag SA a été informé de cette réunion de lancement des pratiques (cotes 14652 à 14654).
247. Dans la zone Rhône-Alpes, ont participé à la réunion de lancement le président de la société Brenntag SA (M. E), le directeur de la région Sud de la société Brenntag également membre du comité de direction de la société Brenntag SA (M. D), le présidente directeur général du groupe Vaissière-Favre (Univar, M. G), le responsable des ventes France au siège de Lambert-Rivière (M. F, voir n° 1403 de la NG),le directeur général de Quarrechim et son directeur des ventes (déclarations de clémence de la société Univar et de la société Brenntag, cotes 2, et 569 à 579 du dossier 06/0092AC ; cotes 573 à 582, dossier 06/0075AC).
248. Les sociétés Brenntag font valoir que le président de la société Brenntag SA n’a pas assisté à l’intégralité de la réunion, qu’il n’était présent que pour évoquer avec le dirigeant de la société Vaissière-Favre un éventuel rachat par la société Brenntag SA de cette société et qu’il a quitté la réunion quand les autres intervenants ont commencé à évoquer les pratiques envisagées sur les tarifs et la répartition de clientèle. Toutefois, cette déclaration est contredite par le directeur de la région Sud (M. D) qui a expressément déclaré avoir informé le président de la société Brenntag SA des ententes mises en œuvre dans cette zone et que ce dernier était bien présent « à la réunion au cours de laquelle il a été acté le démarrage de la pratique » (cotes 14669 à 14674).
249. En tout état de cause, à supposer la circonstance invoquée par les sociétés Brenntag établie, elle ne peut être utilement invoquée pour remettre en cause la connaissance et l’accord de ce dirigeant aux pratiques évoquées lors de cette réunion, dès lors que, bien que constatant que cette réunion avait pour finalité de mettre œuvre de telles pratiques, il a préféré la quitter sans manifester son désaccord, ni prendre aucune mesure pour qu’elles ne voient pas le jour.
250. Dans la zone Bourgogne, ont participé à la réunion de lancement, s’agissant de la société Brenntag, non seulement le directeur régional en charge de cette zone, mais également celui en charge d’autres zones concernées par les ententes (Nord et Rhône-Alpes), ces directeurs régionaux étant en outre membre du comité de direction de la société Brenntag SA. La société Caldic était quant à elle représentée notamment par son directeur général (paragraphes 503 à 515 de la NG et cotes citées).
251. Dans la zone Ouest, ont participé à la réunion de lancement des pratiques, qui a eu lieu lors de la journée régionale de la chimie le 6 octobre 1998, le directeur de la région Ouest de la société Brenntag SA (M. S) membre du comité de direction, le directeur de la société Langlois-Chimie (devenue Solvadis) et le directeur commercial de la société Lambert-Rivière (M. H) (cote 686, dossier 06/0075AC ; cotes 26208 et 22796, dossier 07/0032F).
252. L’instruction a également permis d’établir que l’ensemble des directions générales des sociétés Lambert-Rivière, Vaissière-Fabre et Quarrechim, puis d’Univar, ainsi que les directions générales des sociétés Marce jusqu’en 2001, Districhimie (Quaron), RPC-Clément et Langlois Chimie puis Solvadis et celle de Caldic ont participé directement aux réunions de concertation dans chaque zone où elles étaient parties aux ententes (paragraphes 851 à 887 de la NG et les cotes citées).
253. S’agissant de la société Brenntag SA, sa direction générale a été informée des pratiques soit directement pour avoir participé à la réunion de lancement dans la zone Rhône-Alpes comme précédemment démontré, soit pour en avoir été informée par ses directeurs de région.
254. En effet, contrairement à ce que soutiennent les sociétés Brenntag, chaque directeur de région avait connaissance de l’existence des pratiques mises en œuvre par les autres.
255. Si l’un d’entre eux, le directeur de région sud comprenant les zones Rhône-Alpes et Bourgogne (M. D) a indiqué n’avoir eu que tardivement connaissances des pratiques mises en œuvre dans les régions Ouest et Nord, deux autres directeurs de région ont déclaré avoir connaissance de l’ensemble des pratiques.
256. Ainsi, le directeur de région de la zone Ouest a déclaré savoir « qu’il existait des pratiques similaires sur les autres régions, mais je ne connaissais pas le fonctionnement de ces concertations. À l’époque, il y avait 4 directeurs de région : M. D, M. B, moi-même et M. I Nous nous voyons régulièrement tous les 4 lors des comités de direction. Nous échangions sur les pratiques sans rentrer dans les détails, en marge des comités de direction » (cote 34075).
257. Le directeur de région Île de France (M. I) a déclaré faire « partie du comité de direction composé des quatre directeurs de région (Île-de-France, Nord, Ouest, Lyon), du Président, des deux directeurs généraux et d’une ou deux autres personnes). (…) Les ententes ont dû commencer en 1999 en Bretagne et à Lyon, j’ai été au courant en 2001 et le sommet a été atteint en 2003. (…) MM J, K et B m’expliquaient que ces pratiques étaient dans l’intérêt de Brenntag. (…) En comité de direction, MM. S et D se vantaient de leurs agissements
M. E disait : “faites ce que vous voulez, je ne veux rien savoir” » (cote 13333).
258. Par ailleurs, l’ancien directeur commercial et directeur des ventes de la société Brenntag SA, à Lyon (M. C) a déclaré: « Les demandes[de clémence] présentent des ententes régionales, qui se seraient déroulées sans contact avec les directions générales, ce qui est inexact : les directions générales étaient à l’origine de ces ententes qu’elles organisaient, n’ignoraient pas et dont elles ont bénéficié. » (cotes n°18807 à 18810).
259. M. S, directeur de la région ouest de la société Brenntag SA, a indiqué : « Selon moi, M. E ne pouvait pas ne pas savoir que ces pratiques existaient… lors des comités de direction auxquels notamment M. E et M. K participaient, j’avais indiqué que “la concurrence était maitrisée” avec parfois quelque excès de vantardise, ce qui signifiait, pour moi, que je m’entendais avec les concurrents… Néanmoins, personne ne m’a jamais rien demandé à ce sujet, à l’exception d’une fois en 2000, où M. L,… a un jour réagi en mettant en cause mes pratiques, et ce, durant le comité de direction » (cote n°22506).
260. Un ancien directeur régional de la société Brenntag SA, licencié en 2001, confirme la connaissance de ces ententes par le comité de direction car « au Comité de Direction de Brenntag en janvier 2000, j’ai appris qu’il existait bien des ententes illicites sur les régions Lyonnaise et Ouest. C’était notoire, évoqué librement (même si ce sujet n’invitait pas à des débats collectifs) par les personnes concernées (2 Directeurs de Région) lors de déjeuners, de discussions diverses, etc. » (cote 11944).
261. Enfin, les deux présidents qui se sont succédé pendant la période infractionnelle à la tête de la société Brenntag SA, MM. J et M, ont chacun admis avoir eu connaissance des pratiques mises en œuvre dans les régions. Même si M. E, président depuis la date de début des pratiques jusque début 2003, a reconnu en avoir connaissance tout en minimisant leur ampleur, il a en a informé M. M à l’arrivée de celui-ci en lui indiquant qu’il s’agissait d’un problème que M. M aurait à régler, ce qui tend ainsi à démontrer qu’il avait bien conscience qu’il ne s’agissait pas de pratiques mineures (cotes 14678 à 14692).
262. Ces différentes déclarations constituent un faisceau d’indices graves, précis et concordants de l’implication de la direction générale de la société Brenntag SA dans la mise en œuvre des pratiques.
263. Il se déduit de l’ensemble de ces éléments, que ces pratiques, bien que mises en œuvre dans des zones géographiques distinctes, sont loin d’être isolées et indépendantes les unes des autres comme le soutiennent à tort les sociétés Brenntag, mais qu’elles présentent au contraire, des liens d’identité forte quant aux produits sur lesquels elles ont porté, quant aux entreprises qui y ont pris part, quant à la période au cours de laquelle elles ont été débuté et ont été mises en œuvre, quant à leur nature et leur objet, leur finalité et leurs modalités de mise en œuvre de sorte qu’il serait artificiel de les appréhender isolément.
264. Ces différents éléments convergents associés d’une part, à l’implication des directions générales de l’ensemble des sociétés membres des accords et pratiques concertées, tant dans leur lancement que dans leur mise en œuvre, d’autre part, au contexte particulier de dégradation de la rentabilité des sites concernés dans lequel elles ont été mises en œuvre tel que décrit aux paragraphes 232 à 242 du présent arrêt, et enfin, au rôle moteur joué par la société Brenntag SA dans leur mise en œuvre et leur suivi, mettent en évidence qu’elles se sont inscrites dans un plan d’ensemble poursuivant le double objectif de préserver les parts de marché et d’améliorer les marges de leur membres.
265. Contrairement à ce que soutiennent les sociétés Brenntag, un tel objectif ne se borne pas à renvoyer à la nature anticoncurrentielle des pratiques, mais est suffisamment défini pour satisfaire aux exigences de la qualification d’infraction unique, complexe.
266. Cette infraction unique et complexe présente un caractère continu jusqu’au mois de juin 2005, date de la fin de l’infraction dans sa manifestation sur la zone Rhône-Alpes. En effet, les déclarations d’entreprise des sociétés Brenntag et d’Univar dans leur demande de clémence convergent sur une cessation progressive des pratiques sur cette zone en ce que les contacts, qui étaient mensuels, se sont espacés à compter de l’été 2003, les deux entreprises ayant alors décidé de respecter un pacte de non agression à compter de l’automne 2003, et que les pratiques de concertation ont ensuite repris entre les parties à compter de décembre 2003(paragraphes n° 478 à 497 de la notification des griefs et les cotes citées). C’est donc à tort que les sociétés Brenntag soutiennent que les pratiques n’ont repris que sous la forme d’un pacte de non agression. En outre, une suspension des réunions de concertations pendant six mois ne saurait être de nature à remettre en cause le caractère continu de l’infraction dès lors que ces réunions et échanges ont repris après cette suspension, et ce, pendant au moins un an et demi.
267. Ces déclarations d’entreprise et auditions ne divergent que sur la date de cessation des pratiques, certaines fixant cette date à l’été 2005 et d’autres au premier trimestre 2006. Il convient alors de retenir, comme l’a fait la notification des griefs la fin des pratiques en juin 2005 (paragraphes n° 478 à 497 de la notification des griefs et les cotes citées).
3. Sur la participation de la société Brenntag SA à l’infraction unique, complexe et continue
268. Il convient de rappeler que conformément à la jurisprudence citée aux paragraphes 202 à 204 du présent arrêt, une entreprise peut être tenue responsable d’une infraction complexe et continue lorsqu’est rapportée la preuve que cette dernière savait ou pouvait raisonnablement prévoir que ses agissements s’inséraient dans un plan global.
269. Les sociétés Brenntag ne contestent pas que la société Brenntag SA a pris part à chacun des accords et pratiques concertées mises en œuvre dans les quatre zones géographiques identifiées par l’instruction. Il a en outre été établi qu’elle en a pris l’initiative dans trois zones sur quatre.
270. Il a été également établi que la société Brenntag SA a joué un rôle moteur dans la mise en œuvre des pratiques et que sa direction générale connaissait leur existence dans chacune des quatre zones.
271. Il ressort en outre des éléments recueillis au cours de l’instruction que les dirigeants et cadres de la société Brenntag SA connaissaient ceux des sociétés concurrentes, les rencontraient à de multiples occasions, certaines de ces rencontres ayant un objet identique à savoir la mise en œuvre des pratiques de concertation précitées :
– M. P (directeur marketing et des ventes de la chimie minérale au sein du groupe Vaissière-Favre SA de 1998 à 2002, puis directeur de la région Centre au sein d’Univar à partir de 2003, cotes 24265 et 37148) a déclaré :
« Comme je vous l’ai expliqué, dans la région lyonnaise, la chimie était tenue par des personnes qui se connaissaient toutes de longue date et qui, après l’arrivée de Brenntag, ont souhaité mettre fin à une guerre des prix potentiellement mortelle … M. D [directeur de la région sud comprenant notamment les zones Bourgogne et Rhône-Alpes] était très connu et reconnu dans la profession, il a une forte aura, il est le fils du fondateur d’une des entreprises intégrée dans ce qui est devenu Brenntag ensuite » (cotes 13312 à 13314). « Selon moi, M. D qui connaissait les différents dirigeants des sites locaux et pour redresser les résultats de Brenntag, a pris l’initiative de réunir tous les interlocuteurs sur la région en vue d’une entente sur la minérale et pour l’application des frais techniques » (cotes 22787 à 22790).
– M. N (directeur industrie en charge de la région Ouest au sein de la société Solvadis) : « Avec Brenntag, en la personne de M. S [directeur régional], on se rencontrait de temps à autre, lors de salons ou de meetings professionnels, parce que nous étions client et fournisseur l’un de l’autre ; on discutait de choses et d’autres » (cotes 13354 à 13356).
– M. Q (ayant été successivement chez les sociétés Brenntag, Caldic Est et président de la société Solvadis) a déclaré : « Les directeurs de site de Brenntag étaient des amis, aussi avais-je de multiples occasions de les rencontrer. J’entretenais et j’entretiens des relations personnelles avec M. S » (cotes 34049 à 34056).
272. Ces échanges et rencontres entre cadres et dirigeants des différentes entreprises ayant pris part aux pratiques ont été facilitées par une très grande porosité existant entre les différentes structures, résultant notamment, comme les éléments recueillis au cours de l’instruction l’ont établi (paragraphes 903 à 913 de la notification des griefs) d’un taux de migration intergroupe des personnels très élevé, un grand nombre de dirigeants et de cadres ayant déroulé leur parcours professionnel au sein des différentes sociétés impliquées dans ces accords pendant la période infractionnelle, ce qui induit une parfaite connaissance du fonctionnement des sites appartenant à une même société et donc des pratiques qui y ont été mises en œuvre.
273. Les éléments recueillis au cours de l’instruction ont en outre établi que M. D (directeur de la région Sud de la société Brenntag SA englobant notamment les zones Rhône-Alpes et Bourgogne) a effectivement rencontré notamment les dirigeants des sociétés Lambert-Rivière, Vaissière-Favre, Quarréchim, Caldic Est (paragraphes n° 288 et s. et 500 et s. de la notification des griefs), que M. S (directeur de la région ouest de la société Brenntag SA) a rencontré M. N (Solvadis) (paragraphe n° 647 de la notification des griefs) et que M. B (directeur de la région nord de la société Brenntag SA) a rencontré les représentants des sociétés RPC-Clément, Districhimie et Caldic Est (paragraphes 69 et s., et 505 et s. de la notification des griefs).
274. Il se déduit de l’ensemble de ces éléments que la société Brenntag SA avait connaissance des pratiques anticoncurrentielles identifiées entre elle-même, la société Univar ou ses anciennes structures, la société Solvadis ou ses anciennes structures et la société Caldic Est sur les quatre zones géographiques identifiées et de leur finalité commune, de sorte qu’elle a effectivement participé à une entente complexe et continue de dimension multirégionale sur les commodités chimiques dont l’objet anticoncurrentiel unique a consisté en une répartition de clientèle et une coordination tarifaire.
275. Le grief n° 1 est donc établi.
VII. SUR LE GRIEF N° 2
276. Il résulte des déclarations des sociétés Brenntag issues de leur demande de clémence, corroborées par les éléments recueillis au cours de l’instruction et particulièrement les comptes fournisseurs des sociétés Brenntag SA(Maine-Bretagne) et Chemco, que la première, à partir de son site Maine-Bretagne, et la seconde ont mis en œuvre sur la période courant du 31 janvier 2000 au 1er mars 2007, soit sept ans et un mois, une pratique de répartition de clientèle couplée à une concertation tarifaire visant à ses répartir les commandes de méthanol d’un client commun, la société GKN Driveline (voir paragraphes 752 à 796 de la notification des griefs et les cotes citées).
277. Cette entente mise en œuvre dans le secteur de la vente en vrac ou « trading », distinct de celui de la distribution à partir de dépôts, a fait donc fait l’objet d’un grief distinct.
278. Les sociétés Brenntag ne contestent pas leur responsabilité dans cette entente et demandent à bénéficier d’une immunité totale de sanction.
279. La Cour considère, au vu de l’ensemble de ces éléments, que le grief est établi.
VIII. SUR L’IMPUTABILITÉ DES PRATIQUES AUX SOCIÉTÉS MÈRES SUCCESSIVES DE LA SOCIÉTÉ BRENNTAG SA
280. Avant d’aborder la question de l’imputabilité des pratiques aux sociétés mères successives de la société Brenntag SA, il convient de rappeler l’évolution de la structure du groupe au cours de la période infractionnelle et les principes de l’imputabilité à une société mère des pratiques anticoncurrentielles commises par sa filiale.
A. Sur l’évolution du groupe Brenntag
281.À la date du début des pratiques, le capital de la société Brenntag SA était détenu à 99,09 % par la société Stinnes SA, laquelle était filiale à 99,09 % de la société Stinnes AG qui détenait notamment 100 % du capital de la société Brenntag AG.
282. La société Stinnes AG était elle-même détenue directement par le groupe VEBA devenu E.ON AG.
283. Le 18 octobre 2002, 99,71 % du capital de la société Stinnes AG a été acquis (les 0,29 % restant étant sujets à retrait obligatoire), par la société Deutsche Bahn AG, cette dernière devenant alors la société mère du groupe Brenntag, auquel appartient la société Brenntag SA.
284.À cette date, la société Stinnes AG était alors une « holding » de participation qui détenait trois groupes autonomes intervenants dans trois secteurs distincts : le groupe Schenker dans le domaine du fret, du transport et de la logistique, le groupe Interfer dans le domaine de la distribution d’acier et le groupe Brenntag, via la société Stinnes SA, dans la distribution des commodités chimiques.
285. Cette opération sur titres réalisée par la société Deutsche Bahn AG, spécialiste du transport de marchandises et de personnes, visait l’acquisition d’une seule des branches d’activité, celle du groupe Schenker, qui lui avait appartenu avant sa cession à la société Stinnes AG en 1991. La société Deutsch Bahn AG a immédiatement cherché à céder ses participations dans les groupes Brenntag et Interfer.
286. C’est ainsi qu’en février 2004, elle cède ses participations dans la société Stinnes SA au fonds d’investissements Bain Capital lequel les cède à son tour en 2006 à BC Partners.
287. En 2008, dans le cadre de la séparation de son activité de gestionnaire des infrastructures de transport ferroviaire de celle de transports de marchandises et de personnes désormais ouverte à la concurrence, la société Deutsche Bahn AG transfère à la société Stinnes AG l’ensemble de toutes les sociétés du groupe dans le domaine des transports et de la logistique. La société Stinnes AG change alors de dénomination sociale et devient la société DB Mobility Logistics AG.
288. Quant à la société Brenntag SA, elle devient en février 2004 filiale à 99,9 % de la société Brenntag France Holding SAS (qui a absorbé la société Stinnes SA), détenue à 100 % par la société Brenntag Foreign Holding GmbH elle-même filiale à 100 % de la société Brenntag Beteiligungs GmbH. Cette dernière société est détenue à 100 % par la société holding faîtière du groupe Brenntag Holding GmbH & CO KG, elle-même détenue par la société Bain Capital.
289. Le 1er septembre 2006, le groupe BC Partners acquiert de Bain Capital le groupe Brenntag. La holding française des sociétés Brenntag SA et Brenntag France Holding SAS devient alors la filiale à 100 % de la société Brachem France Holding SAS. À cette occasion, BC Partners créé ex nihilo deux sociétés : Brenntag Management GmbH et sa filiale à 100 % Brenntag Holding GmbH. Peu après l’acquisition, la société Brenntag Holding GmbH & Co KG fusionne avec la société Brenntag Holding GmbH, cette dernière devenant alors le successeur juridique de la société Brenntag Holding & Co KG.
B. Sur les principes jurisprudentiels d’imputabilité
290. Selon une jurisprudence constante des juridictions de l’Union, le comportement d’une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques (voir arrêt de la CJUE du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a., C-97/08 P, point 58 et jurisprudence citée).
291. Il en est ainsi parce que, dans une telle situation, la société mère et sa filiale font partie d’une même unité économique et, partant, forment une seule entreprise, au sens de l’article 101 TFUE. C’est la notion d’entreprise unique constituée de la société mère et de sa filiale qui permet d’infliger une sanction à la première sans qu’il soit nécessaire d’établir son implication personnelle dans l’infraction (voir, en ce sens, arrêt de la CJUE du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a., C-97/08 P, point 59 et jurisprudence citée). Ce n’est pas une relation d’instigation relative à l’infraction entre la société mère et sa filiale ni, à plus forte raison, une implication de la première dans ladite infraction, mais le fait qu’elles constituent une seule entreprise, qui permet d’imputer à la mère le comportement anticoncurrentiel de sa filiale et partant de lui infliger une sanction. (arrêt du TUE du 27 septembre 2012, Nynas, T-347/06, point n°33).
292. Selon une jurisprudence également constante, dans le cas particulier où une société mère détient 100 % du capital de sa filiale, directement ou via une société interposée dont elle détient également 100 % du capital, et que cette filiale a commis une infraction aux règles de la concurrence de l’Union, il existe une présomption réfragable selon laquelle ladite société mère exerce effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale, ou en cas de détention indirecte, sur le comportement de la société interposée, et par l’intermédiaire de cette dernière, sur le comportement de la filiale (voir, en ce sens, arrêt CJUE, Akzo Nobel e.a., précité, point 60 et jurisprudence citée ; et sur l’application de la présomption en cas de détention indirecte, arrêt CJUE du 8 mai 2013, Eni, C-508/11 P, point 48 et jurisprudence citée).
293. Afin de renverser cette présomption, une société mère doit apporter tout élément relatif aux liens organisationnels, économiques et juridiques entre elle-même et sa filiale de nature à démontrer que cette dernière avait un comportement autonome sur le marché et qu’elles ne constituent pas une seule entité économique (voir, en ce sens, arrêt CJUE du 20 janvier 2011, General Química e.a, C-90/09 P, point 51 ainsi que jurisprudence citée).
C. Sur l’imputabilité des pratiques aux sociétés mères du groupe Brenntag
294. En l’espèce, les sociétés Brenntag France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Beteiligungs GmbH, Brenntag Holding GmbH et Brachem France Holding SAS aux quelles les griefs ont été notifiés en qualité de sociétés mères de la société Brenntag SA pour avoir détenu ou détenir directement ou indirectement 100 % de la société Brenntag SA, ne contestent pas l’imputabilité des deux infractions pour les périodes retenues par la notification des griefs en application de la présomption de l’influence déterminante sur le comportement de leur filiale, rappelée ci-dessus.
295. La Cour considère, par conséquent, que leur responsabilité doit être retenue à la mesure de leur participation telle qu’établie, et non contestée, par la notification des griefs pendant les périodes suivantes :
– au titre du grief n°1 (n°1628 de la notification des griefs) :
. du 17 décembre 1997 à janvier 2004 : la sociétés Brenntag France Holding SAS ;
. à partir de février 2004 : les sociétés Brenntag France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Beteiligungs GmbH, Brenntag Holding GmbH.
– au titre du grief n°2 (n° 1631 de la notification des griefs) :
. de janvier 2000 à janvier 2004 : la société Brenntag France Holding SAS ;
. de février 2004 à août 2006: les sociétés Brenntag France Holding SA, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Beteiligungs GmbH, Brenntag Holding GmbH ;
. à compter de septembre 2006 : les sociétés Brenntag France Holding SAS, Brachem France Holding SAS, Brenntag Holding GmbH.
296. La notification des griefs impute également les pratiques visées par les deux griefs sur la période de décembre 1997 à janvier 2004, à la société DB Mobility Logistics AG (ex-Stinnes AG), en sa qualité de société mère de la société Brenntag SA dont elle a détenu, au cours de cette période, 100 % du capital par l’intermédiaire de la société Stinnes SA (devenue à compter de 2004, la société Brenntag France Holding SAS), par application de la présomption d’influence déterminante de la mère sur sa filiale.
297. La société Deutsche Bahn AG, qui a été mise hors de cause par la décision attaquée en tant que société mère de la société Brenntag SA, mais qui vient aux droits de son ancienne filiale, la société DB Mobility Logisitics AG (ex-Stinnes AG), par suite d’une opération de fusion-absorption intervenue en 2016, vient donc défendre aux griefs qui ont été notifiés à DB Mobility Logistics AG.
298. Elle conteste l’imputabilité des pratiques et être dans la continuité économique de la société Stinnes AG.
299. Elle fait valoir, en premier lieu, que la détention capitalistique très indirecte dans la société Brenntag SA (via Stinnes SA) ne suffit pas à considérer qu’elle exerçait sur cette dernière une présomption d’influence déterminante, et ce d’autant qu’il existait aucun lien opérationnel tangible entre les deux. Elle souligne à cet égard l’absence de représentant de la société Stinnes AG dans les organismes de direction de la société Brenntag SA et l’absence de mandataires communs entre les sociétés Stinnes AG et Brenntag SA. Elle observe que la société Stinnes AG était une pure « holding financière » qui n’avait aucune activité sur le marché sur lequel opérait la société Brenntag SA, qu’elle n’a eu accès à aucun plan stratégique concernant l’activité de la société Brenntag SA, qu’aucun « reporting » n’était mis en place entre les deux et que les seuls éléments auxquels la société Stinnes AG a eu accès étaient de nature purement financière. Elle ajoute qu’elle n’était pas impliquée dans la détermination et la mise en œuvre de la politique commerciale de la société Brenntag SA dont l’organisation était largement décentralisée.
300. Elle expose que la société Brenntag SA disposait d’une totale autonomie dans la détermination de sa stratégie commerciale pour des raisons à la fois tenant au fait qu’elle regroupe des sites locaux qui autrefois constituaient des entités juridiques autonomes et à la nature de l’activité de distribution des commodités chimiques, et invoque les déclarations des dirigeants de la société Brenntag SA recueillies aux cours de l’instruction.
301. Elle soutient, en second lieu, que la société Brenntag SA était en réalité sous l’influence déterminante de la société Brenntag AG, laquelle étaient perçue comme la véritable société mère opérationnelle par les dirigeants de la société Brenntag SA comme le montrent les déclarations figurant au dossier, les deux sociétés comptant au moins huit mandataires sociaux communs pendant la période infractionnelle.
302. Elle fait valoir que l’ensemble de ces éléments, qui doivent être appréciés dans leur globalité, et non isolément comme le fait à tort l’Autorité, établissent qu’elle n’a exercé aucune influence déterminante sur la stratégie et politique commerciales de la société Brenntag SA pendant la période infractionnelle.
303. Elle soutient encore qu’elle se trouve dans une situation identique à celle de sa société mère, Deutsche Bahn AG et qu’elle aurait dû être mise hors de cause de la même manière. Filiale de la société Deutsche Bahn AG et soumise à son influence déterminante, la société Deutsche Bahn AG cherchant à céder ses participations dans le groupe Brenntag, la société Stinnes AG ne pouvait pas exercer une influence déterminante sur la société Brenntag SA puisqu’elle appliquait avant tout les instructions de sa propre société mère qui cherchait à céder les activités de la société Brenntag SA.
304. Elle soutient enfin qu’elle n’est pas dans la continuité économique de la société Stinnes AG dès lors que celle-ci, dès son acquisition par la société Deutsche Bahn AG, a été vidée de toute activité en lien avec le groupe Brenntag pour ne porter que les activités de transport et de logistique, ses statuts ayant été modifiés à cet effet dès juillet 2003, avant de devenir DB Mobility Logistics AG.
305. L’Autorité répond en renvoyant à la jurisprudence de l’Union dont il résulte, selon elle, qu’aucun des arguments invoqués par Deutsche Bahn AG, tenant à la nature de société « holding financière » de la société DB Mobility Logistics AG qui n’exerce aucune activité dans le secteur concerné, à l’absence de mandataire commun entre la société mère et sa filiale, à l’autonomie de celle-ci dans la détermination de sa politique commerciale, ou encore à l’absence de système d’information et de rapport entre la société mère et sa filiale, ne suffisent à écarter la présomption d’influence déterminante.
306. Elle ajoute, s’agissant de la mise hors de cause de la société DB Mobility Logistics AG au même titre que Deutsche Bahn AG, que les éléments spécifiques relatifs à la détention temporaire de la société Stinnes AG par la société Deutsche Bahn AG, ayant entraîné un renversement de la présomption d’influence s’agissant de la société Deutsche Bahn AG et détaillés aux points 844 et suivants de la décision attaquée, sont propres à la société Deutsche Bahn AG et sont insusceptibles de bénéficier à la société DB Mobility Logistics AG.
307. Sur l’absence de continuité entre les sociétés Stinnes AG et DB Mobility Logistics AG, l’Autorité considère que la réorganisation intervenue au sein du groupe Deutsche Bahn est sans incidence sur l’imputabilité du grief à la société DB Mobility Logistics AG, successeur juridique de la société Stinnes AG, ainsi qu’il l’a été mentionné au point 1569 de la notification de griefs. Elle invoque la jurisprudence constante européenne et interne dont il ressort que, tant que la personne morale responsable de l’exploitation de l’entreprise qui a mis en œuvre des pratiques enfreignant les règles de concurrence subsiste juridiquement, elle doit être tenue pour responsable de ces pratiques, quand bien même cette personne morale a changé de dénomination sociale ou de forme juridique. Elle souligne que ce n’est que lorsque cette personne morale a cessé d’exister juridiquement que les pratiques doivent être imputées à la personne morale à laquelle l’entreprise a juridiquement été transmise, c’est-à-dire celle qui a reçu les droits et obligations de la personne auteur de l’infraction, et, à défaut d’une telle transmission, à celle qui assure en fait sa continuité économique et fonctionnelle. Elle ajoute que le raisonnement qui consisterait à prendre en considération l’objectif poursuivi par l’entreprise aux fins de conclure à l’existence ou non d’une continuité économique a été toujours été écarté par la jurisprudence.
308. Le ministre chargé de l’économie rejoint l’Autorité sur l’absence de pertinence des éléments invoqués par la société DB Mobility Logistics AG pour renverser la présomption d’influence déterminante.
Sur ce, la Cour :
309. Conforment à la jurisprudence rappelée au paragraphe 289 à 292 du présent arrêt, la détention par la société Stinnes AG devenue DB Mobility Logistics AG, de 100 % du capital de la société Brenntag SA via la société Stinnes SA, pendant la période infractionnelle fait présumer que la société Stinnes AG a formé, au cours de cette période, une entreprise unique avec la société Brenntag SA et qu’elle a exercé une influence déterminante sur cette dernière.
310. Pour renverser cette présomption réfragable, il appartient à la société DB Mobiliy Logistics AG, ex-Stinnes AG, d’établir, par des éléments concrets, que la société Brenntag SA se comportait, au cours de la période infractionnelle de manière autonome sur le marché sans aucun contrôle de sa part.
311. La circonstance que la société Stinnes AG n’était alors qu’une société « holding » purement financière sans aucune activité propre est inopérante dès lors que, dans le contexte d’un groupe de sociétés, une société « holding », qui regroupe des participations dans les diverses sociétés du groupe, a pour fonction d’en assurer l’unité de direction. Or, la société DB Mobilty Logistics AG, ex-Stinnes AG ne verse aucun élément concret de nature à établir une organisation du groupe qui induisait qu’elle n’exerçait pas ce rôle ni n’assurait aucun contrôle de la société Brenntag SA.
312. À cet égard, la circonstance qu’elle n’ait eu, pendant la période infraction infractionnelle, aucun mandataire commun avec la société Brenntag SA, comme l’établit la pièce n°16 versée aux débats, n’est pas déterminante dans un contexte de détention de la totalité du capital social de la société Brenntag SA, fût-ce indirectement via la société Stinnes SA (voir, en ce sens, arrêts du TUE du 16 septembre 2013, Roca,T-412/10, point 76, et Roca Sanitorio, T-408/10 , point 90).
313. Au demeurant, la société DB Mobility Logistics AG, ex-Stinnes AG présente la société Brenntag AG, comme la véritable société mère opérationnelle de la société Brenntag SA pendant toute la période infractionnelle, bien qu’elles soient sociétés sœurs, la société Brenntag AG étant une filiale à 100 % de la société Stinnes AG. Or, ces sociétés Brenntag AG et Brenntag SA ont eu au cours de cette période près de huit mandataires communs tandis que les sociétés Stinnes AG et Brenntag AG ont eu un mandataire commun pendant cette période, en la personne de M. O, qui a été, d’une part, membre du directoire de la société Stinnes AG du 12 juin 1995 au 2 octobre 2000, puis président de ce directoire du 8 janvier 2003 au 8 juin 2005 et, d’autre part, membre du conseil de surveillance de la société Brenntag AG entre 2002 et 2004.
314. Ce mandat au conseil de surveillance, ne saurait être qualifié de purement formel comme le fait valoir à tort la société DB Mobility Logistics AG dès lors que ce mandat entraîne par sa nature même une responsabilité légale pour l’ensemble des activités de la société, en ce inclus son comportement sur le marché. La thèse selon laquelle cette fonction ne serait que purement formelle, reviendrait à la vider de sa substance légale (voir, en ce sens, arrêt du TUE, 6 mars 2012, FLS Plast, T-64/06, point 55).
315. S’agissant de l’argument tenant à l’autonomie de la société Brenntag SA dans la détermination de sa stratégie et la gestion de son activité à l’égard de la société Stinnes AG, devenue DB Mobility Logistics AG, il ressort de la jurisprudence européenne que l’autonomie de la filiale ne s’apprécie pas au regard des seuls aspects de la gestion opérationnelle de l’entreprise de sorte que sont inopérants à renverser la présomption d’influence déterminante la prétendue autonomie de la société Brenntag SA dans l’élaboration des aspects spécifiques de sa politique commerciale, et l’absence alléguée de mise en œuvre par la société Brenntag SA, au profit de sa société mère, d’un système d’information spécifique (Voir, notamment, arrêt du TUE du 16 juin 2011, FMC Corp, T-197/06, point 145).
316. Au demeurant, la société DB Mobility Logistics AG ne verse aucun élément de nature à établir qu’elle ne disposait d’aucun moyen de contrôler l’activité de sa filiale (notamment au travers les éléments fournis par cette dernière pour l’élaboration des comptes consolidés, lesquels comportent des annexes destinées à donner des informations essentielles sur cette activité).
317. Ainsi, l’absence de mandataire commun, l’autonomie alléguée de la société Brenntag SA dans la détermination de sa politique commerciale, la nature de société « holding » de la société Stinnes AG, l’absence de mise en œuvre du système d’information spécifique par la société Brenntag SA au profit de sa mère, la société Stinnes AG, ne sont pas des éléments qui, fussent-ils considérés dans leur ensemble, permettent de renverser la présomption d’influence déterminante de la société Stinnes AG sur sa filiale, la société Brenntag SA, et partant, de considérer qu’elles ne forment pas une entreprise unique au sens du droit de la concurrence.
318. Enfin, le renversement de la présomption d’influence déterminante de la société Deutsche Bahn AG sur la société Brenntag SA qui a conduit l’Autorité à mettre la première hors de cause dans sa décision du 18 mai 2013, décision qui sur ce point n’a pas été annulée et qui est devenue irrévocable, a été motivé par le fait, d’une part, que la société Deutsche Bahn AG n’avait acquis la société Stinnes AG, le18 octobre 2002, que pour ses activités de transport et logistique et avait voulu, dès l’origine, céder la société Stinnes SA au motif que l’activité de cette société ne correspondait pas à celle sur laquelle elle opérait à titre principal et, d’autre part, que cette volonté, clairement affirmée dès le départ et pendant toute la détention de cette entité, s’était effectivement traduite par une absence de toute initiative destinée à lui permettre d’exercer une influence réelle sur cette dernière, la société Deutsche Bahn AG ayant exclu la société Stinnes SA, dès 2003, de son périmètre de consolidation dans l’optique de sa cession et Deutsche Bahn s’étant abstenue d’intervenir directement ou indirectement dans la nomination d’aucun dirigeant, administrateur, ou autre mandataire de la société Brenntag SA, et n’ayant jamais participé à aucun comité de direction de la société Brenntag SA (voir paragraphes n° 844 à 845 de la décision de l’Autorité).
319. Ces éléments propres à la société Deutsche Bahn AG ne sauraient permettre de renverser la présomption d’influence déterminante pesant sur la société Stinnes AG, et ce quand bien même les sociétés Deutsche Bahn AG, Stinnes AG et Stinnes SA ont eu un mandataire commun en la personne de M. O. En effet, la détention de la société Brenntag SA via la société Stinnes SA n’a jamais été provisoire, d’une part, et si la société Stinnes SA a été exclue du périmètre de consolidation de la société Deutsche Bahn AG, il n’est pas démontré qu’elle a été exclue de celui de la société Stinnes AG, d’autre part. En outre, la circonstance que la société Stinnes AG ait entrepris de préparer la cession de la société Stinnes SA et se soit réorganisée pour ne porter que les activités de transports et de logistiques ne suffit pas à établir qu’elle se soit totalement désintéressée de sa filiale, alors que, précisément, il lui appartenait de la céder dans les meilleures conditions.
320. Enfin, s’agissant de l’absence alléguée de continuité économique entre les sociétés Stinnes AG et DB Mobility Logistics AG, il y a lieu de rappeler que, tant que subsiste juridiquement la personne morale responsable de l’exploitation de l’entreprise qui a mis en œuvre des pratiques enfreignant les règles de concurrence, elle doit être tenue pour responsable de ces pratiques, peu important qu’elle ait changé de dénomination sociale, de forme juridique ou d’activité. Ce n’est que lorsque cette personne morale a cessé d’exister juridiquement que ces pratiques doivent être imputées à la personne morale à laquelle l’entreprise a juridiquement été transmise, c’est-à-dire celle qui a reçu les droits et obligations de la personne auteur de l’infraction, et, à défaut d’une telle transmission, à celle qui assure en fait sa continuité économique et fonctionnelle (voir, en ce sens, Com., 23 juin 2004, n° 01-17.896 et 02-10.066).
321. En l’espèce, la société Stinnes AG n’a pas cessé d’exister en tant que personne juridique mais est devenue DB Mobility Logistics AG après avoir changé de dénomination sociale et d’activité, de sorte que cette dernière doit répondre des agissements de la société Brenntag SA. Il s’en déduit que l’absence alléguée de continuité économique entre les sociétés Stinnes AG et DB Mobility Logistics AG, est sans incidence sur l’imputabilité des pratiques et la possibilité d’infliger une sanction à cette dernière.
322. Les griefs n° 1 et 2, en ce qu’ils retiennent la responsabilité de la société DB Mobility Logistics AG en qualité de société mère de la société Brenntag SA, sont donc fondés.
IX. SUR LA SANCTION
323. Il convient de rappeler que la Cour doit déterminer une sanction conformément à l’article L. 464-2, I, alinéa 3, du code de commerce. Selon ce texte, les sanctions pécuniaires doivent être proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l’importance du dommage causé à l’économie, à la situation de l’organisme ou de l’entreprise sanctionné ou du groupe auquel l’entreprise appartient et à l’éventuelle réitération de pratiques prohibées. Elles doivent être déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Enfin, la sanction ne peut excéder, pour une entreprise, 10 % du montant du chiffre d’affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d’un des exercices clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Si les comptes de l’entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d’affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l’entreprise consolidante ou combinante.
324. Les sociétés Brenntag et Deutsche Bahn AG, dans leurs conclusions respectives, contestent le montant de la sanction infligée par l’Autorité dans la décision annulée en se référant expressément au communiqué de celle-ci du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires (ci-après le communiqué sanctions).
325. Dès lors, et bien que ce communiqué ne s'impose pas à elle, la Cour se référera également à la méthode définie dans ce communiqué, qui constitue un guide approprié pour déterminer le montant de la sanction à leur infliger.
A. Sur le grief n° 1
326.À l’audience, la Cour a observé, que dans ses observations déposées le 20 janvier 2020, l’Autorité, propose une méthode de détermination de l’assiette du montant de base qui diffère de celle qu’elle avait appliquée dans la décision attaquée.
327. Dans cette dernière, elle a pris en considération la totalité des valeurs des ventes de commodités chimiques réalisées par chacun des dépôts concernés par l’entente en 2004, à laquelle elle appliqué une réduction forfaitaire de 25 % pour tenir compte de la disparité de la date de fin des pratiques dans chaque zone où se situent ces dépôts, puis un coefficient multiplicateur de 4,20 pour tenir compte de la durée globale de l’entente.
328. Dans ses observations, elle propose de raisonner par zone géographique en retenant la valeur des ventes réalisées par chaque dépôt concerné et y appliquer un coefficient multiplicateur pour tenir compte de la durée des pratiques dans chaque zone.
329. Toutefois, les observations de l’Autorité ne reprenant que la somme des valeurs des ventes réalisées par les dépôts concernés, la Cour l’a invitée à préciser, sous la forme d’une note en délibéré, la valeur des ventes retenue pour chaque zone concernée et autorisé les autres parties à répondre à cette note.
330. L’Autorité a produit sa note le 17 juillet 2020 à laquelle les sociétés Brenntag ont répondu par une note du 20 août 2020, la société Gaches Chimie par une note du 30 juillet 2020, la société Deutsche Bahn AG par une note du 29 juillet 2020 et les sociétés Solvadis par une note du 17 septembre 2020.
331. La Cour ne retiendra dans ces notes que les éléments sur lesquels elle a demandé des précisions, c’est à dire le montant de la valeur des ventes de référence réalisées par chacun des dépôts concernés par l’entente.
332. Est irrecevable tout nouvel argument qui n’aurait pas été exposé dans les dernières conclusions déposées avant l’audience, tenant aux autres éléments de calcul comme ceux relatifs au périmètre de la valeur de vente, à la gravité de l’infraction, au dommage à l’économie et aux éléments d’individualisation de la sanction.
1. Sur la valeur des ventes
333. Les sociétés Brenntag demandent à la Cour, en premier lieu, de faire application immédiate du communiqué du 3 avril 2015 relatif au programme de clémence, et plus particulièrement l’article 22 de ce communiqué, en vertu du principe selon lequel une disposition relative à une sanction plus douce que le régime antérieur doit être mise en œuvre de façon immédiate. Elles demandent, en application de ce communiqué, que les valeurs des ventes dans les zones Nord, Bourgogne et Rhône-Alpes soient exclues de l’assiette du montant de base au motif qu’elles ont été les premières à avoir fourni les éléments sur ces ententes permettant à l’Autorité de les poursuivre et de les sanctionner.
334. En second lieu, elles font valoir, qu’en tout état de cause, la valeur des ventes doit être limitée :
– au périmètre réel des pratiques dans chacune des zones : la valeur des ventes à prendre en compte est le chiffre d’affaires réalisé par la société Brenntag SA, par zone, pour les clients et les produits concernés par l’entente, et ce conformément au point 23 du communiqué sanctions qui prévoit que doivent être prises en compte la valeur des ventes directement en lien avec l’infraction. Elles en déduisent que dans la zone Nord, seuls les produits concernés par l’entente doivent être pris en considération, tandis que dans la zone Bourgogne seules les ventes aux 42 clients concernés par l’entente doivent être prises en considération ;
– aux ventes réalisées en 2004 et réduites forfaitairement de 25 %, comme l’a fait l’Autorité dans la décision attaquée, afin de tenir compte du fait qu’en 2004, les pratiques n’étaient plus mises en œuvre dans l’ensemble des régions.
335. L’Autorité répond, sur l’application de l’article 22 du communiqué de 2015 que les sociétés Brenntag ne peuvent prétendre à bénéficier de l’immunité prévue par cette disposition dès lors qu’elles n’ont pas été les premières à dénoncer les ententes dans chacune des zones concernées et que les éléments qu’elles ont fournis n’étaient pas tous incontestables.
336. Sur le périmètre de la valeur des ventes, elle souligne qu’il résulte d’une jurisprudence constante que dès l’instant où une catégorie de produits ou de services est en relation avec l’infraction, la valeur des ventes de cette catégorie de produits ou de services doit être prise en compte sans qu’il y ait lieu de ne retenir que celles qui ont subi l’influence de l’entente ou celles réalisées aux clients ayant fait l’objet de l’entente.
Sur ce, la Cour,
337. En premier lieu, s’agissant de l’immunité partielle dont les sociétés Brenntag demandent le bénéfice en application de l’article 22 du communiqué du 3 avril 2015 sur la procédure de clémence, l’Autorité ne conteste pas le droit de celles-ci à demander l’application de cette règle, bien que cette dernière soit issue d’un communiqué qui n’était pas en vigueur à la date des faits, mais fait valoir qu’elles ne remplissent pas les conditions prévues par ce texte.
338. Il y a lieu de rappeler que cette disposition prévoit que « si l’entreprise qui présente la demande est la première à fournir des preuves incontestables permettant à l’Autorité d’établir des éléments de fait supplémentaires ayant une incidence directe sur la détermination du montant des sanctions pécuniaires infligées aux participants à l’entente, l’Autorité ne tiendra pas compte de ces faits pour fixer le montant de l’amende infligée à l’entreprise qui les fournit ».
339. En l’espèce, il résulte des pièces produites lors de la procédure de clémence que si la société Solvadis a expressément dénoncé des pratiques mises en œuvre dans la zone du grand ouest, elle a également fourni des pièces consistant en des déclarations circonstanciées dès la déclaration de clémence et lors de ses déclarations complémentaires des 19 octobre et 26 décembre 2006, dont il ressort que des pratiques similaires à celles dénoncées dans la zone grand ouest ont également été mises en œuvre dans d’autres zones du territoire national telles que le nord, la région Rhône-Alpes, et l’est de la France.
340. L’avis de clémence n° 07-AC-Ol du 7 février 2007 délivré aux sociétés Solvadis et Quaron, concernant leur demande présentée le 20 septembre 2006, précise que les pratiques dénoncées « auraient eu principalement pour objet, d’une part, des répartitions de marchés, de clientèle, de lignes de produits et de marchés chez les mêmes clients, d’autre part, des hausses concertées et abusives du prix des produits chimiques de 1999 à 2005, enfin des échanges d’informations. Il ressort des pièces fournies par Solvadis que ces pratiques, ou des pratiques similaires, auraient concerné non seulement la zone du grand Ouest, mais également d’autres zones du territoire national telles que le nord, la région Rhône-Alpes, et l’est de la France. ».
341. Il s’ensuit que l’Autorité avait déjà connaissance de l’existence de pratiques mises en œuvre dans ces trois zones géographiques que sont le nord, la région Rhône-Alpes, et l’est de la France et disposait d’éléments de preuve de ces pratiques lorsque les sociétés Brenntag ont à leur tour saisi l’Autorité d’une demande de clémence le 26 octobre 2006, de sorte que les sociétés Brenntag ne peuvent prétendre avoir été les premières à fournir à l’Autorité des éléments de faits sur les pratiques mises en œuvre dans ces trois régions. Les éléments fournis par les sociétés Brenntag n’ont permis que de conforter ceux fournis par la société Solvadis.
342. Cette absence de primauté suffit à écarter le bénéfice de l’immunité partielle prévue à l’article 22 du communiqué du 3 avril 2015 sur la procédure de clémence. Il n’y a pas lieu en conséquence d’exclure du montant de base servant d’assiette à la sanction la valeur des ventes dans les zones Nord, Bourgogne et Rhône-Alpes.
343. En second lieu, s’agissant du périmètre de la valeur des ventes, il convient de rappeler qu’aux termes du troisième alinéa du I de l’article L. 464-2 du code de commerce « [l]es sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l’importance du dommage causé à l’économie, à la situation de l’organisme ou de l’entreprise sanctionnée ou du groupe auquel l’entreprise appartient et à l’éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ».
344. Pour proportionner la sanction aux deux critères légaux de gravité de l’infraction et de dommage à l’économie, l’Autorité a choisi, comme la Commission européenne, de se référer à la valeur des ventes de « produits ou services en relation avec l’infraction » réalisées par chaque entreprise. Ainsi, selon le point 23 du communiqué sanctions :
« La valeur de ces ventes constitue en effet une référence appropriée et objective pour déterminer le montant de base de la sanction pécuniaire, dans la mesure où elle permet d’en proportionner au cas par cas l’assiette à l’ampleur économique de l’infraction ou des infractions en cause, d’une part, et au poids relatif, sur le(s) secteur(s) ou marché(s) concerné(s), de chaque entreprise ou organisme qui y a participé, d’autre part. (...) ». Le point 35 du communiqué précise que cette valeur correspond au chiffre d’affaires de l’entreprise relatif aux produits ou services en cause.
345. Il résulte d’une jurisprudence européenne constante que cette notion de valeur des ventes ne saurait être entendue comme ne visant que le chiffre d’affaires réalisé avec les seules ventes pour lesquelles il est établi qu’elles ont réellement été affectées par l’entente. Une telle limitation serait en effet de nature à minimiser artificiellement l’importance économique de l’infraction en raison de la difficulté d’obtenir des preuves directes des ventes réellement affectées par l’entente et conduirait à infliger une amende sans relation réelle avec le champ d’application de cette entente. Une telle prime au secret porterait atteinte à l’objectif de poursuite et de sanction efficace des infractions à l’article 101 TFUE et, partant, ne saurait être admise (arrêts CJUE Team Relocations 11 juillet 2013, C-444/11 P, point 77 ; Guardian Industries et Guardian Europe, 12 novembre 2014, C-580/12 P, point 58).
346. En l’espèce, pour traduire, une appréciation chiffrée de l’ampleur économique de l’infraction, il convient donc de tenir compte de la valeur des ventes de commodités chimiques réalisées par chacun des dépôts concernés par l’entente, sans qu’il y ait lieu de les limiter aux seules ventes des commodités chimiques dont il est établi qu’elles ont subi l’influence de l’entente ni à celles faites aux seuls clients dont il est établi qu’ils ont été concernés par l’entente. Au demeurant, les objectifs assignés de stabilisation des positions de marché et de restauration des marges des sites concernés, exposés dans les demandes de clémence, et notamment par les sociétés Brenntag et Univar, ne pouvaient être atteints qu’à la condition que les pratiques couvrent la quasi-totalité des ventes des sites en cause. Ni la société Solvadis ni la société Univar n’ont contesté les griefs notifiés, lesquels portent sur une pratique d’entente n’ayant pas ciblé de clients particuliers. Enfin, il a été établi que l’entente s’appliquait à toutes les commodités chimiques vendues par les dépôts concernés et que si localement, l’entente a pu porter sur certaines commodités plutôt que d’autres, c’est uniquement en raison de la spécialité du dépôt concerné dans la distribution de certaines gammes de produits.
347. En revanche, contrairement à la méthode appliquée dans la décision attaquée — fondée sur la valeur totale des ventes de commodités chimiques effectuées par les dépôts concernés en 2004 (hors droitures) sur les sites de Torcy, Chassieu, Andance, Torcy, Saint Herblain et Grez-en-Bouere — il est plus approprié de retenir, comme le propose l’Autorité dans ses observations du 28 janvier 2020, la valeur des ventes de commodités chimiques effectuées par les dépôts (hors droitures) dans toutes les zones concernées par l’entente unique, au cours du dernier exercice complet de leur participation à l’infraction, ainsi, pour la zone Nord celles réalisées par le site de Torcyen 2000, pour la zone Rhône-Alpes celles réalisées par les sites de Chassieu et Andance en 2004, pour la zone Bourgogne celles réaliées par le site de Torcy en 2002 et pour la zone Ouest, celles réalisées par les sites de Saint-Herblain et Grez-en-Bouere en 2002.
348. Cette nouvelle méthode conduit à une meilleure individualisation et proportionnalité de la sanction de l’infraction. En outre, elle ne fait pas grief aux sociétés Brenntag, ni à la société Deutsche Bahn AG en ce qu’elle conduit à un montant légèrement inférieur à celui retenu dans la décision annulée.
349. Enfin, cette nouvelle méthode, qui ne s’écarte pas du communiqué sanction, tient compte du fait que la participation à l’entente n’a pas cessé dans toutes les zones en 2004. Elle conduit à appliquer à chacun des résultats obtenus un coefficient multiplicateur traduisant la durée réelle de participation des sociétés Brenntag dans chaque zone, de sorte qu’il n’est plus pertinent d’appliquer l’abattement de 25 % initialement mis en œuvre pour tenir compte de cette disparité de durée de participation.
350. Ainsi, seront retenues les valeurs des ventes précisées dans la note en délibéré produite par l’Autorité, et qui ne sont pas contestées, soit :
– dans la région Nord, (site de Wattrelos) : 11 479 000 euros correspondant à la valeur des ventes réalisée en 2000 ;
– dans la région Rhône-Alpes (sites de Chassieu et d’Andance) : 2 814 2000 euros correspondant à la valeur des ventes réalisée en 2004 ;
– dans la région Bourgogne (site de Torcy) : 7 584 000 euros correspondant à la valeur des ventes réalisée en 2002 ;
– dans la région Ouest (sites de Saint Herblain et Grez-en-Bouere) : 2 720 1000 euros correspondant à la valeur des ventes réalisée en 2002.
2. Sur les autres éléments servant à déterminer le montant de base de la sanction
a) la gravité des faits
351. Les sociétés Brenntag soutiennent que la gravité des faits doit être minorée en raison :
– d’une étendue géographique marginale, les départements concernés par l’entente ne représentant que 8 % du territoire français ;
– d’une minorité de clients industriels concernés ;
– de l’étendue matérielle limitée des pratiques : l’entente n’était pas systématiquement étendue à tous les modes de livraisons (en étaient exclues les livraisons dites « droitures », réalisées directement du producteur au client sans passer par les dépôts ou à tous les produits, pour parfois ne concerner qu’un seul d’entre eux).
– de l’absence de caractère secret particulier : à une exception près (utilisation d’une ligne téléphonique dédiée pendant trois ans dans la zone Rhône-Alpes), n’a pas été mise en œuvre de stratégie particulière visant à préserver le secret ou la confidentialité des pratiques, lesquelles par nature présentent un caractère secret.
– de l’absence de surveillance effective des pratiques : faute de sanction en cas de déviation des accords et faute de mécanisme organisé ou systématique de vérification, il n’existait pas de mécanisme effectif de surveillance mutuelle entre les différents participants dans chacune des zones.
352. L’Autorité répond que l’infraction unique, complexe et continue en cause visait par sa nature même à manipuler des paramètres essentiels de la concurrence dans le secteur visé et constitue – en tant qu’entente horizontale de fixation de prix – une infraction très grave. Elle considère que les arguments des sociétés Brenntag relatifs au nombre de clients et au champ géographique de l’infraction sont erronés en fait et impropres à relativiser sa gravité en ce qu’ils ne portent pas sur ses caractéristiques objectives au sens des points 25 et 26 du communiqué sanction, et qu’en tout état de cause, ils ont déjà été pris en compte au stade de la détermination de la valeur des ventes.
353. Elle rappelle qu’il est constant que l’infraction est d’autant plus grave qu’elle a revêtu un caractère secret, la rendant particulièrement difficile à détecter, et traduisant dans une certaine mesure, son caractère délibéré, et souligne que dans la zone Rhône-Alpes, une ligne téléphonique dédiée avait été souscrite au nom d’une secrétaire pour organiser l’entente sur cette zone.
Sur ce, la Cour,
354. L’article L. 464-2 du code de commerce prévoit que les sanctions sont, en premier lieu, déterminées en fonction de la gravité des faits.
355. Le communiqué sanctions, en ses points 25 et 26, recommande, pour apprécier la gravité de l’infraction, de prendre en considération notamment la nature de l’infraction en cause et des faits retenus pour la caractériser ainsi que ses caractéristiques objectives (caractère secret ou non, degré de sophistication, existence de mécanismes de police ou de mesures de représailles, détournement d’une législation).
356. En l’espèce, l’infraction en cause est une entente horizontale entre concurrents dont l’objet était de manipuler l’allocation des clients et le prix des produits, au lieu de laisser ces paramètres à la libre appréciation des entreprises dans le cadre de la détermination autonome de leur politique commerciale et de leur comportement sur le marché. Elle visait donc deux des paramètres essentiels de la concurrence dans le secteur concerné.
357. En outre, bien qu’aucun mécanisme institutionnalisé de rétorsion, de représailles ou de sanctions n’ait été constaté, de nombreux éléments du dossier démontrent l’existence d’une surveillance effective du marché par les membres de l’entente dans l’objectif de s’assurer que les accords convenus étaient bien respectés. Ainsi, la société Brenntag SA a assuré la surveillance de la pratique sur les zones nord (cotes 2869 et 34826), Rhône-Alpes (cote 576, 06/0075 AC, cote 32911), Bourgogne (cotes 267, 361, 362, 370, et 386, 06/0075 AC) et dans une moindre mesure sur la zone ouest (cotes 361, 362, 370, et 386, 06/0075 AC), notamment par le biais de vérifications auprès de certains clients, et par le rappel à ses concurrents de la nécessité de respecter les décisions prises en commun.
358. En outre, la société Brenntag SA a admis la nécessité d’organiser des réunions et contacts téléphoniques réguliers afin de vérifier le bon fonctionnement de l’entente, et plus particulièrement, la préservation des volumes et des parts de marché de chacun des participants (cote 576, dossier 06/0075 AC). La société Univar a également exercé une surveillance de la pratique sur les zones Rhône-Alpes (cotes 11143 à 11144) et ouest (cote 415, 06/00092 AC).
359. Un tel système de surveillance, mis en place notamment par la société Brenntag SA qui est l’entreprise ayant pris la part la plus active dans l’infraction et disposant de la plus grande puissance de marché, a pu susciter des craintes de représailles en cas de déviations par rapport aux accords conclus.
360. Enfin, dans la zone Rhône-Alpes, plusieurs participants aux réunions de concertation ont souligné leur caractère secret (cotes 11143 à 11144, 13312 à 13314, et 33114 à 33121). Il est également établi que les représentants de la société Brenntag SA et de la société Univar avaient utilisé des lignes téléphoniques dédiées à l’organisation de la concertation dans cette zone. Entre 2002 et 2005 au moins, pour permettre des échanges réguliers entre les parties, deux employées des entreprises avaient chacune ouvert à leur nom, à la demande de leur hiérarchie, une ligne fonctionnelle dédiée à la concertation, afin d’éviter que des traces de communication entre les deux concurrents n’apparaissent sur leurs relevés respectifs, témoignant ainsi de la conscience du caractère prohibé de leurs pratiques (cote 33116, 14645 et 14646).
361. L’ensemble des ces éléments font de l’entente notifiée aux sociétés Brenntag une infraction particulièrement grave.
362. Le fait que cette entente n’avait pas une ampleur nationale ne permet pas de retenir une circonstance atténuante dès lors qu’elle était étendue à plusieurs régions, ce qui suffit à caractériser la particulière gravité du comportement en cause.
363. La gravité de la pratique ne saurait davantage être minorée au motif que qu’elle n’aurait concerné qu’un nombre limité de clients dès lors, comme il a déjà été exposé au paragraphe 344 du présent arrêt, que l’entente en cause portait sur la stabilisation des parts de marché et de répartition de clients et avait ainsi pour objet de couvrir l’ensemble des clients de la zone considérée. Les effets concrets de la pratique seront quant à eux appréciés lors de l’examen du dommage causé à l’économie.
b) l’importance du dommage à l’économie
364. Les sociétés Brenntag font valoir que le dommage à l’économie doit être apprécié au regard de l’ampleur de l’infraction, des caractéristiques économiques des activités, des secteurs ou des marchés en cause, et des conséquences conjoncturelles et structurelles de l’infraction.
365. S’agissant de l’ampleur des pratiques, elles font valoir :
– que l’étendue géographique des pratiques est marginale pour être limitée à 8 % du territoire national ;
– que l’importance des entreprises membres de l’entente au regard de leur part de marché doit être appréciée en tenant compte de la « part de marché des ententes », sur la base du seul chiffre d’affaires concerné par les ententes, et non de la part de marché cumulée des parties prise sur le secteur dans son ensemble comme l’a fait la notification des griefs. Les sociétés Brenntag soutiennent que l’Autorité n’a pas fait cette analyse et tente dans ses observations de pallier cette lacune en se fondant sur la cote 251 de la saisine 06/0064 AC, laquelle, selon elles, outre qu’elle n’est pas pertinente, est une pièce illicite en ce qu’elle fait partie des pièces recelées par M. A.
366. S’agissant des caractéristiques économiques du secteur, elles invoquent :
– l’existence de barrières à l’entrée du marché qui, selon elles, ne renforcent pas l’importance du dommage à l’économie mais, au contraire, constituent un facteur de limitation de ce dommage, et qu’en tout état de cause, l’infraction n’a pas eu de conséquence sur la possibilité pour de nouveaux entrants de pénétrer le marché ;
– l’existence d’alternatives d’approvisionnement ouvertes aux clients : les clients pouvaient facilement échapper aux ententes en faisant appel aux alternatives d’approvisionnement existantes ;
– la faible élasticité du prix du point de vue des clients qui provient largement de ce que les quantités achetées de chaque produit par un client concerné sont faibles, et de sorte que les pratiques influent peu sur les coûts perçus par ce client dans son propre processus industriel.
367. S’agissant des conséquences conjoncturelles et structurelles, elles soutiennent :
– que le surcoût engendré par les pratiques se situerait, dans le pire scénario, entre 22 et 23 millions d’euros en se fondant sur une étude économétrique que la société Univar avait produite devant l’Autorité ;
– qu’il n’est pas apporté de preuve de ce qu’un éventuel surcoût serait répercuté en chaîne jusqu’au consommateur final, les clients de la société Brenntag SAétant eux- mêmes des transformateurs de produits, de sorte qu’il est difficile de déterminer quelle part d’un éventuel surprix est répercutée au consommateur final. En tout état de cause, au vu de la très faible part du coût du produit final que représentent les commodités chimiques, il peut être conclu, selon les sociétés Brenntag, que, même en cas de répercussion jusqu’au consommateur final, ce dernier n’a pu subir ou constater aucune hausse de prix sensible ou mesurable ;
– que les pratiques ont eu une faible incidence générale en raison :
. du volume effectivement concerné par les ententes qui représente, dans les quatre régions concernées, moins de 2 % du total des commodités chimiques vendues dans ces régions,
. de ce que 85 à 97 % des ventes de commodités se font directement par les fabricants (les grands groupes de chimie),
. de ce que les ententes, ne touchant qu’une petite partie du nombre de clients, représentaient nettement moins de la moitié des commodités vendues par les dépôts. Elles soulignent que la clientèle concernée est constituée d’industriels qui disposent d’une puissance d’achat importante leur permettant d’exercer une pression à la baisse des prix et qu’il est constant qu’en présence d’une clientèle composée exclusivement d’entreprises, le dommage causé à l’économie est moins important.
368. L’Autorité répond, s’agissant de l’ampleur des pratiques, que le chiffre d’affaires des membres de l’entente dans les régions concernées représente entre 25 % et 50 % de leur chiffre d’affaires total, droitures incluses, et que les zones géographiques concernées par l’entente, dans lesquelles prévalait une concurrence relative forte, correspondent à des grands bassins industriels du territoire national. Elle souligne que les entreprises en cause réalisaient à l’époque la majorité des ventes de commodités chimiques au niveau national, que leur part de marché cumulée se montait, en particulier, à plus de 80 % en 2004, et, que, dans les régions concernées par l’infraction, les entreprises en cause représentaient la quasi-totalité de l’offre de distribution de commodités chimiques. Elle rappelle que l’ensemble des clients et des produits des différents dépôts étaient concernés par les pratiques.
369. S’agissant des caractéristiques économiques du secteur concerné, elle soutient qu’au cours de la période antérieure aux pratiques, le secteur connaissait une situation particulièrement concurrentielle, et que ce sont les barrières à l’entrée qui ont permis que les pratiques, une fois mises en œuvre, produisent des effets significatifs sur les prix, de sorte que ces barrières constituent donc bien un facteur ayant accru le dommage à l’économie causé par les pratiques, quand bien même ces barrières résultent de contraintes législatives, réglementaires ou économiques et non du comportement des parties. Elle ajoute que la faible élasticité-prix de la demande, établie en l’espèce et qui n’est pas contestée par les sociétés Brenntag, est donc de nature à amplifier le dommage à l’économie en permettant aux auteurs des pratiques d’élever leurs prix de façon importante sans subir en retour une diminution trop importante des volumes vendus.
370. S’agissant des conséquences conjoncturelles ou structurelles, elle expose que pour apprécier l’effet des pratiques, les hausses des prix qui en résultent doivent être mesurées non en fonction du prix de vente ou de revient des produits finis, mais par rapport au prix des produits visés par les pratiques. Elle souligne que le fait que le poids des commodités chimiques dans le coût de production des produits finals soit limité est d’autant moins un facteur atténuant du dommage que, comme le soulignent les sociétés Brenntag elles-mêmes, l’éventuel surcoût de la commodité chimique a très peu d’impact sur le coût total des produits fabriqués par les clients et est donc « très facilement répercutable par les clients » de sorte qu’elles pouvaient accroître significativement le prix de leurs produits sans pour autant subir de diminution de leur demande.
371. Le ministre chargé de l’économie partage l’analyse faite par l’Autorité pour l’évaluation du dommage à l’économie.
Sur ce, la Cour,
372. Conformément à l’article L. 464-2 du code de commerce il doit, en deuxième lieu, être tenu compte de l’importance du dommage causé à l’économie pour définir une sanction proportionnée.
373. Le communiqué sanctions a précisé la méthodologie suivie pour l’apprécier, en son point
32. Le dommage à l’économie causé par l’entente doit ainsi être apprécié au regard de l’ampleur de l’infraction, caractérisée notamment par sa couverture géographique ou par la part de marché cumulée des participants sur le secteur ou le marché concerné, de sa durée, de ses conséquences conjoncturelles ou structurelles, ainsi que des caractéristiques économiques pertinentes du secteur ou du marché concerné.
374. En l’espèce, si l’entente unique, complexe et continue n’a été mise en œuvre qu’à partir de sites disséminés dans huit départements, il est constant que ces départements sont situés dans quatre grandes régions différentes où sont implantés de grands bassins industriels français, parmi les plus importants, comme le montre la carte figurant au paragraphe 808 de la notification des griefs. En outre, il n’est pas contesté que cette infraction a été mise en œuvre par quatre des principaux distributeurs de commodités chimiques, les plus fortement implantés dans chacune des zones concernées et qui y représentaient la quasi-totalité de l’offre de distribution de commodités chimiques.
375. Quant aux caractéristiques économiques objectives du secteur en cause de nature à influer sur les conséquences conjoncturelles ou structurelles de la pratique, il y a lieu de rappeler, en premier lieu, que le secteur de la distribution des commodités chimiques est caractérisé par de fortes barrières à l’entrée, comme cela a été rappelé aux paragraphes 8 et 9 du présent arrêt et confirmé par les entreprises en cause dans leurs déclarations de clémence. Tout nouvel entrant doit consentir de lourds investissements pour acheter un dépôt existant ou en créer un et peut se trouver en outre confronté à une certaine réticence de la part des pouvoirs publics à autoriser l’ouverture d’un site de produits dangereux. Il n’est pas contesté qu’aucun nouvel acteur n’est entré sur le marché au cours des vingt dernières années comme le souligne l’Autorité dans ses observations.
376. Contrairement à ce que soutiennent les sociétés Brenntag, ces barrières à l’entrée sont de nature à amplifier les conséquences dommageables des pratiques constatées. En effet, l’éventualité d’une entrée de nouveaux offreurs sur le marché s’en trouve fortement réduite et le jeu de la concurrence ne s’exerce quasiment exclusivement qu’entre les quatre distributeurs, auteurs des pratiques, qui lui ont précisément substitué une collusion dans les zones géographiques où régnait une forte concurrence avant la mise en œuvre de l’entente.
377. En deuxième lieu, les commodités chimiques entrent dans un processus de fabrication industrielle de produits spécifiques pour lesquels il n’est pas possible de substituer une commodité à une autre de sorte que l’utilisateur continuera donc à se fournir, y compris au prix supra compétitif déterminé par les distributeurs et en volume équivalent. Cette faible élasticité du prix du côté de la demande, qui n’est pas contestée par les sociétés Brenntag, est donc de nature à amplifier le dommage à l’économie en permettant aux auteurs des pratiques d’élever leurs prix de façon importante sans subir en retour une diminution trop importante des volumes vendus.
378. En outre, contrairement à ce que soutiennent les sociétés Brenntag, les clients industriels des sites affectés par l’entente ne pouvaient pas recourir utilement à d’autres sources d’approvisionnement en s’adressant directement aux producteurs ou en se faisant livrer en droitures, dès lors que ces modes d’approvisionnement sont hors du marché de la distribution des commodités, et s’adressent à des clients qui souhaitent acheter par petites quantités pour éviter toute difficulté liée au stockage de ces produits et bénéficier des services spécifiques que seuls les distributeurs proposent. Si, comme le font valoir les sociétés Brenntag, il n’est pas exclu qu’en cas de hausse trop importante des prix dans l’ensemble des dépôts d’une région, certains clients puissent envisager de s’approvisionner dans une autre région, il n’en reste pas moins que cette possibilité ne paraît pouvoir concerner que les clients localisés suffisamment près d’un distributeur non impacté par la pratique. Cette possibilité peut être de nature à tempérer l’importance du dommage causé à l’économie sans toutefois permettre de considérer que les caractéristiques du secteur seraient telles qu’elles rendraient la pratique peu dommageable pour l’économie
379. En dernier lieu, comme il a été exposé aux paragraphes 5 et 6 du présent arrêt, les clients des distributeurs de commodités chimiques exercent une grande variété d’activités et sont notamment actifs dans les secteurs tels que l’industrie chimique, l’agro-alimentaire, l’automobile, les blanchisseries hospitalières et privées, le traitement des eaux, l’armement, l’industrie du béton et du liant routier, l’industrie de la désinfection et du nettoyage, les laiteries, la fabrication de peinture, les industries mécanique et aéronautique, le textile. Les commodités chimiques étant des produits intermédiaires entrant dans la fabrication de nombreux produits transformés, puis vendus à des consommateurs finals, l’augmentation du prix initial à raison de l’infraction a potentiellement pour effet de conduire les transformateurs à augmenter, fût-ce faiblement lorsque la commodité représente une faible part du coût de fabrication, le prix que le consommateur paiera, sauf à diminuer leur marge, ce qui contribue aussi au dommage à l’économie.
380. Enfin, le nombre limité de produits et de clients concernés, allégué par les sociétés Brenntag, ne permet pas d’atténuer l’importance du dommage à l’économie résultant des spécificités du secteur et du contexte qui viennent d’être exposés.
381. En outre, la circonstance que près de 90 % des commodités chimiques sont vendues directement par les producteurs aux utilisateurs industriels n’est pas opérante, dès lors que l’entente a été circonscrite aux transactions réalisées sur le marché de la vente des commodités chimiques par des distributeurs, distinct de celui de la vente directe par les producteurs
382. Eu égard à la particulière gravité de l’infraction et au dommage significatif à l’économie tels que caractérisés par les éléments qui viennent d’être exposés, il convient de fixer à 20 % la proportion du montant de base.
c) la durée de l’infraction
383. Les sociétés Brenntag proposent de retenir les coefficients multiplicateurs suivants :
– Nord : 2,37 pour une durée de 3 ans et 9 mois ;
– Rhône-Alpes : 3,62 pour une durée de 6 ans et 3 mois ;
– Bourgogne : 3 pour une durée de 5 ans ;
– Ouest : 3 pour une durée de 5 ans.
Sur ce la Cour,
384. Aux termes de l’article L. 464-2 du code de commerce, les sanctions doivent être déterminées individuellement pour chaque entreprise.
385. Afin de tenir compte de la durée de la participation des sociétés mises en cause, il convient d’appliquer les coefficients multiplicateurs déterminés conformément à la méthode décrite au point 42 du communiqué-sanctions et à la pratique décisionnelle de l’Autorité en cette matière, dont les sociétés Brenntag demandent l’application dans leurs observations. Il en résulte que, lorsque la durée de participation excède une année, il y a lieu de retenir la valeur des ventes pendant l’exercice comptable de référence, puis à la moitié de cette valeur au titre de chacune des années complètes suivantes. Au-delà de la dernière année complète de participation à l’infraction, la période restante est prise en compte au mois près, dans la mesure où les éléments du dossier le permettent.
386. En l'espèce, au vu des éléments retenus aux paragraphes 208 à 224 du présent arrêt, la Cour retiendra donc les durées et les coefficients multiplicateurs suivants :
- Nord : 2,33 pour une durée de 3 ans et 8 mois, la participation de la société Brenntag SA à l'entente ayant duré du 17 décembre 1997 à septembre 2001 ;
- Rhône-Alpes : 3,83 pour une durée de 6 ans et 8 mois, sa participation à l'entente ayant duré du 30 septembre 1998 à juin 2005 ; et non de 6 ans et 3 mois comme indiqué à tort par les sociétés Brenntag. En effet, si la société Brenntag SA a eu un rôle moins actif dans l'entente au cours de l'été 2003 jusqu'à décembre 2003, les effets de l'entente s'étaient toutefois nécessairement poursuivis pendant cette période de sorte qu'il est approprié de retenir une durée de 6 ans et 8 mois pour réfleter l'ampleur de sa participation dans l'entente dans cette zone.
- Bourgogne et Ouest : 2,95 pour une durée chacune de 4 ans et 11 mois, la participation ayant duré du 5 juin 1998 au 1er juin 2003 pour la première, et du 6 octobre 1998 au 1er octobre 2003 pour la seconde.
387. Ces coefficients, s’agissant des zones Nord, Bourgogne et Ouest sont légèrement moins élevés que ceux proposés par les sociétés Brenntag, différence qui résulte de ce qu’il est apparu approprié à la Cour d’arrondir à la baisse au mois inférieur la durée des ententes dans chaque zone.
388. Il en résulte qu’après application aux valeurs des ventes rappelées au paragraphe 348 du présent arrêt, du taux de 20 % traduisant l’appréciation de la gravité des faits et du dommage à l’économie ainsi que du coefficient multiplicateur applicable à chacune des zones, la somme des résultats obtenus pour chaque zone géographique constitue le montant de base pertinent, lequel s’élève en l’espèce à 47 429 136 euros.
3. Sur les éléments d’individualisation
389. Les sociétés Brenntag font valoir qu’il y a lieu de retenir, au titre des éléments d’individualisation de la sanction, le fait que la société Brenntag SA a été à l’initiative de la cessation des pratiques comme l’ont reconnu les services de l’instruction dans la notification des griefs.
390. Elles contestent en revanche tout élément d’aggravation tenant au prétendu rôle d’initiateur de l’entente dans les zones Ouest, Rhône-Alpes et Bourgogne que les éléments recueillis au cours de l’instruction ne permettent pas d’établir contrairement à ce qu’a retenu la notification des griefs.
391. Elles ajoutent que le taux de 15 % de majoration appliqué par l’Autorité au titre de leur appartenance à un groupe est excessif au regard de la pratique décisionnelle de l’Autorité et rappelle que ce relèvement ne doit pas être automatique comme l’a jugé la Cour de cassation dans un arrêt du 21 octobre 2014.
392. L’Autorité répond que les éléments recueillis au cours de l’instruction, décrits aux paragraphes 818 à 827 de la notification de griefs, démontrent que la société Brenntag SA a tenu un rôle central dans l’organisation de l’entente tant dans sa conception que dans sa mise en œuvre. Elle souligne que la société Brenntag SA appartient à un groupe disposant d’une taille, d’une puissance économique et de ressources globales importantes au sens du point 49 du communiqué-sanctions.
393. Le ministre chargé de l’économie expose que si le groupe auquel appartient l’entreprise concernée dispose d’une taille, d’une puissance économique ou de ressources globales importantes, l’Autorité peut ajuster, à la hausse, le montant de la sanction pécuniaire infligée à ce groupe. S’agissant du taux de majoration, il souligne que l’Autorité n’a pas l’obligation d’appliquer à un groupe un taux mathématiquement et parfaitement corrélé aux taux retenus à l’égard d’autres groupes dans d’autres affaires et qu’en l’espèce, le taux retenu n’apparaît pas disproportionné.
Sur ce, la Cour,
394. Conformément au point 43 de son communiqué, afin d’individualiser la sanction, l’Autorité ajuste le montant de base qu’elle a défini pour tenir compte de circonstances atténuantes ou aggravantes, s’il y a lieu, et des autres éléments d’individualisation pertinents tenant à la situation de l’entreprise.
395. Ainsi peut constituer une circonstance aggravante de nature à augmenter le montant de base de la sanction, le fait que l’entreprise a joué un rôle de meneur ou d’incitateur, ou a joué un rôle particulier dans la conception ou dans la mise en œuvre de l’infraction (point 46 du communiqué sanctions).
396. Afin d’assurer le caractère à la fois dissuasif et proportionné de la sanction pécuniaire, l’Autorité peut ensuite, notamment, adapter à la hausse ce montant de base :
– lorsque l’entreprise concernée dispose d’une taille, d’une puissance économique ou de ressources globales importantes, notamment par rapport aux autres auteurs de l’infraction ;
– lorsque le groupe auquel appartient l’entreprise concernée dispose lui-même d’une taille, d’une puissance économique ou de ressources globales importantes, cet élément étant pris en compte, en particulier, dans le cas où l’infraction est également imputable à la société qui la contrôle au sein du groupe (point 49 du communiqué sanctions).
397. En l’espèce, s’agissant du rôle particulier joué par la société Brenntag SA dans l’infraction, les éléments décrits aux paragraphes 208 et suivants du présent arrêt établissent que, contrairement à ce que soutiennent les sociétés Brenntag, les déclarations recueillies au cours de l’instruction établissent que la société Brenntag SA a joué un rôle moteur dans l’initiative des accords et pratiques de concertations dans trois des quatre zones concernées (les zones Nord, Bourgogne et Ouest), et qu’elle a exercé une surveillance de la bonne exécution des accords dans chacune de ces zones en s’assurant, par le biais de réunions et d’appels téléphoniques, du bon respect des volumes et clients répartis ainsi que des parts de marché des différents membres. Elle a donc joué un rôle particulier dans la conception et la mise en œuvre de l’entente au sens du point 46 du communiqué qui justifie une majoration de 15 % du montant de base.
398. S’agissant de la puissance économique de la société Brenntag SA, dont il n’est pas contesté qu’elle appartient à un groupe d’envergure mondiale qui a réalisé en 2011 un chiffre d’affaires mondial consolidé de 8 679 300 000 euros, il y a lieu de constater que l’activité de la société Brenntag SA ne se limite pas aux régions dans lesquelles l’entente a été mise en œuvre, ni aux produits en cause, que son chiffre d’affaires en 2011, soit 455 061 000 euros, est environ 8 fois plus élevé que la valeur des ventes retenues comme assiette de sa sanction, et que, sur le marché concerné, son chiffre d’affaires est, en 2007, de plus du double de celui de son concurrent la société Univar et membre de l’entente, et du triple des autres membres de l’entente, comme le montre le tableau figurant au paragraphe 60 de la notification des griefs.
399. Cette puissance économique – liée à la position du groupe Brenntag, qui constituait à la date des pratiques l'un des leaders mondiaux du commerce de gros de produits chimiques – qui a favorisé la mise en oeuvre de l'entente en lui conférant un caractère quasi incontournable pour les motifs visés au paragraphe 397 du présent arrêt, et son appartenance à un groupe aux ressources globales très importantes - très largement supérieures à la valeur des ventes en relation avec la pratique et sans commune mesure avec les ressources des autres participants à l'entente –, sont de nature à justifier une majoration supplémentaire de 15 % du montant de base.
400. Quant au rôle joué par la société Brenntag SA dans la cessation des pratiques, si les éléments recueillis au cours de l’instruction font état des directives données en 2003 par la nouvelle direction de la société Brenntag SA afin de mettre fin aux pratiques dénoncées, les déclarations de clémence des sociétés Brenntag sont loin d’être univoques pour l’ensemble des zones géographiques concernées. Au demeurant, les pratiques n’ont pas toutes cessé en 2003. Ainsi, dans la zone Nord, les sociétés Brenntag ont indiqué dans leur demande de clémence que les pratiques avaient cessé en 2001 du fait de tensions avec l’un des membres de l’entente de sorte qu’il était devenu impossible de la maintenir (cotes 34823 à34826), tandis que dans la zone Ouest, la concertation trilatérale sur les solvants avait cessé en 2002 sur l’initiative de Lambert-Rivière. Quant à la zone Rhône-Alpes, si l’année 2003 marque un temps de suspension, les pratiques ont néanmoins repris à compter de décembre 2003 jusqu’en juin 2005.
401. Ces éléments sont de nature à écarter tout rôle moteur prépondérant des sociétés Brenntag dans la cessation des pratiques de nature à justifier une minoration de la sanction.
402. Il s’ensuit qu’il y a lieu de fixer la sanction à infliger à la société Brenntag SA, en tant qu’auteure, et à la société Deutsche Bahn AG, venant aux droits de la société DB Mobility Logistics AG, en tant que société mère, à la somme de 62 725 032 euros, laquelle est inférieure au plafond légal correspondant au chiffre d’affaires annuel consolidé en 2011 à 8 679 300 000 euros.
4. Sur l’application du IV de l’article L. 464-2 du code de commerce
403. Dans l’avis de clémence délivré aux sociétés Brenntag, l’Autorité a fixé le taux d’exonération partielle de la sanction dans une fourchette allant de 25 à 35 % en subordonnant l’exonération partielle envisagée à plusieurs conditions dont :
– celle tenant à la pertinence des éléments apportés par les sociétés Brenntag qui doivent contribuer à établir la réalité des pratiques dénoncées et à en identifier les auteurs ;
– celle d’une coopération totale, permanente et rapide tout au long de la procédure d’enquête et de l’instruction.
404. Les sociétés Brenntag font valoir que la Cour n’est pas tenue par la fourchette de taux fixée dans l’avis de clémence et demandent à bénéficier du taux de 50 %, qui est le taux maximum auquel peut prétendre un demandeur à la clémence de deuxième rang, et subsidiairement celui de 35 %, soit le taux maximum prévu par l’avis de clémence.
405. Elles font essentiellement valoir la valeur ajoutée significative des éléments qu’elles ont apportés et se prévalent de ce que la notification des griefs se fonde uniquement sur le dossier de clémence des sociétés Brenntag pour l’établissement des pratiques dans les zones Nord et Bourgogne, et se base essentiellement sur ce dossier pour l’établissement des pratiques dans les zones Ouest et Rhône-Alpes. Elles soulignent qu’elles ne contestent plus la portée de la réunion de Reims de 1998 comme marquant le lancement des pratiques dans la zone Nord.
406. Elles ajoutent que si la Cour doit statuer au fond, elle doit néanmoins respecter le principe général de non aggravation du sort du requérant en l’absence de recours du ministre, principe qui s’oppose à ce que la sanction soit aggravée.
407. L’Autorité considère que même si la coopération des sociétés Brenntag a été marquée par des défaillances suffisamment fortes pour alourdir la procédure notamment au stade de sa demande de clémence au regard notamment du nombre de pratiques dénoncées qui n’ont pas pu être établies, il est indéniable que la contribution des sociétés Brenntag a été déterminante afin de démontrer la réalité de certaines des pratiques alléguées et par conséquent, de notifier les griefs tels qu’ils ont pu l’être aux parties concernées.
408. Le ministre chargé de l’économie estime, quant à lui, que la demande de des sociétés Brenntag tendant à l’octroi du taux maximum d’exonération doit être rejetée au motif que si la contribution de l’entreprise Brenntag au cours de l’instruction a été réelle et déterminante afin de caractériser les pratiques en cause, il ressort des éléments au dossier que certaines déclarations des sociétés Brenntag et/ou de ses salariés étaient contradictoires, erronées et/ou ambiguës et n’ont, de toute évidence, pas toujours facilité le travail de l’instruction.
Sur ce, la Cour,
409. Le taux d’exonération partielle de la sanction accordé dans l’avis de clémence correspond à l’exonération envisagée que l’Autorité, lorsqu’elle fixe la sanction prévue au I de l’article L. 464-2 du code de commerce, peut revoir à la hausse ou la baisse en fonction d’une part, de la valeur ajoutée réelle des pièces et éléments transmis par le demandeur de clémence et, d’autre part, de son degré de collaboration avec les services de l’instruction. La Cour, exerçant son contrôle de légalité et au fond sur le seul recours des entreprises sanctionnées, peut revoir le taux accordé dans l’avis de clémence mais uniquement à la hausse, dans le respect du principe de non aggravation de la sanction.
410. La procédure de clémence permet aux entreprises d’obtenir, si les conditions sont réunies, une exonération totale ou partielle de sanction pour les pratiques anticoncurrentielles qu’elles ont dénoncées et qui ont fait l’objet de notification des griefs.
411. Le taux d’exonération accordé au demandeur à la clémence ne peut dépendre que de la valeur ajoutée des élément produits par ce dernier sur la base desquels les services d’instruction ont pu notifier des griefs, ainsi que de sa coopération avec les services de l’instruction.
412. Aussi, la circonstance que d’autres pratiques que celles sanctionnées aient également été dénoncées lors de la demande de clémence est indifférente, dès lors que l’insuffisance des éléments de preuve produits n’a pas permis à l’Autorité d’engager des poursuites.
413. En l’espèce, pour apprécier le taux d’exonération de la sanction encourue par les sociétés Brenntag, la Cour se bornera à apprécier le degré de coopération de ses sociétés avec les services de l’instruction et la valeur ajoutée des éléments produits par ces sociétés lors de leur demande de clémence qui ont permis de caractériser les pratiques de répartition de clientèle et de coordination tarifaire constitutives de l’entente unique, complexe et continue objet de la notification des griefs.
414. S’il est incontestable que les sociétés Brenntag ont fourni des éléments essentiels pour établir les pratiques sanctionnées, comme l’admet l’Autorité dans ses observations et comme en témoigne la notification des griefs, leur demande de clémence souffre toutefois d’insuffisances s’agissant :
– d’une part, des pratiques dénoncées dans la zone Nord pour lesquelles les sociétés Brenntag n’ont communiqué aucun élément matériel susceptible de témoigner de l’existence des pratiques alléguées, comme elles l’ont elles-mêmes précisé dans leur demande de clémence en indiquant : « Dans la mesure où les échanges d’informations et les répartitions de clients avaient lieu oralement à l’occasion de réunions tous les trois à quatre mois, Brenntag SA ne dispose pas de pièces démontrant l’existence des pratiques ». Ce sont les pièces saisies sur autorisation judiciaire, et particulièrement les notes d’un ancien commercial de la société Brenntag SA travaillant sur le site de Watterlos ainsi que les déclarations circonstanciées d’anciens salariés de la société Brenntag SA, de la société Districhimie (devenu Quaron) et de la société RPC-Clément (devenu Solvadis), recueillies par les services d’instruction lors d’auditions, qui ont permis d’établir les pratiques dénoncées dans cette zone ;
– d’autre part, des pratiques dénoncées dans la zone Rhône-Alpes, visant à la répartition de clientèle tant pour les solvants que pour les produits de la chimie minérale à partir de la fixation de tarifs en commun, pour lesquelles elles n’ont communiqué essentiellement que des pièces matérialisant les accords sur les produits de la chimie minérale. Ce sont les déclarations recueillies au cours d’auditions menées par les services de l’instruction qui ont permis d’établir l’intégralité des pratiques dénoncées.
415. Il en résulte que les sociétés Brenntag ne sauraient prétendre au taux maximal de 50 % pouvant être accordé au demandeur de second rang.
416. Par ailleurs, dans leurs observations faites en réponse à la notification des griefs, les sociétés Brenntag ont contesté que la réunion qui s’est tenue à Reims en 1998 ait marqué le lancement des pratiques dans la zone Nord, alors qu’elles l’avaient présentée comme telle dans leur demande de clémence. Ce revirement de position, en ce qu’il rendu plus difficile la tâche des services de l’instruction au stade de la rédaction de leur rapport, constitue un manquement au devoir de coopération.
417. La circonstance que les sociétés Brenntag aient ensuite admis, devant la Cour, que cette réunion a lancé les pratiques dans cette région est sans incidence, son devoir de coopération s’appréciant à l’égard des services de l’instruction de l’Autorité, étant souligné au demeurant que le travail supplémentaire que leur a causé ce revirement n’a pas disparu du fait du nouveau changement de position des sociétés Brenntag sur l’existence et l’objet de cette réunion.
418. Ce manquement au devoir de coopération, fut-il modéré en ce qu’il ne porte que sur un élément isolé, doit être pris en considération pour la fixation du taux d’exonération de la sanction.
419. Il résulte de l’ensemble de ces éléments que le taux d’exonération de la sanction doit être fixé à 25 %.
5. Sur l’extension du bénéfice de l’exonération partielle de sanction au profit de la société Deutsche Bahn AG, venant aux droits de la société DB Mobility Logistics AG
420. La société Deutsche Bahn AG, venant aux droits de la société DB Mobility Logistics AG demande à la Cour de juger que toute réduction d’amende obtenue par la société Brenntag SA au titre de la clémence doit lui bénéficier au motif que :
– l’obligation de paiement d’une société mère est purement dérivée et accessoire à la responsabilité personnelle de la filiale de sorte que la sanction qui lui sera infligée ne peut être qu’une fraction de la sanction imposée à la société Brenntag SA en proportion de la durée pendant laquelle cette entité économique est considérée avoir existé par rapport à la période de l’infraction reprochée (c’est- à-dire de décembre 1997 à janvier 2004 s’agissant de la société DB Mobility Logistics AG) et ne pourra être, en tout état de cause, supérieure à celle infligée à la société Brenntag SA. Elle s’appuie sur une décision du Tribunal de l’Union européenne du 29 février 2016 (Uti Worldwide e.a, T-264/12,) ayant annulé une décision de la Commission pour avoir arrondi à la baisse la durée de participation des filiales ayant conduit à une remise cumulée d’une période d’environ un mois en leur faveur, sans accorder la même remise à la société mère.
– tout refus d’étendre le bénéfice de la clémence à la société DB Mobility Logistics AG enfreindrait en l’espèce son droit à un procès équitable dès lors que n’étant informée que par la notification des griefs de l’existence d’une instruction la concernant, elle n’a pas été mise en mesure de recourir à la procédure de clémence, et méconnaîtrait le principe de la personnalisation des peines.
421. La société Deutsche Bahn AG , venant aux droits de la société DB Mobility Logistics AG, fait également valoir que des éléments militent en faveur d’une sanction symbolique comme l’avait proposé le rapport, en ses §1038 et 1039, qui soulignait que cette affaire était la première où l’Autorité devait se prononcer sur la question du bénéfice à la mère de la clémence accordée à la fille pour notamment déterminer si elle entendait suivre ou non les solutions dégagées par la pratique décisionnelle de la Commission et du Tribunal (arrêt Hoeschst GMBH). À cet égard, elle rappelle que la procédure de clémence entre dans le champ de l’autonomie procédurale dont jouissent les autorités nationales de concurrence par rapport à la pratique décisionnelle de la Commission.
422. Elle demande à la Cour de tenir compte, au stade de la détermination de la sanction, des arguments qu’elle a développés au soutien du renversement de la présomption d’influence déterminante.
423. Elle demande également à la Cour de tenir compte de sa coopération dans le cadre de la réouverture des débats, et particulièrement du fait qu’elle ne conteste plus la matérialité des faits et leur qualification d’infraction unique, complexe et continue, ce qui constitue un gain procédural évident pour la Cour, qu’elle invite à s’inspirer de la pratique décisionnelle de la Commission qui, dans de récentes affaires, a récompensé la coopération des entreprises mises en cause dans la caractérisation de l’infraction par l’octroi de réductions d’amende significatives.
424. L’Autorité répond qu’il existe une jurisprudence claire des juridictions de l’Union (arrêt du Tribunal du 11 juillet 2014, T-543/08, RWE) que le bénéfice de la clémence ne peut être étendu à une société qui ne faisait plus partie de l’unité économique constituée avec une entreprise au moment où cette dernière a coopéré avec l’Autorité de concurrence.
425. Elle souligne que si l’Autorité n’est pas légalement tenue de faire sienne cette jurisprudence dès lors que la procédure de clémence entre dans le champ de l’autonomie procédurale dont jouissent les autorités nationales de concurrence, il lui est pour autant loisible d’en tenir compte et qu’il est opportun, en l’occurrence, de s’en inspirer, dans un double souci de cohérence entre les règles de fond prévues par le droit de la concurrence et les outils procéduraux institués par le code de commerce, d’une part, et entre les politiques de clémence conduites au sein du Réseau européen de la concurrence, d’autre part.
426. Le ministre chargé de l’économie reprend des arguments analogues à ceux de l’Autorité.
Sur ce, la Cour,
427. Il convient de rappeler que la responsabilité de la société Deutsche Bahn AG, venant aux droits de la société DB Mobility Logistics AG, résulte de l’influence déterminante que cette dernière a exercé sur sa filiale, la société Brenntag SA, au cours de la période infractionnelle. C’est parce qu’à la date de l’infraction elles constituaient une entreprise unique, au sens du droit de la concurrence, que ces sociétés doivent, ensemble, répondre des pratiques en cause.
428. Pour ce même motif, et dès lors qu’à la date où la filiale a dénoncé les pratiques auprès de l’Autorité, la société mère ne la détenait plus et n’exerçait ainsi plus aucune influence déterminante permettant de considérer qu’elles constituaient toujours une entreprise unique, la société DB Mobility Logistics AG n’est pas fondée à invoquer à son profit l’extension du bénéfice de la clémence qui a été accordée à son ancienne filiale la société Brenntag SA.
429. La démarche de clémence dont il s’agit, qui n’a été ni engagée, ni même initiée, par la société DB Mobility Logistics AG, rétribue la contribution du demandeur de clémence à la découverte d’une infraction et constitue ainsi une circonstance propre à la société Brenntag SA, de sorte que l’arrêt du TUE (T-264/12) invoqué par la société Deutsche Bahn AG, qui concerne au demeurant un cadre procédural différent, n’est pas plus pertinente pour remettre en cause l’analyse qui précède. À cet égard, la Cour rappelle que, dans un cadre procédural similaire, la Cour de justice a jugé qu’« eu égard à l’objectif visé par la communication sur la clémence, consistant à promouvoir la découverte de comportements contraires à l’article 101 TFUE, et en vue de garantir une application effective de cette disposition, rien ne justifie l’extension d’une réduction d’amende accordée à une entreprise au titre de sa coopération avec la Commission à une entreprise qui, tout en ayant contrôlé, dans le passé, la filiale impliquée dans l’infraction en cause, n’a pas elle-même contribué à la découverte de celle-ci » (CJUE,19 juin 2014, FSL Plast A/S, C-243/12 P, point 87). L’argument tenant à la violation du principe de la personnalisation des peines n’est donc pas fondé.
430. Le moyen tiré de la violation du droit à un procès équitable née d’une information tardive de l’existence d’une procédure devant l’Autorité, n’est pas davantage fondé et ce pour les motifs déjà retenus par la Cour aux paragraphes 126 et 127 du présent arrêt.
431. Quant aux conditions d'acquisition par la société Deutsche Bahn AG du groupe Brenntag, à l'absence de mandataire commun social entre les sociétés Brenntag SA et Stinnes SA, à l'absence de transmission par la société Brenntag SA à ses sociétés mères de rapport d'activité allant au-delà de pures information comptables et à l'absence d'implication personnelle des membres des sociétés Deutsche Bahn AG et Stinnes AG dans l'entente, ces éléments, déjà invoqués pour renverser la présomption d’influence déterminante, sont inopérants dès lors que la Cour a retenu que l'infraction était imputable à la société DB Mobility Logistics AG en sa qualité de société mère de la société Brenntag SA en application de la présomption d'influence déterminante, et ne sauraient donc être pris en compte au stade de l’individualisation de la sanction.
432. Enfin, la société DB Mobility Logistics AG ayant choisi de ne pas recourir à la procédure de non contestation des griefs devant l’Autorité dans les conditions fixées à l’article L. 464-2, III du code de commerce, dans sa version alors applicable, la circonstance que la société Deutsche Bahn AG, en tant que venant aux droits de DB Mobility Logistics AG, ait renoncé devant la Cour à contester la qualification de l’infraction d’entente unique, complexe et continue ne saurait lui ouvrir un droit à une réduction du montant de la sanction.
6. Conclusion sur la sanction au titre du grief n° 1
433. Le montant individualisé de la sanction, retenu au titre du grief n°1, est de 62 725 032 euros.
434. La société Stinnes AG, devenue DB Mobility Logistics AG, aux droit de laquelle vient la société Deutsche Bahn AG, ayant formé une entreprise unique avec la société Brenntag SA du 1er janvier 1998 au 1er janvier 2004, soit pendant 83,33 % de la période infractionnelle, le montant de la sanction infligée à la société Deutsche Bah AG en tant que venant aux droits de la société DB Mobility Logistics AG doit correspondre à 83,33 % de 62 725 032 euros, soit 52 268 769 euros arrondi.
435. La société Brenntag SA bénéficiant d’un taux de réduction au titre de la clémence de 25 %, sa sanction s’élève à 47 043 774 euros arrondi.
436. Il en résulte que les sociétés Deutsche Bahn AG et Brenntag SA se voient imposer, à titre solidaire une sanction d’un montant de 47 043 774 euros et que la société Deutsche Bahn AG doit seule s’acquitter d’une sanction d’un montant de 5 224 995 euros.
B. Sur le grief n° 2
437. Ni les sociétés Brenntag, ni la société Deutche Bahn AG en tant que venant aux droits de la société DB Mobility Logistics AG, n’ont formulé d’observations sur les éléments invoqués par l’Autorité pour déterminer le montant de la sanction, en suivant la méthodologie qu’elle a définie dans le communiqué-sanctions. Ces sociétés se sont bornées à demander, pour la première, l’exonération totale de sanction au titre de la clémence, pour la seconde, à demander l’extension à son bénéfice du bénéfice de cette exonération.
438. Comme pour le premier grief, la Cour déterminera la sanction en suivant la méthodologie définie dans le communiqué-sanctions.
1. Sur la valeur des ventes
439. Comme rappelé au paragraphe 275 du présent arrêt, les sociétés Brenntag et Chemco se sont entendues pour se répartir la livraison des commandes de méthanol de la société GKN et à fixer en commun les prix pratiqués à l’égard de ce client, sur la période courant du 31 janvier 2000 au 1er mars 2007.
440. Les ventes qui seront retenues pour déterminer la valeur des ventes seront donc celles de méthanol à la société GKN par les sociétés Brenntag et Chemco.
441. Eu égard à la participation individuelle de chacune des parties en cause à l’infraction, pendant toute la période précitée, le dernier exercice comptable complet retenu pour déterminer cette valeur des ventes sera l’exercice 2006 pour les sociétés Brenntag et Chemco.
442. Au vu de ces considérations, la valeur des ventes sera donc de 77 000 euros pour la société Brenntag SA.
2. Sur le montant de base
a) sur la gravité des faits
443. Les pratiques caractérisent un accord horizontal entre concurrents ayant pour objet de répartir les livraisons à l’égard de ce client et de manipuler les prix de vente de méthanol, au lieu de laisser ces paramètres à la libre appréciation de chacune des entreprises, dans le cadre d’une détermination autonome de leur politique commerciale et de leur comportement sur le marché. Ces livraisons croisées ont permis aux membres de l’entente de lisser les commandes à l’égard du client GKN sur l’année tout en augmentant leurs marges.
444. De telles pratiques, visant par leur nature même à manipuler des paramètres essentiels de la concurrence, sont particulièrement graves. Le fait qu’elles concernent simultanément plusieurs paramètres clés du jeu concurrentiel (prix et client) est, en outre, de nature à en renforcer la gravité en l’espèce.
445. Par ailleurs, cette infraction est d’autant plus grave qu’elle a revêtu un caractère secret, élément la rendant particulièrement difficile à détecter et en traduisant, dans une certaine mesure, le caractère délibéré. À cet égard, la répartition des commandes et la concertation tarifaire à l’égard du client GKN, ainsi que les livraisons croisées permettant de lisser les revenus de l’entente, n’étaient pas connues de celui-ci et l’ont empêché de connaître la réalité de la concurrence existant sur le marché entre ses fournisseurs.
b) sur l’importance du dommage causé à l’économie
446. S’agissant, en premier lieu, de l’ampleur des pratiques, celles-ci n’ont concerné que le « trading » de méthanol par camion complet du seul client GKN et ont porté sur un montant, cumulé pendant toute la durée de l’infraction, inférieur à 800 000 euros, étant souligné que les autres clients des deux fournisseurs en cause, n’étaient pas concernés par l’entente.
447. S’agissant, en deuxième lieu, des caractéristiques économiques objectives du secteur en cause, il convient de constater que, à la différence du secteur de la distribution des commodités chimiques, celui du « trading » de commodités chimiques, ne nécessite pas, pour y entrer, d’investissements capitalistiques importants. En outre, pour un consommateur de grandes quantités de méthanol, il existe un large choix de fournisseurs constitués par les fabricants de méthanol, les « traders », mais également les distributeurs via les livraisons en droiture. Par conséquent, GKN était en mesure de s’approvisionner auprès d’autres fournisseurs, non concernés par la pratique en cause.
448. En troisième lieu, quant aux conséquences conjoncturelles et structurelles des pratiques, il convient tout d’abord de noter que les membres de l’entente ont toujours scrupuleusement respecté l’allocation prévue des commandes. Si les modalités d’organisation de l’entente ont pu évoluer dans le temps, notamment du fait de difficultés d’approvisionnement, les comportements des entreprises en cause ont permis à l’entente d’avoir des effets réels et sensibles sur les prix payés par le client concerné par les pratiques.
449.À cet égard, la société GKN a fourni des données sur l’ensemble de ses commandes de méthanol entre janvier 2001 et juin 2012, qui permettent d’observer directement l’effet réel des pratiques sur le prix payé par celle-ci. Les évolutions comparées des prix (de janvier 2001 à décembre 2012) du méthanol à la production d’une part (prix affiché pour l’Europe par Methanex, le plus grand producteur mondial de méthanol), et payé par GKN d’autre part, montrent que la différence entre le cours du méthanol (prix producteur) en Europe et le prix payé par GKN était très nettement plus importante pendant l’entente qu’après l’entente. Alors que cette différence était en moyenne supérieure à 200 euros la tonne avant mars 2007, elle devient inférieure à 100 euros la tonne après cette date qui marque la fin de l’entente. Une simple régression économétrique du prix payé par GKN sur le prix du méthanol à la production qui incorpore une variable identifiant la période de l’entente permet d’évaluer le surprix payé par GKN. Cette méthode « avant /après » ne pose pas de difficulté dans la mesure où l’évolution du prix du méthanol sur le marché européen peut être vue comme un bon indicateur de l’évolution des coûts des fournisseurs de GKN. Cette régression conduit ainsi à estimer un surprix généré par l’entente entre les sociétés Brenntag et Chemco de l’ordre de 35 %.
450. Au vu de l’ensemble de ce qui précède, le dommage causé à l’économie par l’entente apparaît certain, même si plusieurs facteurs conduisent à tempérer son importance.
451. Compte tenu de l’appréciation qui vient d’être faite de la gravité des faits et de l’importance du dommage causé à l’économie, la Cour retiendra une proportion de 20 % de la valeur de leurs ventes de méthanol au client GKN telles qu’elles ont été calculées précédemment.
c) Sur la durée de l’infraction
452. L’entente ayant été mise en œuvre du 31 janvier 2000 au 1er mars 2007 par les deux entreprises en cause, soit pendant 7 ans et un mois, un coefficient de 4,04 sera appliqué.
d) conclusion sur le montant de base
453. Au vu des éléments qui précèdent, le montant de base sera de 62 216 euros pour la société Brenntag SA.
3. Sur les éléments d’individualisation
454. Il ressort des éléments recueillis au cours de l’instruction que la société Brenntag SA a initié l’entente entre elle-même et Chemco, ainsi que l’a déclaré le directeur commercial du site de la société Brenntag SA à partir duquel l’entente a été mise en place (cote 37205), et confirmé par Chemco, qui indique dans ses observations sur la notification de griefs que « la société Chemco n’avait pas d’autre choix que d’accepter la concertation proposée par Brenntag, à défaut de quoi, elle perdait son client Brenntag et son client GKN » (cote 38275).
455. Ces éléments établissent que la société Brenntag SA a joué un rôle de chef de file dans la mise en place de l’entente, rôle dont il doit être tenu compte dans le cadre de l’individualisation de sa sanction en augmentant de 15 % le montant de base de sa sanction de 15 %, soit 71 548 euros.
456. La taille, la puissance économique et les ressources globales de la société Brenntag SA telles que rappelées au paragraphe 398 du présent arrêt, justifie, pour les mêmes motifs, une majoration de 15 % la sanction la portant ainsi à la somme de 82 280 euros arrondi, qui n’excède pas le plafond maximal tel que rappelé au paragraphe 402.
4. Sur l’application du IV de l’article L. 464-2 du code de commerce
457. L’infraction en cause a été révélée par les sociétés Brenntag, dans un courrier daté du 17 mai 2008 (cote 13424), soit plusieurs mois après l’adoption de l’avis de clémence n° 07-AC-04 du 23 mars 2007. Les sociétés Brenntag n’ont pas effectué de demande spécifique de clémence dans les conditions du IV de l’article L. 464-2 du code de commerce. Toutefois, si elles avaient formulé une telle demande, elles auraient, eu égard aux circonstances tout à fait particulières de la présente affaire, obtenu un avis conditionnel de clémence, sous réserve du respect des conditions indiquées dans le communiqué de procédure précité, lui accordant le bénéfice conditionnel d’une exonération totale d’amende.
458. En outre, il ne résulte de la notification des griefs aucun élément de nature à remettre en cause la coopération des sociétés Brenntag, avec les services de l’Autorité, mais au contraire celles-ci ont communiqué des documents relatifs aux pratiques dénoncées et en leur expliquant à la fois le périmètre, la durée ainsi que l’objet et les modalités de fonctionnement de l’entente, et ce à l’occasion d’auditions, de demandes d’informations ou dans le cadre de ses écritures.
459. Dans ces conditions, il est justifié d’accorder aux sociétés Brenntag le bénéfice d’une exonération totale de sanction.
5. Sur la sanction imposée à la société Deutsch Bahn AG, venant aux droits de la société DB Mobility Logistics AG, en sa qualité de société mère des sociétés Brenntag au moment des pratiques
460. La société Deutsche Bahn AG, venant aux droits de la société DB Mobility Logistics AG, anciennement dénommée Stinnes AG, se voit imputer les pratiques établies au titre du grief n° 2, en tant que société mère des sociétés Brenntag au prorata de la durée de détention de cette dernière, à savoir du 1er janvier 1998 au 31 janvier 2004, soit pendant 61,881 % de la durée totale des pratiques (4 ans sur 7 ans et 1 mois). Elle doit donc être tenue pour responsable solidairement de la sanction imposée aux sociétés Brenntag à proportion de la durée de cette détention.
461. Toutefois, la société Brenntag SA bénéficiant d’une exonération totale de sanction au titre de la clémence, la société Deutsche Bahn AG, qui ne peut en bénéficier pour les mêmes motifs que ceux exposés aux paragraphes 426 du présent arrêt, devra seule acquitter une sanction d’un montant de 50 916 euros.
X. SUR LES DEMANDES FONDÉES SUR L’ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE
462. Les sociétés Brenntag succombent partiellement en leurs prétentions et ne peuvent donc prétendre à l’allocation d’une indemnité au titre de leurs frais irréptibles.
463. Les sociétés Solvadis et Gaches Chimie conserveront la charge de leur frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant dans les suites de son arrêt rendu le 02 février 2017 :
REJETTE les demandes des sociétés Brenntag tendant à l’annulation de l’entière procédure ;
REJETTE la demande des sociétés Brenntag tendant à écarter des débats l’Autorité de la concurrence, les observations de cette dernière du 20 janvier 2020 et les conclusions des sociétés Gaches Chimie, Solvadis Deutschland GmbH et Solvadis Distribution GmbH ;
REJETTE la demande des sociétés Brenntag tendant à l’annulation de l’entière procédure ;
DÉCLARE irrecevable la demande des sociétés Brenntag d’annulation de la procédure suivie devant l’Autorité en ce qu’elle est fondée sur une atteinte irrémédiable des droits de la défense née des propos calomnieux tenus à l’encontre de leur conseil ;
REJETTE la demande des sociétés Brenntag d’annulation de la procédure suivie devant l’Autorité en ce qu’elle est fondée sur une atteinte irrémédiable des droits de la défense née de la perte d’un double degré de juridiction et du recours à la procédure de non contestation des griefs ;
DÉCLARE irrecevables les demandes d’annulation du procès-verbal de clémence de la société Solvadis France du 20 septembre 2006 et de l’avis de clémence n° 07-AC-01 du 7 février 2007, formées par les sociétés Brenntag ;
REJETTE la demande en inopposabilité de la notification des griefs présentée par la société Deutsche Bahn AG, venant aux droits de la société DB Mobility Logistics AG ;
REJETTE la fin de non-recevoir tirée sur la prescription des pratiques visées au grief n° 1 ;
DIT que la société Brenntag SA, en tant qu’auteur des pratiques, ainsi que les sociétés DB Mobility Logistics AG, Brenntag France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Beteiligungs GmbH, Brenntag Holding GmbH, en leur qualité de société mère, ont enfreint les dispositions de l’article L. 420-1 du code de commerce ainsi que celles de l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne en mettant en œuvre une entente anticoncurrentielle unique et complexe visant à stabiliser leurs parts de marché et à augmenter leurs marges par le biais de répartitions de clientèles et de coordinations tarifaires ;
Faisant application de l’article L. 464-2, IV du code de commerce, fixe à 25 % le taux d’exonération partielle de la sanction encourue par la société Brenntag SA au titre de cette entente,
REJETTE la demande de la société Deutsche Bahn AG en tant que venant aux droits de la société DB Mobility Logistics AG tendant à l’extension à son profit du bénéfice de l’exonération partielle ainsi accordée à la société Brenntag SA ;
PRONONCE, en conséquence, au titre de l’entente précitée, une sanction pécuniaire :
– de 47 043 774 euros à la société Brenntag SA solidairement avec la société Deutsche Bahn AG, en tant que venant aux droits de la société DB Mobility Logistics AG ;
– de 5 224 995 euros à la société Deutsche Bahn AG, en tant que venant aux droits de la société DB Mobility Logistics AG ;
DIT que les sociétés Brenntag SA en tant qu’auteur des pratiques, ainsi que les sociétés DB Mobility Logistics AG, Brenntag France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Beteiligungs GmbH, Brenntag Holding GmbH et Brachem France Holding SAS, en leur qualité de société mère, ont enfreint les dispositions de l’article L. 420-1 du code de commerce en mettant en œuvre une entente anticoncurrentielle consistant en une répartition des livraisons et en une fixation de prix ;
DIT que la société Brenntag SA est exonérée de sanction pécuniaire au titre de cette entente en application de l’article L. 464-2, IV du code de commerce ;
REJETTE la demande de la société Deutsche Bahn AG, en tant que venant aux droits de la société DB Mobility Logistics AG, tendant à l’extension à son profit du bénéfice de l’exonération totale ainsi accordée à la société Brenntag SA ;
PRONONCE, au titre cette entente, une sanction pécuniaire de 50 916 euros à la société Deutsche Bahn AG, en tant que venant aux droits de la société DB Mobility Logistics AG ;
REJETTE les autres demandes de la société Deutsche Bahn AG, en tant que venant aux droits de la société DB Mobility Logistics AG tendant à la diminution des sanctions pécuniaires prononcées à son encontre ;
REJETTE tout autres demande plus ample ou contraire ;
REJETTE les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE les sociétés Brenntag SA, Deutsche Bahn AG en tant que venant aux droits de la société DB Mobility Logistics AG, Brenntag France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Beteiligungs GmbH, Brenntag Holding GmbH et Brachem.