CJUE, 2e ch., 10 décembre 2020, n° C-160/19 P
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Comune di Milano
Défendeur :
Commission européenne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Arabadjiev (rapporteur)
Juges :
M. Lenaerts, M. Ilešič, M. Kumin, M. von Danwitz
Avocat général :
Mme Kokott
Avocats :
M. Mandarano, M. Barbagiovanni, M. Grassani, M. Picciano
LA COUR (deuxième chambre),
1 Par son pourvoi, le Comune di Milano (ville de Milan, Italie) demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 13 décembre 2018, Comune di Milano/Commission (T‑167/13, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2018:940), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision (UE) 2015/1225 de la Commission, du 19 décembre 2012, concernant les augmentations de capital effectuées par SEA SpA en faveur de SEA [Handling] SpA [SA.21420 (C 14/10) (ex NN 25/10) (ex CP 175/06)] (JO 2015, L 201, p. 1, ci-après la « décision litigieuse »).
Les antécédents du litige
2 SEA SpA est la société gestionnaire des aéroports de Milan-Linate (Italie) et de Milan-Malpensa (Italie). Entre les années 2002 et 2010 (ci-après la « période en cause »), son capital était détenu presque exclusivement par des autorités publiques, à savoir à hauteur de 84,56 % par la ville de Milan, de 14,56 % par la Provincia di Milano (province de Milan, Italie) et de 0,88 % par d’autres actionnaires publics et privés. Au mois de décembre 2011, F2i – Fondi Italiani per le infrastrutture SGR SpA a acquis, pour le compte de deux fonds gérés par elle, 44,31 % du capital de SEA, dont une partie du capital détenu par la ville de Milan (29,75 %) et l’intégralité du capital détenu par la province de Milan (14,56 %).
3 Jusqu’au 1er juin 2002, SEA fournissait elle-même les services d’assistance en escale aux aéroports de Milan-Linate et de Milan-Malpensa. À la suite de l’entrée en vigueur du decreto legislativo n. 18 – Attuazione della direttiva 96/67/CE relativa al libero accesso al mercato dei servizi di assistenza a terra negli aeroporti della Comunità (décret législatif no 18, portant mise en œuvre de la directive 96/67/CE relative à l’accès au marché de l’assistance en escale dans les aéroports de la Communauté), du 13 janvier 1999 (supplément ordinaire à la GURI no 28, du 4 février 1999), SEA a, conformément à l’obligation prévue à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 96/67/CE du Conseil, du 15 octobre 1996, relative à l’accès au marché de l’assistance en escale dans les aéroports de la Communauté (JO 1996, L 272, p. 36), procédé à la séparation comptable et juridique entre ses activités liées à la fourniture des services d’assistance en escale et ses autres activités. À cet effet, elle a créé une nouvelle société, entièrement contrôlée par elle et dénommée SEA Handling SpA, qui a été chargée de fournir des services d’assistance en escale aux aéroports de Milan-Linate et de Milan-Malpensa à compter du 1er juin 2002.
4 Le 26 mars 2002, l’administration de la ville de Milan, la SEA et des organisations syndicales ont conclu un accord (ci-après l’« accord syndical du 26 mars 2002 ») stipulant ce qui suit :
« L’administration de la ville de Milan [...] confirme [...]
– que SEA continuera de détenir une participation majoritaire dans la société de services d’assistance en escale pendant au moins cinq ans,
– que SEA est tenue d’informer les organisations syndicales en ce qui concerne d’éventuels partenaires et de soumettre à leur examen le plan d’affaires et la structure de la société [...] L’accord que SEA conclura avec les organisations syndicales entrera en vigueur après la présentation et la négociation syndicale du plan précité,
– que le plan de mobilité convenu devra prévoir une solution pour les éventuels travailleurs excédentaires, en excluant toute procédure de licenciement collectif et en donnant obligation à SEA de prévoir un recyclage, une reconversion, un dispositif d’incitation au départ ou des mesures d’accompagnement à la retraite pour le personnel concerné,
– que, dans le cadre du transfert vers la nouvelle société, les employés verront leurs droits acquis préservés et bénéficieront d’une garantie d’emploi pendant les cinq prochaines années,
– que l’équilibre coûts/bénéfices et le cadre économique général seront maintenus par SEA et d’éventuels partenaires, en préservant les capacités de gestion et en améliorant sensiblement les possibilités d’opérer sur les marchés nationaux et internationaux,
– qu’elle interviendra auprès des ministères compétents et des autorités aéroportuaires pour l’adoption de directives visant à garantir l’emploi en cas de transfert à la concurrence de l’activité d’assistance en escale, notamment pour répondre aux engagements souscrits par les gestionnaires d’aéroports en matière de sécurité et de fiabilité, engagements qui doivent concerner également le personnel chargé des activités d’assistance en escale.
Enfin, l’administration municipale et les organisations syndicales assureront le suivi de la présente convention en évaluant périodiquement les phases de sa mise en œuvre dans le cadre de réunions prévues à cet effet. »
5 Ces engagements ont été confirmés par des accords conclus entre SEA et les syndicats, notamment les 4 avril 2002 et 19 juin 2003, dont le contenu reprenait expressément celui de l’accord du 26 mars 2002.
6 Au cours de la période en cause, SEA Handling a reçu de SEA des subventions sous forme d’apports en capital d’un montant total de 359,644 millions d’euros (ci-après les « mesures en cause »). Ces subventions étaient destinées à couvrir les pertes d’exploitation de SEA Handling, celles-ci s’étant élevées, pour cette même période, à un montant total de 339,784 millions d’euros, soit environ 43,639 millions d’euros (année 2002), 49,489 millions d’euros (année 2003), 47,962 millions d’euros (année 2004), 42,430 millions d’euros (année 2005), 44,150 millions d’euros (année 2006), 59,724 millions d’euros (année 2007), 52,387 millions d’euros (année 2008), 29,7 millions d’euros (année 2009) et 13,4 millions d’euros (année 2010).
7 Ainsi, au titre des mesures en cause, SEA Handling a successivement obtenu de SEA 39,965 millions d’euros (année 2002), 49,132 millions d’euros (année 2003), 55,236 millions d’euros (année 2004), 40,229 millions d’euros (année 2005), 60,439 millions d’euros (année 2006), 41,559 millions d’euros (année 2007), 25,271 millions d’euros (année 2008) et 47,810 millions d’euros (année 2009).
8 Par lettre du 13 juillet 2006, la Commission européenne a reçu une plainte relative à de prétendues mesures d’aides d’État qui auraient été octroyées à SEA Handling.
9 Par lettre du 23 juin 2010, la Commission a notifié aux autorités italiennes sa décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE.
10 Le 19 décembre 2012, la Commission a adopté la décision litigieuse. Au point 191 de cette décision, elle a estimé que les ressources utilisées pour couvrir les pertes de SEA Handling avaient une origine publique puisqu’elles provenaient de SEA, dont 99,12 % du capital était détenu, pendant la période d’examen, par la ville de Milan et la province de Milan.
11 Aux points 192 à 217 de ladite décision, la Commission a conclu à l’imputabilité des mesures en cause à l’État italien, à partir d’un faisceau de cinq indices comprenant, premièrement, les accords syndicaux évoqués aux points 4 et 5 du présent arrêt ainsi que d’autres documents, deuxièmement, la dépendance particulière de la direction de SEA envers la ville de Milan, troisièmement, l’existence de lettres de démission en blanc remises par les administrateurs de SEA à la ville de Milan, quatrièmement, l’importance des opérations des aéroports de Milan-Malpensa et de Milan-Linate dans les politiques de la ville de Milan et, cinquièmement, le caractère de mesures exceptionnelles des augmentations de capital qui devaient être validées par l’assemblée générale de SEA. En particulier, la Commission a déduit de ces indices l’existence d’une stratégie unique et d’une implication continue des autorités publiques italiennes, une telle circonstance ayant pour effet, de son point de vue, de la dispenser d’analyser individuellement chacune des interventions.
12 Aux points 219 à 315 de la même décision, la Commission a vérifié le critère de l’investisseur privé à l’aune des éléments fournis par les autorités italiennes, par SEA et par SEA Handling, relatifs 1) à une stratégie pluriannuelle de couverture des pertes, 2) aux apports en capital intervenus au cours de l’année 2002, 3) au contexte au moment de l’adoption des décisions sur ces apports, 4) aux alternatives à la couverture des pertes, 5) au choix du modèle commercial du groupe SEA de fournir lui-même les services offerts par SEA Handling, 6) à la restructuration de SEA Handling et aux objectifs poursuivis à cet égard par SEA, 7) aux résultats économiques successifs de SEA Handling et 8) à la comparaison de ces résultats avec ceux d’autres opérateurs. Au terme de cet examen, la Commission a conclu que ce critère n’était rempli par rapport à aucune des mesures en cause.
13 Dans le dispositif de la décision litigieuse, la Commission a considéré, notamment, que les augmentations de capital effectuées par SEA en faveur de SEA Handling pour chacun des exercices de la période en cause constituaient des aides d’État, au sens de l’article 107 TFUE (article 1er), et que ces aides d’État, octroyées en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, étaient incompatibles avec le marché intérieur (article 2). Par conséquent, elle a ordonné à la République italienne de se faire rembourser ces aides par le bénéficiaire (article 3, paragraphe 1).
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
14 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 mars 2013, la ville de Milan a introduit un recours tendant, à titre principal, à l’annulation de la décision litigieuse et, à titre subsidiaire, à l’annulation des articles 3 à 5 de celle-ci.
15 À l’appui du recours, la ville de Milan a soulevé quatre moyens, dont les premier et deuxième étaient tirés de violations de l’article 107, paragraphe 1, TFUE en ce que la Commission aurait, d’une part, erronément constaté l’existence d’un transfert de ressources d’État et que les mesures en cause étaient imputables à l’État italien ainsi que, d’autre part, méconnu le critère de l’investisseur privé.
16 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours et condamné la ville de Milan aux dépens.
Les conclusions des parties
17 La ville de Milan demande à la Cour d’annuler tant l’arrêt attaqué que la décision litigieuse et de condamner la Commission aux dépens.
18 La Commission demande à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner la ville de Milan aux dépens.
Sur le pourvoi
19 À l’appui de son pourvoi, la ville de Milan avance quatre moyens, dont les premier et quatrième sont tirés de violations de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en ce que le Tribunal aurait, d’une part, erronément constaté l’existence d’un transfert de ressources d’État et conclu à l’imputabilité à la ville de Milan des mesures en cause ainsi que, d’autre part, méconnu le critère de l’investisseur privé. Par les deuxième et troisième moyens, également relatifs à l’imputabilité des mesures en cause à la ville de Milan, celle-ci fait valoir que le Tribunal a erronément appliqué les principes de la charge de la preuve et dénaturé des faits et des éléments de preuve.
Sur le premier moyen, relatif à la notion d’aide d’État
Sur la première branche du premier moyen, relative à la notion de ressources d’État
– Argumentation des parties
20 La ville de Milan fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit lorsqu’il s’est fondé, aux points 65 et 66 de l’arrêt attaqué, sur sa participation majoritaire dans SEA et sur la présomption d’influence dominante, au sens de l’article 2, sous b), de la directive 2006/111/CE de la Commission, du 16 novembre 2006, relative à la transparence des relations financières entre les États membres et les entreprises publiques ainsi qu’à la transparence financière dans certaines entreprises (JO 2006, L 318, p. 17), sans vérifier si la Commission avait prouvé la réalité de cette influence, voire la gestion en sa faveur des ressources de SEA.
21 Or, tout d’abord, le fait que les membres du conseil d’administration et du conseil de surveillance de SEA ont été nommés par l’actionnaire majoritaire ne prouverait nullement, eu égard aux règles du droit des sociétés italien applicable, que les moyens financiers de SEA se trouvaient constamment sous le contrôle des autorités publiques.
22 Ensuite, la directive 2006/111 aurait été adoptée sur la base juridique de l’article 106 TFUE et non de l’article 107 TFUE, de sorte que la logique de cette directive ne serait pas pertinente pour apprécier les notions contenues dans cette dernière disposition.
23 Enfin, selon la jurisprudence, il ne serait satisfait à la condition d’un contrôle public constant des ressources que si les ressources concernées sont constamment à la disposition des autorités publiques, sur la base d’éléments concrets, ce qui ferait défaut en l’espèce. La Cour aurait ainsi jugé dans son arrêt du 13 septembre 2017, ENEA (C‑329/15, EU:C:2017:671), que la seule circonstance que l’État détient la majorité du capital d’entreprises ne permet pas d’en inférer l’existence d’une influence dominante permettant d’orienter l’utilisation des ressources de ces entreprises. Il faudrait, en outre, fournir la preuve de l’existence d’instructions de l’État liées à la gestion des ressources employées pour l’octroi de l’aide.
24 La Commission soutient que le Tribunal a statué ultra petita lorsqu’il a procédé, dans l’arrêt attaqué, à l’analyse de l’existence d’un transfert de ressources d’État, alors même que, en première instance, la ville de Milan n’avait avancé aucun argument contestant la qualification des ressources de SEA de ressources d’État, ainsi qu’il ressortirait des points 55 à 58 et 64 de l’arrêt attaqué. Partant, la ville de Milan ne saurait être autorisée à contester, dans le cadre du présent pourvoi, l’analyse par le Tribunal d’un moyen qui n’avait pas été soulevé en première instance. La Commission conteste, en outre, l’argumentation sur le fond de la ville de Milan.
– Appréciation de la Cour
25 En ce qui concerne la recevabilité de la première branche du premier moyen du pourvoi, il est vrai, comme le relève la Commission, que le Tribunal a examiné la nature étatique des ressources de SEA transférées à SEA Handling sans que la ville de Milan ait soulevé devant lui d’argument spécifique à cet égard, ce que le Tribunal a d’ailleurs souligné au point 64 de l’arrêt attaqué.
26 Toutefois, ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale au point 25 de ses conclusions, il ressort sans ambiguïté de la requête de première instance que la ville de Milan contestait, par l’argumentation avancée sous son premier moyen, à la fois l’imputabilité des mesures en cause et la nature étatique des ressources employées. Il s’ensuit que le Tribunal n’a pas, par les considérations figurant aux points 65 et 66 de l’arrêt attaqué, statué ultra petita, de sorte que l’argumentation de la Commission relative à l’irrecevabilité de la première branche du premier moyen du pourvoi doit être écartée.
27 S’agissant du bien-fondé de cette branche, il convient de rappeler d’emblée que, selon une jurisprudence constante de la Cour, la qualification d’une mesure d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, requiert que toutes les conditions suivantes soient remplies. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (arrêt du 19 décembre 2019, Arriva Italia e.a., C‑385/18, EU:C:2019:1121, point 31 ainsi que jurisprudence citée).
28 Partant, pour que des avantages puissent être qualifiés d’aides au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ils doivent, conformément à la première de ces conditions, d’une part, être accordés directement ou indirectement au moyen de ressources d’État et, d’autre part, être imputables à l’État (arrêt du 18 mai 2017, Fondul Proprietatea, C‑150/16, EU:C:2017:388, point 14 et jurisprudence citée).
29 S’agissant plus particulièrement de la condition tenant à ce que l’avantage soit accordé directement ou indirectement au moyen de ressources d’État, il résulte d’une jurisprudence bien établie que la notion d’« aide » est plus générale que celle de « subvention », parce qu’elle comprend non seulement des prestations positives, telles que les subventions elles-mêmes, mais également des interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui normalement grèvent le budget d’une entreprise et qui, par-là, sans être des subventions au sens strict du mot, sont de même nature et ont des effets identiques (arrêt du 18 mai 2017, Fondul Proprietatea, C‑150/16, EU:C:2017:388, point 15 et jurisprudence citée).
30 À cet égard, la Cour a déjà jugé que l’article 107, paragraphe 1, TFUE englobe tous les moyens pécuniaires que les autorités publiques peuvent effectivement utiliser pour soutenir des entreprises, sans qu’il soit pertinent que ces moyens appartiennent ou non de manière permanente au patrimoine de l’État. En conséquence, même si les sommes correspondant à la mesure en cause ne sont pas de façon permanente en possession du Trésor public, le fait qu’elles restent constamment sous contrôle public, et donc à la disposition des autorités nationales compétentes, suffit pour qu’elles soient qualifiées de ressources d’État (arrêt du 18 mai 2017, Fondul Proprietatea, C‑150/16, EU:C:2017:388, point 16 et jurisprudence citée).
31 En ce qui concerne spécifiquement les entreprises publiques, telles que SEA, la Cour a également jugé que l’État est en mesure, par l’exercice de son influence dominante sur de telles entreprises, d’orienter l’utilisation de leurs ressources pour financer, le cas échéant, des avantages spécifiques en faveur d’autres entreprises (arrêt du 18 mai 2017, Fondul Proprietatea, C‑150/16, EU:C:2017:388, point 17 et jurisprudence citée).
32 À cet égard, une entreprise détenue à près de 100 % par des autorités publiques et dont les membres du conseil d’administration sont en outre nommés par ces autorités doit être considérée comme étant une entreprise publique sous le contrôle de l’État, lesdites autorités publiques pouvant en effet exercer directement ou indirectement une influence dominante sur une telle entreprise (voir, en ce sens, arrêt du 16 mai 2002, France/Commission, C‑482/99, EU:C:2002:294, points 33 et 34).
33 De même, l’octroi de garanties par une entreprise entièrement détenue par une commune implique l’engagement de ressources d’État, dès lors que ces garanties comportent un risque économique suffisamment concret susceptible d’entraîner des charges pour cette entreprise (voir, en ce sens, arrêt du 17 septembre 2014, Commerz Nederland, C‑242/13, EU:C:2014:2224, point 30).
34 En outre, lorsque l’État est parfaitement en mesure, par l’exercice de son influence dominante sur de telles entreprises, d’orienter l’utilisation de leurs ressources pour financer, le cas échéant, des avantages spécifiques en faveur d’autres entreprises, la circonstance que les ressources concernées soient gérées par des entités distinctes de l’autorité publique ou qu’elles soient d’origine privée est sans incidence (arrêt du 9 novembre 2017, Commission/TV2/Danmark, C‑656/15 P, EU:C:2017:836, points 47 et 48).
35 En l’occurrence, il résulte de cette jurisprudence que, aux points 65 et 66 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a pu déduire, sans commettre d’erreur de droit, du fait que les parts sociales de SEA étaient presque entièrement et directement détenues par des autorités publiques, parmi lesquelles la ville de Milan, et que cette dernière désignait les membres du conseil d’administration et du conseil de surveillance de SEA soit directement, soit par l’intermédiaire de sa majorité dans l’assemblée générale de cette société, que les moyens financiers octroyés par cette dernière à SEA Handling devaient être qualifiés de ressources d’État.
36 Contrairement à ce que prétend la ville de Milan, cette constatation n’est infirmée ni par la référence, figurant au point 65 de l’arrêt attaqué, à l’article 2, sous b), à la directive 2006/111 ni par les enseignements découlant de l’arrêt du 13 septembre 2017, ENEA (C‑329/15, EU:C:2017:671).
37 En effet, d’une part, quand bien même la référence à la directive 2006/111 ne serait pas pertinente en l’espèce, les éléments évoqués au point 35 du présent arrêt suffiraient à soutenir la conclusion du Tribunal concernant l’implication de ressources d’État.
38 D’autre part, ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale aux points 33 et 34 de ses conclusions, il résulte des points 27 et 31 à 35 de l’arrêt du 13 septembre 2017, ENEA (C‑329/15, EU:C:2017:671), que les circonstances ayant donné lieu à cet arrêt se distinguent de celles prévalant dans la présente procédure. En effet, était en cause, dans ledit arrêt, une obligation d’achat d’électricité verte s’appliquant indifféremment, en vertu d’une intervention législative de l’État membre concerné, tant aux fournisseurs d’électricité dont le capital était majoritairement détenu par l’État qu’à ceux dont le capital était majoritairement détenu par des opérateurs privés. Ainsi, l’avantage éventuellement conféré par cette intervention de l’État membre concerné en sa qualité de législateur ne découlait pas des pouvoirs de contrôle que l’État pouvait exercer en sa qualité d’actionnaire majoritaire au sein des entreprises publiques concernées et, partant, ne pouvait être qualifié, dans les circonstances évoquées aux points 32 à 35 de cet arrêt, comme ayant été financé au moyen de ressources d’État.
39 Eu égard aux considérations qui précèdent, la première branche du premier moyen doit être écartée comme étant non fondée.
Sur la seconde branche du premier moyen, relative à l’imputabilité des mesures en cause
– Argumentation des parties
40 La ville de Milan fait valoir que le Tribunal a méconnu l’article 107, paragraphe 1, TFUE lorsqu’il a estimé, au point 80 de l’arrêt attaqué, que la démonstration de l’implication de la ville de Milan dans l’octroi des mesures en cause exigeait non pas l’établissement d’une preuve positive, mais seulement l’improbabilité d’une absence d’implication.
41 La ville de Milan expose à cet égard que, en vue d’éviter une sur-inclusion dans la notion d’aide d’État, la Cour a ajouté au critère d’imputabilité de liens organiques celui, plus strict, d’une implication active de l’État dans l’adoption des mesures concernées, cette implication devant être identifiable et présenter un lien concret de causalité suffisamment fort avec chacune des mesures prises. Il serait ainsi nécessaire de démontrer que les mesures ont toutes été prises à l’initiative de l’État, voire que celui-ci est intervenu au stade de sa conception, qu’il a effectivement exercé son pouvoir de contrôle et qu’il a exercé une influence déterminante sur chacune des décisions prises.
42 Or, une telle démonstration aurait fait défaut en l’espèce, étant donné que le Tribunal a eu recours au critère de l’improbabilité d’une absence d’implication, de sorte que celui-ci aurait commis une erreur manifeste dans l’élaboration du niveau de preuve en matière d’imputabilité.
43 La Commission relève d’emblée que la ville de Milan ne critique que le point 80 de l’arrêt attaqué, lequel ne ferait que répéter les principes jurisprudentiels relatifs à la notion d’imputabilité exposés au point 75 de cet arrêt, de sorte que cette branche serait en partie irrecevable ou inopérante. En tout état de cause, le Tribunal ne se serait pas fondé sur une notion erronée d’imputabilité ni n’aurait recouru à des présomptions négatives ou appliqué un niveau de preuve erroné.
– Appréciation de la Cour
44 D’emblée, il convient d’écarter l’argumentation de la Commission tirée d’une irrecevabilité de la seconde branche du premier moyen du pourvoi, la ville de Milan ayant contesté sans équivoque les principes juridiques sur lesquels le Tribunal s’est fondé pour imputer à la ville de Milan le comportement de SEA. Il est à cet égard sans pertinence, en tant que tel, de savoir si le Tribunal a évoqué ces mêmes principes à plusieurs endroits de l’arrêt attaqué.
45 Quant au fond, il a été rappelé, au point 28 du présent arrêt, que, pour que des avantages puissent être qualifiés d’aides au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ils doivent, conformément à la première des conditions énoncées à cette disposition, d’une part, être accordés directement ou indirectement au moyen de ressources d’État et, d’autre part, être imputables à l’État.
46 S’agissant plus particulièrement de la condition tenant à l’imputabilité à l’État d’une mesure octroyant des avantages, prise par une entreprise publique, il convient de rappeler que l’imputabilité ne saurait être déduite du seul fait que les avantages ont été accordés par une entreprise publique contrôlée par l’État. En effet, même si l’État est en mesure de contrôler une entreprise publique et d’exercer une influence déterminante sur ses opérations, l’exercice effectif de ce contrôle dans un cas concret ne saurait être automatiquement présumé. Il est encore nécessaire d’examiner si les autorités publiques doivent être considérées comme ayant été impliquées, d’une manière ou d’une autre, dans l’adoption de ces mesures (voir, en ce sens, arrêt du 17 septembre 2014, Commerz Nederland, C‑242/13, EU:C:2014:2224, point 31 et jurisprudence citée).
47 À cet égard, il ne saurait être exigé qu’il soit démontré, sur le fondement d’une instruction précise, que les autorités publiques ont incité concrètement l’entreprise publique à prendre les mesures d’aide concernées. En effet, l’imputabilité à l’État d’une mesure d’aide prise par une entreprise publique peut être déduite d’un ensemble d’indices résultant des circonstances de l’espèce et du contexte dans lequel cette mesure est intervenue (arrêts du 17 septembre 2014, Commerz Nederland, C‑242/13, EU:C:2014:2224, point 32 et jurisprudence citée, ainsi que du 18 mai 2017, Fondul Proprietatea, C‑150/16, EU:C:2017:388, point 18 et jurisprudence citée).
48 En particulier, est pertinent tout indice indiquant, dans le cas concret, ou bien une implication des autorités publiques ou l’improbabilité d’une absence d’implication dans l’adoption d’une mesure, eu égard également à l’ampleur de celle-ci, à son contenu ou aux conditions qu’elle comporte, ou bien l’absence d’implication desdites autorités dans l’adoption de ladite mesure (arrêt du 17 septembre 2014, Commerz Nederland, C‑242/13, EU:C:2014:2224, point 33 et jurisprudence citée).
49 De même, la seule circonstance qu’une entreprise publique a été constituée sous la forme d’une société de capitaux de droit commun ne saurait, eu égard à l’autonomie que cette forme juridique est susceptible de lui conférer, être considérée comme suffisante pour exclure qu’une mesure d’aide prise par une telle société soit imputable à l’État. En effet, l’existence d’une situation de contrôle et les possibilités réelles d’exercice d’une influence dominante qu’elle comporte en pratique empêchent d’exclure d’emblée toute imputabilité à l’État d’une mesure prise par une telle société et, par voie de conséquence, le risque d’un contournement des règles du traité relatives aux aides d’État, nonobstant la pertinence en tant que telle de la forme juridique de l’entreprise publique comme indice, parmi d’autres, permettant d’établir dans un cas concret l’implication ou non de l’État (arrêt du 18 mai 2017, Fondul Proprietatea, C‑150/16, EU:C:2017:388, point 20 et jurisprudence citée).
50 En l’occurrence, force est de constater que le Tribunal, lorsqu’il a vérifié, aux points 80 à 88 de l’arrêt attaqué, si les indices invoqués par la Commission aux considérants 195 à 200 de la décision litigieuse permettaient de présumer que la ville de Milan avait été impliquée dans l’adoption des mesures en cause, a fait application des principes dégagés par la Cour dans sa jurisprudence rappelée aux points 46 à 49 du présent arrêt.
51 En effet, d’une part, il ressort notamment de ces principes que, contrairement à ce que prétend la ville de Milan, il n’incombait ni à la Commission de démontrer ni au Tribunal de s’assurer que les autorités publiques avaient incité concrètement l’entreprise publique à prendre les mesures en cause.
52 D’autre part, il n’est pas nécessaire de statuer sur le point de savoir si, en vertu de la jurisprudence rappelée au point 48 du présent arrêt, la Commission pouvait se fonder exclusivement sur des indices indiquant, dans le cas concret, l’improbabilité d’une absence d’implication des autorités publiques. Ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale aux points 38 à 44 de ses conclusions, l’argumentation de la ville de Milan procède d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué selon laquelle le Tribunal aurait admis que la Commission pouvait fonder la constatation de l’imputabilité des mesures en cause exclusivement sur l’improbabilité d’une absence d’implication de la ville de Milan dans leur adoption.
53 En effet, tout d’abord, aux points 80 à 83 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré, premièrement, que les termes de l’accord syndical du 26 mars 2002 créaient une obligation claire et précise pour SEA de compenser, du moins pour une période de cinq ans, les pertes de SEA Handling. Deuxièmement, il a estimé que, par la signature de cet accord, la ville de Milan avait formellement donné son aval, y compris en sa qualité d’actionnaire majoritaire de SEA, non seulement en ce qui concerne l’établissement de cette obligation, mais également quant à son respect et à sa mise en œuvre ultérieurs par SEA. Troisièmement, il en a déduit que la participation active de la ville de Milan à la négociation et à la conclusion dudit accord constituait un élément de preuve clé de l’implication des autorités italiennes dans l’octroi des mesures en cause.
54 Ensuite, aux points 84 à 87 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a attribué, dans son appréciation des faits, une valeur probante positive aux procès-verbaux des réunions du conseil d’administration de SEA Handling, au fait que le maire de Milan avait demandé et obtenu la démission du président du conseil d’administration de SEA au cours de l’année 2006, et à l’existence de lettres de démission en blanc que les membres du conseil d’administration auraient remis à ce maire.
55 Enfin, au point 88 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a confirmé le caractère de « décisions importantes » des mesures en cause retenu par la Commission au point 210 de la décision attaquée, circonstance de laquelle cette dernière a notamment déduit, au même point, l’improbabilité d’une absence d’implication de la ville de Milan dans leur adoption.
56 Partant, il ressort clairement des points 80 à 88 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a constaté l’existence d’indices positifs mettant en évidence, dans le cas concret, une implication de la ville de Milan dans l’adoption desdites mesures et que c’est sur le fondement de ces indices positifs qu’il a admis que la Commission pouvait également s’appuyer sur l’improbabilité d’une absence d’implication de la ville de Milan dans l’adoption, à tout le moins, de certaines des mesures en cause au cours de la période intervenue après la conclusion de l’accord syndical du 26 mars 2002.
57 Eu égard aux considérations qui précèdent, la seconde branche et, partant, le premier moyen dans son ensemble doivent être écartés comme étant non fondés.
Sur le deuxième moyen, relatif aux principes de la charge de la preuve
Sur la première branche du deuxième moyen, relative à une charge de la preuve prétendument inégale
– Argumentation des parties
58 La ville de Milan soutient que le Tribunal a omis de procéder à un examen attentif des preuves avancées par la ville de Milan, lorsqu’il a, aux points 89 à 94 de l’arrêt attaqué, sommairement, et en se bornant à reprendre textuellement les considérations de la décision litigieuse, rejeté les éléments produits comme étant insuffisants pour réfuter l’improbabilité d’une absence d’implication de la ville de Milan dans les mesures en cause.
59 Or, en agissant ainsi, le Tribunal aurait permis à la Commission de s’appuyer sur la preuve négative de l’improbabilité d’une absence d’implication, tandis qu’il aurait imposé à la ville de Milan des preuves positives et certaines d’une absence d’implication, ce qui aurait eu pour effet de la soumettre à une probatio diabolica.
60 En attesterait notamment le point 82 de l’arrêt attaqué, où le Tribunal a écarté l’argument de la ville de Milan selon lequel elle n’était intervenue dans la conclusion de l’accord syndical du 26 mars 2002 qu’en qualité de médiateur politique, alors que cette circonstance aurait été établie par des déclarations sous serment ad hoc des représentants syndicaux. En effet, outre qu’il n’a accordé aucune valeur à ces déclarations, le Tribunal aurait jugé sans pertinence le fait que la signature apposée sur cet accord était celle de l’adjoint au maire chargé du personnel et du travail, et non celle de l’adjoint au maire chargé du budget.
61 La Commission estime que l’argumentation de la ville de Milan est irrecevable, celle-ci invitant la Cour à procéder à une nouvelle appréciation des faits. En tout état de cause, le Tribunal n’aurait pas rendu impossible la preuve de l’absence d’imputabilité ni n’aurait appliqué une charge inégale de la preuve, mais aurait apprécié avec diligence aussi bien les indices d’imputabilité que les indices de non-imputabilité.
– Appréciation de la Cour
62 Dans la mesure où la ville de Milan reproche au Tribunal d’avoir fondé la constatation de l’imputabilité des mesures en cause exclusivement sur l’improbabilité d’une absence d’implication de sa part dans leur adoption, il a déjà été relevé, aux points 52 et 56 du présent arrêt, que cette argumentation procède d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué, le Tribunal ayant constaté, aux points 80 à 88 de l’arrêt attaqué, l’existence d’indices positifs indiquant concrètement une implication de la ville de Milan dans l’adoption des mesures en cause.
63 En outre, ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale au point 48 de ses conclusions, le Tribunal a examiné de la même manière, au regard des principes développés dans la jurisprudence, les indices invoqués par la ville de Milan et tendant, selon cette dernière, à établir l’absence de son implication dans l’adoption de ces mesures.
64 Ainsi, pour chacun des indices avancés par la Commission ou par la ville de Milan, le Tribunal a examiné les éléments en faveur et en défaveur de leur valeur probante ainsi que ceux relatifs à l’importance à leur accorder. Il s’ensuit que le Tribunal a examiné de façon équitable les arguments et les preuves soulevés par les parties et qu’il est parvenu à sa conclusion au terme d’une analyse détaillée de tous les éléments avancés.
65 En conséquence, ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale au point 49 de ses conclusions, le rejet par le Tribunal de l’argumentation de la ville de Milan est dû, contrairement à ce que celle-ci prétend, ni à l’imposition par le Tribunal d’une obligation de fournir des preuves positives et certaines d’une absence de son implication dans l’adoption des mesures en cause ni à l’application par celui-ci d’une charge de la preuve inégale, mais à l’appréciation par le Tribunal de la valeur probante de chacun des indices avancés.
66 Enfin, dans la mesure où la ville de Milan tend à mettre en cause, par l’argumentation résumée au point 60 du présent arrêt, cette appréciation du Tribunal, elle doit être regardée, ainsi que le fait valoir à bon droit la Commission, comme cherchant à obtenir une nouvelle appréciation des faits, ce qui échappe à la compétence de la Cour (voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 2016, Commission/France et Orange, C‑486/15 P, EU:C:2016:912, point 97).
67 Il s’ensuit que la première branche du deuxième moyen doit être écartée comme étant en partie irrecevable et en partie non fondée.
Sur la seconde branche du deuxième moyen, relative à l’objet de la preuve à apporter
– Argumentation des parties
68 La ville de Milan est d’avis que le Tribunal a commis une erreur de droit lorsqu’il a estimé, aux points 73 et 83 de l’arrêt attaqué, que la Commission était fondée à considérer que sa participation active avérée à la conclusion de l’accord syndical du 26 mars 2002 était suffisante, en tant que telle, pour justifier qu’elle soit regardée comme ayant été impliquée dans l’octroi des mesures en cause, lesquelles devraient être regardées comme une intervention unique.
69 En effet, selon la jurisprudence, la Commission aurait été tenue de démontrer l’imputabilité de chacune des mesures de recapitalisation intervenues sur la période en cause, dans la mesure où ces différentes mesures étaient totalement distinctes les unes des autres. Si la Cour a admis que plusieurs interventions consécutives de l’État peuvent être regardées comme une seule intervention, ce serait à la condition que celles-ci présentent, au regard de leur chronologie, de leur finalité et de la situation de l’entreprise, des liens tellement étroits entre elles qu’il serait impossible de les dissocier. Par ailleurs, le Tribunal aurait à tort étendu à l’imputabilité d’une mesure cette jurisprudence afférente aux critères des ressources d’État et de l’opérateur privé.
70 À cet égard, la ville de Milan aurait, tout d’abord, indiqué au Tribunal que les prétendus indices d’imputabilité étaient peu nombreux, de qualité insatisfaisante et sans lien direct avec les mesures en cause. Ensuite, il serait incorrect d’affirmer que les autorités italiennes et SEA avaient admis l’existence d’une stratégie pluriannuelle de couverture des pertes de SEA Handling pendant la période nécessaire à sa restructuration, les affirmations en cause se référant seulement à une stratégie d’assainissement de SEA Handling. Enfin, les recapitalisations auraient toujours eu lieu dans des contextes ne présentant aucun caractère cohérent.
71 La Commission rétorque qu’il irait à l’encontre des termes et de la logique de la jurisprudence de la Cour, relative aux conditions requises pour que plusieurs interventions consécutives de l’État puissent être regardées comme étant une seule intervention, de la limiter aux seuls critères des ressources d’État et de l’opérateur privé. Du reste, la ville de Milan se bornerait à demander à la Cour une nouvelle appréciation des faits, ce qui serait irrecevable au stade du pourvoi.
– Appréciation de la Cour
72 Selon une jurisprudence bien établie, les interventions étatiques prenant des formes diverses et devant être analysées en fonction de leurs effets, il ne saurait être exclu que plusieurs interventions consécutives de l’État doivent, aux fins de l’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, être regardées comme une seule intervention. Tel peut notamment être le cas lorsque des interventions consécutives présentent, au regard notamment de leur chronologie, de leur finalité et de la situation de l’entreprise au moment de ces interventions, des liens tellement étroits entre elles qu’il est impossible de les dissocier (arrêts du 4 juin 2015, Commission/MOL, C‑15/14 P, EU:C:2015:362, point 97 et jurisprudence citée, ainsi que du 26 mars 2020, Larko/Commission, C‑244/18 P, EU:C:2020:238, point 33 et jurisprudence citée).
73 Or, dans la mesure où cette jurisprudence vise, aux fins de l’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, les interventions étatiques en tant que telles et implique que celles-ci doivent être analysées de manière objective en fonction de leurs effets, elle ne saurait s’appliquer exclusivement à certains des critères énoncés dans cette disposition. Dès lors, ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale au point 54 de ses conclusions, ladite jurisprudence peut s’appliquer également au critère de l’imputabilité à l’État de telles interventions.
74 Il s’ensuit que, contrairement à ce que prétend la ville de Milan, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit lorsqu’il s’est référé, au point 71 de l’arrêt attaqué, à cette même jurisprudence et en a fait application, par la suite, dans le cadre de son analyse de l’imputabilité à la ville de Milan des mesures en cause.
75 Du reste, ainsi que le fait valoir à bon droit la Commission, la ville de Milan se borne à demander, par l’argumentation résumée au point 70 du présent arrêt, une nouvelle appréciation des faits par rapport à celle effectuée par le Tribunal aux points 72 à 73 de l’arrêt attaqué, ce qui, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 66 du présent arrêt, n’est pas recevable au stade du pourvoi.
76 En conséquence, la seconde branche du deuxième moyen et, partant, ce moyen dans son ensemble doivent être écartés comme étant en partie irrecevables et en partie non fondés.
Sur le troisième moyen, tiré d’une dénaturation d’éléments de preuve
Argumentation des parties
77 La ville de Milan prétend que le Tribunal a dénaturé l’accord syndical du 26 mars 2002 lorsqu’il a considéré, au point 77 de l’arrêt attaqué, que cet accord prévoyait une obligation claire et précise incombant à SEA de maintenir, pour une période d’au moins cinq ans, l’équilibre coûts/bénéfices et le cadre économique général de SEA Handling et en a déduit que, en vertu de cette obligation, SEA était tenue de compenser d’éventuelles pertes de SEA Handling susceptibles d’affecter la continuité de son activité économique.
78 La ville de Milan explique à cet égard que cet accord n’a imposé à SEA aucune obligation de recapitaliser SEA Handling, dès lors qu’il n’évoque ni des pertes, ni des recapitalisations, ni même des engagements de SEA en cas de survenance de tels événements. Partant, le Tribunal aurait procédé, à la lumière des recapitalisations ultérieures, à une lecture rétroactive et aurait donc omis de se replacer dans le contexte de la conclusion dudit accord. Or, selon les termes de celui-ci, SEA Handling aurait été créée en vue de permettre l’exercice d’une concurrence dans les autres aéroports italiens et donc dans la perspective d’un scénario positif de croissance.
79 La ville de Milan précise que, si elle a « confirmé », dans une clause de l’accord syndical du 26 mars 2002, le fait que « l’équilibre coûts/bénéfices et le cadre économique général » de SEA Handling seraient maintenus, une telle clause figurerait entre celle relative à la réduction des effectifs et celle portant sur l’expansion des activités de SEA Handling vers d’autres marchés, ces mesures devant permettre d’éviter des recapitalisations. En outre, ledit accord ferait référence à l’entrée possible d’actionnaires dans le capital de SEA Handling, de manière à renforcer ses perspectives positives. Enfin, il y serait affirmé que les capacités de gestion de SEA Handling seraient maintenues en vue d’améliorer encore davantage ses possibilités de livrer une concurrence effective sur les marchés nationaux et internationaux.
80 Il s’ensuivrait que la ville de Milan n’a pris, dans l’accord syndical du 26 mars 2002, aucun engagement matériel ou juridique lié à des recapitalisations.
81 La Commission estime que la ville de Milan se borne à contester, sous le couvert d’une prétendue dénaturation, l’appréciation effectuée par le Tribunal des indices d’imputabilité à la ville de Milan du comportement de SEA, ce qui rendrait irrecevable cette argumentation. En tout état de cause, celle-ci serait dénuée de tout fondement.
Appréciation de la Cour
82 Il résulte de l’article 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE et de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le Tribunal est seul compétent, d’une part, pour constater les faits, sauf dans le cas où l’inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été soumises, et, d’autre part, pour apprécier ces faits (arrêt du 30 novembre 2016, Commission/France et Orange, C‑486/15 P, EU:C:2016:912, point 97 ainsi que jurisprudence citée).
83 Partant, l’appréciation des faits ne constitue pas, sous réserve du cas de la dénaturation des éléments de preuve produits devant le Tribunal, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour (arrêt du 30 novembre 2016, Commission/France et Orange, C‑486/15 P, EU:C:2016:912, point 98 ainsi que jurisprudence citée).
84 Lorsqu’il allègue une dénaturation d’éléments de preuve par le Tribunal, un requérant doit, en application de l’article 256 TFUE, de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 168, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure de la Cour, indiquer de façon précise les éléments qui auraient été dénaturés par celui-ci et démontrer les erreurs d’analyse qui, dans son appréciation, auraient conduit le Tribunal à cette dénaturation. Par ailleurs, il est de jurisprudence constante de la Cour qu’une dénaturation doit ressortir de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (arrêt du 30 novembre 2016, Commission/France et Orange, C‑486/15 P, EU:C:2016:912, point 99 ainsi que jurisprudence citée).
85 En l’occurrence, le Tribunal a relevé, au point 77 de l’arrêt attaqué, que SEA assumait, aux termes de l’accord syndical du 26 mars 2002, une obligation claire et précise de maintenir, pour la période d’au moins cinq ans, « l’équilibre coûts/bénéfices et le cadre économique général » de SEA Handling, « en préservant [s]es capacités de gestion et en améliorant sensiblement [s]es possibilités d’opérer sur les marchés nationaux et internationaux ».
86 Partant, force est de constater que les termes de l’accord syndical du 26 mars 2002 permettent la lecture retenue par le Tribunal au point 77 de l’arrêt attaqué selon laquelle SEA était tenue, en vertu de cette obligation, de compenser d’éventuelles pertes de SEA Handling susceptibles d’affecter la continuité de son activité économique. Cette lecture est d’ailleurs confortée, ainsi que le Tribunal l’a constaté au même point, par les accords syndicaux ultérieurs visés au point 5 du présent arrêt, de sorte que la dénaturation alléguée ne ressort pas, en tout état de cause, de façon manifeste des pièces du dossier.
87 Du reste, il suffit de relever, ainsi que le fait valoir à bon droit la Commission et que l’a relevé Mme l’avocate générale aux points 65 à 68 de ses conclusions, que la ville de Milan se borne à contester, sous le couvert d’une prétendue dénaturation de cet accord, l’appréciation par le Tribunal de cet élément de preuve lorsqu’il soutient que le Tribunal a omis de se replacer dans le contexte de la conclusion dudit accord.
88 Partant, le troisième moyen doit être écarté comme étant en partie irrecevable et en partie non fondé.
Sur le quatrième moyen, relatif au critère de l’investisseur privé
Argumentation des parties
89 La ville de Milan invoque une qualification erronée des faits par le Tribunal aux points 97, 107 et 108 de l’arrêt attaqué, par laquelle il aurait méconnu le critère de l’investisseur privé.
90 En effet, premièrement, ainsi qu’il aurait été démontré dans le cadre du deuxième moyen du pourvoi, ni l’accord syndical du 26 mars 2002 ni aucun autre document ne permettraient de conclure à l’existence d’une stratégie de couverture des pertes de SEA Handling par SEA.
91 Deuxièmement, le Tribunal ne se serait pas placé, pour apprécier le critère de l’investisseur privé, dans le contexte de la situation particulière de SEA à l’époque, situation qui se distinguait de celle d’un investisseur privé générique puisque cette dernière société détenait une concession exclusive pour la gestion des aéroports de Milan jusqu’à l’année 2041 et opérait donc à faible risque ainsi qu’avec une perspective de rentabilité de ses investissements à très long terme.
92 L’erreur commise par le Tribunal résiderait dans l’importance qu’il a attachée à l’absence d’études économiques contemporaines démontrant un examen attentif de la rentabilité des recapitalisations de SEA Handling et de leur temps de retour sur investissement, selon une analyse des coûts et des avantages. Cela ressortirait notamment du point 114 de l’arrêt attaqué, où le Tribunal a écarté à tort la pertinence d’une étude économique fournie par la ville de Milan en raison du seul fait qu’elle avait été établie postérieurement à l’adoption des mesures en cause.
93 En effet, la jurisprudence exigerait non pas que les éléments de preuve relatifs à la rationalité économique d’une mesure soient contemporains de l’adoption de celle-ci, mais que l’appréciation de cette mesure à l’aune de ce critère soit replacée dans le contexte de son adoption, de sorte que c’est la perspective adoptée dans l’étude économique qui devrait être ex ante et non l’étude économique en tant que telle. Il serait, en effet, absurde d’imposer, ainsi que le Tribunal l’a fait, à une entreprise privée de fournir, en tant que condition sine qua non pour pouvoir bénéficier du critère de l’investisseur privé, l’existence d’un document corroborant ses prévisions.
94 À cet égard, la ville de Milan rappelle que, au cours de l’année 2002, les perspectives de SEA Handling étaient positives et qu’une série d’événements exogènes et imprévisibles survenus ultérieurement ont retardé son processus d’assainissement. Ainsi, SEA n’aurait pas eu besoin de procéder, pour chaque recapitalisation, à de nouvelles appréciations spécifiques de leur rentabilité et n’aurait pas non plus été tenue par le droit national de justifier par écrit, avec l’aide d’économistes tiers, la rationalité de ses interventions. En particulier, le problème de SEA Handling ayant été lié, essentiellement, au coût de la main-d’œuvre, il n’aurait existé aucune raison de commander des études économiques.
95 Troisièmement, selon la ville de Milan, le Tribunal a estimé à tort que les appréciations économiques complexes effectuées par la Commission ne sont soumises qu’à un contrôle limité du juge de l’Union. En effet, selon la jurisprudence, il incomberait à celui-ci notamment d’effectuer un contrôle approfondi et entier en fait et en droit, portant notamment sur l’interprétation par la Commission de données de nature économique.
96 Quatrièmement, la ville de Milan reproche au Tribunal d’avoir fait peser sur elle la charge de la preuve du critère de l’investisseur privé, la Commission n’ayant, pour sa part, rien démontré à cet égard. En effet, et comme elle l’a admis devant le Tribunal, cette dernière n’aurait procédé à aucune étude du marché des services d’assistance aéroportuaires non plus qu’à aucune étude économique portant sur ce critère ou analyse des résultats économiques d’autres opérateurs comparables. De même, elle n’aurait pas davantage indiqué les mesures que SEA aurait dû prendre en vertu dudit critère.
97 Contrairement à ce que prescrit la jurisprudence, la Commission aurait, en l’absence d’éléments de nature à établir positivement son existence, supposé que SEA Handling a bénéficié d’un avantage en se fondant sur une présomption négative, reposant sur l’absence d’informations permettant d’aboutir à la conclusion contraire. Partant, en ayant omis de vérifier si la Commission avait pris en compte, dans le cadre de son appréciation, tous les éléments pertinents, le Tribunal aurait commis des erreurs de droit.
98 La Commission conteste le bien-fondé de l’argumentation avancée par la ville de Milan.
Appréciation de la Cour
99 En premier lieu, il y a lieu de relever que l’argumentation de la ville de Milan résumée au point 90 du présent arrêt se borne à répéter celle avancée dans le cadre du deuxième moyen, de sorte que, pour les mêmes raisons que celles exposées au point 75 du présent arrêt, elle ne saurait prospérer.
100 En deuxième lieu, s’agissant de l’argumentation résumée au point 95 du présent arrêt, relative au contrôle juridictionnel qui incombe au Tribunal, il est de jurisprudence constante que l’examen qu’il appartient à la Commission d’effectuer, lors de l’application du principe de l’opérateur privé, requiert de procéder à une appréciation économique complexe et que, dans le cadre du contrôle que les juridictions de l’Union exercent sur les appréciations économiques complexes faites par la Commission dans le domaine des aides d’État, il n’appartient pas au juge de l’Union de substituer son appréciation économique à celle de la Commission (arrêt du 26 mars 2020, Larko/Commission, C‑244/18 P, EU:C:2020:238, point 39).
101 Par conséquent, le Tribunal n’a pas entaché l’arrêt attaqué d’une erreur de droit lorsqu’il s’est limité à vérifier si les appréciations économiques de la Commission relatives à l’application du critère de l’investisseur privé étaient entachées d’une erreur manifeste d’appréciation.
102 Contrairement à ce que prétend la ville de Milan, aucune autre conclusion ne saurait être tirée de la jurisprudence issue des arrêts du 8 décembre 2011, KME Germany e.a./Commission (C‑272/09 P, EU:C:2011:810), et du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission (C‑386/10 P, EU:C:2011:815). En effet, ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale, en substance, au point 80 de ses conclusions, cette jurisprudence, qui se rapporte au contrôle juridictionnel des décisions de la Commission constatant des infractions aux articles 101 et 102 TFUE, et infligeant, le cas échéant, des sanctions pécuniaires au titre de celles-ci, n’est pas transposable telle quelle au contrôle juridictionnel des décisions de la Commission en matière d’aides d’État.
103 En troisième lieu, en ce qui concerne la prétendue méconnaissance par le Tribunal, aux points 113 à 117 de l’arrêt attaqué, de la répartition de la charge de la preuve, il importe de rappeler que la notion d’« aide », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ne saurait recouvrir une mesure accordée en faveur d’une entreprise au moyen de ressources d’État lorsque celle-ci aurait pu obtenir le même avantage dans des circonstances correspondant aux conditions normales du marché, l’appréciation des conditions dans lesquelles un tel avantage a été accordé s’effectuant, en principe, par application du principe de l’opérateur privé (arrêt du 6 mars 2018, Commission/FIH Holding et FIH Erhvervsbank, C‑579/16 P, EU:C:2018:159, point 45 et jurisprudence citée).
104 À cet égard, lorsqu’il apparaît que le critère de l’investisseur privé pourrait être applicable, il incombe à la Commission de demander à l’État membre concerné de lui fournir toutes les informations pertinentes lui permettant de vérifier si les conditions d’applicabilité et d’application de ce principe sont remplies (arrêts du 5 juin 2012, Commission/EDF, C‑124/10 P, EU:C:2012:318, point 104, ainsi que du 6 mars 2018, Commission/FIH Holding et FIH Erhvervsbank, C‑579/16 P, EU:C:2018:159, point 47).
105 En effet, l’application du critère de l’investisseur privé vise à déterminer si l’avantage économique accordé, sous quelque forme que ce soit, au moyen de ressources de l’État à une entreprise est, en raison de ses effets, de nature à fausser ou à menacer de fausser la concurrence et à affecter les échanges entre États membres (arrêt du 5 juin 2012, Commission/EDF, C‑124/10 P, EU:C:2012:318, point 89). En conséquence, il convient de vérifier non pas si un investisseur privé aurait agi exactement de la même manière que l’investisseur public, mais s’il aurait apporté, à des conditions similaires, un montant égal à celui apporté par l’investisseur public (voir, en ce sens, arrêt du 5 juin 2012, Commission/EDF, C‑124/10 P, EU:C:2012:318, point 95).
106 Aux fins de l’appréciation de la question de savoir si la même mesure aurait été adoptée dans les conditions normales du marché par un investisseur privé se trouvant dans une situation la plus proche possible de celle de l’État, seuls les bénéfices et les obligations liés à la situation de ce dernier en qualité d’actionnaire, à l’exclusion de ceux qui sont liés à sa qualité de puissance publique, sont à prendre en compte (arrêt du 5 juin 2012, Commission/EDF, C‑124/10 P, EU:C:2012:318, point 79). Si un État membre invoque, au cours de la procédure administrative, le critère de l’investisseur privé, il lui incombe, en cas de doute, d’établir sans équivoque et sur la base d’éléments objectifs et vérifiables que la mesure mise en œuvre ressortit à sa qualité d’actionnaire (arrêt du 5 juin 2012, Commission/EDF, C‑124/10 P, EU:C:2012:318, point 82).
107 Ces éléments doivent faire apparaître clairement que l’État membre concerné a pris, préalablement ou simultanément à l’octroi de l’avantage économique, la décision de procéder, par la mesure effectivement mise en œuvre, à un investissement dans l’entreprise publique contrôlée. Peuvent notamment être requis, à cet égard, des éléments faisant apparaître que cette décision est fondée sur des évaluations économiques comparables à celles que, dans les circonstances de l’espèce, un investisseur privé rationnel se trouvant dans une situation la plus proche possible de celle dudit État membre aurait fait établir, avant de procéder audit investissement, aux fins de déterminer la rentabilité future d’un tel investissement (arrêt du 5 juin 2012, Commission/EDF, C‑124/10 P, EU:C:2012:318, points 83 et 84).
108 En l’occurrence, ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale au point 101 de ses conclusions, il ressort sans équivoque de la décision litigieuse et de l’arrêt attaqué que la Commission a fait application du principe de l’opérateur privé dans cette décision et que l’applicabilité, en l’espèce, du critère de l’investisseur privé n’a été en débat ni devant la Commission ni devant le Tribunal, ce que la Commission a d’ailleurs confirmé lors de l’audience devant la Cour.
109 S’agissant de l’application du critère de l’investisseur privé, celui-ci figure parmi les éléments que la Commission est tenue de prendre en compte pour établir l’existence d’une aide, et ne constitue donc pas une exception s’appliquant seulement sur la demande d’un État membre, lorsqu’il a été constaté que les éléments constitutifs de la notion d’« aide d’État », figurant à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, sont réunis (arrêts du 5 juin 2012, Commission/EDF, C‑124/10 P, EU:C:2012:318, point 103, et du 26 mars 2020, Larko/Commission, C‑244/18 P, EU:C:2020:238, point 64 et jurisprudence citée).
110 C’est donc sur la Commission que pèse la charge de prouver, en tenant compte, notamment, des informations fournies par l’État membre concerné, que les conditions d’application du principe de l’opérateur privé ne sont pas remplies, de sorte que l’intervention étatique en cause renferme un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 26 mars 2020, Larko/Commission, C‑244/18 P, EU:C:2020:238, point 65 et jurisprudence citée).
111 À cet égard, il convient de relever que la Commission ne saurait supposer, dans le cadre d’une décision de clore la procédure formelle d’examen au titre de l’article 7 du règlement no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO 1999, L 83, p. 1), qu’une entreprise a bénéficié d’un avantage constitutif d’une aide d’État en se basant simplement sur une présomption négative, fondée sur l’absence d’informations permettant d’aboutir à la conclusion contraire, en l’absence d’autres éléments de nature à établir positivement l’existence d’un tel avantage (arrêts du 17 septembre 2009, Commission/MTU Friedrichshafen, C‑520/07 P, EU:C:2009:557, point 58, ainsi que du 26 mars 2020, Larko/Commission, C‑244/18 P, EU:C:2020:238, point 70 et jurisprudence citée).
112 Toutefois, selon la jurisprudence, sont seuls pertinents, aux fins de cette application du critère de l’investisseur privé, les éléments disponibles et les évolutions prévisibles au moment où la décision de procéder à l’investissement a été prise (arrêt du 5 juin 2012, Commission/EDF, C‑124/10 P, EU:C:2012:318, point 105). D’ailleurs, la Commission n’ayant pas une connaissance directe des circonstances dans lesquelles une décision d’investissement a été prise, elle doit s’appuyer aux fins de l’application de ce critère, dans une large mesure, sur les éléments objectifs et vérifiables produits par l’État membre en cause aux fins d’établir que la mesure mise en œuvre ressortit à sa qualité d’actionnaire et, partant, que ledit critère est applicable, conformément à la jurisprudence citée aux points 106 et 107.
113 Partant, dès lors qu’il y a lieu de prendre en compte la décision que l’investisseur privé aurait prise au moment où l’investissement a été réalisé, l’absence d’une évaluation préalable, bien que n’étant pas déterminante en soi, peut constituer un élément pertinent pour contrôler des appréciations économiques complexes que la Commission est appelée à effectuer dans le cadre de l’application du critère de l’investisseur privé.
114 En effet, lorsque les apports de capitaux d’un investisseur public font abstraction de toute perspective de rentabilité, même à long terme, ils ne sauraient être considérés comme étant conformes au critère de l’investisseur privé et doivent être considérés comme des aides au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 21 mars 1991, Italie/Commission, C‑303/88, EU:C:1991:136, point 22, ainsi que du 6 mars 2018, Commission/FIH Holding et FIH Erhvervsbank, C‑579/16 P, EU:C:2018:159, point 61).
115 À cet égard, il incombe au Tribunal de s’assurer, ainsi qu’il a été rappelé aux points 100 et 101 du présent arrêt, que de telles appréciations économiques complexes de la Commission ne sont pas entachées d’une erreur manifeste d’appréciation, ce qui implique qu’il doit vérifier non seulement l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (arrêt du 26 mars 2020, Larko/Commission, C‑244/18 P, EU:C:2020:238, point 41 et jurisprudence citée).
116 En l’espèce, ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale aux points 103 et 104 de ses conclusions, l’appréciation figurant aux points 113 à 117 de l’arrêt attaqué, indépendamment du choix des termes qui y sont employés, ne fait pas apparaître une méconnaissance, par le Tribunal, des règles relatives à la répartition de la charge de la preuve en ce qui concerne le critère de l’investisseur privé.
117 En effet, il découle de l’analyse figurant aux points 85 et 86 du présent arrêt que c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a constaté que, dans le cadre de l’accord syndical du 26 mars 2002, SEA s’était engagée à compenser, pendant une période d’au moins cinq ans, d’éventuelles pertes de SEA Handling susceptibles d’affecter la continuité de son activité économique. Or, ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale aux points 105 et 106 de ses conclusions, un investisseur privé n’aurait pas pris un tel engagement sans avoir effectué au préalable une évaluation appropriée de la rentabilité et de la rationalité économique de son engagement. Dans ces circonstances, et à la lumière de la jurisprudence citée aux points 107 et 114 du présent arrêt, l’absence de toute évaluation préalable appropriée de la rentabilité ou de la rationalité économique de tels investissements peut constituer un élément essentiel tendant à établir qu’un investisseur privé n’aurait pas apporté, à des conditions similaires, un montant égal à celui apporté par l’investisseur public.
118 Après avoir pris en considération, au point 97 de l’arrêt attaqué, les éléments factuels sur lesquels la Commission s’est appuyée dans la décision litigieuse pour considérer que les mesures en cause avaient été adoptées en l’absence de toute évaluation préalable appropriée qu’un investisseur privé dans la situation de SEA aurait fait établir en vue de s’assurer de leur rentabilité ou de leur rationalité économique, le Tribunal a examiné, notamment aux points 113 à 117 de l’arrêt attaqué, si ces appréciations de la Commission étaient ou non entachées d’erreurs manifestes d’appréciation. Aux points 120 et 132 de l’arrêt attaqué, il a jugé que tel n’était pas le cas.
119 En conséquence, en examinant, notamment aux points 113 à 117 de l’arrêt attaqué, si la Commission pouvait, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, considérer que les éléments fournis au cours de la procédure administrative étaient ou non de nature à démontrer qu’une telle évaluation faisait défaut, le Tribunal a exercé le contrôle qu’il lui incombait d’effectuer.
120 Dans ces conditions, c’est sans méconnaître le fait qu’il incombe à la Commission de prouver que les conditions d’application du principe de l’opérateur privé ne sont pas remplies que le Tribunal a constaté, à ces mêmes points 113 à 117 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation lorsqu’elle a effectué les constatations rappelées au point 97 de l’arrêt attaqué.
121 Par ailleurs, eu égard aux considérations figurant aux points 117 à 120 du présent arrêt, la ville de Milan ne saurait valablement reprocher au Tribunal d’avoir méconnu la charge de la preuve incombant à la Commission en n’ayant pas censuré celle-ci pour avoir omis de procéder à des études de marché, pour s’être appuyée sur des présomptions négatives ou pour ne pas avoir pris en compte tous les éléments pertinents.
122 En quatrième lieu, dans la mesure où la ville de Milan reproche au Tribunal d’avoir omis de prendre en compte, au point 114 de l’arrêt attaqué, une étude économique du seul fait qu’elle aurait été établie postérieurement aux mesures en cause, il convient de relever d’emblée que cette argumentation procède d’une lecture erronée de cet arrêt. En effet, il découle des termes mêmes de ce point 114 que le Tribunal a vérifié le contenu de l’étude économique fournie par la ville de Milan et l’a écartée en raison, d’abord, du caractère lapidaire et contradictoire des affirmations y figurant et, partant, de son insuffisance intrinsèque pour les besoins d’une analyse au titre du critère de l’investisseur privé. Ce n’est que dans la suite dudit point 114 qu’il a également relevé que cette étude économique avait été établie postérieurement aux mesures en cause.
123 En tout état de cause, il convient de constater que, aux fins de l’application du principe de l’opérateur privé, sont seuls pertinents les éléments disponibles et les évolutions prévisibles au moment où la décision de procéder à la mesure en cause a été prise (arrêt du 26 mars 2020, Larko/Commission, C‑244/18 P, EU:C:2020:238, point 31 et jurisprudence citée), notamment pour établir les raisons qui ont effectivement motivé le choix de l’entité étatique en cause d’effectuer l’investissement litigieux. Toutefois, l’appréciation économique effectuée par la Commission au cours de la procédure administrative intervient nécessairement, en cas d’aides octroyées en méconnaissance de l’obligation de notification prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, après l’adoption des mesures concernées.
124 Dès lors, des études et des analyses économiques sur lesquelles se fonde cette appréciation économique de la Commission, tout comme des éventuelles contre-expertises de même nature invoquées par l’État membre concerné ou par le bénéficiaire de l’aide pour répondre aux appréciations sur lesquelles s’appuie la Commission, peuvent être pertinentes aux fins de l’application du principe de l’opérateur privé, dans la mesure où elles sont fondées sur les seuls éléments disponibles et les évolutions prévisibles au moment où la décision de procéder à la mesure en cause a été prise.
125 En l’occurrence, l’étude économique dont se prévaut la ville de Milan aux fins de son appréciation ayant été réalisée postérieurement à l’adoption des mesures en cause, elle n’est pas de nature à mettre en cause la constatation de la Commission quant à l’absence d’une évaluation préalable appropriée de la rentabilité et de la rationalité économique de ces mesures, constatation qui constituait un élément essentiel sur lequel la Commission s’est fondée pour établir qu’un investisseur privé n’aurait pas apporté, à des conditions similaires, des montants égaux à ceux apportés par SEA à SEA Handling.
126 Il s’ensuit que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit lorsqu’il a, d’une part, vérifié si l’étude économique invoquée par la ville de Milan comportait des éléments d’analyse économique pertinents à l’appréciation économique que la Commission était tenue d’effectuer dans le cadre de l’application du principe de l’opérateur privé et, d’autre part, estimé que la réalisation de cette étude postérieurement aux périodes d’adoption des mesures en cause excluait que son existence puisse entacher d’une erreur manifeste l’appréciation de la Commission dans la décision litigieuse selon laquelle ces mesures ont été adoptées en l’absence de toute évaluation préalable appropriée qu’un investisseur privé dans la situation de SEA aurait fait établir en vue de s’assurer de leur rentabilité ou de leur rationalité économique.
127 En cinquième lieu, s’agissant de l’argument de la ville de Milan selon lequel le Tribunal aurait omis de se replacer dans la situation particulière de SEA à l’époque en cause, situation qui se caractérisait par des perspectives de rentabilité à très long terme, il ressort, tout d’abord, du point 112 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a pris en compte cet élément pour son appréciation.
128 Ensuite, même si les perspectives de rentabilité devaient être étendues, comme le prétend la ville de Milan, jusqu’à l’année 2041, il aurait en outre été nécessaire pour celle-ci d’établir une perspective de retour sur investissement de ces mesures avant cette date. Or, force est de constater que l’examen mené par le Tribunal aux points 113 à 131 de l’arrêt attaqué a précisément visé à vérifier si tel était le cas.
129 Enfin, pour autant que la ville de Milan entend contester le bien-fondé de l’examen ainsi effectué par le Tribunal, elle doit être regardée comme demandant à la Cour de procéder à une nouvelle appréciation des faits, ce qui, conformément à la jurisprudence citée au point 66 du présent arrêt, ne relève pas de la compétence de la Cour.
130 Dans ces conditions, le quatrième moyen doit être écarté.
131 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le pourvoi doit être rejeté.
Sur les dépens
132 Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.
133 Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
134 La ville de Milan ayant succombé en ses moyens et la Commission ayant conclu à sa condamnation, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) Le Comune di Milano est condamné aux dépens.