Livv
Décisions

CJUE, 6e ch., 10 décembre 2020, n° C-774/19

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

A. B., B. B.

Défendeur :

Personal Exchange International Limited

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Bay Larsen

Juges :

M. Safjan (rapporteur) , M. Jääskinen

Avocat général :

M. Campos Sánchez-Bordona

Avocats :

M. Kokalj,

CJUE n° C-774/19

10 décembre 2020

LA COUR (sixième chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 15, paragraphe 1, du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant A. B. et B. B., deux personnes physiques domiciliées en Slovénie, à Personal Exchange International Limited (ci-après « PEI »), une société commerciale établie à Malte, au sujet d’une somme que PEI aurait retenue dans le cadre d’un contrat de jeux de poker conclu en ligne.

 Le cadre juridique

3 Le règlement no 44/2001 a été abrogé par le règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1). Cependant, à l’exception de certaines de ses dispositions, ce dernier règlement n’est applicable, en vertu de son article 81, qu’à partir du 10 janvier 2015. En conséquence, compte tenu de la date des faits du litige au principal, celui-ci demeure régi par le règlement no 44/2001.

4 Les considérants 11 à 13 du règlement no 44/2001 énonçaient :

« (11) Les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur et cette compétence doit toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. S’agissant des personnes morales, le domicile doit être défini de façon autonome de manière à accroître la transparence des règles communes et à éviter les conflits de juridictions.

(12) Le for du domicile du défendeur doit être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter une bonne administration de la justice.

(13) S’agissant des contrats d’assurance, de consommation et de travail, il est opportun de protéger la partie la plus faible au moyen de règles de compétence plus favorables à ses intérêts que ne le sont les règles générales. »

5 Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de ce règlement, figurant sous la section 1, intitulée « Dispositions générales », du chapitre II de celui‑ci :

« Sous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre. »

6 L’article 3, paragraphe 1, dudit règlement, figurant sous cette section 1, prévoyait :

« Les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre ne peuvent être attraites devant les tribunaux d’un autre État membre qu’en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du présent chapitre. »

7 Aux termes de l’article 5, point 1, sous a), du même règlement, figurant sous la section 2, intitulée « Compétences spéciales », du chapitre II de celui-ci :

« Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre :

1) a) en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ».

8 L’article 15 du règlement no 44/2001, lequel faisait partie de la section 4, intitulée « Compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs », du chapitre II de celui-ci, disposait :

« 1. En matière de contrat conclu par une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice des dispositions de l’article 4 et de l’article 5, point 5 :

a) lorsqu’il s’agit d’une vente à tempérament d’objets mobiliers corporels ;

b) lorsqu’il s’agit d’un prêt à tempérament ou d’une autre opération de crédit liés au financement d’une vente de tels objets ;

c) lorsque, dans tous les autres cas, le contrat a été conclu avec une personne qui exerce des activités commerciales ou professionnelles dans l’État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet État membre ou vers plusieurs États, dont cet État membre, et que le contrat entre dans le cadre de ces activités.

[...] »

9 L’article 16, paragraphe 1, de ce règlement, figurant sous cette section 4, était libellé comme suit :

« L’action intentée par un consommateur contre l’autre partie au contrat peut être portée soit devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel est domiciliée cette partie, soit devant le tribunal du lieu où le consommateur est domicilié. »

10 Aux termes de l’article 17 dudit règlement, figurant sous la même section 4 :

« Il ne peut être dérogé aux dispositions de la présente section que par des conventions :

1) postérieures à la naissance du différend, ou

2) qui permettent au consommateur de saisir d’autres tribunaux que ceux indiqués à la présente section, ou

3) qui, passées entre le consommateur et son cocontractant ayant, au moment de la conclusion du contrat, leur domicile ou leur résidence habituelle dans un même État membre, attribuent compétence aux tribunaux de cet État membre, sauf si la loi de celui-ci interdit de telles conventions. »

 Le litige au principal et la question préjudicielle

11 PEI, qui propose des services de jeux de hasard en ligne, au moyen du site Internet www.mybet.com, dirige son activité commerciale notamment vers la Slovénie.

12 B. B. a ouvert un compte d’utilisateur sur ce site et a dû, à cette occasion, accepter les conditions générales unilatéralement établies par PEI, sans pouvoir influencer leur rédaction ou éventuellement modifier ultérieurement lesdites conditions, qui prescrivaient notamment que les juridictions de la République de Malte étaient compétentes pour trancher les éventuels litiges relatifs aux relations contractuelles.

13 Il ressort de la décision de renvoi que, au cours de la période allant du 31 mars 2010 au 10 mai 2011, B. B. a gagné environ 227 000 euros en jouant au poker sur ledit site. Le 10 mai 2011, le compte de B. B. a été bloqué par PEI et ce montant a été retenu par ce dernier au motif que B. B. aurait violé le règlement de jeu établi par PEI en créant un compte d’utilisateur supplémentaire, pour lequel il aurait utilisé le nom et les données d’A. B.

14 Au cours du mois de mai 2013, B. B. a saisi, en première instance, les juridictions slovènes d’un recours dirigé contre PEI en vue de la restitution par cette dernière dudit montant.

15 B. B. a justifié la compétence des juridictions slovènes en faisant valoir sa qualité de consommateur, laquelle lui permettrait de saisir le tribunal du lieu où il est domicilié, conformément à l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 44/2001.

16 PEI a conclu à l’irrecevabilité dudit recours en faisant valoir que les juridictions slovènes ne seraient pas compétentes pour connaître du litige au principal. Au motif que B. B. serait un joueur de poker professionnel, ce qui, partant, le priverait de la protection accordée aux consommateurs, seules les juridictions de la République de Malte, sur le territoire de laquelle PEI a son siège social, seraient compétentes pour connaître du litige au principal.

17 La juridiction slovène de première instance a, d’une part, reconnu la compétence des juridictions slovènes, eu égard au lieu de situation du domicile de B. B., en estimant que celui-ci avait agi en tant que consommateur lorsqu’il a ouvert son compte d’utilisateur sur le site Internet de PEI et, d’autre part, accueilli le recours de B. B.

18 PEI a interjeté appel du jugement de la juridiction slovène de première instance devant la juridiction d’appel slovène, laquelle a confirmé ce jugement. PEI a, dès lors, introduit un pourvoi en révision devant la juridiction de renvoi, le Vrhovno sodišče (Cour suprême, Slovénie). La procédure devant cette juridiction ne vise que B. B., celle concernant A. B. ayant été clôturée définitivement.

19 S’interrogeant sur la question de savoir si la compétence pour trancher le litige au principal peut être attribuée aux juridictions slovènes, compte tenu du domicile de B. B., ou doit l’être aux juridictions maltaises, eu égard au siège social de PEI, la juridiction de renvoi considère que la réponse à cette question dépend du point de savoir si B. B. peut être considéré comme ayant conclu avec PEI un contrat en tant que « consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle », au sens de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 44/2001.

20 À cet égard, la juridiction de renvoi relève, d’une part, que B. B. a dû accepter les conditions générales établies unilatéralement par PEI, de sorte qu’il était économiquement plus faible et juridiquement moins expérimenté que son cocontractant, qu’il n’aurait pas déclaré son activité de joueur de poker comme étant à caractère professionnel, qu’il ne l’aurait pas proposée à des tiers contre rémunération et qu’il n’aurait pas eu de sponsors. D’autre part, il aurait vécu des gains issus des parties de poker depuis l’année 2008 et aurait joué au poker neuf heures par jour ouvrable en moyenne.

21 Par ailleurs, l’interprétation littérale de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 ne serait pas univoque, dans la mesure où certaines des versions linguistiques de cette disposition contiendraient des éléments supplémentaires en ce qui concerne la notion d’« activité professionnelle » qui pourraient donner lieu à des interprétations divergentes, tels que le terme en langue anglaise « trade » qui ferait référence à l’échange de biens ou de services ou le terme en langue slovène « pridobitna dejavnost » qui impliquerait un aspect technique et économique de la perception de l’argent, au sens du gain de biens matériels.

22 Dans ces conditions, le Vrhovno sodišče (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 15, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 doit-il être interprété en ce sens qu’il convient de considérer aussi comme un contrat conclu par un consommateur à des fins étrangères à son activité professionnelle un contrat pour jouer au poker sur Internet, conclu à distance par un particulier avec un exploitant étranger de jeux sur Internet et soumis aux conditions générales déterminées par ce dernier si le particulier a vécu pendant plusieurs années des revenus perçus et des gains tirés des parties de poker bien qu’il n’ait pas officiellement déclaré une telle activité et qu’il n’offre pas non plus cette activité sur le marché aux tiers en tant que service payant ? »

 Sur la question préjudicielle

23 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’une personne physique domiciliée dans un État membre qui, d’une part, a conclu avec une société établie dans un autre État membre un contrat pour jouer au poker sur Internet, contenant des conditions générales déterminées par cette dernière, et, d’autre part, n’a ni officiellement déclaré une telle activité ni offert cette activité à des tiers en tant que service payant perd la qualité de « consommateur », au sens de cette disposition, lorsque cette personne joue à ce jeu un grand nombre d’heures par jour et perçoit des gains importants issus de ce jeu.

24 Il y a lieu, tout d’abord, de rappeler que l’article 15, paragraphe 1, de ce règlement constitue une dérogation tant à la règle générale de compétence édictée à l’article 2, paragraphe 1, dudit règlement, attribuant la compétence aux juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le défendeur est domicilié, qu’à la règle de compétence spéciale en matière de contrats, énoncée à l’article 5, point 1, du même règlement, selon laquelle le tribunal compétent est celui du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée. Ainsi, cet article 15, paragraphe 1, doit nécessairement faire l’objet d’une interprétation stricte, en ce sens qu’il ne saurait donner lieu à une interprétation allant au-delà des hypothèses expressément envisagées par ledit règlement (arrêts du 14 mars 2013, Česká spořitelna, C‑419/11, EU:C:2013:165, point 26, et du 25 janvier 2018, Schrems, C‑498/16, EU:C:2018:37, point 27).

25 Ensuite, il convient de relever que l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 est applicable dans l’hypothèse où trois conditions sont remplies, à savoir, premièrement, qu’une partie contractuelle a la qualité de consommateur qui agit dans un cadre pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, deuxièmement, que le contrat entre un tel consommateur et un professionnel a été effectivement conclu et, troisièmement, qu’un tel contrat relève de l’une des catégories visées au paragraphe 1, sous a) à c), dudit article 15. Ces conditions doivent être remplies de manière cumulative, de sorte que, si l’une des trois conditions fait défaut, la compétence ne saurait être déterminée selon les règles en matière de contrats conclus par les consommateurs (arrêt du 23 décembre 2015, Hobohm, C‑297/14, EU:C:2015:844, point 24 et jurisprudence citée).

26 En l’occurrence, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, la question posée concerne la première de ces trois conditions, en ce qu’elle vise à savoir si B. B. a la qualité de « consommateur » qui agit dans un cadre pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle.

27 S’agissant des différences qui, selon la juridiction de renvoi, existent dans certaines des versions linguistiques de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 en raison de l’ajout d’éléments supplémentaires, notamment dans la version en langue slovène, à la notion d’« activité professionnelle », il y a lieu de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, la formulation utilisée dans l’une des versions linguistiques d’une disposition du droit de l’Union ne saurait servir de base unique à l’interprétation de cette disposition ou se voir attribuer, à cet égard, un caractère prioritaire par rapport aux autres versions linguistiques. En effet, la nécessité d’une application et, dès lors, d’une interprétation uniformes d’un acte de l’Union exclut que celui-ci soit considéré isolément dans l’une de ses versions, mais exige qu’il soit interprété en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément (arrêt du 8 juin 2017, Sharda Europe, C‑293/16, EU:C:2017:430, point 21 et jurisprudence citée).

28 Dans ce contexte, la Cour a précisé que la notion de « consommateur », au sens des articles 15 à 17 du règlement no 44/2001, doit être interprétée de façon autonome, en se référant principalement au système et aux objectifs de ce règlement, en vue d’assurer l’application uniforme de celui-ci dans tous les États membres (arrêt du 6 septembre 2012, Mühlleitner, C‑190/11, EU:C:2012:542, point 28 et jurisprudence citée).

29 En outre, compte tenu du caractère dérogatoire des règles de compétence énoncées auxdits articles 15 à 17, cette notion doit être interprétée de manière restrictive, en se référant à la position de la personne concernée dans un contrat déterminé, en rapport avec la nature et la finalité de celui-ci, et non pas à la situation subjective de cette personne, une seule et même personne pouvant être considérée comme un consommateur dans le cadre de certaines opérations et comme un opérateur économique dans le cadre d’autres opérations (voir, en ce sens, arrêt du 25 janvier 2018, Schrems, C‑498/16, EU:C:2018:37, points 27 et 29 ainsi que jurisprudence citée).

30 La Cour en a déduit que seuls les contrats conclus en dehors et indépendamment de toute activité ou finalité d’ordre professionnel, dans l’unique but de satisfaire aux propres besoins de consommation privée d’un individu, relèvent du régime particulier prévu par ledit règlement en matière de protection du consommateur en tant que partie réputée faible, alors qu’une telle protection ne se justifie pas en cas de contrat ayant comme but une activité professionnelle (arrêt du 25 janvier 2018, Schrems, C‑498/16, EU:C:2018:37, point 30 et jurisprudence citée).

31 Il s’ensuit que les règles de compétence spécifiques visées aux articles 15 à 17 du règlement no 44/2001 ne trouvent, en principe, à s’appliquer que dans l’hypothèse où la finalité du contrat conclu entre les parties a pour objet un usage autre que professionnel du bien ou du service concerné (arrêt du 25 janvier 2018, Schrems, C‑498/16, EU:C:2018:37, point 31 et jurisprudence citée).

32 C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner si une personne physique peut se voir refuser la qualité de « consommateur », au sens de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 44/2001, en raison de facteurs tels que l’importance des sommes gagnées dans le cadre de parties de poker, permettant à cette personne de vivre de ces gains, ainsi que les connaissances possédées par ladite personne et la régularité de l’activité.

33 En premier lieu, s’agissant de la circonstance évoquée par la juridiction de renvoi selon laquelle les gains issus des parties de poker permettent, en l’occurrence, à B. B. de vivre de ceux-ci depuis l’année 2008, il convient de relever que le champ d’application des articles 15 à 17 de ce règlement n’est pas limité à des montants particuliers (voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2019, Petruchová, C‑208/18, EU:C:2019:825, point 50 et jurisprudence citée).

34 Il s’ensuit que la circonstance que B. B. a gagné des sommes importantes grâce aux parties de poker à la suite de la conclusion du contrat avec PEI n’est pas, en soi, un élément déterminant pour sa qualification ou non de « consommateur », au sens du règlement no 44/2001.

35 En effet, si les articles 15 à 17 de ce règlement devaient être interprétés en ce sens qu’ils ne sont pas applicables aux contrats de services donnant lieu à des gains importants, le particulier ne serait pas en mesure, dès lors que ce règlement ne fixe pas de seuil au-delà duquel le montant lié à un contrat de services est considéré comme étant important, de savoir s’il bénéficiera de la protection octroyée par ces dispositions, ce qui serait contraire à la volonté du législateur de l’Union, exprimée au considérant 11 dudit règlement, selon lequel les règles de compétence devraient présenter un haut degré de prévisibilité (voir, par analogie, arrêt du 3 octobre 2019, Petruchová, C‑208/18, EU:C:2019:825, point 51).

36 La nécessité d’assurer la prévisibilité des règles de compétence prend une importance particulière dans le cadre du jeu de poker qui est un jeu de hasard comportant aussi bien le risque de perdre les sommes investies que la chance de gagner des montants importants. Ainsi, il ne serait pas compatible avec cet objectif poursuivi par le règlement no 44/2001 de déterminer la compétence juridictionnelle en fonction du montant gagné ou perdu.

37 En deuxième lieu, PEI a fait valoir que ce sont en partie les connaissances de B. B. qui lui ont permis de gagner des sommes importantes issues des parties de poker.

38 À cet égard, la Cour a précisé que la notion de « consommateur », au sens de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 44/2001, qui est définie par opposition à celle d’« opérateur économique », présente un caractère objectif et est indépendante des connaissances et des informations dont la personne concernée dispose réellement (voir, en ce sens, arrêt du 25 janvier 2018, Schrems, C‑498/16, EU:C:2018:37, point 39 et jurisprudence citée).

39 Or, si la qualité de consommateur devait dépendre des connaissances et des informations qu’un contractant possède dans un domaine donné, et non de la circonstance que le contrat qu’il a conclu a pour objectif ou non de satisfaire ses besoins personnels, cela reviendrait à qualifier un contractant de consommateur en fonction de la situation subjective de celui-ci. Toutefois, selon la jurisprudence citée au point 29 du présent arrêt, la qualité de « consommateur » d’une personne doit être examinée au regard uniquement de la position de cette dernière dans un contrat déterminé, compte tenu de la nature et de la finalité de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2019, Petruchová, C‑208/18, EU:C:2019:825, point 56).

40 Par conséquent, les connaissances d’un particulier dans le domaine duquel relève le contrat conclu ne lui ôtent pas la qualité de « consommateur », au sens de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 (voir, en ce sens, arrêt du 25 janvier 2018, Schrems, C‑498/16, EU:C:2018:37, point 39).

41 En troisième lieu, s’agissant de l’évolution de la relation contractuelle existant entre B. B. et PEI, ainsi qu’il a été indiqué au point 29 du présent arrêt, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, afin d’établir la qualité de « consommateur » d’une personne, il y a lieu de se référer à la position de cette personne dans un contrat déterminé, en rapport avec la nature et la finalité de celui-ci.

42 À cet égard, il appartient à la juridiction de renvoi de tenir compte d’une éventuelle évolution ultérieure de l’usage qui est fait des services de longue durée fournis par PEI. En effet, l’utilisateur de tels services pourrait invoquer la qualité de « consommateur » uniquement si l’usage essentiellement non professionnel de ces services, pour lequel il a initialement conclu un contrat, n’a pas acquis, par la suite, un caractère essentiellement professionnel (voir, en ce sens, arrêt du 25 janvier 2018, Schrems, C‑498/16, EU:C:2018:37, points 37 et 38).

43 En quatrième lieu, en ce qui concerne la régularité avec laquelle B. B. a joué au poker en ligne, il ressort de la décision de renvoi que celui-ci a consacré en moyenne neuf heures par jour ouvrable à ce jeu.

44 Si les notions employées par le règlement no 44/2001, et notamment celles figurant à l’article 15, paragraphe 1, de ce règlement, doivent être interprétées de façon autonome, en se référant principalement au système et aux objectifs dudit règlement, afin d’assurer l’application uniforme de celui-ci dans tous les États membres, ainsi que cela a été rappelé au point 28 du présent arrêt, il y a lieu, pour assurer le respect des objectifs poursuivis par le législateur de l’Union dans le domaine des contrats conclus par les consommateurs ainsi que la cohérence du droit de l’Union, de tenir également compte de la notion de « consommateur » contenue dans d’autres réglementations du droit de l’Union (arrêt du 25 janvier 2018, Schrems, C‑498/16, EU:C:2018:37, point 28).

45 À cet égard, dans le cadre de l’interprétation de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84/450/CEE du Conseil et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) no 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil (« directive sur les pratiques commerciales déloyales ») (JO 2005, L 149, p. 22), et de la directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2011, relative aux droits des consommateurs, modifiant la directive 93/13/CEE du Conseil et la directive 1999/44/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 85/577/CEE du Conseil et la directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil (JO 2011, L 304, p. 64), la Cour a jugé que la régularité d’une activité peut être un élément à prendre en compte pour la qualification de « professionnel », par opposition à la notion de « consommateur » (voir, en ce sens, arrêt du 4 octobre 2018, Kamenova, C‑105/17, EU:C:2018:808, points 37 et 38).

46 Toutefois, d’une part, la régularité d’une activité est un élément parmi d’autres à prendre en compte et ne détermine pas, à elle seule, la qualification à retenir à l’égard d’une personne physique au regard de la notion de « professionnel » (voir, en ce sens, arrêt du 4 octobre 2018, Kamenova, C‑105/17, EU:C:2018:808, point 39).

47 D’autre part, et surtout, l’activité en cause dans le cadre du litige au principal se distingue de celle en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 4 octobre 2018, Kamenova (C‑105/17, EU:C:2018:808), en ce que cette dernière concernait la vente de biens.

48 Si l’affaire au principal porte, en effet, sur une activité pouvant être qualifiée de régulière, cette activité ne donne cependant pas lieu à la vente de biens ni à une prestation de services, ainsi que le relève la juridiction de renvoi. En effet, il ressort des indications fournies par cette juridiction que B. B. ne propose pas à des tiers des services liés à l’activité de jeux de poker et n’a pas déclaré officiellement cette activité.

49 Dans ce contexte, il appartient, en conséquence, à la juridiction de renvoi de vérifier si, à la lumière de tous les éléments factuels de l’affaire au principal, B. B. a effectivement agi en dehors et indépendamment de toute activité d’ordre professionnel, et d’en tirer les conséquences en ce qui concerne la qualification de « consommateur » de celui-ci, au sens de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 44/2001. Aux fins de cette qualification, des éléments tels que le montant des gains issus des parties de poker, les connaissances ou l’expertise éventuelles ainsi que la régularité de l’activité de joueur de poker de la personne concernée ne font pas, en tant que tels, perdre à cette personne sa qualité de « consommateur », au sens de cette disposition.

50 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’une personne physique domiciliée dans un État membre qui, d’une part, a conclu avec une société établie dans un autre État membre un contrat pour jouer au poker sur Internet, contenant des conditions générales déterminées par cette dernière, et, d’autre part, n’a ni officiellement déclaré une telle activité ni offert cette activité à des tiers en tant que service payant ne perd pas la qualité de « consommateur » au sens de cette disposition, même si cette personne joue à ce jeu un grand nombre d’heures par jour, possède des connaissances étendues et perçoit des gains importants issus de ce jeu.

 Sur les dépens

51 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

L’article 15, paragraphe 1, du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu’une personne physique domiciliée dans un État membre qui, d’une part, a conclu avec une société établie dans un autre État membre un contrat pour jouer au poker sur Internet, contenant des conditions générales déterminées par cette dernière, et, d’autre part, n’a ni officiellement déclaré une telle activité ni offert cette activité à des tiers en tant que service payant ne perd pas la qualité de « consommateur » au sens de cette disposition, même si cette personne joue à ce jeu un grand nombre d’heures par jour, possède des connaissances étendues et perçoit des gains importants issus de ce jeu.