CJUE, 2e ch., 9 décembre 2020, n° C-132/19 P
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Groupe Canal + SA, République française, Union des producteurs de cinéma (UPC), C More Entertainment AB, European Film Agency Directors – EFADs
Défendeur :
Commission européenne, Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Arabadjiev (rapporteur)
Juges :
M. Lenaerts, M. Kumin, M. Wahl, M. Biltgen
Avocat général :
M. Pitruzzella
Avocats :
Me Wilhelm, Me Gassenbach, Me de Juvigny, Me Lauvaux, Me Sasserath, Me Fratini
LA COUR (deuxième chambre),
1 Par son pourvoi, Groupe Canal + SA demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 12 décembre 2018, Groupe Canal +/Commission (T‑873/16, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2018:904), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision de la Commission européenne, du 26 juillet 2016, concernant une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT.40023 – Accès transfrontalier à la télévision payante), qui rend juridiquement contraignants les engagements offerts par Paramount Pictures International Ltd et Viacom Inc., dans le cadre des accords de licence sur des contenus audiovisuels qu’elles ont conclus avec Sky UK Ltd et Sky plc (ci-après la « décision litigieuse »).
I. Le cadre juridique
2 Aux termes du considérant 13 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1) :
« Lorsque, dans le cadre d’une procédure susceptible de déboucher sur l’interdiction d’un accord ou d’une pratique, des entreprises présentent à la Commission des engagements de nature à répondre à ses préoccupations, la Commission doit pouvoir, par décision, rendre ces engagements obligatoires pour les entreprises concernées. Les décisions relatives aux engagements devraient constater qu’il n’y a plus lieu que la Commission agisse, sans établir s’il y a eu ou s’il y a toujours une infraction. Ces décisions sont sans préjudice de la faculté qu’ont les autorités de concurrence et les juridictions des États membres de faire de telles constatations et de statuer sur l’affaire. De telles décisions ne sont pas opportunes dans les cas où la Commission entend imposer une amende. »
3 L’article 9 de ce règlement dispose :
« 1. Lorsque la Commission envisage d’adopter une décision exigeant la cessation d’une infraction et que les entreprises concernées offrent des engagements de nature à répondre aux préoccupations dont la Commission les a informées dans son évaluation préliminaire, la Commission peut, par voie de décision, rendre ces engagements obligatoires pour les entreprises. La décision peut être adoptée pour une durée déterminée et conclut qu’il n’y a plus lieu que la Commission agisse.
2. La Commission peut rouvrir la procédure, sur demande ou de sa propre initiative :
a) si l’un des faits sur lesquels la décision repose subit un changement important ;
b) si les entreprises concernées contreviennent à leurs engagements, ou
c) si la décision repose sur des informations incomplètes, inexactes ou dénaturées fournies par les parties. »
4 L’article 16, paragraphe 1, dudit règlement prévoit :
« Lorsque les juridictions nationales statuent sur des accords, des décisions ou des pratiques relevant de l’article [101] ou [102] [TFUE] qui font déjà l’objet d’une décision de la Commission, elles ne peuvent prendre de décisions qui iraient à l’encontre de la décision adoptée par la Commission. Elles doivent également éviter de prendre des décisions qui iraient à l’encontre de la décision envisagée dans une procédure intentée par la Commission. À cette fin, la juridiction nationale peut évaluer s’il est nécessaire de suspendre sa procédure. Cette obligation est sans préjudice des droits et obligations découlant de l’article [267 TFUE]. »
II. Les antécédents du litige et la décision litigieuse
5 Les faits à l’origine du litige ont été exposés par le Tribunal aux points 1 à 12 de l’arrêt attaqué de la manière suivante :
« 1 Le 13 janvier 2014, la Commission a ouvert une enquête sur de possibles restrictions [portant atteinte à] la fourniture de services de télévision payante dans le cadre des accords de licence [conclus] entre six studios américains et les principaux [télédiffuseurs] de contenu payant de l’Union européenne.
2 Le 23 juillet 2015, la Commission a adressé une communication de griefs à Paramount Pictures International Ltd, établie à Londres (Royaume-Uni), et à Viacom Inc., établie à New York (New York, États-Unis), société mère de la première (ci-après, dénommées ensemble, “Paramount”). Dans cette communication, la Commission a exposé sa conclusion préliminaire concernant la compatibilité avec l’article 101 TFUE et l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen [, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3)] de certaines clauses figurant dans les accords de licence que Paramount avait conclus avec Sky UK Ltd et Sky plc (ci-après, dénommées ensemble, “Sky”).
3 Dans le cadre de son enquête, la Commission s’est focalisée sur deux clauses connexes de ces accords de licence. La première avait pour objet d’interdire à Sky, ou de limiter la possibilité de cette dernière, de répondre positivement à des demandes non sollicitées portant sur l’achat de services de distribution télévisuelle en provenance de consommateurs résidant dans l’[Espace économique européen (EEE)], mais en dehors du Royaume-Uni ainsi que de l’Irlande. La seconde imposait à Paramount, dans le cadre des accords qu’elle concluait avec les [télédiffuseurs] établis dans l’EEE, mais en dehors du Royaume-Uni, d’interdire à ces derniers ou de limiter la possibilité de ces derniers de répondre positivement à des demandes non sollicitées portant sur l’achat de services de distribution télévisuelle en provenance de consommateurs résidant au Royaume-Uni ou en Irlande.
4 Par décision du conseiller-auditeur dans certaines procédures de concurrence du 24 novembre 2015, [Groupe Canal +] a été admis[e] à participer à la procédure en tant que tiers intéressé au sens de l’article 13, paragraphe 1, du règlement (CE) no 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles [101 et 102 TFUE] (JO 2004, L 123, p. 18).
5 Par lettre du 4 décembre 2015, intitulée “Informations sur la nature et l’objet de la procédure conformément à l’article 13, paragraphe 1, du règlement (CE) no 773/2004”, la Commission a communiqué [à Groupe Canal +], notamment, son appréciation juridique relative à l’application de l’article 101 TFUE aux faits de l’espèce, suivie d’une conclusion préliminaire à cet égard. Selon cette conclusion préliminaire, la Commission avait l’intention d’adopter une décision adressée à Sky et à chacun des studios visés par son enquête constatant qu’ils avaient enfreint l’article 101 TFUE et l’article 53 de l’accord [sur l’EEE], leur infligeant des amendes et leur ordonnant de mettre fin à l’infraction et de s’abstenir de toute mesure susceptible d’avoir un objet ou un effet similaire.
6 Le 15 avril 2016, Paramount a proposé des engagements afin de répondre aux préoccupations de la Commission en matière de concurrence conformément à l’article 9 du règlement [no 1/2003]. Après avoir recueilli des observations de la part d’autres tiers intéressés, dont [Groupe Canal +], la Commission a adopté la décision [litigieuse].
7 Il ressort de l’article 1er de [cette décision] que les engagements repris dans l’annexe de celle-ci sont obligatoires pour Paramount ainsi que ses successeurs en droit et ses filiales pour une période de cinq ans à compter de la notification de [ladite décision].
8 La clause 1, neuvième alinéa, de l’annexe de la décision [litigieuse] prévoit divers types de clauses faisant l’objet de la procédure (ci-après les “clauses pertinentes”). D’une part, s’agissant de la transmission par satellite, sont concernées, premièrement, la clause selon laquelle la réception en dehors du territoire couvert par l’accord de licence (overspill) ne constitue pas une violation du contrat de la part du télédiffuseur si celui-ci n’a pas autorisé ladite réception en connaissance de cause et, deuxièmement, la clause selon laquelle la réception à destination du territoire couvert par l’accord de licence ne constitue pas une violation du contrat de la part de Paramount si celle-ci n’a pas autorisé la disponibilité de décodeurs émanant des parties tierces dans ce territoire. D’autre part, s’agissant de la transmission par Internet, sont concernées, premièrement, la clause imposant aux télédiffuseurs d’empêcher le téléchargement ou la diffusion en continu (streaming) de contenu télévisuel en dehors du territoire couvert par l’accord de licence, deuxièmement, la clause selon laquelle la visualisation par Internet (Internet overspill) à destination du territoire couvert par l’accord de licence ne constitue pas une violation du contrat de la part de Paramount si celle-ci a obligé les télédiffuseurs à employer des technologies empêchant une telle visualisation et, troisièmement, la clause selon laquelle la visualisation par Internet de contenu télévisuel en dehors du territoire couvert par l’accord de licence ne constitue pas une violation du contrat de la part du télédiffuseur si celui-ci emploie des technologies empêchant une telle visualisation.
9 Il ressort par ailleurs de la clause 1, troisième alinéa, de l’annexe de la décision [litigieuse] que les termes “obligations du télédiffuseur” visent les clauses pertinentes ou des clauses équivalentes interdisant à un télédiffuseur de répondre à des demandes non sollicitées de la part de consommateurs résidant dans l’EEE, mais en dehors du territoire pour lequel le télédiffuseur jouit d’un droit de diffusion. Corrélativement, les termes “obligations de Paramount” désignent les clauses pertinentes ou des clauses équivalentes imposant à Paramount d’interdire à des télédiffuseurs situés dans l’EEE, mais en dehors des territoires pour lesquels un télédiffuseur jouit des droits exclusifs, de répondre à des demandes non sollicitées de la part de consommateurs résidant dans ces territoires.
10 Selon la clause 2 de l’annexe de la décision [litigieuse], à partir de la date de notification de [cette décision], Paramount est soumise à divers engagements. Tout d’abord, Paramount ne conclura [...] des “clauses pertinentes” dans le cadre des accords de licence tels que ces derniers sont définis dans la même annexe [ni ne reconduira ou étendra l’application de ces clauses] (point 2.1). Ensuite, s’agissant des accords de licence existants portant sur la production de télévision payante (existing Pay-TV Output Licence Agreements), elle n’agira pas en justice afin de faire respecter les obligations des télédiffuseurs [point 2.2, sous a)]. S’agissant des mêmes accords, elle ne respectera pas ni n’agira afin de respecter, directement ou indirectement, les “obligations de Paramount” [point 2.2, sous b)]. Enfin, elle communiquera à Sky dans un délai de dix jours à partir de la notification de la décision [litigieuse], et à tout autre télédiffuseur établi dans l’EEE dans un délai d’un mois à partir de la même notification, qu’elle n’agira pas en justice afin de faire respecter les clauses pertinentes par les télédiffuseurs (point 2.3).
11 [Groupe Canal +] avait conclu avec Paramount un accord de licence portant sur la production de télévision payante (Pay Television Agreement), entré en vigueur le 1er janvier 2014 [...]. L’article 12 [de cet] accord prévoit que le territoire couvert par celui-ci se divise en territoires “exclusifs”, couvrant notamment la France, et en un territoire “non exclusif” couvrant Maurice. L’article 3 [dudit accord] prévoit, en outre, que Paramount n’exercera pas elle-même ni n’autorisera un tiers à exercer des droits de retransmission à destination des territoires exclusifs. L’annexe A.IV de [ce même] accord précise, quant à elle, les obligations pesant sur [Groupe Canal +] en ce qui concerne l’emploi des technologies de géofiltrage empêchant la retransmission en dehors des territoires pour lesquels la licence est accordée.
12 Par lettre du 25 août 2016, Paramount a notifié [à Groupe Canal +] l’engagement figurant au point 2.2, sous a), de l’annexe de la décision [litigieuse] [...] et a, par conséquent, précisé qu’elle n’agirait pas en justice afin de faire respecter les clauses pertinentes par le télédiffuseur et qu’elle levait toute obligation de ce dernier en vertu des clauses pertinentes. Paramount a également pris soin de préciser, dans la même lettre, que les termes “obligation du télédiffuseur” avaient le même sens que [ces mêmes termes] figurant dans l’annexe de la décision [litigieuse]. Par lettre du 14 octobre 2016, [Groupe Canal +] a répondu à cette notification en soulignant que des engagements pris dans le cadre d’une procédure impliquant seulement la Commission et Paramount ne lui étaient pas opposables. »
III. La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
6 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 8 décembre 2016, Groupe Canal + a introduit, en vertu de l’article 263 TFUE, un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse.
7 Par ordonnance du président de la cinquième chambre du Tribunal, du 13 juillet 2017, Groupe Canal +/Commission (T‑873/16, non publiée, EU:T:2017:556), d’une part, le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC) a été admis à intervenir au soutien des conclusions de la Commission et, d’autre part, l’Union des producteurs de cinéma (UPC), l’European Film Agency Directors – EFADs et C More Entertainment AB ont été admises à intervenir au soutien des conclusions de Groupe Canal +. En outre, par décision du président de la cinquième chambre du Tribunal, du même jour, la République française a été admise à intervenir au soutien des conclusions de Groupe Canal +.
8 À l’appui de son recours, Groupe Canal + a soulevé quatre moyens, tirés, le premier, d’une erreur manifeste d’appréciation en ce qui concerne la compatibilité des clauses pertinentes avec l’article 101 TFUE et les effets des engagements imposés, le deuxième, d’une violation de l’article 9 du règlement no 1/2003 en ce qui concerne l’identification des préoccupations auxquelles répondent les engagements imposés, le troisième, d’une violation du principe de proportionnalité et, le quatrième, d’un détournement de pouvoir.
9 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours de Groupe Canal +.
IV. La procédure et les conclusions des parties devant la Cour
10 Par son pourvoi, Groupe Canal + demande à la Cour :
– d’annuler l’arrêt attaqué en tant qu’il a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse et l’a condamné à supporter des dépens ;
– d’annuler la décision litigieuse, et
– de condamner la Commission aux entiers dépens.
11 La Commission demande à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner Groupe Canal + aux dépens.
12 La République française demande à la Cour d’annuler dans son intégralité l’arrêt attaqué et d’en tirer toutes les conséquences s’agissant de la décision litigieuse.
13 L’UPC demande à la Cour :
– d’annuler l’arrêt attaqué en tant qu’il a rejeté le recours introduit par Groupe Canal + tendant à l’annulation de la décision litigieuse et a condamné ce dernier à supporter des dépens ;
– d’annuler la décision litigieuse, et
– en tout état de cause, de mettre à la charge de la Commission l’ensemble des dépens qu’elle a exposés.
14 L’EFADs demande à la Cour :
– de déclarer le pourvoi recevable et fondé, dans son entièreté ;
– d’annuler l’arrêt attaqué en tant qu’il a rejeté le recours introduit par Groupe Canal + tendant à l’annulation de la décision litigieuse et a condamné ce dernier à supporter des dépens ;
– d’annuler la décision litigieuse, et
– en tout état de cause, de mettre à la charge de la Commission l’ensemble des dépens qu’elle a exposés.
15 Le BEUC demande à la Cour de rejeter le pourvoi dans son intégralité et de mettre l’ensemble des dépens qu’il a exposés à la charge de Groupe Canal +.
V. Sur le pourvoi
16 À l’appui de son pourvoi, Groupe Canal + invoque quatre moyens. Le premier moyen est tiré d’une erreur de droit que le Tribunal aurait commise en considérant que la Commission n’avait pas, dans la décision litigieuse, commis un détournement de pouvoir. Le deuxième moyen est tiré de la violation, par le Tribunal, du principe du contradictoire. Le troisième moyen est tiré d’une absence de motivation et d’un examen incomplet des faits. Le quatrième moyen est tiré d’une erreur de droit que le Tribunal aurait commise dans l’interprétation de l’article 9 du règlement no 1/2003 et du point 128 de la communication de la Commission concernant les bonnes pratiques relatives aux procédures d’application des articles 101 et 102 TFUE (JO 2011, C 308, p. 6, ci-après les « bonnes pratiques ») ainsi que d’une méconnaissance du principe de proportionnalité et du respect des droits des tiers.
A. Sur la recevabilité
1. Argumentation des parties
17 Le BEUC soutient que les premier, troisième et quatrième moyens du pourvoi sont manifestement irrecevables, dès lors que Groupe Canal + se bornerait à répéter les arguments qu’elle a avancés en première instance.
2. Appréciation de la Cour
18 Il résulte de l’article 256 TFUE, de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ainsi que de l’article 168, paragraphe 1, sous d), et de l’article 169 du règlement de procédure de la Cour qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt ou de l’ordonnance dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande. Selon la jurisprudence constante de la Cour, ne répond pas à cette exigence le pourvoi qui se limite à reproduire les moyens et les arguments déjà présentés devant le Tribunal. En effet, un tel pourvoi constitue en réalité une demande visant à obtenir un simple réexamen de la requête présentée devant le Tribunal, ce qui échappe à la compétence de la Cour (voir, notamment, arrêt du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C‑352/98 P, EU:C:2000:361, point 35, ainsi que ordonnance du 3 septembre 2019, ND et OE/Commission, C‑317/19 P, non publiée, EU:C:2019:688, point 27 ainsi que jurisprudence citée).
19 Cependant, dès lors qu’un requérant conteste l’interprétation ou l’application du droit de l’Union faite par le Tribunal, les points de droit examinés en première instance peuvent être à nouveau discutés au cours d’un pourvoi. En effet, si un requérant ne pouvait pas fonder de la sorte son pourvoi sur des moyens et des arguments déjà utilisés devant le Tribunal, la procédure de pourvoi serait privée d’une partie de son sens (arrêt du 14 octobre 2010, Deutsche Telekom/Commission, C‑280/08 P, EU:C:2010:603, point 25 et jurisprudence citée).
20 En l’espèce, s’il est vrai que plusieurs des arguments avancés par Groupe Canal + dans le cadre de son pourvoi, pris isolément, sont analogues à des arguments soulevés devant le Tribunal, il n’en reste pas moins que, par les moyens du pourvoi, Groupe Canal + allègue des erreurs de droit commises par le Tribunal dans le cadre de ses appréciations et identifie avec précision les points contestés de l’arrêt attaqué.
21 Dans ces conditions, les premier, troisième et quatrième moyens, pris dans leur ensemble, ne sauraient être considérés comme irrecevables. Il conviendra cependant d’examiner la recevabilité des griefs spécifiques avancés à l’appui des moyens du pourvoi dans le cadre de l’appréciation de chacun de ceux-ci.
B. Sur le fond
1. Sur le premier moyen
a) Argumentation des parties
22 Groupe Canal +, soutenue par l’EFADs et par l’UPC, fait valoir en substance que, en rejetant ses arguments, selon lesquels l’adoption de la décision litigieuse constitue un détournement de pouvoir, en ce qu’elle a permis à la Commission d’obtenir, sous couvert de vouloir faire cesser des pratiques anticoncurrentielles, ce que le Parlement européen avait refusé de lui accorder, à savoir la fin des exclusivités territoriales dans le secteur du cinéma pour l’ensemble de l’EEE, le Tribunal a commis une erreur de droit et a méconnu l’obligation de motivation.
23 Premièrement, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en estimant, au point 129 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait commis aucun détournement de pouvoir dans la mesure où les engagements de Paramount seraient en adéquation avec les préoccupations en matière de concurrence exprimées par cette institution dans son évaluation préliminaire. Le Tribunal se serait fondé sur une prémisse inexacte, dès lors que cette évaluation a seulement porté sur les territoires du Royaume-Uni et de l’Irlande et que la Commission n’a même pas examiné la situation concurrentielle concernant la France, alors que les engagements de Paramount s’appliqueraient à l’ensemble de l’EEE.
24 Deuxièmement, le Tribunal aurait considéré à tort, au point 130 de l’arrêt attaqué, que la Commission pouvait valablement adopter la décision litigieuse, dans la mesure où le processus législatif relatif à la question du blocage géographique n’avait pas encore abouti à l’adoption d’un texte législatif. En effet, le Tribunal aurait soit omis de prendre en compte dans son analyse, soit passé sous silence dans sa motivation, le fait que la Commission ne pouvait pas faire abstraction de l’adoption, par le Parlement, le 19 janvier 2016, soit environ six mois avant l’adoption de ladite décision, d’une résolution intitulée « Vers un acte sur le marché unique numérique » (ci-après la « résolution »), dans laquelle cette institution aurait souligné la nécessité de ne pas étendre au secteur du cinéma la politique de la Commission visant à remettre en cause les clauses de blocage géographique. Le Tribunal aurait ainsi ignoré le fait que la Commission a décidé, en toute connaissance de cause, d’imposer au secteur du cinéma, malgré l’opposition du Parlement, sa volonté de mettre fin au géoblocage en matière de services audiovisuels, en adoptant une décision qui lui permettrait d’atteindre un but plus large que la cessation de pratiques anticoncurrentielles et qui aurait un effet erga omnes.
25 À supposer même que la Commission ait pu faire abstraction de la résolution, le Tribunal aurait dû considérer, sachant que le Parlement était sur le point d’adopter un texte législatif accordant au secteur de l’audiovisuel la possibilité de maintenir les clauses de géoblocage, devenu le règlement (UE) no 2018/302 du Parlement européen et du Conseil, du 28 février 2018, visant à contrer le blocage géographique injustifié et d’autres formes de discrimination fondée sur la nationalité, le lieu de résidence ou le lieu d’établissement des clients dans le marché intérieur, et modifiant les règlements (CE) no 2006/2004 et (UE) 2017/2394 et la directive 2009/22/CE (JO 2018, L 60 I, p. 1), que la Commission était à tout le moins tenue d’insérer, dans la décision litigieuse, une clause permettant la révision des engagements de Paramount en cas d’évolution du cadre législatif. En effet, il résulterait tant du considérant 8 de ce règlement que de l’article 1er du règlement (UE) 2017/1128 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, relatif à la portabilité transfrontalière des services de contenu en ligne dans le marché intérieur (JO 2017, L 168, p. 1), du considérant 10 de la directive (UE) 2019/789 du Parlement européen et du Conseil, du 17 avril 2019, établissant des règles sur l’exercice du droit d’auteur et des droits voisins applicables à certaines transmissions en ligne d’organismes de radiodiffusion et retransmissions de programmes de télévision et de radio, et modifiant la directive 93/83/CEE du Conseil (JO 2019, L 130, p. 82), et de la directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil, du 17 avril 2019, sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE (JO 2019, L 130, p. 92), que le législateur de l’Union a admis, postérieurement à l’adoption de la décision litigieuse, que les contenus audiovisuels pouvaient faire l’objet notamment de systèmes de restriction géographique.
26 La Commission et le BEUC contestent le bien-fondé de l’argumentation de Groupe Canal +. La Commission soutient, en outre, que les arguments de Groupe Canal +, selon lesquels la Commission ne pouvait pas faire abstraction de la résolution et aurait dû insérer dans la décision litigieuse une clause de révision en cas d’évolution du cadre législatif, sont irrecevables au motif qu’ils sont formulés pour la première fois devant la Cour.
b) Appréciation de la Cour
27 Il convient de considérer, contrairement à ce que soutient la Commission, que sont recevables les arguments de Groupe Canal +, pris de l’erreur de droit que le Tribunal aurait commise, d’une part, en ayant omis de prendre en compte dans son analyse ou en ayant passé sous silence dans sa motivation le fait que la Commission ne pouvait pas faire abstraction de la résolution et, d’autre part, en n’ayant pas considéré que la Commission aurait dû, au vu du processus législatif relatif à la question du blocage géographique, insérer dans la décision litigieuse une clause permettant de réviser les engagements de Paramount en cas d’évolution du cadre législatif.
28 En effet, conformément à la jurisprudence de la Cour, permettre à une partie de soulever pour la première fois devant celle-ci un moyen qu’elle n’a pas soulevé devant le Tribunal reviendrait à lui permettre de saisir la Cour d’un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal. Dans le cadre d’un pourvoi, la compétence de la Cour est, en principe, limitée à l’examen de l’appréciation par le Tribunal des moyens qui ont été débattus devant lui. Toutefois, un argument qui n’a pas été soulevé en première instance ne constitue pas un moyen nouveau qui est irrecevable au stade du pourvoi s’il ne constitue que l’ampliation d’une argumentation déjà développée dans le cadre d’un moyen présenté dans la requête devant le Tribunal (arrêt du 28 février 2019, Alfamicro/Commission, C‑14/18 P, EU:C:2019:159, point 38 et jurisprudence citée).
29 En l’espèce, les arguments visés au point 27 du présent arrêt sont étroitement liés au quatrième moyen exposé dans la requête en première instance, tiré d’un détournement de pouvoir, et, dans la mesure où ils visent à démontrer que c’est à tort que le Tribunal a considéré que la Commission n’a pas éludé, en adoptant la décision litigieuse, le processus législatif portant sur la question du blocage géographique, ils constituent l’ampliation de ce moyen et non pas un moyen nouveau, introduit pour la première fois dans le cadre du pourvoi. Par ailleurs, il ressort du point 252 de la requête en première instance que Groupe Canal + a invoqué la résolution devant le Tribunal.
30 Ces arguments ne sauraient, toutefois, être accueillis.
31 En effet, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, un acte n’est entaché de détournement de pouvoir que s’il apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été pris dans le but exclusif, ou à tout le moins déterminant, d’atteindre des fins autres que celles excipées ou d’éluder une procédure spécialement prévue par le traité pour parer aux circonstances de l’espèce (arrêt du 31 janvier 2019, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil, C‑225/17 P, EU:C:2019:82, point 115 ainsi que jurisprudence citée).
32 À cet égard, le Tribunal a relevé à juste titre, au point 130 de l’arrêt attaqué, que, tant que le processus législatif portant sur la question du blocage géographique n’a pas abouti à l’adoption d’un texte législatif, ce processus est sans préjudice des pouvoirs dont la Commission est investie en vertu de l’article 101 TFUE et du règlement no 1/2003.
33 Par ailleurs, Groupe Canal + n’a ni soutenu ni démontré devant le Tribunal que la Commission n’était pas habilitée à ouvrir l’enquête mentionnée au point 1 de l’arrêt attaqué, tel que cité au point 5 du présent arrêt, et à adopter, dans le cadre de celle-ci, le cas échéant, une décision au titre de l’article 7 ou de l’article 9 du règlement no 1/2003 ou bien qu’un acte quelconque s’opposait à, ou interdisait, l’adoption d’une décision sur le fondement dudit article 9, portant acceptation des engagements offerts par une entreprise afin de rencontrer les préoccupations de la Commission en ce qui concerne la compatibilité avec l’article 101 TFUE de clauses contractuelles qui comportent une limitation de la possibilité pour les principaux télédiffuseurs de contenu payant de l’Union d’effectuer des ventes passives transfrontalières de services de distribution télévisuelle.
34 S’agissant des actes de droit dérivé auxquels se réfèrent Groupe Canal +, l’EFADs et l’UPC, ils ne sont pas de nature à remettre en cause l’analyse du Tribunal, dès lors qu’ils ont été adoptés postérieurement à l’adoption de la décision litigieuse.
35 Il résulte des considérations qui précèdent que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en considérant, en substance, au point 130 de l’arrêt attaqué, que, en ouvrant l’enquête, mentionnée au point 1 de l’arrêt attaqué, tel qu’il est énoncé au point 5 du présent arrêt, et en adoptant la décision litigieuse, la Commission avait agi dans le cadre de ses compétences et Groupe Canal + n’avait pas démontré que cette institution avait commis un détournement de pouvoir.
36 Quant au grief de Groupe Canal +, tiré de l’erreur de droit que le Tribunal aurait commise en rejetant, au point 129 de l’arrêt attaqué, son argument selon lequel la Commission aurait commis un détournement de pouvoir en ce que les engagements offerts par Paramount ne répondaient pas aux préoccupations en matière de concurrence exprimées par la Commission dans son évaluation préliminaire, il convient de relever que, à supposer qu’il soit démontré que ces engagements ne répondaient pas auxdites préoccupations, une telle circonstance ne serait pas de nature à établir, à elle seule, un détournement de pouvoir.
37 Il y a lieu, par conséquent, de rejeter ce grief ainsi que le premier moyen dans son ensemble.
2. Sur le troisième moyen
38 Le troisième moyen comporte deux branches, tirées, la première, d’une violation de l’obligation de motivation en ce que le Tribunal aurait omis de répondre au moyen soulevé par Groupe Canal + selon lequel la Commission n’aurait pas pris en compte le contexte économique et juridique dans lequel s’inscrivent les clauses pertinentes et, la seconde, d’un examen incomplet des faits en ce que le Tribunal aurait considéré qu’une éventuelle baisse des recettes de Groupe Canal + en provenance des clients situés en France pourrait être compensée par la possibilité, pour Groupe Canal +, de s’adresser à une clientèle située dans l’ensemble de l’EEE.
a) Sur la première branche
1) Argumentation des parties
39 Groupe Canal +, soutenue par l’EFADs, l’UPC et la République française, fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit, en jugeant, au point 39 de l’arrêt attaqué, que le contrôle de la légalité de la décision litigieuse peut porter uniquement sur la question de savoir, d’abord, si les circonstances exposées dans cette décision établissent des préoccupations en matière de concurrence, ensuite, si, dans l’affirmative, les engagements de Paramount, rendus obligatoires, répondent à ces préoccupations et, enfin, si Paramount n’a pas offert d’engagements moins contraignants y répondant de façon tout aussi adéquate. Le Tribunal aurait également commis une erreur de droit en estimant, aux points 62 à 66 de l’arrêt attaqué, que la question de savoir si le comportement ayant suscité lesdites préoccupations remplit les conditions cumulatives d’application de l’article 101, paragraphe 3, TFUE est étrangère à la nature même d’une décision telle que la décision litigieuse et que, par conséquent, il ne lui incombait pas de se prononcer sur les arguments de Groupe Canal + pris de ce que les clauses pertinentes promeuvent la production et la diversité culturelle.
40 Le Tribunal aurait omis de répondre au moyen tiré de ce que la Commission n’aurait pas pris en compte le contexte économique et juridique français dans lequel s’inscrivaient les clauses pertinentes et aurait ainsi violé son obligation de motivation. Il n’aurait pas permis à Groupe Canal + de connaître les raisons pour lesquelles le Tribunal n’a pas fait droit à ses arguments. En effet, le Tribunal aurait omis de refléter, dans son appréciation, l’obligation de prise en compte du contexte économique et juridique dans lequel s’inséraient ces clauses. Il aurait ainsi méconnu la jurisprudence de la Cour, selon laquelle, d’une part, afin d’apprécier si un accord entre entreprises présente un degré suffisant de nocivité pour être considéré comme une restriction de concurrence « par objet », au sens de l’article 101 TFUE, il convient de s’attacher notamment au contexte économique et juridique dans lequel il s’insère, en prenant en considération la nature des biens ou des services concernés ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du ou des marchés en question, et, d’autre part, il incombe au Tribunal de contrôler si les éléments de preuve invoqués constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées.
41 Le Tribunal n’aurait pas effectué un examen approfondi du contexte économique et juridique dans lequel s’inscrivaient les clauses pertinentes mais se serait contenté d’observer de manière « péremptoire », aux points 40 à 42 de l’arrêt attaqué, que, eu égard à leur contenu, à leurs objectifs et à leur contexte économique et juridique, ces clauses, qui aboutissent à une exclusivité territoriale absolue, ont pour objet d’exclure toute concurrence transfrontalière, ce qui, pour le Tribunal, serait suffisant pour justifier les préoccupations de la Commission.
42 Selon la République française, le Tribunal n’aurait pas défini en quoi consistent les préoccupations en matière de concurrence susceptibles de justifier l’adoption d’une décision au titre de l’article 9 du règlement no 1/2003 et n’aurait pas recherché si les clauses pertinentes présentaient un degré suffisant de nocivité pour être considérées prima facie comme une restriction de concurrence par objet. Par ailleurs, l’objectif de promotion de la diversité culturelle serait indissociable du contexte économique et juridique dans lequel s’insèrent les clauses pertinentes et ne saurait donc être exclu de l’examen de celles-ci au regard de l’article 101, paragraphe 3, TFUE.
43 Groupe Canal + soutient, en outre, que, en se fondant, aux points 43 à 50 de l’arrêt attaqué, sur l’arrêt du 4 octobre 2011, Football Association Premier League e.a. (C‑403/08 et C‑429/08, EU:C:2011:631), pour conclure que les clauses pertinentes étaient de nature à susciter, pour la Commission, des préoccupations en raison de leur objet anticoncurrentiel, le Tribunal aurait commis une erreur de droit, dès lors que cet arrêt ne concerne pas le secteur du cinéma. Le Tribunal aurait ainsi fait abstraction du contexte économique et juridique spécifique du secteur cinématographique, alors que la Cour aurait jugé, dans l’arrêt du 6 octobre 1982, Coditel e.a. (262/81, EU:C:1982:334, points 15 et 16), que les traits qui caractérisent l’industrie et les marchés cinématographiques dans l’Union, notamment ceux relatifs au doublage ou au sous-titrage pour des publics aux expressions culturelles différentes, aux possibilités d’émission télévisée et au système de financement de la production cinématographique en Europe, font apparaître qu’une licence de représentation exclusive n’est pas, en soi, de nature à empêcher, à restreindre ou à fausser la concurrence.
44 La Commission et le BEUC contestent le bien-fondé de cette argumentation.
2) Appréciation de la Cour
45 S’agissant, d’abord, de l’argument de Groupe Canal +, tiré de ce que le Tribunal n’a pas motivé le rejet de son argumentation relative à la prise en compte du contexte économique et juridique dans lequel s’insèrent les clauses pertinentes, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’obligation de motiver les arrêts, qui incombe au Tribunal en vertu de l’article 36 et de l’article 53, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, n’impose pas à celui-ci de fournir un exposé qui suivrait exhaustivement et un par un tous les raisonnements articulés par les parties au litige. La motivation peut donc être implicite, à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les motifs sur lesquels le Tribunal se fonde et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle dans le cadre d’un pourvoi (arrêt du 14 septembre 2016, Trafilerie Meridionali/Commission, C‑519/15 P, EU:C:2016:682, point 41).
46 À cet égard, il convient de relever que, au point 40 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a, en substance, identifié les préoccupations de la Commission en ce qui concerne les clauses pertinentes, en constatant que celle-ci a exposé, aux considérants 37 à 44 de la décision litigieuse, que les accords aboutissant à une exclusivité territoriale absolue reconstituaient les cloisonnements de marchés nationaux et contrariaient l’objectif du traité visant à établir un marché unique et que, partant, de telles clauses étaient réputées avoir pour objet de restreindre la concurrence, à moins que d’autres circonstances relevant de leur contexte économique et juridique ne permettent de constater qu’elles ne sont pas susceptibles de produire ce résultat.
47 Au point 41 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a résumé les considérants 46 à 49 de la décision litigieuse, dont il ressort que la Commission a considéré que, eu égard à leur contenu, à leurs objectifs et à leur contexte économique et juridique, les clauses pertinentes ont pour objet d’exclure toute concurrence transfrontalière et d’accorder une protection territoriale absolue aux télédiffuseurs cocontractants de Paramount.
48 S’il est vrai que le Tribunal a immédiatement énoncé, à la suite du point 41 de l’arrêt attaqué, que ces considérations de la Commission étaient fondées, il n’en reste pas moins qu’il ressort d’une lecture attentive de l’ensemble des motifs de cet arrêt que, contrairement à ce que soutient Groupe Canal +, en procédant ainsi, le Tribunal n’a pas formulé de conclusion « péremptoire », sans se livrer à un examen approfondi des arguments, mais a énoncé le résultat de son examen, avant d’exposer, aux points 43 à 73 dudit arrêt, le raisonnement qui l’a conduit à ce résultat, y compris les raisons pour lesquelles les clauses pertinentes étaient, selon lui, de nature à susciter, pour la Commission, des préoccupations au regard de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
49 En outre, il ressort des points 51 à 58 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a expressément examiné les arguments de Groupe Canal +, de la République française, de l’EFADs, de l’UPC et de C More Entertainment, pris du caractère licite des clauses pertinentes au regard de l’article 101, paragraphe 1, TFUE en raison du contexte économique et juridique dans lequel elles s’insèrent, sans oublier les arguments de ces parties, pris de ce que ces clauses auraient pour effet de favoriser la diversité culturelle sans nuire à la concurrence, que le Tribunal a examinés aux points 59 à 72 de ce même arrêt.
50 Par conséquent, il y a lieu de considérer que la motivation figurant aux points 40 à 73 de l’arrêt attaqué permet aux intéressés, et à Groupe Canal + en particulier, de connaître les motifs sur lesquels le Tribunal s’est fondé et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle dans le cadre du présent pourvoi. Le Tribunal n’a donc pas méconnu son obligation de motivation lorsqu’il a rejeté l’argumentation de Groupe Canal + relative au contexte économique et juridique dans lequel s’insèrent les clauses pertinentes.
51 Ensuite, pour autant que Groupe Canal + reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit, aux points 43 à 50 dudit arrêt, en se fondant sur l’arrêt du 4 octobre 2011, Football Association Premier League e.a. (C‑403/08 et C‑429/08, EU:C:2011:631), pour conclure que les clauses pertinentes étaient de nature à susciter, pour la Commission, des préoccupations en raison de leur objet anticoncurrentiel, il convient de relever que, si l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt ne concernait certes pas le secteur du cinéma, il n’en reste pas moins qu’il ressort des points 134, 141 et 142 de cet arrêt que cette affaire portait sur une situation comparable, au plan commercial et concurrentiel, à celle de l’espèce, dans laquelle des accords de licence exclusive conclus entre un titulaire de droits de propriété intellectuelle et des organismes de radiodiffusion comportaient des obligations supplémentaires visant à assurer le respect des limitations territoriales d’exploitation de ces licences, en particulier l’obligation imposée à ces derniers organismes de prendre des mesures rendant impossible l’accès aux objets protégés depuis l’extérieur du territoire couvert par le contrat de licence concerné.
52 En outre, il n’existe pas de contradiction entre ce même arrêt et l’arrêt du 6 octobre 1982, Coditel e.a. (262/81, EU:C:1982:334), qui concerne le secteur du cinéma. En effet, loin d’appuyer l’argument de Groupe Canal +, selon lequel des clauses telles que les clauses pertinentes peuvent être considérées comme parfaitement valides en ce qu’elles constituent la pierre angulaire du système de financement du cinéma, les points 15 et 16 de l’arrêt du 6 octobre 1982, Coditel e.a. (262/81, EU:C:1982:334), auxquels se réfère Groupe Canal +, indiquent seulement qu’une licence de représentation exclusive concédée par le titulaire du droit d’auteur sur un film n’a pas, en soi, pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence. De surcroît, la Cour a expressément envisagé, au point 17 de cet arrêt, que l’exercice du droit d’auteur sur un film et le droit de représentation d’un film qui découle du droit d’auteur pourrait fausser la concurrence sur le marché cinématographique.
53 Or, contrairement à l’affaire ayant donné lieu audit arrêt, l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 4 octobre 2011, Football Association Premier League e.a. (C‑403/08 et C‑429/08, EU:C:2011:631), avait trait précisément aux obligations supplémentaires visant à assurer le respect des limitations territoriales d’exploitation des licences concédées par le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle.
54 Dans ces conditions, force est de constater que c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a considéré, en substance, aux points 46 à 50 de l’arrêt attaqué, en se référant à l’arrêt du 4 octobre 2011, Football Association Premier League e.a. (C‑403/08 et C‑429/08, EU:C:2011:631), qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour que des clauses d’accords de licence qui stipulent des obligations réciproques qui ont pour objet d’éliminer la prestation transfrontalière des services de radiodiffusion du contenu audiovisuel faisant l’objet de ces accords et qui confèrent ainsi une protection territoriale absolue à chaque radiodiffuseur peuvent être considérées, compte tenu tant des objectifs qu’elles visent à atteindre que du contexte économique et juridique dans lequel elles s’insèrent, comme étant des accords ayant pour objet de restreindre la concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et que, dans la mesure où les clauses pertinentes contenaient de telles obligations, elles étaient, sans préjudice d’une éventuelle décision constatant définitivement l’existence ou l’absence d’une infraction à cette dernière disposition à la suite d’un examen complet, de nature à susciter, pour la Commission, des préoccupations en matière de concurrence en l’espèce.
55 Enfin, il y a également lieu de rejeter l’argument de Groupe Canal +, tiré de l’erreur de droit que le Tribunal aurait commise, en considérant, en substance, aux points 39 et 62 à 66 de l’arrêt attaqué, que la question de savoir si le comportement ayant suscité, pour la Commission, des préoccupations en matière de concurrence remplit les conditions d’application de l’article 101, paragraphe 3, TFUE est étrangère à la nature même d’une décision adoptée au titre de l’article 9 du règlement no 1/2003 et que, par conséquent, il ne lui incombait pas, dans le cadre du contrôle de la légalité d’une telle décision, de se prononcer sur des arguments pris de l’application de cette disposition du traité FUE.
56 En effet, ainsi que l’a relevé à bon droit le Tribunal, au point 62 de l’arrêt attaqué, l’article 101, paragraphe 3, TFUE ne trouve à s’appliquer que si une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE a été constatée au préalable (voir, en ce sens, arrêt du 7 février 2013, Slovenská sporiteľňa, C‑68/12, EU:C:2013:71, point 30).
57 Or, la Commission étant dispensée de l’obligation de qualifier et de constater l’infraction lorsqu’elle adopte une décision en vertu de l’article 9 du règlement no 1/2003 (arrêt du 29 juin 2010, Commission/Alrosa, C‑441/07 P, EU:C:2010:377, point 40), elle ne saurait, dans le cadre d’une telle décision, être tenue d’apprécier de manière définitive si un accord, une décision ou une pratique concertée remplit les conditions de l’article 101, paragraphe 3, TFUE.
58 En outre, ainsi que l’a relevé à juste titre le Tribunal, au point 62 de l’arrêt attaqué, l’application de l’article 101, paragraphe 3, TFUE consiste à déterminer les effets pro-concurrentiels produits par l’accord enfreignant l’article 101, paragraphe 1, TFUE et à vérifier si ces effets pro-concurrentiels l’emportent sur les effets anticoncurrentiels.
59 Or, il ressort de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 que les décisions que la Commission adopte sur le fondement de cette disposition se fondent sur une évaluation préliminaire de la nature anticoncurrentielle du comportement en cause. Dès lors, dans la mesure où une telle décision ne comporte pas une évaluation approfondie et complète de tous les effets anticoncurrentiels de ce comportement, la Commission ne serait pas en position de comparer ces effets et les effets pro-concurrentiels, à les supposer établis, invoqués devant elle.
60 Il s’ensuit que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit, en jugeant, au point 62 de l’arrêt attaqué, que la question de savoir si le comportement ayant suscité, pour la Commission, des préoccupations en matière de concurrence remplit les conditions d’application de l’article 101, paragraphe 3, TFUE est étrangère à la nature même d’une décision adoptée au titre de l’article 9 du règlement no 1/2003.
61 Quant à la circonstance que la Commission s’est prononcée de manière préliminaire, aux considérants 50 à 52 de la décision litigieuse, sur la question de l’application de l’article 101, paragraphe 3, TFUE en l’espèce, il convient de relever que ces considérants faisaient partie de l’exposé de l’évaluation préliminaire effectuée par la Commission concernant les clauses pertinentes et ne comportaient aucune appréciation définitive sur cette question, mais visaient simplement à indiquer que la Commission avait pris en compte dans cette évaluation les arguments que Paramount avait déjà avancés sur ladite question antérieurement à la communication des griefs.
62 Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter la première branche du troisième moyen comme étant non fondée.
b) Sur la seconde branche
1) Argumentation des parties
63 Groupe Canal +, soutenue par l’EFADs, l’UPC et la République française, fait valoir que, en considérant, aux points 57 et 69 de l’arrêt attaqué, qu’une éventuelle baisse des recettes de Groupe Canal + en provenance des clients situés en France peut être compensée par le fait que Groupe Canal + est désormais libre de s’adresser à une clientèle située dans l’ensemble de l’EEE et non seulement en France, le Tribunal n’a pas pris en compte les spécificités du secteur cinématographique et n’a pas examiné l’ensemble des faits qui lui étaient soumis. En effet, le Tribunal n’aurait manifestement pas tenu compte de l’étude, intitulée « The impact of cross-border to audiovisual content on EU consumers », établie par les cabinets Oxera et O & O au mois de mai 2016, et produite par Groupe Canal +, dont il ressortirait que les exclusivités territoriales sont nécessaires au financement du cinéma européen en raison des sensibilités culturelles diverses à travers l’Union, que la valeur des films européens varie d’un État membre à l’autre ou d’une zone linguistique à l’autre et que la production au niveau européen est principalement financée in fine par les télédiffuseurs sur la base du système de protection territoriale absolue. La baisse des recettes ne pourrait pas être compensée dès lors que Groupe Canal + ne pourrait plus mettre en exergue l’exclusivité de distribution de certains contenus et que les consommateurs situés en France choisiraient principalement de s’abonner auprès des opérateurs diffusant des contenus attractifs, le plus souvent de langue anglaise. Le coût d’une licence multi-territoriale serait bien plus élevé que celui d’une licence nationale, ce qui, pour les distributeurs, rendrait cette première licence inaccessible. Le coût d’acquisition des nouveaux abonnés situés en dehors du territoire traditionnel du distributeur entraînerait une baisse drastique de la marge de manœuvre de celui-ci en termes de production. En tout état de cause, les limites géographiques inhérentes aux licences que Groupe Canal + a contractées ne lui permettraient pas de s’adresser librement à une clientèle située dans l’ensemble de l’Union.
64 La Commission et le BEUC contestent le bien-fondé de cette argumentation.
2) Appréciation de la Cour
65 Il convient de relever d’emblée que, pour autant que les arguments développés dans le cadre de la seconde branche du troisième moyen visent à critiquer les considérations figurant au point 69 de l’arrêt attaqué, ces arguments doivent être rejetés comme étant inopérants.
66 En effet, il résulte de l’emploi, au point 67 de l’arrêt attaqué, de l’expression « en tout état de cause » et, au point 72 de cet arrêt, de l’expression « même s’il devait être considéré que la Commission était dans l’obligation d’examiner l’applicabilité de l’article 101, paragraphe 3, TFUE », que l’appréciation effectuée par le Tribunal, aux points 67 à 72 dudit arrêt, l’a été à titre surabondant, dans l’hypothèse où il devait être considéré que la Commission était dans l’obligation d’examiner l’applicabilité de l’article 101, paragraphe 3, TFUE.
67 Or, le Tribunal ayant, ainsi qu’il ressort de l’examen de la première branche du troisième moyen du pourvoi, jugé à bon droit que, dans le cadre de la procédure ayant conduit à l’adoption de la décision litigieuse, la Commission n’était pas tenue d’apprécier si les conditions de l’article 101, paragraphe 3, TFUE étaient remplies, les griefs dirigés contre le point 69 de l’arrêt attaqué, quand bien même ils seraient fondés, ne sauraient, en tout état de cause, entraîner l’annulation de l’arrêt attaqué.
68 Pour autant que les arguments développés dans le cadre de la seconde branche du troisième moyen se rapportent aux considérations figurant au point 57 de l’arrêt attaqué, il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 256 TFUE et de l’article 58 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le pourvoi est limité aux questions de droit. Ainsi, le Tribunal est seul compétent, d’une part, pour constater les faits et, d’autre part, pour apprécier ces faits. Ce n’est que dans l’hypothèse où l’inexactitude matérielle de la constatation desdits faits, effectuée par le Tribunal, ressort des pièces du dossier qui lui ont été soumises ou en cas de dénaturation des éléments de preuve retenus à l’appui des mêmes faits que cette constatation et l’appréciation de ces éléments de preuve constituent des questions de droit soumises au contrôle de la Cour dans le cadre du pourvoi (ordonnance du 19 décembre 2019, OPS Újpest/Commission, C‑741/18 P, non publiée, EU:C:2019:1104, point 19 et jurisprudence citée).
69 Or, ces arguments de Groupe Canal + se limitent à remettre en cause l’appréciation des faits effectuée par le Tribunal, selon laquelle une éventuelle baisse des recettes de Groupe Canal + en provenance des clients situés en France peut être compensée par le fait que, grâce à la mise en œuvre des engagements rendus obligatoires en vertu de la décision litigieuse, Groupe Canal + est désormais libre de s’adresser à une clientèle située dans l’ensemble de l’EEE et non seulement en France, sans qu’une dénaturation de la portée de ces engagements soit invoquée.
70 Dès lors, lesdits arguments de Groupe Canal + sont irrecevables.
71 Au regard des considérations qui précèdent, il convient de rejeter la seconde branche du troisième moyen comme étant, en partie, inopérante et, en partie, irrecevable.
72 Il s’ensuit que le troisième moyen doit être rejeté.
3. Sur le deuxième moyen
a) Argumentation des parties
73 Groupe Canal + fait observer que, afin de conclure, au point 72 de l’arrêt attaqué, que l’évaluation préliminaire effectuée par la Commission, concluant que les conditions de l’article 101, paragraphe 3, TFUE n’étaient pas réunies, est exempte d’erreur, le Tribunal aurait considéré, au point 67 de cet arrêt, que les clauses pertinentes imposaient des restrictions allant au-delà de ce qui est nécessaire pour la production et la distribution d’œuvres audiovisuelles nécessitant une protection des droits de propriété intellectuelle et, au point 70 dudit arrêt, que ces clauses éliminaient toute concurrence sur les films américains. Or, aucune de ces considérations n’aurait été discutée par les parties dans le cadre de la procédure devant le Tribunal. Celui-ci aurait donc méconnu le principe du contradictoire.
74 La Commission conteste le bien-fondé de l’argumentation de Groupe Canal +. La Commission et le BEUC considèrent que le deuxième moyen est, en tout état de cause, inopérant pour la raison qu’il est dirigé contre des motifs surabondants de l’arrêt attaqué. Le BEUC considère, à titre principal, que ce moyen est irrecevable, au motif qu’il manque manifestement de précision.
b) Appréciation de la Cour
75 Le deuxième moyen est dirigé contre les points 67, 70 et 72 de l’arrêt attaqué, qui portent sur la question de l’application, en l’espèce, de l’article 101, paragraphe 3, TFUE.
76 À cet égard, sans qu’il y ait lieu d’examiner si, ainsi que le soutient le BEUC, ce moyen doit être déclaré irrecevable, il convient de considérer, pour les raisons exposées aux points 66 et 67 du présent arrêt, que ledit moyen est inopérant.
77 Il s’ensuit que le deuxième moyen doit être rejeté.
4. Sur le quatrième moyen
78 Le quatrième moyen comporte deux branches, tirées, la première, d’une violation du principe de proportionnalité et du respect des droits des tiers que le Tribunal aurait commise en considérant que la Commission n’était pas tenue d’analyser un par un les marchés nationaux concernés et, la seconde, d’une méconnaissance du point 128 des bonnes pratiques ainsi que des droits contractuels des tiers que le Tribunal aurait commise en considérant que la décision litigieuse n’affecte pas la possibilité pour Groupe Canal + de saisir le juge national afin de faire respecter ses droits contractuels.
a) Sur la première branche
1) Argumentation des parties
79 Groupe Canal +, soutenue par l’UPC et la République française, fait observer, en substance, que, en acceptant les engagements de Paramount, qui visent l’ensemble des contrats conclus avec les télédiffuseurs de l’EEE, alors que l’évaluation préliminaire effectuée par la Commission et les préoccupations en matière de concurrence exprimées par cette institution ne portaient que sur les droits exclusifs octroyés à Sky pour le territoire du Royaume-Uni et de l’Irlande, la Commission a raisonné « par extrapolation », en s’affranchissant de l’obligation d’examiner les autres marchés nationaux, et, de ce fait, n’a pas pris en compte les particularités des autres marchés, notamment le marché français, qui aurait pour particularité que le financement de la création audiovisuelle est assuré par les diffuseurs, dont Groupe Canal +. En validant, au point 118 de l’arrêt attaqué, l’approche de la Commission, le Tribunal aurait méconnu le principe de proportionnalité ainsi que les droits des tiers, en contradiction avec l’arrêt du 29 juin 2010, Commission/Alrosa (C‑441/07 P, EU:C:2010:377, point 41).
80 La Commission, soutenue par le BEUC, conteste le bien-fondé de cette argumentation.
2) Appréciation de la Cour
81 Il est établi, en l’espèce, que l’évaluation préliminaire effectuée par la Commission ne portait que sur certaines clauses figurant dans les accords de licence que Paramount avait conclus avec Sky, par lesquels Paramount a octroyé à Sky des licences exclusives pour le territoire du Royaume-Uni et de l’Irlande. En effet, il ressort du point 3 de l’arrêt attaqué que la Commission avait concentré son enquête sur deux clauses connexes de ces accords. La première avait pour objet d’interdire à Sky, ou de limiter la possibilité de cette dernière, de répondre positivement à des demandes non sollicitées portant sur l’achat de services de distribution télévisuelle en provenance de consommateurs résidant dans l’EEE, mais en dehors du Royaume-Uni et de l’Irlande. La seconde imposait à Paramount, dans le cadre des accords qu’elle concluait avec les télédiffuseurs établis dans l’EEE, mais en dehors du Royaume-Uni, d’interdire à ces derniers ou de limiter la possibilité de ces derniers de répondre positivement à des demandes non sollicitées portant sur l’achat de services de distribution télévisuelle en provenance de consommateurs résidant au Royaume-Uni ou en Irlande.
82 En outre, il ressort, notamment, des points 8 à 10 de l’arrêt attaqué que les engagements de Paramount, rendus obligatoires par la décision litigieuse, portaient également sur des clauses similaires figurant dans des accords de licence que Paramount avait conclus ou était susceptible de conclure avec les autres télédiffuseurs établis dans l’EEE.
83 Le Tribunal a constaté, aux points 40 et 41 de l’arrêt attaqué, que les préoccupations de la Commission en ce qui concerne les clauses pertinentes portaient sur le fait que ces clauses aboutissaient à une exclusivité territoriale absolue, reconstituant ainsi les cloisonnements de marchés nationaux et contrariant l’objectif du traité visant à établir un marché unique.
84 Ainsi que le Tribunal l’a rappelé à juste titre, au point 46 de l’arrêt attaqué, selon la jurisprudence de la Cour, un accord qui tendrait à reconstituer les cloisonnements de marchés nationaux est susceptible de faire échec à l’objectif du traité visant à réaliser l’intégration de ces marchés par l’établissement d’un marché unique. Dès lors, des contrats visant à cloisonner les marchés selon les frontières nationales ou rendant plus difficile l’interpénétration des marchés nationaux peuvent être considérés, compte tenu tant des objectifs qu’ils visent à atteindre que du contexte économique et juridique dans lequel ils s’insèrent, comme étant des accords ayant pour objet de restreindre la concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
85 En effet, de tels accords sont de nature à mettre en péril le bon fonctionnement du marché unique, contrecarrant ainsi l’un des principaux objectifs de l’Union, indépendamment de la situation prévalant dans les marchés nationaux.
86 Dès lors, c’est à bon droit que le Tribunal a considéré, au point 118 de l’arrêt attaqué, que les clauses pertinentes, dans la mesure où elles avaient pour objet de cloisonner les marchés nationaux de l’ensemble de l’EEE, sans que leur contexte économique et juridique permette de constater qu’elles ne sont pas susceptibles de porter atteinte à la concurrence, pouvaient valablement, dans le contexte de l’application de l’article 9 du règlement no 1/2003, susciter pour la Commission des préoccupations en matière de concurrence concernant l’ensemble de cet espace géographique, quand bien même la Commission n’aurait pas analysé un par un les marchés nationaux concernés.
87 Il s’ensuit que la première branche du quatrième moyen doit être rejetée comme étant non fondée.
b) Sur la seconde branche
1) Argumentation des parties
88 Groupe Canal + fait valoir que, en considérant, au point 104 de l’arrêt attaqué, que la décision litigieuse ne constitue pas une ingérence dans sa liberté contractuelle, dès lors qu’elle pourrait saisir le juge national afin de faire constater la compatibilité des clauses pertinentes avec l’article 101, paragraphe 1, TFUE et de tirer, à l’égard de Paramount, les conséquences prescrites par le droit national, le Tribunal a méconnu le principe qui résulterait de l’article 9 du règlement no 1/2003, du point 128 des bonnes pratiques et de la note 76 en bas de page de celles-ci, selon lequel une décision adoptée sur le fondement de cet article 9 ne peut avoir pour objet ou pour effet de rendre des engagements obligatoires pour des opérateurs qui ne les ont pas offerts et qui n’y ont pas souscrit.
89 En outre, en indiquant, au point 103 de l’arrêt attaqué, que, dans l’hypothèse où le juge national obligerait Paramount à contrevenir à ses engagements, il incomberait à la Commission de rouvrir l’enquête, le Tribunal aurait reconnu expressément que la mise en œuvre de ces engagements dépend de la volonté de Groupe Canal + sans tirer toutes les conséquences légales de cette conclusion.
90 Groupe Canal +, soutenue par la République française, soutient en substance que, en considérant, au point 100 de l’arrêt attaqué, que la décision litigieuse pourrait, tout au plus, influencer les appréciations du juge national dans la seule mesure où elle contient une évaluation préliminaire, le Tribunal a méconnu gravement les droits des tiers, en l’espèce ceux de Groupe Canal +. En effet, cette décision priverait Groupe Canal + de sa liberté contractuelle, puisqu’elle ne pourrait pas, en réalité, obtenir du juge national qu’il contredise la Commission et qu’il admette la validité des clauses pertinentes. À cet égard, il résulterait de l’arrêt du 23 novembre 2017, Gasorba e.a. (C‑547/16, EU:C:2017:891, points 28 et 29), que les juridictions nationales ne sauraient ignorer les décisions prises sur le fondement de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 et qu’elles doivent tenir compte des évaluations préliminaires effectuées par la Commission et les considérer comme un indice, voire comme un commencement de preuve, du caractère anticoncurrentiel de l’accord en cause. La liberté de ces juridictions ne serait préservée que dans hypothèse où elles décident de poursuivre leurs investigations sur la conformité des accords concernés au droit de la concurrence.
91 La République française ajoute que l’influence d’une décision prise sur le fondement de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 sur l’appréciation portée par le juge national serait renforcée au fil des engagements négociés avec d’autres entreprises du secteur concerné, si bien que des engagements successifs seraient susceptibles de constituer la norme dont il est difficile pour le juge national de se départir. En outre, le fait que, dans l’hypothèse où le juge national considérerait que l’accord en cause n’enfreint pas l’article 101, paragraphe 1, TFUE, la Commission rouvrirait nécessairement une enquête, conformément à l’article 9, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1/2003, pourrait être de nature à dissuader le juge national de contester l’évaluation préliminaire effectuée par la Commission.
92 La Commission, soutenue par le BEUC, considère en substance que le Tribunal a estimé à bon droit, aux points 83 à 108 de l’arrêt attaqué, que la mise en œuvre des engagements de Paramount ne dépend pas de la volonté de tiers, dont Groupe Canal +. En effet, en offrant ces engagements, Paramount aurait exercé sa liberté contractuelle de ne plus adhérer à certaines clauses contractuelles ou de ne plus être liée par celles-ci et cette décision ne dépendrait pas de la volonté d’un tiers. En outre, l’acceptation par la Commission desdits engagements ne priverait pas Groupe Canal + de la possibilité de saisir le juge national afin de faire protéger ses droits dans le cadre de ses relations contractuelles avec Paramount. Si le juge national estime que les clauses pertinentes n’enfreignent pas le paragraphe 1 de l’article 101 TFUE ou qu’elles satisfont aux conditions du paragraphe 3 de cet article, il lui incombera d’apprécier si le résultat de la procédure devant lui pourrait amener Paramount à contrevenir aux engagements rendus obligatoires en vertu de la décision litigieuse. Pour éviter que le résultat de cette procédure puisse amener Paramount à contrevenir auxdits engagements, le juge national pourrait refuser d’ordonner l’exécution des clauses pertinentes, tout en condamnant Paramount, selon les règles nationales applicables, à l’exécution par équivalent au moyen du versement de dommages et intérêts. Le Tribunal aurait envisagé une telle solution au point 103 de l’arrêt attaqué.
93 En outre, le Tribunal aurait estimé à bon droit, au point 102 de l’arrêt attaqué, que Groupe Canal + pourrait obtenir du juge national qu’il contredise la Commission et qu’il admette la validité des clauses pertinentes. Il ressortirait du point 29 de l’arrêt du 23 novembre 2017, Gasorba e.a. (C‑547/16, EU:C:2017:891), que le juge national devrait seulement tenir compte de l’évaluation préliminaire effectuée par la Commission, laquelle est exposée dans la décision litigieuse, et la considérer comme un indice, voire comme un commencement de preuve, du caractère anticoncurrentiel des clauses pertinentes.
2) Appréciation de la Cour
94 Dans le cadre de l’examen de la seconde branche du troisième moyen invoqué en première instance, prise de l’atteinte, en méconnaissance du principe de proportionnalité, aux droits contractuels des tiers, tels que Groupe Canal +, le Tribunal a, en substance, considéré, aux points 89 et 90 de l’arrêt attaqué, qu’une décision adoptée sur le fondement de l’article 9 du règlement no 1/2003 n’est obligatoire que pour les entreprises ayant offert un « engagement », au sens de cette disposition, et ne peut avoir pour objet ou pour effet de rendre un tel engagement obligatoire pour des opérateurs qui ne l’ont pas offert et qui n’y ont pas souscrit.
95 Aux points 91 et 92 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a estimé notamment que, lorsque l’engagement consiste à laisser inappliquée une clause contractuelle conférant des droits à un tiers, reconnaître à la Commission le pouvoir de le rendre obligatoire à l’égard d’un tiers qui, tel que Groupe Canal +, ne l’a pas offert et n’a pas été visé par la procédure intentée par la Commission constituerait une ingérence dans la liberté contractuelle de l’opérateur en question allant au-delà des prévisions de l’article 9 du règlement no 1/2003.
96 Le Tribunal a par la suite examiné si, compte tenu de son libellé ainsi que du contexte juridique dans lequel elle a été adoptée, la décision litigieuse avait pour objet ou pour effet que l’engagement offert par Paramount s’apparente, en violation dudit article 9, à un engagement qu’aurait offert Groupe Canal +. À cet égard, il a, premièrement, observé, au point 94 de l’arrêt attaqué, qu’il ne ressort pas de cette décision qu’elle impose une quelconque obligation aux cocontractants de Paramount tels que Groupe Canal +.
97 Le Tribunal a, deuxièmement, considéré, au point 95 de l’arrêt attaqué, d’une part, que le fait pour Paramount de s’engager de manière générale à ne pas agir en justice afin de faire respecter l’obligation des télédiffuseurs consistant à ne pas procéder à des ventes passives en dehors de leur territoire exclusif, telle que prévue au point 2.2, sous a), de l’annexe de la décision litigieuse, implique automatiquement que Paramount n’honore pas son obligation d’interdire de telles ventes, comme cela est prévu au point 2.2, sous b), de la même annexe, et, d’autre part, que cet engagement entraîne, à son tour, automatiquement la mise en cause du droit contractuel dont jouissent les télédiffuseurs cocontractants de Paramount à l’égard de cette dernière, consistant à ce qu’elle garantisse à chacun d’eux une exclusivité territoriale absolue en ce qui concerne l’objet de chaque accord de licence portant sur la production de télévision payante.
98 Au point 96 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que la question qui se pose dans un tel contexte est celle de savoir si ce résultat est engendré par la décision litigieuse elle-même, auquel cas il s’agirait d’un effet irrémédiable à l’égard d’un tiers n’ayant ni offert l’engagement rendu obligatoire ni souscrit à celui-ci, ou bien si la déclaration de Paramount de ne plus honorer les clauses pertinentes est essentiellement un acte que cette dernière entreprend à ses propres risques et ne porte en rien atteinte à la possibilité de ses cocontractants de saisir le juge national afin de faire respecter lesdites clauses.
99 Par ailleurs, le Tribunal a, notamment, estimé, aux points 100 et 102 de l’arrêt attaqué, que, dans le cadre d’un recours introduit par une entreprise tendant à faire respecter ses droits contractuels auxquels il est porté atteinte par des engagements, rendus obligatoires par la Commission en vertu d’une décision adoptée au titre de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, une juridiction nationale peut parvenir à un résultat partiellement ou totalement différent de l’évaluation préliminaire effectuée par la Commission au regard du droit de la concurrence, figurant dans cette décision, et considérer que les clauses faisant l’objet des engagements n’enfreignent pas l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
100 En outre, au point 103 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré, en substance, que les juridictions nationales avaient le pouvoir d’adopter une décision qui pourrait amener Paramount à contrevenir aux engagements rendus obligatoires en vertu de la décision litigieuse.
101 Le Tribunal a, au point 104 de cet arrêt, déduit de ces considérations que la décision litigieuse ne portait pas atteinte à la possibilité pour Groupe Canal + de saisir le juge national afin de faire constater la compatibilité des clauses pertinentes avec l’article 101, paragraphe 1, TFUE et de tirer, à l’égard de Paramount, les conséquences prescrites par le droit national.
102 Il a conclu, au point 106 dudit arrêt, que, en adoptant la décision litigieuse, la Commission avait agi dans les limites des pouvoirs qui lui étaient conférés par l’article 9 du règlement no 1/2003 et avait sauvegardé l’objectif de celui-ci, qui est inspiré par des considérations d’économie de procédure et d’efficacité, sans porter atteinte aux droits contractuels ou procéduraux de Groupe Canal + d’une manière qui irait au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.
103 Groupe Canal + reproche, en substance, au Tribunal d’avoir méconnu le principe de proportionnalité en minimisant l’importance des effets des engagements en cause, pris par Paramount et rendus obligatoires par la décision litigieuse, sur les droits contractuels de Groupe Canal +, en faisant valoir que le Tribunal s’est fondé sur une prémisse erronée quant au caractère effectif, dans ce contexte, d’une action introduite devant le juge national fondée sur de tels droits.
104 À cet égard, il convient de rappeler que le principe de proportionnalité exige, selon une jurisprudence constante, que les actes des institutions de l’Union soient propres à assurer la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause et ne dépassent pas les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de ces objectifs (arrêt du 11 décembre 2018, Weiss e.a., C‑493/17, EU:C:2018:1000, point 72 ainsi que jurisprudence citée).
105 La mise en œuvre par la Commission du principe de proportionnalité dans le contexte de l’article 9 du règlement no 1/2003 se limite à la vérification que les engagements en question répondent aux préoccupations dont elle a informé les entreprises concernées et que ces dernières n’ont pas offert d’engagements moins contraignants répondant d’une façon aussi adéquate à ces préoccupations. Dans l’exercice de cette vérification, la Commission doit toutefois prendre en considération les intérêts des tiers (arrêt du 29 juin 2010, Commission/Alrosa, C‑441/07 P, EU:C:2010:377, point 41).
106 Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 123 de ses conclusions, lorsque la Commission vérifie les engagements non pas sous l’angle de leur adéquation à répondre à ses préoccupations en matière de concurrence mais au regard de leur incidence sur les intérêts des tiers, le principe de proportionnalité requiert que les droits dont ces derniers sont titulaires ne soient pas vidés de leur substance.
107 Dans ce contexte, c’est à juste titre que le Tribunal a jugé en substance, aux points 91 et 92 de l’arrêt attaqué, que le fait pour la Commission de rendre obligatoire l’engagement d’un opérateur consistant à ne pas appliquer certaines clauses contractuelles à l’égard de son cocontractant, tel que Groupe Canal +, qui ne l’a pas offert et n’a pas été visé par la procédure y relative, et alors qu’aucune preuve de son accord relatif à l’engagement n’a été fournie conformément au point 128 des bonnes pratiques, constituerait une ingérence dans la liberté contractuelle de ce cocontractant allant au-delà des prévisions de l’article 9 du règlement no 1/2003. Ayant ensuite observé, au point 94 de l’arrêt attaqué, qu’il ne ressort pas de la décision litigieuse, adoptée sur le fondement dudit article 9, qu’elle impose directement une quelconque obligation à Groupe Canal +, le Tribunal a cependant relevé, au point 95 de cet arrêt, également à juste titre, que les engagements de Paramount, rendus obligatoires par cette décision, impliquent automatiquement que Paramount n’honore pas certaines de ses obligations contractuelles vis-à-vis de Groupe Canal + dans le cadre de leur accord de licence, entré en vigueur le 1er janvier 2014.
108 Certes, ainsi qu’il ressort du considérant 13 du règlement no 1/2003, les décisions que la Commission adopte au titre de l’article 9 de ce règlement sont sans préjudice de la faculté qu’ont, notamment, les juridictions des États membres de constater une infraction aux articles 101 et 102 TFUE et de statuer sur l’affaire concernée. Aussi, une décision sur les engagements adoptée par la Commission concernant certains accords entre entreprises, au titre de l’article 9, paragraphe 1, de ce règlement, ne s’oppose pas à ce que les juridictions nationales examinent la conformité desdits accords aux règles de concurrence et constatent, le cas échéant, la nullité de ces derniers en application de l’article 101, paragraphe 2, TFUE (arrêt du 23 novembre 2017, Gasorba e.a., C‑547/16, EU:C:2017:891, point 30).
109 Toutefois, aux termes de la première phrase de l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, lorsque les juridictions nationales statuent sur des accords, des décisions ou des pratiques relevant de l’article 101 ou de l’article 102 TFUE qui font déjà l’objet d’une décision de la Commission, elles ne peuvent prendre des décisions qui iraient à l’encontre de la décision adoptée par la Commission.
110 Or, une décision d’une juridiction nationale qui obligerait une entreprise ayant pris des engagements rendus obligatoires en vertu d’une décision adoptée au titre de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 à contrevenir à ces engagements irait manifestement à l’encontre de cette décision.
111 Il s’ensuit que, en jugeant, en substance, au point 103 de l’arrêt attaqué, que les juridictions nationales saisies d’un recours visant à faire respecter les droits contractuels de Groupe Canal + pourraient, le cas échéant, ordonner à Paramount de contrevenir à ses engagements, rendus obligatoires par la décision litigieuse, le Tribunal a méconnu la première phrase de l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 1/2003.
112 D’ailleurs, conformément à la jurisprudence de la Cour (arrêt du 14 décembre 2000, Masterfoods et HB, C‑344/98, EU:C:2000:689, point 51 ainsi que jurisprudence citée), laquelle se trouve à présent codifiée à la deuxième phrase de l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, l’application cohérente des règles de concurrence et le principe général de sécurité juridique exigent que les juridictions nationales, lorsqu’elles se prononcent sur des accords ou pratiques qui peuvent encore faire l’objet d’une décision de la Commission, évitent de prendre des décisions qui vont à l’encontre d’une décision envisagée par la Commission pour l’application de l’article 101, paragraphe 1, et de l’article 102 TFUE ainsi que de l’article 101, paragraphe 3, TFUE.
113 Or, les décisions fondées sur l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 étant, ainsi qu’il ressort du libellé de cette disposition, prises « lorsque la Commission envisage d’adopter une décision exigeant la cessation d’une infraction », il résulte de la jurisprudence rappelée au point précédent du présent arrêt que, en présence d’une décision fondée sur ladite disposition, les juridictions nationales ne peuvent pas adopter au regard des comportements concernés des décisions « négatives », constatant l’absence de violation des articles 101 et 102 TFUE, dans les situations dans lesquelles la Commission peut encore rouvrir la procédure, en application de l’article 9, paragraphe 2, de ce règlement, et adopter, le cas échéant, une décision comportant une constatation formelle de l’infraction.
114 Dès lors, le Tribunal a également commis une erreur de droit, en considérant, en substance, aux points 100, 102 et 104 de l’arrêt attaqué, qu’une juridiction nationale pourrait, le cas échéant, déclarer que des clauses, telles que les clauses pertinentes, n’enfreignent pas l’article 101, paragraphe 1, TFUE et accueillir le recours introduit par une entreprise tendant à faire respecter ses droits contractuels auxquels il est porté atteinte par des engagements rendus obligatoires par la Commission ou à obtenir des dommages et intérêts.
115 Il s’ensuit que l’intervention du juge national n’est pas à même de pallier de façon adéquate et effective un défaut de vérification, au stade de l’adoption d’une décision prise sur le fondement de l’article 9 du règlement no 1/2003, du caractère proportionné de la mesure au regard de la protection des droits contractuels des tiers.
116 Dans ces conditions, il convient de considérer que c’est à tort que le Tribunal a estimé, en substance, aux points 96 à 106 de l’arrêt attaqué, que la possibilité pour les cocontractants de Paramount, dont Groupe Canal +, de saisir le juge national est de nature à remédier aux effets des engagements de Paramount, rendus obligatoires par la décision litigieuse, sur les droits contractuels desdits cocontractants, constatés au point 95 dudit arrêt.
117 Certes, comme le rappelle le Tribunal au point 101 de l’arrêt attaqué, la Cour a observé dans son arrêt du 29 juin 2010, Commission/Alrosa (C‑441/07 P, EU:C:2010:377, point 49), dans le contexte d’une procédure d’enquête visant deux entreprises qui avaient conclu un accord dont l’entrée en vigueur était conditionnée par l’obtention d’une attestation négative ou d’une exemption de la part de la Commission, que le fait que les engagements individuels offerts par une entreprise ont été rendus obligatoires par la Commission n’implique pas que d’autres entreprises sont dépourvues de la possibilité de protéger leurs droits éventuels dans le cadre de leurs relations avec cette entreprise. Toutefois, au vu des limites affectant les compétences des juridictions nationales relevées aux points 109, 110, 112 et 113 du présent arrêt, il y a lieu de constater que les droits contractuels d’un tiers, tel que Groupe Canal +, ne peuvent pas être protégés de manière adéquate dans le cadre d’un recours introduit devant une telle juridiction dans des circonstances où la Commission rend obligatoire un engagement en vertu duquel le cocontractant du tiers doit laisser inappliquées certaines de ses obligations envers ce dernier, librement assumées en vertu d’un accord inconditionnel qui est déjà en vigueur, et ce alors que ledit tiers n’était pas visé par la procédure intentée par la Commission.
118 Il s’ensuit que la seconde branche du quatrième moyen doit être accueillie.
119 Il résulte de ce qui précède que l’arrêt attaqué est entaché d’une erreur de droit quant à l’appréciation effectuée par le Tribunal du caractère proportionné de la décision litigieuse en ce qui concerne l’atteinte aux intérêts des tiers.
120 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu d’annuler l’arrêt attaqué.
VI. Sur le recours devant le Tribunal
121 Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, la Cour peut statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé.
122 Tel est le cas en l’espèce.
123 Par la seconde branche du troisième moyen avancé en première instance, Groupe Canal + soutient en substance que, en rendant obligatoires, par la décision litigieuse, les engagements de Paramount, la Commission a porté atteinte de manière démesurée aux droits contractuels des tiers, tels que Groupe Canal +, et a ainsi méconnu le principe de proportionnalité.
124 À cet égard, ainsi qu’il résulte du point 107 du présent arrêt, lorsque l’engagement consiste à laisser inappliquée une clause contractuelle conférant des droits à un tiers, reconnaître à la Commission le pouvoir de le rendre obligatoire à l’égard d’un tiers qui ne l’a pas offert et n’a pas été visé par la procédure intentée par la Commission constituerait une ingérence dans la liberté contractuelle de l’opérateur en question allant au-delà des prévisions de l’article 9 du règlement no 1/2003.
125 En l’espèce, s’il ressort du dossier que la décision litigieuse n’impose pas d’obligations aux télédiffuseurs cocontractants de Paramount, il n’en reste pas moins, ainsi que la Cour l’a constaté, en substance, au point 107 du présent arrêt, que les engagements de celle-ci, rendus obligatoires par la décision litigieuse, entraînent automatiquement la mise en cause du droit contractuel dont jouissent ces télédiffuseurs, dont Groupe Canal +, à l’égard de Paramount, consistant à ce que cette dernière garantisse à chacun d’eux une exclusivité territoriale absolue en ce qui concerne l’objet de chaque accord de licence portant sur la production de télévision payante. En effet, en vertu de cette décision, Paramount est tenue, notamment, de ne pas honorer certaines obligations, qui visent à assurer cette exclusivité, découlant de ses contrats avec lesdits télédiffuseurs, et en particulier celles prévues aux articles 3 et 12 de son accord de licence avec Groupe Canal +, entré en vigueur le 1er janvier 2014.
126 Or, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général, en substance, au point 125 de ses conclusions, de telles obligations sont susceptibles de constituer un élément essentiel de l’équilibre économique que ces mêmes télédiffuseurs et Paramount ont déterminé dans l’exercice de leur liberté contractuelle.
127 Dans ces conditions, ainsi qu’il résulte de l’examen de la seconde branche du quatrième moyen du pourvoi, et plus particulièrement des points 108 à 117 du présent arrêt, la possibilité pour les cocontractants de Paramount, dont Groupe Canal +, de saisir le juge national n’est pas de nature à remédier à ces effets de la décision litigieuse sur les droits contractuels desdits cocontractants de manière adéquate. Il s’ensuit que, en rendant obligatoires, par ladite décision, les engagements de Paramount, la Commission a, en violation de l’exigence mentionnée au point 106 du présent arrêt, vidé de leur substance les droits contractuels des tiers, dont ceux de Groupe Canal +, à l’égard de Paramount, et a ainsi méconnu le principe de proportionnalité.
128 Par conséquent, il convient d’accueillir la seconde branche du troisième moyen invoqué en première instance et, partant, d’annuler la décision litigieuse, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres arguments et moyens invoqués en première instance.
VII. Sur les dépens
129 Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens.
130 Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
131 Groupe Canal +, l’EFADs, l’UPC et C More Entertainment ayant conclu à la condamnation de la Commission aux dépens et cette dernière ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, les dépens exposés par Groupe Canal +, l’EFADs et l’UPC dans le cadre du présent pourvoi et de la procédure de première instance ainsi que ceux exposés par C More Entertainment dans le cadre de la procédure de première instance.
132 La République française n’ayant pas conclu à la condamnation de la Commission aux dépens, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens.
133 Conformément à l’article 140, paragraphe 3, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, le BEUC, en tant que partie intervenante devant le Tribunal, supporte ses propres dépens.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête :
1) L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 12 décembre 2018, Groupe Canal +/Commission (T‑873/16, EU:T:2018:904), est annulé.
2) La décision de la Commission européenne, du 26 juillet 2016, concernant une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT.40023 – Accès transfrontalier à la télévision payante) est annulée.
3) La Commission européenne supporte, outre ses propres dépens, ceux exposés par Groupe Canal + SA, l’European Film Agency Directors – EFADs, l’Union des producteurs de cinéma (UPC) dans le cadre du présent pourvoi et de la procédure de première instance ainsi que ceux exposés par C More Entertainment AB dans le cadre de la procédure de première instance.
4) La République française supporte ses propres dépens.
5) Le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC) supporte ses propres dépens.