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Décisions

CA Versailles, 3e ch., 26 novembre 2020, n° 19/05672

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Enedis (SA)

Défendeur :

Macif (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bou

Conseillers :

Mme Bazet, Mme Derniaux

Avocat :

AARPI Alma Monceau

TGI Nanterre, du 6 juin 2019

6 juin 2019

FAITS ET PROCEDURE

La société MYC Boutique est propriétaire d'un fonds de commerce de vente de vêtements dans un local situé [...]. Elle est assurée auprès de la Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France (la Macif).

Le 27 septembre 2014, a été constatée une rupture du neutre d'alimentation avant compteur entrainant des dommages sur les installations et les appareils électriques de la société MYC Boutique.

Les techniciens d'Enedis venant aux droits d'Electricité Réseau Distribution France (ERDF) sont intervenus à deux reprises les 27 et 30 septembre 2014 pour effectuer des réparations provisoires. Le 8 octobre 2014, il était procédé à la réparation définitive du réseau.

La Macif a indemnisé sa sociétaire, déduction faite de la franchise contractuelle.

La société Enedis a refusé de prendre en charge les dommages.

La Macif a, par acte du 18 septembre 2018, assigné la société Enedis en paiement devant le tribunal de grande instance de Nanterre.

Par jugement réputé contradictoire du 6 juin 2019, le tribunal a :

- condamné la société Enedis venant aux droits d'ERDF à payer à la Macif, en sa qualité d'assureur de la société MYC Boutique la somme de 10 384,49 euros HT, avec intérêts au taux légal à compter du 12 septembre 2017,

- dit que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront intérêts au taux légal,

- condamné la société Enedis à payer à la Macif la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Enedis aux dépens,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement.

Par acte du 29 juillet 2019, la société Enedis a interjeté appel et demande à la cour, par dernières conclusions du 20 janvier 2020, de :

A titre principal :

- juger que l'action formée par la Macif à son encontre est prescrite,

En conséquence,

- réformer le jugement,

- juger la Macif irrecevable en ses demandes comme prescrites,

- débouter la Macif de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions formées à son encontre,

A titre subsidiaire :

- juger mal fondée l'indemnisation sollicitée au titre des dommages, dès lors que la preuve des dommages n'est pas rapportée et que leur chiffrage ne résulte d'aucune évaluation objective,

En conséquence, infirmer le jugement entrepris,

- débouter la Macif de ses demandes formées à son encontre,

- si, par exceptionnel, la cour condamne la société Enedis, déduire du montant de l'indemnité qui serait allouée à la Macif la franchise de 500 euros applicable aux dommages aux biens dans le cadre de la responsabilité du fait des produits défectueux prévue à l'article 1245-1 du code civil.

En tout état de cause,

- juger mal fondée la condamnation prononcée à l'encontre de la société Enedis au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

En conséquence,

- réformer le jugement entrepris,

- débouter la Macif de sa demande de condamnation de la société Enedis au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la Macif à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la Macif aux entiers dépens de l'instance avec recouvrement direct.

Par dernières écritures du 4 juin 2020, la Macif demande à la cour de :

Sur la recevabilité de l'action :

- juger que la société Enedis reconnaissait sa responsabilité par courrier envoyé le 17 septembre 2015 reçu le 21 septembre 2015 en sollicitant des justificatifs pour faire une offre,

- juger que la prescription de l'action a été interrompue le 21 septembre 2015,

- juger que l'action engagée par la Macif à l'encontre de la société Enedis le 18 septembre 2018 est recevable comme non prescrite,

- en conséquence, confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré l'action de la Macif recevable et bien fondée.

Sur le bien-fondé de l'action :

- juger que les dommages subis par les appareils électriques de la société MYC Boutique sont consécutifs à la rupture du neutre du réseau Enedis venant aux droits de la société ERDF,

- juger que la société Enedis est responsable des dommages subis par la société MYC Boutique, du fait du produit défectueux qu'est l'électricité,

- juger que la société Enedis a reconnu sa responsabilité dans la survenance de l'incendie,

En conséquence,

- confirmer le jugement en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société Enedis sur le fondement des produits défectueux et l'a condamnée à rembourser à la Macif les indemnités versées à sa sociétaire suite à la rupture du neutre,

- condamner la société Enedis à lui verser la somme de 10 384,49 euros avec intérêts à compter de la mise en demeure du 12 septembre 2017 et capitalisation des intérêts d'année en année en application de l'article 1343-2 du code civil,

A titre subsidiaire,

- juger que les dommages subis par les appareils électriques de la société MYC Boutique engagent la responsabilité contractuelle de la société Enedis,

- en conséquence, condamner la société Enedis à verser à la Macif la somme de 10 384,49 euros avec intérêts à compter de la mise en demeure du 12 septembre 2017 et capitalisation des intérêts d'année en année en application de l'article 1343-2 du code civil.

Sur les demandes de la Macif et la subrogation :

- juger que les dommages de la société MYC Boutique s'élèvent à la somme de 10 559,49 euros,

- juger que la Macif justifie du montant des dommages en ayant produit les factures et devis de remplacement des objets,

- juger que la Macif a procédé à une évaluation des dommages vétusté déduite,

- juger que la Macif est subrogée dans les droits de la société MYC Boutique,

- juger que la Macif justifie du versement d'une indemnité de 10 384,49 euros à sa sociétaire en application des garanties souscrites,

En conséquence,

- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré la Macif subrogée dans les droits de sa sociétaire à hauteur de 10 384,49 euros,

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Enedis à verser à la Macif la somme de 10 384,49 euros avec intérêts d'année en année en application de l'article 1343-2 du code civil, outre la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens,

- débouter la société Enedis de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la Macif,

- condamner la société Enedis à verser à la Macif la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance avec recouvrement direct.

La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 17 septembre 2020.

SUR QUOI, LA COUR :

Sur la prescription de l'action

La société Enedis souligne que la Cour de cassation a posé le principe de la prescription de trois ans dans le cas d'une surtension électrique dans un arrêt du 11 juillet 2018, affirmant que l'action en responsabilité du fait des choses ne peut être considérée comme reposant sur un fondement différent de l'action en responsabilité du fait des produits défectueux.

La société Enedis rappelle que, dans le cadre du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux, l'action se prescrit par trois ans à compter de la date à laquelle la victime a connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur.

Selon l'appelante, la Macif a eu en tout état de cause connaissance de ces éléments le 7 novembre 2014, date du dépôt du rapport de son expert.

La société Enedis affirme que, contrairement à ce qui est soutenu par la Macif, le délai de prescription n'a pas été interrompu par son courrier du 17 septembre 2015, qui ne constituait pas une offre de règlement assortie d'une reconnaissance de responsabilité ou d'un engagement de payer.

La Macif réplique que le courrier envoyé par la société Enedis le 17 septembre 2015 emporte reconnaissance de responsabilité et donc interruption de prescription puisqu'il y est demandé la justification des frais de remise en état des biens en vue de faire une offre d'indemnisation. Elle soutient qu'un nouveau délai de prescription a commencé à courir à compter de la connaissance de cette lettre par la Macif, soit le 21 septembre 2015, et que l'assignation du 18 septembre 2018 a bien été délivrée dans le délai de 3 ans comme le requiert l'ancien article 1386-17 du code civil, devenu l'article 1245-16.

Aux termes de l'article 1387-17 ancien du code civil, devenu l'article 1245-16, sur lequel la Macif fonde ses demandes, l'action en réparation fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur.

Le rapport du cabinet Eurexo mandaté par la Macif, en date du 7 novembre 2014, précise clairement la nature du défaut, soit une surtension résultant d'une rupture du neutre, les dommages évalués à 10 384,49 euros et le responsable, soit ERDF, devenu Enedis. Le point de départ du délai de trois ans sera donc fixé au 7 novembre 2014.

Aux termes de l'article 2240 du code civil, la prescription est interrompue par la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrit. Cette reconnaissance doit être certaine et sans équivoque. Il est de principe qu'une offre transactionnelle ne caractérise pas en elle-même une reconnaissance de responsabilité si aucune mention sur ce point n'a été insérée dans l'acte

Au cas présent, la lettre adressée par la société Enedis à la Macif le 17 septembre 2015 ne saurait s'analyser comme une reconnaissance du droit de cette dernière. En effet, la société Enedis y demande à l'assureur de justifier par des éléments techniques sa réclamation sur des éléments électriques « qui peuvent avoir été endommagés par une surtension (prises, disjoncteurs...) ». Il est également demandé de communiquer les conditions particulières de son assurée. Il n'y est fait aucune proposition d'indemnisation.

Cette lettre n'a donc pas interrompu la prescription de trois ans.

Il y a lieu de juger en conséquence que l'action introduite par la Macif à l'encontre de la société Enedis le 18 septembre 2018 est intervenue alors que la prescription instituée par l'article 1387-17 ancien du code civil était déjà acquise.

Sur la responsabilité contractuelle de la société Enedis

La Macif soutient à titre subsidiaire que la victime peut demander réparation sur le fondement contractuel du dommage causé à une chose destinée à l'usage professionnel et utilisée pour cet usage, dès lors que cette victime rapporte la preuve du dommage, du défaut du produit et du lien de causalité entre la faute et le dommage. Elle avance que la société Enedis a ainsi engagé sa responsabilité sur le fondement des articles 1217 et 1231-du code civil.

Toutefois, il est de principe que si, selon l'article 1386-18, devenu 1245-17 du code civil, le régime de responsabilité du fait des produits défectueux ne porte pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extra contractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité, c'est à la condition que ceux-ci reposent sur des fondements différents, telle la garantie des vices cachés ou la faute.

Au cas présent, la Macif ne donne aucune précision sur la faute reprochée à la société Enedis, laquelle doit être distincte du défaut de sécurité du produit en cause. Dès lors qu'il n'est pas établi, ni même allégué, que son préjudice a pour origine une faute distincte du défaut de sécurité du produit, son action ne peut être que fondée sur les articles 1386-1 et suivants anciens du code civil, et non sur l'article 1147 ancien du même code, et se trouve prescrite, ainsi qu'il vient d'être jugé.

Son action sera donc déclarée irrecevable.

Le jugement sera en conséquence infirmé en toutes ses dispositions.

La Macif, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel avec recouvrement direct.

Il sera alloué à la société Enedis la somme de 2 000 euros en remboursement de ses frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau,

Déclare irrecevables comme prescrites les demandes formées par la société la Macif à l'encontre de la société Enedis.

Condamne la société la Macif à payer à la société Enedis la somme de 2 000 euros en remboursement de ses frais irrépétibles d'appel.

Condamne la société la Macif aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.