CA Versailles, 12e ch., 3 décembre 2020, n° 19/02161
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Openhealth Company (SA)
Défendeur :
Iqvia Holdings France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Thomas
Conseillers :
Mme Muller, M. Nut
EXPOSE DES FAITS
La société Openhealth (anciennement Celtipharm) est spécialisée dans la création, le développement, la gestion de bases de données ou de connaissances, dans les domaines médical et pharmaceutique.
Ces bases de données et systèmes de traitements permettent de réaliser des études, programmes et applications, directement exploités par les laboratoires, les institutions publiques ou privées et les réseaux professionnels de santé.
Elle a acquis en 2009 la société Carre Castan consultants (ci-après, Carre Castan), qui a pour activité le conseil et l'assistance aux entreprises pharmaceutiques.
La SAS Ims Health france (désormais Iqvia holdings France SAS), est la filiale du groupe américain Ims Health (désormais Iqvia), leader mondial de la collecte de données et de la commercialisation d'études sur les ventes, et les prescriptions de produits pharmaceutiques à destination des industriels du médicament et les acteurs de santé.
Openhealth et Ims Health France sont donc concurrents.
La SA Resopharma regroupe plus de 14 000 pharmacies françaises qui lui transmettent de façon anonyme l'ensemble de leurs données de vente, notamment les feuilles de soins électroniques (FSE); elle vend ces données à des tiers, dont Openhealth ; la fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) est actionnaire et administrateur de Resopharma.
Openhealth revendique avoir arrêté dès 2006 un plan stratégique qui reposait notamment sur un système original de traitement des données en temps réel, à partir des feuilles de soin électroniques associées à des services d'évaluation et d'études de l'intérêt thérapeutique du médicament et des soins.
Openhealth dit qu'un partenariat a été conclu le 22 décembre 2010 entre Resopharma et Celtipharm pour que celle-ci puisse collecter les données de santé, brutes et anonymes issues des feuilles de soins électroniques.
D'après Openhealth, Resopharma aurait commencé pendant plusieurs mois à appliquer cet accord, avant de le dénoncer avec pour raison la volonté de verrouiller un système convenu entre Ims Health France, Resopharma et la FSPF, visant à interdire tout accès aux données de santé à Openhealth.
Ims Health France nie être à l'origine de la cessation des relations avec Resopharma, ces faits n'étant d'après elle pas prouvés par Openhealth.
Elle soutient que l'équilibre du partenariat entre Resopharma et Celtipharm reposait sur la capacité de celle-ci à exploiter les données du FSE et donc sur le pré-requis consistant en la remise des clés de déchiffrement et l'obtention des autorisations nécessaires, ce qu'elle s'est vue refuser.
Le 29 avril 2011, Celtipharm (devenue Openhealth) a saisi la CNIL d'une demande d'autorisation pour réalisation d'études épidémiologiques à partir de feuilles de soins anonymisées et, le 8 septembre 2011, la CNIL lui a délivré l'autorisation sollicitée.
Au cours de l'année 2011, plusieurs rencontres se sont tenues entre Celtipharm et Ims Health, ayant pour objet un éventuel rapprochement ou l'établissement de relations commerciales, mais ces discussions n'ont pas abouti.
Ces négociations étaient encadrées par un accord de confidentialité du 9 août 2011.
Le 15 décembre 2011, Health France a introduit une action en référé auprès du Conseil d'Etat en annulation de la décision de la CNIL du 8 septembre 2011, doublée d'un recours en référé aux fins d'obtenir la suspension de l'exécution de cette délibération.
Par ordonnance de référé en date du 18 janvier 2012, le Conseil d'Etat a rejeté la demande en référé de Health France. Par arrêt du 26 mai 2014, il rejettera la demande présentée « au fond ».
Celtipharm (devenue Openhealth) considère que les négociations auraient été fictives et déloyales de la part d'Ims Health France, menées afin de mesurer la concurrence, et que durant les discussions Ims Health aurait recruté des dirigeants clés de Carre Castan, ce qui aurait été une des causes de la dissolution de celle-ci.
PROCÉDURE
Estimant avoir été victime d'un acte de concurrence déloyale, Celtipharm a saisi sur requête le 7 février 2012 le président du tribunal de commerce de Nanterre d'une demande de mesure in futurum sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, et une ordonnance a été délivrée le 8 février 2012, exécutée le 18 février 2012, permettant la saisie de 40 documents séquestrés par l'huissier, Me D..
Par acte d'huissier du 9 mars 2012, Celtipharm et Carre Castan ont assigné Health France devant le tribunal de commerce de Nanterre aux fins d'obtenir la levée du séquestre, et de faire condamner Health France, notamment à réparer les préjudices qu'elle aurait causés par le biais d'actes fautifs constitutifs de concurrence déloyale.
Une exception d'incompétence ayant été soulevée par la Health France, le tribunal de commerce de Nanterre, par jugement du 21 novembre 2012, s'est déclaré compétent, a dit l'exception d'incompétence mal fondée et enjoint les parties à conclure au fond.
Par ordonnance de référé du 7 juin 2013, le président de ce même tribunal a :
- débouté la société Health France de sa demande de rétractation de l'ordonnance du 8 février 2012
- débouté la société Celtipharm de sa demande en mainlevée du séquestre et de communication des documents saisis par l'huissier dans les locaux de la société Health France.
La cour d'appel de Versailles a confirmé cette ordonnance de référé le 15 janvier 2014
Par jugement du 26 février 2014, le tribunal de commerce de Nanterre a notamment :
- dit Celtipharm et Carre Castan bien fondées à agir,
- débouté IMS Health de sa demande d'irrecevabilité,
- ordonné la mainlevée du séquestre,
- dit que les documents feraient l'objet d'un tri contradictoire entre Celtipharm et IMS Health France,
- dit que Carre Castan ne pourra utiliser les pièces objets de la levée du séquestre.
Suite à un jugement du 25 novembre 2014 ordonnant le sursis à statuer, la cour d'appel de Versailles a déclaré irrecevable la demande de Celtipharm tendant à supprimer le chef de jugement du 26 février 2014 disant que « les documents séquestrés feront l'objet d'un tri contradictoire entre la SA Celtipharm et la SAS Health ».
Par jugement du 27 janvier 2016, le tribunal de commerce de Nanterre ordonne la levée du séquestre pour de nombreux documents, et débouté Celtipharm de sa demande de levée du séquestre chez Me F. D. pour d'autres documents.
Par jugement du 6 février 2019, le tribunal de commerce de Nanterre a :
- débouté la Iqvia Holdings France Sas, anciennement dénommée Ims Health, de sa demande d'irrecevabilité,
- débouté la SA Openhealth Company ex Celtipharm venant aux droits de la société Carre Castan Consultants de toutes ses demandes,
- débouté Iqvia Holdings France SAS, anciennement dénommée Ims Health, de ses demandes reconventionnelles,
- condamné la Sa Openhealth Company ex Celtipharm venant aux droits de la société Carre Castan consultants à payer à Iqvia Holdings France SAS anciennement dénommée Ims Health la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire,
- condamné la SA Openhealth Company ex Celtipharm venant aux droits de la société Carre Castan consultants aux entiers dépens.
Par déclaration du 26 mars 2019, la SA Openhealth Company a interjeté appel du jugement.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par conclusions du 9 juin 2020, Openhealth (anciennement Celtipharm) a demandé à la cour de :
De confirmer le jugement du 6 février 2017 en qu'il a :
- Débouté la société Iqvia Holdings France SAS, anciennement dénommée Ims Health, de sa demande d'incompétence ;
- Débouté la société Iqvia Holdings France SAS, anciennement dénommée Ims Health, de sa demande incidente d'irrecevabilité ;
- Débouté la société Iqvia Holdings France SAS, anciennement Dénommée Ims Health, de ses demandes reconventionnelles ;
D'infirmer le jugement en ce qu'il a
- Débouté Openhealth Company ex Celtipharm venant aux droits de la société Carre Castan Consultants de toutes ses demandes ;
Statuant à nouveau
- se déclarer matériellement compétente pour juger de l'ensemble des actes de concurrence déloyale dont elle est saisie,
- dire les demandes d'Openhealth fondées sur les articles 1382 et 1134 anciens du code civil recevables,
- dire que l'ouverture et la poursuite de discussion avec Openhealth étaient fictives et conduites de mauvaise foi, qu'en conséquence elles constituent un acte de concurrence déloyale fautif ;
- dire que les échanges et concertation entre les dirigeants d'Ims Health (france) et de Resopharma et de la Fspf constituent un acte de concurrence déloyale contre et au détriment d'Openhealth ;
- Dire que l'immixtion d'Ims Health (France) dans l'exécution du contrat conclu entre Resopharma et Openhealth est constitutive d'un acte de concurrence déloyale fautif ;
- dire que les actions en justice diligentées par Ims Health (France) l'ont été à des fins anti-concurrentielles et qu'elles constituent des actes de concurrence déloyale fautifs ;
- dire que le débauchage du personnel de carre castan par Ims Health (France) est constitutif d'un acte de concurrence déloyale fautif ;
- dire que l'ensemble de ces agissements constituent un plan global d'actes de concurrences déloyales, coordonnés destinés à désorganiser Openhealth Company et Carre Castan ;
A titre principal,
- dire que ces agissements pris individuellement et collectivement constituent des fautes dommageables ayant provoqué un trouble commercial grave à Openhealth et Carre Castan ;
- constater le lien de causalité existant entre ces fautes et ce trouble commercial grave ;
En conséquence,
- dire que Ims Health France a commis des actes fautifs constitutifs de concurrence déloyale dont le lien de causalité est établi avec les préjudices subis par Openhealth Company ;
- designer tel expert qu'il plaira à la cour avec pour mission de :
1. Mesurer les bénéfices et économies réalisés par ims health (france) résultant de l'absence de mise sur le marché par son concurrent de son système de traitement de données,
2. Décrire l'ensemble des conséquences opérationnelles et financières des fautes commises par ims health (france) sur les sociétés openhealth et carre castan,
3. Donner son avis et quantifier les préjudices qui en ont résulté pour openhealth et carre castan.
Au vu du rapport de l'expert et des éléments produits à l'instance d'appel,
- condamner Ims Health (France) à réparer l'ensemble des préjudices subis par Openhealth company (pour elle-même et venant aux droits de Carre Castan) ;
En tout état de cause,
- condamner Ims Health (France) à payer la somme de 618 552,57 euros à Openhealth au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Ims Health (France) aux entiers dépens.
Par conclusions du 30 juin 2020, la société Iqvia Holdings France sas a demandé à la cour de :
Recevoir la société Iqvia Holdings France en son appel incident, l'y déclarer bien fondée ;
Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- débouté la société Openhealth de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- condamné la société Openhealth à payer à la société iqvia holdings France la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Openhealth aux entiers dépens de première instance.
Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- débouté la société Iqvia Holdings France de sa fin de non-recevoir fondée sur le défaut de pouvoir juridictionnel du tribunal ;
- jugé que l'accord de confidentialité signé le 9 août 2011 entre la société de droit anglais Ims Health hq Limited et la société Openhealth engageait la responsabilité de la société Iqvia Holdings France ;
- jugé dès lors que la société Iqvia Holdings France avait été partie aux négociations initiées par la société Openhealth ;
- débouté la société Iqvia Holdings France de sa demande reconventionnelle fondée sur les actes de dénigrement dont la société Openhealth s'est rendue l'auteur.
Statuant à nouveau des chefs réformés :
- juger la société Openhealth irrecevable et en tous les cas mal fondée à poursuivre les conséquences dommageables de prétendus actes anticoncurrentiels dont la société Iqvia Holdings france se serait soi-disant rendu l'auteur, dès lors que l'appréciation de ces conséquences supposerait préalablement d'analyser les prétendus actes anticoncurrentiels, ce qui ne relève pas du pouvoir juridictionnel de la cour d'appel ;
- juger que l'accord de confidentialité conclu le 9 août 2011 entre la société Openhealth et la société Ims Health Hq ltd n'était pas opposable à la société Iqvia Holdings France et a fortiori n'engageait pas sa responsabilité ;
- juger dès lors que les négociations ont été menées exclusivement entre la société Ims health Hq ltd et la société Openhealth ;
- juger que la société Openhealth s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale par dénigrement de la société Iqvia Holdings France et, en conséquence,
A condamner la société Openhealth à verser à la société Iqvia Holdings France à titre indemnitaire la somme de 1 170 000 euros en compensation des préjudices subis par la société Iqvia Holdings France ;
A ordonner à la société Openhealth de cesser, en ce compris pour l'avenir, de diffuser, sur quelque support que ce soit, des propos dénigrants relatifs à la société Iqvia Holdings France, et notamment à son activité, son réseau de collecte des données de santé et/ou le présent différend, et ce sous astreinte de 1 500 euros par infraction constatée et par jour de retard, courant dès la signification de l'arrêt ;
En tout état de cause :
- débouter la société Openhealth de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions, en ce compris ses demandes indemnitaires et sa demande subsidiaire de désignation d'un expert judiciaire ;
- condamner la société Openhealth à verser à la société Iqvia Holdings France la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Openhealth aux entiers dépens d'instance, dont distraction au profit de la selarl lexavoué paris-versailles, prise en la personne de Me Martine D., conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 septembre 2020.
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
Pour une meilleure compréhension, la cour utilisera principalement les dénominations Celtipharm et IMS Health.
Sur la recevabilité des demandes d'Openhealth/Celtipharm
Devant le tribunal de commerce de Nanterre, IMS Health soutenait que la demande portait sur des pratiques anti-concurrentielles sur lesquelles le tribunal de commerce n'avait pas compétence pour statuer. Le jugement dont appel a rappelé que ce tribunal avait, par décision du 21 novembre 2012, retenu sa compétence pour statuer sur les faits de concurrence déloyale, par décision définitive.
Ims Health soutient que Celtipharm continue de lui reprocher des pratiques anticoncurrentielles, et que le tribunal de commerce ne pouvait se fonder sur le jugement du 21 novembre 2012 car les écritures et prétentions d'Openhealth/Celtipharm avaient évolué depuis, et car la fin de non-recevoir reposait sur un défaut de pouvoir juridictionnel du tribunal de commerce. Elle demande que la cour écarte toutes les demandes d'Openhealth/Celtipharm s'apparentant à une demande fondée sur des pratiques anti-concurrentielles, et que tous les griefs d'Openhealth/Celtipharm fondés sur des pratiques anti-concurrentielles soient écartés.
Openhealth/Celtipharm rappelle que l'étendue de la saisine de la juridiction est fonction des demandes de l'appelante, et qu'aucune demande n'est fondée sur l'article L. 420-2 du code de commerce. Elle soutient qu'un argument n'est pas un moyen ni une demande et ne saisit pas la juridiction, que seul un moyen repris dans le dispositif saisi la juridiction.
Sur ce
Le tribunal de commerce de Nanterre a déjà été saisi, dans le cadre de la présente instance, d'une demande d'Iqvia/Ims Health soutenant que l'action introduite par Openhealth/Celtipharm relevait du contentieux des pratiques anticoncurrentielles, et a, par jugement du 21 novembre 2012 dont il n'est pas contesté qu'il est désormais définitif, dit cette exception d'incompétence mal fondée, en ce que l'action de Openhealth/Celtipharm visait des pratiques de concurrence déloyale ou la violation d'un accord contractuel, mais pas des pratiques anti-concurrentielles.
Si l'article L. 420-7 du code de commerce prévoit, s'agissant des litiges fondés sur les articles L. 420-1 et suivants du code de commerce qui traitent des pratiques anti-concurrentielles, une compétence particulière au profit de certaines juridictions civiles ou commerciales, il est à constater que le dispositif des conclusions d'Openhealth /Celtipharm ne vise pas ces articles et porte sur des faits de concurrence déloyale.
L'allégation d'un fait de pratique anti-concurrentielle, si elle n'est suivie d'aucune déduction d'ordre juridique, constituant un simple moyen de fait, est un point de l'argumentation qui ne lie pas le juge quant à la qualification qu'il convient de donner aux demandes en justice qu'il doit trancher.
Le fait qu'Openhealth /Celtipharm fasse état de pratiques anti-concurrentielles dans le corps de ses conclusions ne saurait fonder, au vu de l'article L. 420-7 précité, l'incompétence de la juridiction commerciale saisie, s'il n'est présenté aucune demande au titre des pratiques anti-concurrentielles et si les demandes ne doivent pas être requalifiées comme portant sur de telles pratiques.
Aussi, le jugement sera confirmé en ce qu'il a écarté cette fin de non-recevoir soulevée par Iqvia /Ims Health.
Sur la concurrence déloyale
Sur les négociations fictives et la violation des obligations de loyauté, de bonne foi et de confidentialité
Openhealth /Celtipharm soutient qu'IMS HEALTH France a entamé avec elle des négociations confidentielles au cours desquelles elle était convaincue qu'elle disposait d'un avantage concurrentiel du fait de l'autorisation reçue de la CNIL, et a alors préparé des actes hostiles incompatibles avec la poursuite de négociations de bonne foi. Elle affirme que c'est IMS Health France qui a pris l'initiative des négociations, que cette société était bien acteur des négociations et tenue par l'accord de confidentialité qui les encadrait, dont les termes sont clairs. Elle ajoute qu'Ims Health France a divulgué les informations reçues lors des négociations confidentielles et en a discuté avec des tiers, afin de préparer des actions hostiles, tout en poursuivant les discussions avec elle.
Iqvia /Ims Health avance que la violation d'un accord de confidentialité suppose la réunion de trois conditions, non réunies en l'espèce, car Openhealth /Celtipharm ne justifie pas des informations confidentielles qu'elle aurait transmises, et l'information dont la divulgation est reprochée étant publique. Elle affirme qu'IMS Health France n'était pas liée par cet accord de confidentialité. Elle conteste l'application de la théorie du mandat apparent par le tribunal pour considérer qu'IMS Health France était engagée par cet accord, les conditions du mandat apparent n'étant pas réunies, et déduit des échanges avec Celtipharm que celle-ci ne pouvait croire que IMS Health France était tenue par cet accord. De même conteste-t-elle tout mandat de représentation, toute stipulation pour autrui permettant de retenir qu'IMS Health France était tenue par cet accord.
Sur ce
Il ressort des déclarations des deux parties que des négociations ont été engagées au cours de l'année 2011 entre Celtipharm et le groupe Health, afin d'envisager la possibilité d'un rapprochement.
Un accord de confidentialité a été signé le 9 août 2011 entre Celtipharm représentée par M. G. son président, et « IMS Health HQ limited » représentée par M. M., président de la Business Unit North Europe & Africa du groupe Ims Health.
Si IMS Health France conteste avoir été partie à cet accord, il convient de relever qu'en tant que président de la Business North Europe & Africa d'Ims Health, M. M. avait autorité sur les différentes filiales nationales du groupe IMS Health relevant de ce secteur géographique, dont la filiale française IMS Health France, quand bien même chacune de ses filiales à une personnalité propre et un dirigeant ayant seul le pouvoir de l'engager.
L'accord de confidentialité envisageait la transmission des informations confidentielles aux filiales puisqu'il précise qu'il convient de comprendre, par le « destinataire », la partie qui reçoit l'information de l'autre partie et comprend les filiales et sociétés affiliées de la partie destinataire.
Les pièces relevées par le procès-verbal dressé le 4 mars 2016 montrent que les informations échangées au cours des négociations couvertes par l'accord de confidentialité ne portaient que sur le marché français, que des concertations avaient lieu entre M. M. et les dirigeants de IMS Health France qu'il consultait aux différentes étapes des négociations avec Celtipharm, qu'IMS Health France était partie prenante aux négociations et les alimentait ; ses dirigeants y participaient, l'ordre du jour de la réunion du 28 septembre 2011 était consacré aux présentations respectives d'IMS Health France et de Celtipharm, et cette réunion s'est tenue au siège social d'IMS Health France.
Il est à considérer que l'accord de confidentialité contenait une clause attributive de compétence aux juridictions françaises et prévoyait l'application du droit français, que les négociations n'ont porté que sur le marché français et les deux sociétés françaises (Celtipharm et IMS Health France), et que les termes de l'accord étaient connus des dirigeants d'IMS Health France.
La signature de cet accord par M. M. en qualité de président de la Business North Europe & Africa d'Ims Health, lequel donnait des instructions - dans le cadre de ces négociations - aux dirigeants d'IMS Health France, et la participation active de ces derniers dans l'organisation des négociations comme dans leur contenu, ont donné à Celtipharm à croire que la société IMS Health France était engagée par cet accord, signé par le dirigeant « Europe » d'IMS, et l'ont autorisée à ne pas vérifier les limites exactes de son pouvoir.
Le fait que les échanges entre M. M. et les représentants d'IMS Health France, que la participation des cadres et dirigeants d'IMS Health France aux négociations, ou que les courriels montrant que les réunions étaient organisées par les assistants et collaborateurs d'IMS Health France, soient postérieurs à la signature de confidentialité ne saurait retirer l'existence d'une apparence de mandat dont disposait M. M. pour représenter IMS Health France.
En outre, le 8 septembre 2011, Celtipharm a adressé à M. M. un courriel évoquant notamment l'extension de l'accord de confidentialité par un accord de non-débauchage, et joignant un exemplaire pour la signature du représentant légal d'IMS Health France qu'il nommait expressément. Si les intimées soutiennent que l'envoi de ce message excluait que Celtipharm puisse alors croire que M. M. avait un mandat apparent pour engager Ims Health France, il apparaît au contraire que M. M. n'a pas détrompé Celtipharm quant à son pouvoir de représentation d'IMS Health France, pas plus que le représentant légal d'IMS Health France à qui il transférait ce courriel le lendemain.
Les termes même de l'accord de confidentialité prévoyaient que les « informations » comprises dans l'accord comprenaient toute information que l'émetteur ou n'importe laquelle de ses filiales ou sociétés associées peuvent fournir au destinataire, que le destinataire (soit celui qui reçoit l'information, ses filiales et sociétés affiliées) accepte que toutes les informations reçues avant ou à l'occasion de cet accord soient considérées comme confidentielles, et s'engage à les traiter comme telles et à préserver leur caractère confidentiel, comme à ne les divulguer qu'à ses employés ou préposés dont la mission ou les responsabilités exigent qu'ils en aient connaissance.
Il en ressort la volonté des parties signataires que cette confidentialité liait les signataires comme toutes les parties venant à être impliquées dans les négociations, dont IMS Health France.
Par conséquent, c'est par une juste analyse que le jugement a retenu que responsabilité d'IMS Health France était engagée par cet accord.
Sur l'immixtion d'Ims Health France dans les relations d'affaires entre Celtipharm et Resopharma
Celtipharm soutient que les échanges entre Resopharma et IMS Health France, saisis dans le cadre de la mesure in futurum, révèlent une concertation entre ces dernières afin que Resopharma cesse le partenariat avec Celtipharm, et caractérisent une collusion déloyale. Elle allègue que la lettre signée le 22 décembre 2010 avec Resopharma constitue bien un contrat, ce d'autant qu'il a commencé à recevoir exécution durant l'année 2011. Elle affirme que les sociétés Health tentent faussement de présenter l'accord comme soumis à une condition suspensive consistant en l'obtention de toutes les autorisations nécessaires, ce d'autant que les clés de déchiffrement dont elles font état ne concernent pas l'exploitation des données reçues, mais leur décryptage, et que rien n'empêchait Resopharma de transmettre les données comme il s'y était engagé.
Les sociétés Health sollicitent le bénéfice du raisonnement retenu par le tribunal, et affirment que Celtipharm ne démontre pas la cessation de ses relations avec Resopharma, le document organisant leurs relations portant sur un projet de coopération soumis à une double condition, soit la remise des clés de déchiffrement et l'obtention des autorisations nécessaires, et Resopharma ne pouvant communiquer ces données sans que Celtipharm n'ait obtenu le droit de les traiter. Elles ajoutent que Celtipharm s'est vue refuser l'accès aux clés de déchiffrement de ces données, et qu'elle ne rapporte pas la preuve que les relations avec Resopharma avaient commencé, ni que Resopharma y ait mis un terme. Elles en déduisent que Celtipharm ne démontre pas une faute de Resopharma, de sorte qu'aucune immixtion fautive ne peut être reprochée à Ims Health France, que Celtipharm ne prétend établir qu'en versant seulement un échange de courriels internes à IMS Health France.
Sur ce
La convention de partenariat signée le 22 décembre 2010 entre Celtipharm et Resopharma est une lettre d'intention adressée par Celtipharm au directeur général de Resopharma (G. G.) et signée par les deux entités, commençant ainsi « nous donnons suite à nos discussions concernant notre projet de coopération pour le traitement anonyme des données de santé des assurés sociaux et la réalisation et l'exploitation d'études statistiques tirées de ces données. La présente vise à définir les termes de cet accord et ses modalités de mise en œuvre ».
Cette lettre devait être suivie d'un accord définitif, dont il n'est pas allégué qu'il a été conclu.
Il est justifié par les pièces produites que les parties à cet accord ont échangé des courriels portant sur la mise en oeuvre de cet accord, entre le 22 décembre 2010 et le mois de mai 2011.
Les deux courriels suivants provenant de Resopharma, en date des 10 octobre et 8 novembre 2011, sont des courriels de réponse à des messages provenant de Celtipharm, indiquant que M. G. (directeur général de Resopharma) avait donné pour consigne de ne plus répondre à Celtipharm.
Si Celtipharm soutient que les échanges intervenus entre Resopharma et IMS Health France établissent l'existence d'une collusion entre elles afin d'empêcher l'exécution des engagements de Resopharma envers Celtipharm, elle s'appuie sur un échange de courriels intervenus le 14 décembre 2011 entre des cadres dirigeants de IMS Health France.
Ainsi, M. C., directeur général de IMS Health France, écrit le 14 décembre 2011 :
« J'ai discuté avec GG - en confidence - sur Celtipharm. Il a donc été chez eux cette semaine et sa position n'a pas changé : il ne fournira pas les FSE à Celtipharm sans autorisation du DG de la CNAM. Il a posé la question à G. s'il avait cette autorisation (et aussi les clefs de decryptage des FSE), G. a répondu à côté qu'il avait l'autorisation de la CNIL. Donc GG ne bouge pas pour l'instant. So far so good »...
M. O. et Mme L. se réjouissaient de ce message, le 1er indiquant qu'il fallait maintenant « bétonner le contrat FSPF-IMS... pour essayer de sortir tout intrus dans le process », la 2ème déclarant qu'elle était en train de « finaliser le recours devant le CE contre l'autorisation de la CNIL ».
Il n'est pas contesté que GG sont les initiales de G. G., directeur général de Resopharma, G. étant le nom du directeur de Celtipharm.
Pour autant, il s'agit là de courriels internes à Ims Health France, intervenus plus de deux mois après le refus exprimé par Resopharma à Celtipharm de lui répondre. Le courriel de M. C. établit que le directeur général de Resopharma avait déjà arrêté sa position consistant à refuser de communiquer les FSE (feuilles de soin électroniques) à Celtipharm, et qu'il n'en avait pas changé.
Ainsi ces courriels, s'ils peuvent établir qu'une discussion était intervenue entre les directions de Resopharma et d'IMS Health France, ne sauraient démontrer que la décision de Resopharma de ne pas transmettre à Celtipharm les données réclamées par celle-ci et de cesser de répondre à ses sollicitations, a été prise en concertation avec IMS Health France, ou que celle-ci aurait incité Resopharma à cesser toutes relations avec Celtipharm.
Le courriel de M. C. précise que le directeur de Resopharma entendait conditionner la remise des FSE à l'autorisation du DG de la CNAM, et la lettre d'intention du 22 décembre 2010 indiquait, au titre des engagements des parties, que Celtipharm s'engageait « à réaliser toutes démarches et obtenir toutes les autorisations et licences nécessaires pour l'exploitation des données reçues notamment auprès de la CNIL, de la CNAM ou du GIE SESAM VITALE ».
Il en ressort que la lettre d'intention contenait l'engagement de la société Celtipharm à obtenir une telle autorisation, en l'absence de laquelle -selon le courriel de M. C.- le directeur général de Resopharma M. G. ne lui fournirait pas les FSE.
Si l'appelante soutient que cette autorisation (qu'elle n'a pas obtenu) n'était pas une condition préalable à l'exécution du contrat de partenariat, et que Resopharma ne pouvait prétexter une absence d'autorisation du « DG de la CNAM » pour refuser d'exécuter ses obligations, il n'en demeure pas moins que c'est la raison évoquée -selon le courriel de M. C.- par le directeur général de Resopharma pour refuser de délivrer les FSE à Celtipharm, et ce seul courriel ne saurait établir qu'IMS Health France a exercé une influence sur Resopharma pour qu'elle prenne cette décision.
Ainsi ces courriels internes du 14 décembre 2011 ne démontrent pas qu'Ims Health France aurait influé sur la décision prise par Resopharma à l'égard de Celtipharm, ou serait responsable de la cessation de ces relations.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Openhealth /Celtipharm au titre de sa demande portant sur l'immixtion fautive d'IMS Health France.
Sur le caractère déloyal des procédures judiciaires engagées par IMS Health France
Openhealth /Celtipharm soutient qu'IMS Health France a, pour protéger ses parts de marché et entraver l'arrivée de services concurrents plus avancés sur le marché, engagé des actions en justice, tant devant le Conseil d'Etat que dans le cadre de l'expertise in futurum intervenue dans le cadre de la présente instance. Elle déduit de l'analyse des pièces de procédure versées devant le Conseil d'Etat qu'IMS Health France cherchait à retarder le développement de ses services, relève que le Conseil d'Etat a considéré ce recours non fondé et inutile, et qu'il a été considéré comme intenté à dessein anticoncurrentiel. Elle rappelle qu'aucune autorité de santé n'est intervenue à cette procédure, et que les conclusions du rapporteur public ont révélé que le recours n'était ni justifié ni dénué d'arrière-pensée. Elle dénonce le caractère hostile de cette procédure, comme les recours dilatoires contre la procédure in futurum, tendant à désorganiser son concurrent aux moyens plus limités.
Les intimées contestent ce grief, en expliquant les motivations des recours intentés devant le Conseil d'Etat, lequel n'a pas conclu à la commission d'une faute ou d'un abus dans l'exercice du droit d'agir en justice. Elles relèvent que le tribunal n'a pas non plus considéré qu'IMS Health France avait commis une faute dans l'exercice de son droit d'agir en justice, l'échec d'une procédure ne pouvant constituer une faute. Elles reprochent à Openhealth /Celtipharm de faire état de griefs tirés de prétendues pratiques anticoncurrentielles. Elles affirment que le fait de viser Celtipharm dans le recours devant le Conseil d'Etat était justifié par le fait qu'elle était bénéficiaire de l'autorisation contestée de la CNIL, dont les écrits devant le Conseil d'Etat ne sauraient être objectifs. Elles avancent que les recours, non suspensifs, ne retardaient pas la mise en oeuvre par Celtipharm de l'autorisation qu'elle avait obtenue, et qu'IMS Health France ne leur a donné aucune publicité.
Sur ce
L'exercice d'une action en justice constitue un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à l'octroi de dommages et intérêts que lorsque est établie une faute en lien de causalité directe avec un préjudice.
En l'espèce, IMS Health France a introduit devant le juge des référés du Conseil d'Etat, le 15 décembre 2011, une requête tendant à la suspension de l'exécution de la délibération de la CNIL du 8 septembre 2011 « autorisant la mise en oeuvre par la société Celtipharm d'un traitement de données à caractère personnel ayant pour finalité la réalisation d'études épidémiologiques à partir de données issues de feuilles de soins électroniques anonymisées à bref délai ».
Le juge des référés du Conseil d'Etat, après avoir rappelé les conditions dans lesquelles peut intervenir la suspension de l'exécution d'un acte administratif, a retenu que le traitement des données autorisé par la décision contestée ne pouvait être mis en oeuvre avant plusieurs mois, et que l'exécution de cette décision n'était susceptible d'avoir qu'un impact indirect et très limité sur la situation d'IMS Health France, de sorte qu'il n'était pas justifié que son exécution soit suspendue en référé. Il a également considéré que l'exécution de cette délibération ne pouvait être considérée comme portant une atteinte grave à l'intérêt public s'attachant à la protection des restrictions d'accès au numéro NIR (numéro d'inscription au répertoire national d'identification des personnes physiques), de sorte que la requête en suspension de l'exécution de la délibération de la CNIL a été rejetée.
Dans son arrêt du 26 mai 2014, le Conseil d'Etat, après avoir écarté les moyens avancés relatifs à la légalité externe de la délibération, et ceux relatifs à l'irrégularité de la procédure d'adoption de la délibération attaquée et à son insuffisance de motivation, n'a pas retenu les moyens avancés portant sur la légalité interne de cette délibération : il a ainsi retenu que les conditions d'obtention des clés de déchiffrement et les difficultés rencontrées par Celtipharm pour les obtenir étaient sans incidence sur le respect de l'article 8 de la loi du 6 janvier 1978, a écarté le moyen tiré de la violation du secret professionnel et de la vie privée des patients dès lors que les données faisaient l'objet d'une anonymisation irréversible, comme celui tiré du détournement du traitement des données issues de feuilles de soins électroniques à des fins purement commerciales dès lors que le traitement autorisé des données avait des fins statistiques et de recherche scientifique en vue de l'étude relative à la consommation de médicaments ; estimant les finalités du traitement autorisé par la délibération conformes à la volonté du législateur et devant être considérées comme légitimes, il a relevé que l'anonymisation des données et leur transmission ne pouvaient être effectuées que sur instruction des pharmaciens, et a écarté le moyen reprochant à la délibération contestée d'autoriser la collecte et le traitement du numéro d'inscription au répertoire national des personnes physiques dans des conditions illégales. Il en a déduit qu'IMS Health France n'était pas fondée à solliciter l'annulation de la délibération de la CNIL, et a rejeté sa requête.
Il en résulte que si le Conseil d'Etat n'a pas accueilli les demandes d'IMS Health France et a rejeté ses requêtes, il n'a pas qualifié d'inutiles les actions qu'elle avait initiées, et Openhealth ne peut se fonder sur les conclusions du rapporteur public pour donner à l'arrêt une autre signification.
Il sera en outre relevé qu'Openhealth fait état d'un comportement d'IMS Health France révélateur de pratiques anti-concurrentielles, mais ne présente pas de demandes à ce titre, lesquelles ne relèveraient comme déjà indiqué pas de la compétence de la cour d'appel de Versailles.
Le jugement a, à raison, retenu que les développements de la CNIL dans ses écritures prises devant la juridiction administrative ne pouvaient établir l'abus de droit qu'aurait commis IMS Health France, la CNIL étant alors défenderesse à un recours en suspension ou en annulation à l'encontre d'une de ses délibérations.
Si Openhealth soutient que les actions engagées par IMS Health France devant le Conseil d'Etat avaient pour but de la désorganiser et de bloquer un concurrent, elle ne conteste pas les intimées lorsqu'elles relèvent que ces recours n'étaient pas suspensifs, et il ressort par ailleurs que ces retards s'expliquent par le refus de la CNAM et du GIE SESAM-Vitale de leur communiquer les clés de déchiffrement des feuilles de soins électroniques.
Les courriels échangés entre les cadres dirigeants de IMS Health France le 14 décembre 2011 évoquant l'engagement prochain du recours devant le Conseil d'Etat à l'encontre de la délibération de la CNIL, s'ils expriment qu'il était alors de l'intérêt d'IMS Health France d'engager un tel recours, ne démontrent pas en eux-mêmes le caractère abusif de son introduction.
Par ailleurs, le fait pour IMS Health France d'avoir cherché à s'opposer à la libération de pièces saisies dans le cadre de la mesure d'expertise in futurum relève de l'exercice de son droit à défendre ses intérêts, et ne saurait être considéré comme déloyal.
Au vu de ce qui précède, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Openhealth /Celtipharm de sa demande à ce titre.
Sur le débauchage massif
Après avoir rappelé que le fait de débaucher du personnel d'un concurrent constitue un agissement déloyal lorsqu'il en est résulté une désorganisation de l'entreprise victime, Openhealth /Celtipharm soutient que l'embauche de consultants clés de Carré Castan par IMS Health France s'inscrivait dans un plan destiné à la désorganiser, la société IMS ayant ciblé ses cadres dans son rapport stratégique et les convoitant à des fins déloyales. Elle fait état du caractère essentiel des cadres débauchés, constituant l'outil de production et la force commerciale de Carré Castan. Elle relève le contexte dans lequel ce débauchage est intervenu, et la baisse de chiffre d'affaires qui en est résulté, ce d'autant que Carré Castan était un élément essentiel de son plan stratégique, et qu'elle s'en est trouvée désorganisée.
Les intimées avancent qu'Openhealth /Celtipharm n'apporte aucune preuve démontrant un débauchage massif, que les deux salariés de Carré Castan n'étaient liés par aucune clause de non-concurrence et que leur départ est indépendant de toute action d'IMS Health France mais s'explique par les changements intervenus chez Carré Castan après son acquisition par Celtipharm. Elles ajoutent qu'il n'est pas établi que ces deux salariés occupaient des fonctions essentielles chez Carré Castan, qu'ils sont partis à deux moments différents, et n'étaient pas les seuls employés de Carré Castan. Elles soulignent que l'appelante ne démontre pas qu'une désorganisation en serait résulté.
Sur ce
Le débauchage, qui consiste à inciter les salariés d'un concurrent à quitter leur emploi pour les attirer dans sa propre entreprise, n'est pas illicite en soi, sauf s'il résulte de manoeuvres déloyales ou tend à l'obtention déloyale d'avantages dans la concurrence, de nature à désorganiser l'entreprise. Sont ainsi illicites le débauchage ayant pour seul but d'accéder à des connaissances confidentielles acquises par le salarié ou de prospecter systématiquement la clientèle du concurrent ou le débauchage résultant de l'offre de salaires anormalement élevés ou d'avantages prohibitifs ou encore le débauchage revêtant un caractère massif et entraînant la désorganisation du fonctionnement de l'entreprise.
En l'espèce, Openhealth /Celtipharm reproche à IMS Health France d'avoir débauché M. Arnaud T. et Mme Carine B. qui étaient deux cadres expérimentés de Carré Castan.
Les intimées relèvent que ces deux personnes n'étaient pas liées par une clause de non-concurrence à Carré Castan, ce qu'a également relevé le jugement, et qu'Openhealth /Celtipharm ne conteste pas.
Il ressort des pièces versées que le processus de démission de M. T. avait commencé au mois de juillet 2011 (sa sortie du capital de Carré Castan est intervenue le 12 juillet 2011), soit avant la signature le 9 août 2011 de l'accord de confidentialité entre Celtipharm et M. M., président de l'entité européenne du groupe IMS Health, avant d'être embauché par IMS Health France.
Openhealth /Celtipharm, qui souligne l'importance de ces cadres pour Carré Castan, 'éléments indissociables et indispensables du plan stratégique d'Openhealth', produit pour l'illustrer un communiqué de presse du 18 mai 2009 lors du rachat de Carré Castan par Celtipharm, dans lequel M. T. est présenté comme directeur associé, en charge de la stratégie et du développement ; cependant, outre le fait que de tels communiqués ont souvent un caractère emphatique, l'appelante ne verse pas plus qu'en 1ère instance son contrat de travail qui aurait justifié des fonctions qu'il occupait et des missions importantes qu'il remplissait. Il sera relevé que son départ est mentionné dans le rapport du président de l'assemblée générale extraordinaire de Carre Castan du 20 mars 2012, mais sans lui donner une quelconque importance quant aux résultats, ou au titre des difficultés rencontrées.
L'embauche de Mme B. est intervenue à la suite d'un courriel de candidature spontanée qu'elle a adressé le 3 mai 2012, et elle a quitté (selon sa fiche Linkedin) Carré Castan en août 2012, soit une année après le départ de M. T., de sorte que ces départs ne sont pas intervenus de manière concomitante.
Openhealth /Celtipharm ne produit pas non plus son contrat de travail, ni de pièces établissant qu'elle occupait des fonctions stratégiques chez Carré Castan, mais seulement sa fiche Linkedin.
Si ces deux consultants détenaient des parts du capital de Carré Castan, il s'agissait d'une part relativement modeste pour chacun d'eux (10% pour M. T., 4,96% pour Mme B.).
Openhealth /Celtipharm ne produit pas non plus de pièces établissant que leur démission aurait été provoquée par IMS Health France, ou qu'elle aurait manœuvré pour les débaucher ; le fait qu'une présentation au sein du groupe IMS Health en septembre 2011 ait cité les consultants Carré Castan comme un des éléments de Celtipharm et ait évoqué le renforcement des équipes d'IMS Health France ne peut en soi révéler l'existence de manoeuvres déloyales pour débaucher ces consultants.
Openhealth /Celtipharm fait état de la désorganisation créée par le départ de ces deux cadres de Carré Castan et de la baisse du chiffre d'affaires qui en aurait résulté mais, outre qu'elle disposait toujours de deux cadres, son chiffre d'affaires a évolué de 764 674 euros en 2010, à 934 141 euros en 2011 et 782 000 euros en 2012, soit un montant supérieur à celui de l'exercice 2010, de sorte que les conséquences financières de la désorganisation alléguée ne sont pas démontrées.
Au vu de ce qui précède, le grief de débauchage massif invoqué par Openhealth /Celtipharm n'est pas établi.
Sur le caractère fictif et déloyal des négociations
Openhealth /Celtipharm soutient qu'IMS Health France connaissait les obligations contractuelles qui la liaient mais n'a pas hésité à divulguer des informations confidentielles et à discuter avec des tiers de l'existence de ces négociations, et en a profité pour préparer des actions hostiles contre Celtipharm alors que les négociations continuaient, ce qui révèle son comportement déloyal. Elle en déduit que ces négociations étaient fictives et frauduleuses, et poursuivies de mauvaise foi par IMS Health France.
Les intimées relèvent qu'Openhealth /Celtipharm n'apporte pas la preuve des informations confidentielles que Celtipharm aurait transmises, ni d'une faute d'IMS Health France, la fin des négociations résultant d'un désaccord entre les parties qui ne peut lui être imputé. Elles soutiennent que les négociations ont pris fin début novembre 2011, et que les pièces qui lui sont opposées datent du mois de décembre 2011.
Si Openhealth /Celtipharm reproche à IMS Health France d'avoir utilisé des informations confidentielles que Celtipharm aurait transmises dans le cadre des négociations couvertes par l'accord de confidentialité, elle n'identifie pas précisément les informations qu'elle aurait portées à la connaissance d'IMS Health France dont celle-ci se serait servie de façon déloyale et à son encontre, n'étant pas établi que les informations de présentation de Celtipharm transmises auraient été utilisées à son tort.
Le 5 novembre 2011, le cabinet Shield a fait part à la direction de Celtipharm que le prix qu'elle sollicitait pour sa société n'était pas « acceptable » pour IMS et que, si IMS était intéressée en principe, elle était peu disposée à engager du temps et des efforts dans des discussions sur cette acquisition si l'écart de prix est trop important.
Le 7 novembre 2011, Celtipharm répondait en prenant note du contenu du courriel du 5 novembre 2011et autorisait son interlocuteur à en informer la direction d'IMS Health, ce qui mettait fin aux discussions entre les sociétés (conclusions appelante, p39).
Le courriel adressé par le directeur de Celtipharm à M. M. le 8 novembre 2011, le remerciant pour le temps consacré par lui et son équipe à Celtipharm, le confirme.
Si IMS Health France a alors écrit, le même 7 novembre 2011, à la CNIL pour contester la délibération n°2011-246 du 8 septembre 2011 autorisant la mise en oeuvre par Celtipharm, « société concurrente », d'un traitement de données à caractère personnel à partir de données issues des FSE, cette délibération avait déjà été publiée (au plus tard le 21 septembre 2011 selon les observations de la CNIL devant le Conseil d'Etat, le 14 octobre 2011 selon le jugement) sur le site Légifrance, de sorte qu'il ne peut être reproché à IMS Health France d'avoir profité de cette information que lui aurait transmise Celtipharm dans le cadre des échanges confidentiels, pour l'utiliser afin de contester cette délibération.
Les courriels internes échangés entre cadres dirigeants d'IMS Health France du 14 décembre 2011 sont intervenus plusieurs semaines après la rupture des négociations avec Celtipharm, et n'établissent pas que ces cadres auraient alors utilisé des données confidentielles reçues à l'occasion des échanges entrant dans le cadre de l'accord de confidentialité avec Celtipharm, contre elle. Il n'est pas davantage justifié que les actes hostiles d'IMS Health France à l'encontre de Celtipharm aient été préparés pendant que ces sociétés étaient encore en négociation.
Le courriel du directeur de Celtipharm adressé à M. C. (directeur d'IMS Health France) le 13 décembre 2011 intitulé « contact - synergie de coûts » évoquant « la possibilité de mutualiser certains coûts entre nos sociétés (Maintenance de la table de référence des produits - Opérations sans VA sur nos panels...) » montre encore que les négociations étaient finies et que les relations entre les sociétés s'inscrivaient dans une autre optique.
Au vu de ce qui précède, si Celtipharm a pu être surpris par le changement d'optique d'IMS Health France à son endroit, elle n'établit pas le caractère déloyal et fictif des négociations entre elles.
En conséquence, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Openhealth /Celtipharm de sa demande au titre de la concurrence déloyale.
Sur la demande reconventionnelle
Le dénigrement consiste à porter atteinte à l'image de marque d'une entreprise ou d'un produit identifiable afin de détourner la clientèle en usant de propos ou d'arguments répréhensibles ayant ou non une base exacte.
Les intimées soutiennent que Celtipharm a pendant plusieurs mois tenus des propos dénigrants à son endroit dans la presse, campagne qui leur a porté préjudice, parce que Celtipharm n'aurait pas apprécié qu'elle refuse de négocier avec elle. Elles font état du caractère dénigrant et faux des dires injustement soutenus par Celtipharm à leur encontre.
Pour autant, l'article « ces chiffres qui tuent la profession ! », consultable selon procès-verbal d'huissier du 1er septembre 2014 sur le site internet de la société Celtipharm, ne vise qu'accessoirement IMS Health, dans son dernier paragraphe, où elle n'est citée que comme tenant une base de données servant au calcul de l'indice du prix des médicaments.
Il en est de même pour l'article de « l'express », qui est un interview de M. G., dont la seule remarque sur la durée nécessaire à IMS Health pour « extrapoler les données » transmises par les autorités sanitaires n'est pas de nature à détourner les consommateurs des services de ce groupe.
De plus, c'est justement que le jugement a retenu que les articles de presse sont publiés sous la responsabilité de leurs auteurs respectifs, et il ne saurait en être fait un quelconque grief à Openhealth /Celtipharm. La cour relève que si les intimées avancent qu'un article reprend les propos tenus par M. Yann A., ancien directeur associé de Celtipharm, dans un communiqué de presse « initiative transparence santé », il n'est pas fait état dans ce communiqué - qui ne cite pas IMS Health - de cette qualité.
De plus, l'interview de M. A. dans « le télégramme », ou l'article de « Marianne » citant les propos de celui-ci relatant une situation de concurrence économique ne comporte pas de propos constitutifs de dénigrement, ce d'autant que la responsabilité du blocage dont souffrirait Celtipharm y est surtout mise sur le compte de la direction de la sécurité sociale, de la CNAM et du ministère de la Santé.
Il en est de même de la « lettre d'information pour les industries de santé » de Celtipharm du 22 mars 2013, qui ne vise aussi que très accessoirement IMS Health, comme réceptrice de l'information quant aux volumes des données de prescription.
La pièce 16 est un courriel transmettant un autre courriel de Mme Amandine G., disposant d'une adresse internet [...], dont le destinataire n'est pas identifié, ce qui ne permet pas d'apprécier dans quel cadre son auteur a adressé ce courriel, ni l'ampleur de sa diffusion. En outre, cet envoi commente l'arrêt du 26 mai 2014 du Conseil d'Etat sous le titre « le géant mondial de la donnée de santé attaque l'irréductible gaulois », dont le jugement a justement relevé qu'il s'agissait d’une expression imagée dont le caractère dénigrant n'était pas établi, pas plus qu'il ne l'est quant aux propos relevés par les intimées présentant la situation d'IMS Health comme en situation de quasi-monopole.
Au vu de ce qui précède, c'est à juste titre que le jugement a débouté les sociétés IMS Health de leur demande reconventionnelle, et il sera confirmé sur ce point.
Sur les autres demandes
La demande principale d'Openhealth /Celtipharm n'était pas accueillie, il ne sera pas fait droit à sa demande subséquente.
Les condamnations prononcées en 1ère instance au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens seront confirmées.
Succombant en son appel, Openhealth /Celtipharm sera condamnée aux dépens d'appel, ainsi qu'au versement d'une somme de 6 000 euros au titre des frais irrépétibles engagées par les intimées en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
Statuant par décision contradictoire
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Rejette toute autre demande,
Condamne la société Openhealth à verser à la société Iqvia Holdings France la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Openhealth aux entiers dépens d'appel, qui pourront être directement recouvrés par Me Martine D., avocate inscrite au barreau de Versailles, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.