Cass. 1re civ., 9 décembre 2020, n° 19-21.390
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
M. Le Brun, Le Brun Alexandre (SCEA)
Défendeur :
Mafroco (SARL), Gan Assurances (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Batut
Rapporteur :
M. Mornet
Avocats généraux :
M. Sudre, M. Lavigne
Avocats :
SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Marc Lévis
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 18 juin 2019), la société Mafroco a vendu à la société civile d'exploitation viticole Le Brun Alexandre (la société Le Brun) un matériel agricole servant au travail des vignes, dont la livraison est intervenue le 22 août 2011.
2. Le lendemain, M. Le Brun, gérant de la société Le Brun, a été victime d'un accident corporel lors de l'utilisation de ce matériel et a subi une intervention chirurgicale.
3. Après avoir sollicité deux expertises en référé aux fins d'examen du matériel litigieux et d'évaluation du préjudice corporel subi par M. Le Brun, ce dernier et la société Le Brun ont assigné la société Mafroco en responsabilité et indemnisation, en sollicitant, d'une part, la réparation de différents préjudices sur le fondement des articles 1386-1 et suivants, devenus 1245 et suivants du code civil, d'autre part, la résolution judiciaire du contrat de vente au titre d'un défaut de conformité du matériel.
4. La société Mafroco a été déclarée responsable du préjudice subi par M. Le Brun à hauteur de la moitié, sur le fondement des textes précités, et condamnée à lui payer différentes sommes à ce titre.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen et le troisième moyen, pris en sa première branche, ci-après annexés
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche, et sur le quatrième moyen, réunis
Enoncé du moyen
6. Par son troisième moyen, pris en sa seconde branche, la société Le Brun fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande au titre de la perte d'exploitation fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux, alors « que le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit ; qu'en jugeant par motifs adoptés, pour débouter la société Le Brun de sa demande de réparation au titre de la perte d'exploitation, que cette demande concernerait un « préjudice économique consécutif à l'atteinte à la machine litigieuse », la cour d'appel a violé l'article 1386-1, devenu 1245, du code civil, et par fausse application son article 1386-2, devenu 1245-1. »
7. Par son quatrième moyen, la société Le Brun fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande au titre de l'absence de fourniture d'une machine de remplacement fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux, alors « que le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit ; que, pour justifier sa demande d'indemnisation au titre des préjudices subis au titre de l'immobilisation de la machine achetée, la société Le Brun rappelait que la société Mafroco ne lui avait « jamais proposé (…) une machine en remplacement du Trimovigne non-conforme et qui a connu onze avaries notables (…) entre la date d'achat et janvier 2013 (…), date à laquelle M. Le Brun a ramené le Trimovigne en panne afin d'en demander le remboursement », et qu'elle avait dû en conséquence « recourir le 16 novembre 2012 à l'acquisition d'un chenillard « Rotair R70 1 Must Diesel Kubota » aux performances très inférieures, ainsi qu'à l'embauche d'un ouvrier qualifié, M. Vincent Legrand pour obtenir un résultat malgré tout inférieur à ce qu'elle était en droit d'attendre du Trimovigne » ; qu'en jugeant par motifs propres et adoptés, pour débouter la société Le Brun de sa demande de réparation au titre du préjudice subi du fait de l'absence de fourniture d'une machine de remplacement, que cette demande concernerait un « préjudice économique consécutif à l'atteinte à la machine litigieuse », la cour d'appel a violé l'article 1386-1, devenu 1245, du code civil, et par fausse application son article 1386-2, devenu 1245-1. »
Réponse de la Cour
8. Selon l'article 1386-2, devenu 1245-1 du code civil, issu de la loi no 98-389 du 19 mai 1998, les dispositions relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux s'appliquent à la réparation du dommage qui résulte d'une atteinte à la personne et du dommage supérieur à un montant déterminé par décret, qui résulte d'une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même.
9. Après avoir énoncé, à bon droit, que ce régime de responsabilité ne s'applique pas à la réparation du dommage qui résulte d'une atteinte au produit défectueux lui-même et aux préjudices économiques découlant de cette atteinte, la cour d'appel en a exactement déduit que la perte d'exploitation et l'absence de fourniture de machine de remplacement invoquées par la société Le Brun étaient consécutives à l'atteinte au matériel en cause et n'étaient pas indemnisables sur le fondement des articles 1386-1 et suivants, devenus 1245 et suivants du code civil.
10. Les moyens ne sont donc pas fondés.
Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
11. La société Le Brun fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable son action en résolution de la vente fondée sur le défaut de conformité du produit, alors « que la demande en résolution pour défaut de conformité de la chose vendue ne présuppose pas des dommages causés par cette chose mais uniquement sa non-conformité à ce que l'acheteur était en droit d'en attendre au regard de l'objet du contrat ; qu'en jugeant « qu'en tout état de cause, il convient d'observer que le défaut de conformité allégué, tenant à la sécurité du produit ne comporte aucun lien de causalité avec les dommages dont la société Le Brun poursuit la réparation, en lien avec les avaries ci-dessus énumérées », la cour d'appel a violé l'article 1184 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016, ensemble l'article 1604 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1386-2, devenu 1245-1, 1604 et 1184 du code civil, ce dernier dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016 :
12. Selon le premier de ces textes, les dispositions relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux s'appliquent à la réparation du dommage qui résulte d'une atteinte à la personne et du dommage supérieur à un montant déterminé par décret, qui résulte d'une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même. En application des deuxième et troisième, l'acquéreur d'un bien peut agir en résolution de la vente en cas de manquement du vendeur à son obligation contractuelle de délivrance d'un bien conforme.
13. Cette action en résolution ne tendant pas à la réparation d'un dommage qui résulte d'une atteinte à la personne causée par un produit défectueux ou à un bien autre que ce produit, elle se trouve hors du champ de la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 et de la loi du 19 mai 1998 qui l'a transposée, et n'est donc soumise à aucune de leurs dispositions.
14. Pour déclarer irrecevable l'action en résolution de la vente du matériel agricole pour non-conformité, l'arrêt retient que, si le régime de responsabilité du fait des produits défectueux n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle, c'est à la condition que ceux-ci reposent sur des fondements différents de celui tiré d'un défaut de sécurité du produit litigieux et que, sous le couvert d'une non-conformité du matériel acquis, la société Le Brun reproche à la société Mafroco sa défectuosité résultant du défaut de sa sécurité.
15. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS,
et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du premier moyen,
La Cour : CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable l'action en résolution de la vente de la société civile d'exploitation viticole Le Brun Alexandre fondée sur le défaut de conformité du produit, l'arrêt rendu le 18 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ; Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.