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Décisions

Cass. 1re civ., 9 décembre 2020, n° 19-17.724

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Filtration Services (SARL)

Défendeur :

AIG Europe (SA), Brenntag (SA), Groupe Pierre Le Goff (SA), Generali Iard (SA), Domaine Du Moulin A L'or (EURL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Batut

Rapporteur :

Mme Kloda

Avocats généraux :

M. Sudre, M. Lavigne

Avocats :

SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Didier et Pinet, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano

TGI Mâcon, du 29 mai 2017

29 mai 2017

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 2 avril 2019), la société Domaine du Moulin à l'or a confié la filtration, le dégazage et l'électrodialyse de l'ensemble de ses vins millésimés 2014 à la société Filtration services, qui a fait appel pour la préparation de l'appareil d'électrodialyse à la société Eurodia ayant utilisé à cet effet de l'acide nitrique et de la lessive de soude, acquis par la société Filtration services auprès de la société Groupe Pierre Le Goff (le vendeur) et produits par la société Brenntag (le producteur). A l’issue des opérations, une pollution des vins a été décelée provenant de la lessive de soude et de l’acide nitrique et provoquant des désordres organoleptiques.   

2. Les sociétés Domaine du Moulin à l’or et Filtration services ont assigné en responsabilité et indemnisation le producteur et le vendeur, ainsi que leurs assureurs respectifs, les sociétés Generali IARD, et AIG Europe Limited, aux droits de laquelle vient la société AIG Europe. Le vendeur a été mis hors de cause.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

3. La société Filtration services fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors que « les dispositions relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux s'appliquent à la réparation du dommage supérieur à un montant déterminé par décret, qui résulte d'une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même ; qu'un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, c'est-à-dire lorsqu'il risque de porter atteinte à l'intégrité physique ou psychique des individus, ou bien de provoquer la destruction ou la dégradation d'un bien ; qu'en retenant, pour juger que la preuve de la défectuosité des produits n'était pas rapportée, qu'aucun danger anormal et excessif caractérisant un défaut de sécurité desdits produits n'est établi dès lors que la pollution des vins traités n'est pas de nature à nuire à la santé des consommateurs ni à leur intégrité, le vin restant inoffensif s'il est ingéré même si son goût s'avère désagréable, quand l'altération du goût des vins en raison de leur pollution par les produits en cause caractérisait un défaut de sécurité du produit, la cour d'appel a violé les articles 1386-2 et 1386-4 du code civil, désormais articles 1245-1 et 1245-3 dudit code. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 1386-2, devenu 1245-1 du code civil, et l’article 1er du décret no 2005-113 du 11 février 2005 :

4. Il résulte de ces textes que les dispositions relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux s'appliquent à la réparation, d’une part, du dommage qui résulte d'une atteinte à la personne, d’autre part, du dommage supérieur à 500 euros, qui résulte d'une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même, en provoquant sa destruction ou son altération.

5. Pour rejeter les demandes de la société Filtration services, l’arrêt retient que si l’utilisation des produits chimiques, qui contenaient des quantités plus ou moins importantes de trichloroanisole et de tétrachloroanisole, a contaminé l’ensemble de l’appareil d’électrodialyse et provoqué la dégradation du vin en altérant son goût, les produits litigieux ne sauraient être considérés comme défectueux dès lors que la pollution des vins n’est pas de nature à nuire à la santé des consommateurs ni à leur intégrité.

6. En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté une altération des vins consécutive à leur pollution par les produits dont la défectuosité était invoquée, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

Et sur le moyen du pourvoi incident  

Enoncé du moyen

7. La société Domaine du Moulin à l’or fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors « que, pour l'application du régime de responsabilité du fait des produits défectueux, un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas, à l'égard des personnes ou des biens, la sécurité, à laquelle on peut légitimement s'attendre ; qu'en se bornant, pour écarter le caractère défectueux des produits Brenntag, à relever que le vin traité avec ces produits, s'il avait un goût de bouchon, était inoffensif pour les consommateurs, sans examiner si les produits litigieux offraient, pour le vin traité avec les machines nettoyées avec ces produits, la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s'attendre, la cour d'appel a violé les articles 1386-2 et 1386-4, devenus les articles 1245-1 et 1245-3, du code civil. »

Réponse de la Cour  

Vu l’article 1386-4, alinéas 1 et 2, devenu 1245-3, alinéas 1 et 2, du code civil :

8. Aux termes de ce texte, un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et, dans l’appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment, de la présentation du produit et de l’usage qui peut en être raisonnablement attendu.

9. Pour statuer comme il a été dit, l'arrêt retient que les produits litigieux ne sauraient être considérés comme défectueux dès lors qu'aucun danger anormal et excessif caractérisant un défaut de sécurité des produits n'est établi.

10. En se déterminant ainsi, sans examiner si au regard des circonstances et notamment de leur présentation et de l'usage qui pouvait en être raisonnablement attendu, les produits dont la défectuosité était invoquée présentaient la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s'attendre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS,  la Cour : CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il met hors de cause la société Groupe Pierre Le Goff, l'arrêt rendu le 2 avril 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ; Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.