CA Paris, Pôle 6 ch. 4, 9 décembre 2020, n° 18/09412
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Yves Rocher France (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Blanc
Conseillers :
M. Mansion, Mme Blanc
EXPOSÉ DU LITIGE :
La Société LABORATOIRES DE BIOLOGIE VEGETALE YVES ROCHER, aux droits de laquelle vient la Société YVES ROCHER France (ci-après la Société YVES ROCHER) et Madame X, ont conclu les 11 et 30 août 1999, un contrat de franchise qui a pris effet le 26 avril 1999.
Aux termes de ce contrat, la Société YVES ROCHER a concédé à Madame X le droit d'utiliser son savoir-faire et les signes distinctifs de la marque pour commercialiser les produits Yves Rocher et délivrer des soins esthétiques dans un local <adresse>, Madame X étant propriétaire de ce fonds de commerce.
Le contrat a été conclu pour une durée initiale de 5 ans. Il a ensuite été tacitement prolongé pour des durées d'un an, conformément aux stipulations de l'article 3 de ce contrat.
La relation contractuelle s'est achevée le 22 mai 2014, à l'issue d'un préavis d'un an.
Par courrier du 11 mars 2014, la Société YVES ROCHER a expressément autorisé, à sa demande, Madame X, à poursuivre au sein de son local commercial, une activité de soins esthétiques et d'accessoires de beauté, sous réserve de cesser d'utiliser la marque Yves Rocher et ses signes distinctifs.
Madame X a ainsi continué à exercer son activité dans le même local (sous l'enseigne Y), puis dans la galerie commerçante de l'Intermarché de Nemours.
Le 21 mai 2015, Madame X a saisi le Conseil de Prud'hommes de Fontainebleau pour se voir reconnaître le bénéfice du statut de « gérant de succursale » prévu par les articles L. 7321-1 et suivants du Code du travail.
La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par Madame X du jugement rendu le 29 juin 2018 par Conseil de Prud'hommes de Fontainebleau, lequel a jugé que Madame X ne remplissait pas les conditions pour bénéficier du statut de gérant de succursale, l'a déboutée de l'intégralité de ses demandes et condamnée à verser à la Société YVES ROCHER.
Par conclusions déposées sur le RPVA le 2 septembre 2020, Madame X demande à la cour de :
- Dire et juger que la signature d'un contrat commercial ne peut priver Madame X, personne physique, des droits qu'elle tient à titre individuel des dispositions de l'article L. 7321-2 du Code du travail ;
- Constater que l'activité était exercée personnellement par Madame X ;
- Dire et juger que Madame X remplit toutes les conditions des articles L. 7321-2 et L. 7321-3 du Code du travail ;
- Constater que les conditions d'exploitation commerciales étaient telles dans l'institut, qu'elles induisaient nécessairement un contrôle des conditions de travail ;
En conséquence :
- Infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a jugé que l'activité de vente de marchandises ne constituait pas l'activité essentielle exercée par Madame X ;
- Se déclarer compétente ;
- Dire et juger que Madame X bénéficie des dispositions du Code du travail ;
- Dire que la rupture du contrat des relations contractuelles est imputable à la société Yves Rocher ;
- Requalifier la rupture des relations contractuelles en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- Débouter la société Yves Rocher de toutes ses demandes ;
- Fixer la rémunération de référence à 2.687 € ;
- Condamner la société Yves Rocher à verser à Madame X les sommes suivantes :
. 57.070 € au titre du rappel d'heures supplémentaires,
. 10.080 € au titre de l'indemnité de licenciement,
. 64.488 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
- Dire que ces condamnations seront assorties des intérêts au taux légal avec capitalisation à compter de la saisine du Conseil de prud'hommes ;
- Condamner la société Yves Rocher à remettre à Madame X un certificat de travail et l'attestation Pôle Emploi ;
- Condamner la société Yves Rocher à verser à Madame X la somme de 8.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société Yves Rocher aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître François T. dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par conclusions déposées sur le RPVA le 28 septembre 2020, la société intimée demande à la cour de :
- confirmer en tout point le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Fontainebleau le 29 juin 2018 ;
Y faisant droit,
- débouter Madame X de l'intégralité de ses demandes ;
Y ajoutant,
- condamner Madame X à lui verser la somme de 8.000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Mme X aux entiers dépens de l'instance.
Par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément fait référence aux conclusions sus visées.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 septembre 2020.
La cour, lors de l'audience de plaidoiries a invité les parties à rencontrer un médiateur. Elles n'ont pas entendu donner suite à la proposition de médiation
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur le contrat de gérance de succursale :
Selon l'article L. 7321-2 :
« Est gérant de succursale toute personne :
1° Chargée, par le chef d'entreprise ou avec son accord, de se mettre à la disposition des clients durant le séjour de ceux-ci dans les locaux ou dépendances de l'entreprise, en vue de recevoir d'eux des dépôts de vêtements ou d'autres objets ou de leur rendre des services de toute nature ;
2° Dont la profession consiste essentiellement :
a) Soit à vendre des marchandises de toute nature qui leur sont fournies exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par cette entreprise ;
b) Soit à recueillir les commandes ou à recevoir des marchandises à traiter, manutentionner ou transporter, pour le compte d'une seule entreprise, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par cette entreprise. »
Il revient à Madame X de prouver, qu'en dépit des stipulations de son contrat de franchise, elle remplirait les conditions de l'article L. 7321-2 du Code du travail et ce, dans le cadre de l'exploitation de son centre de beauté de Nemours, de 1999 à 2014.
Or, force est de constater :
- que l'activité de l'institut de Beauté de Nemours n'était pas principalement de vendre les produits cosmétiques de la marque et possédait 3 cabines de soins générant un pourcentage très important du chiffre d'affaires (entre 42 et 49 % selon les années) ;
- que les produits cosmétiques vendus n'étaient pas obligatoirement fournis par la société YVES ROCHER ;
- que l'appelante avait l'entière responsabilité de recruter le personnel nécessaire à l'exploitation de l'Institut de Beauté (Madame X déterminant le montant des salaires versés à ses salariés) ;
- qu'il n'est pas démontré que la société YVES ROCHER imposait les choix des produits commandés et les quantités par Madame X ;
- que les pièces produites par les parties ne font que caractériser l'existence d'un contrat de franchise duquel résultaient des obligations réciproques et notamment pour la société YVES ROCHER de d'assister le franchisé ;
- que Madame X disposait d'une latitude pour fixer le prix des cosmétiques vendus et fixait librement les tarifs de l'activité de soins esthétiques ;
En conséquence, Madame X ne remplit pas les conditions prévues par l'article L. 7321-2 et le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
Sur les heures supplémentaires :
L'article L. 7321-3 du Code du travail dispose que : « Le chef d'entreprise qui fournit les marchandises ou pour le compte duquel sont recueillies les commandes ou sont reçues les marchandises à traiter, manutentionner ou transporter n'est responsable de l'application aux gérants salariés de succursales des dispositions du livre Ier de la troisième partie relatives à la durée du travail, aux repos et aux congés et de celles de la quatrième partie relatives à la santé et à la sécurité au travail que s'il a fixé les conditions de travail, de santé et de sécurité au travail dans l'établissement ou si celles-ci ont été soumises à son accord. »
Cela étant, en cas de litige sur l'application de l'article L. 7321-3 du code du travail, il appartient à la juridiction saisie de vérifier qui, de la société ou du gérant, fixe les conditions de travail, d'hygiène, et de sécurité au sein de l'établissement donné en gérance.
Aucun élément versé aux débats par Madame X ne dément l'entière liberté laissée par la Société YVES ROCHER pour fixer les conditions de travail, de santé et de sécurité au sein de son centre de beauté.
Mais, ces éléments démontrent uniquement que YVES ROCHER imposait des critères d'identification de sa marque et des standards de qualité dans la diffusion de ses produits et le service à la clientèle effectué sous son nom.
Le jugement déféré sera également confirmé sur ce point.
Sur les frais non compris dans les dépens :
L'équité liée à la situation économique des parties commande de ne pas prononcer de condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, le jugement déféré sera uniquement infirmé sur ce point.
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
CONFIRME le jugement déféré sauf en ce qu'il a condamné Madame X à payer la somme de 8.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau :
DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes.
CONDAMNE Madame X aux dépens d'appel.