CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 17 décembre 2020, n° 17/23168
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Aquilia (SARL)
Défendeur :
Leroy Merlin France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Prigent
Conseillers :
Mme Soudry, Mme Lignières
FAITS ET PROCÉDURE :
La société Aquilia est spécialisée dans la fabrication de papier peint.
La société Leroy Merlin exerce une activité de vente de matériaux de bricolage, de jardinage et de décoration, par le biais de magasins répartis sur l'ensemble du territoire national.
La société Aquilia est fournisseur de la société Leroy Merlin depuis les années 2000.
La relation commerciale a été significative en termes de chiffre d'affaires de 2008 à 2012.
S'estimant victime d'une rupture partielle et brutale au sens des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, et faute de règlement amiable, la société Aquilia a fait assigner, par acte d'huissier de justice en date du 23 décembre 2015, la société Leroy Merlin devant le tribunal de commerce de Lille Métropole, aux fins d'obtenir le paiement de dommages et intérêts à ce titre.
Par jugement rendu le 23 mars 2016, le tribunal de commerce de Lille Métropole a constaté l'accord des parties pour procéder par voie de conciliation à la recherche d'un protocole transactionnel.
Les pourparlers n'ayant pas abouti, la société Aquilia a demandé le renvoi de l'affaire devant le tribunal de commerce de Lille Métropole, et a fait assigner, par acte d'huissier de justice en date du 23 décembre 2015, la société Leroy Merlin devant ce tribunal.
Par jugement rendu le 14 septembre 2017, le tribunal de commerce de Lille Métropole a :
- dit la société Leroy Merlin avait rompu brutalement partiellement des relations commerciales établies avec la société Aquilia ;
- condamné la société Leroy Merlin à verser à la société Aquilia la somme de 156.900 euros à titre de dommages et intérêts pour la rupture brutale partielle des relations commerciales ;
- débouté la société Aquilia pour ses demandes d'indemnités au titre de la perte sur stock ;
- débouté la société Aquilia de ses demandes d'indemnité au titre de l'indemnisation pour ses investissements ;
- débouté la société Aquilia de sa demande d'indemnité pour la perte d'exploitation liée à la fermeture de l'entrepôt de Valence ;
- débouté les parties de toutes leurs autres demandes plus amples ou contraires ;
- condamné la société Leroy Merlin à verser à la société Aquilia la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Leroy Merlin aux frais et dépens, taxés et liquidés à la somme de 81.12 euros en ce qui concerne les frais de greffe.
Par déclaration du 15 décembre 2017, la société Aquilia a interjeté un appel partiel de ce jugement en ce qu'il a :
- condamné la société Leroy Merlin à verser à la société Aquilia la somme de 156.900 euros à titre de dommages et intérêts pour la rupture brutale partielle des relations commerciales ;
- débouté la société Aquilia pour ses demandes d'indemnités au titre de la perte du stock ;
- débouté la société Aquilia de ses demandes d'indemnités au titre de l'indemnisation pour ses investissements ;
- débouté la société Aquilia de sa demande d'indemnité pour la perte d'exploitation liée à la fermeture de l'entrepôt de Valence ;
- débouté les parties de toutes leurs autres demandes plus amples ou contraires.
Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 30 janvier 2020, la société Aquilia, appelante, demande à la cour de :
Vu l'article L. 442-6-I- 5° du code de commerce et 1382 du code civil,
Vu les accords commerciaux,
- déclarer recevable et bien fondé l'appel interjeté par la société Aquilia à l'encontre du jugement du Tribunal de Commerce de Lille en date du 14 Septembre 2017,
Y faisant droit,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné :
- la société Leroy Merlin à verser à la société Aquilia la somme de 159.000 euros à titre de dommages et intérêts pour la rupture partielle des relations commerciales ainsi qu'à la somme de 8.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 ainsi qu'aux entiers dépens,
- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a :
. limité le préjudice de la société Aquilia quant à la rupture abusive des relations commerciales,
. débouté la société Aquilia pour ses demandes d'indemnités au titre de la perte sur stock,
. débouté la société Aquilia de ses demandes d'indemnité au titre de l'indemnisation pour ses investissements,
. débouté la société Aquilia de sa demande d'indemnité pour la perte d'exploitation liée à la fermeture de l'entrepôt de valence,
. débouté les parties de toutes leurs autres demandes plus amples ou contraire.
En conséquence,
A titre principal,
- condamner la société Leroy Merlin à payer à la société Aquilia, la somme de 528. 433 euros, en réparation de son préjudice pour absence de préavis, établi à un préavis de 13 mois,
- condamner la société Leroy Merlin à payer à la société Aquilia, la somme de 467 .547 euros en réparation des préjudices complémentaires,
A titre subsidiaire,
- condamner la société Leroy Merlin à payer à la société Aquilia, la somme de 1.056.866 euros en réparation de son préjudice pour absence de préavis, établi à un préavis de 26 mois
Sur l'appel incident de la société Leroy Merlin,
- débouter la société Leroy Merlin de son appel incident,
- débouter la société Leroy Merlin de l'intégralité de ses demandes fins et conclusions,
En tout état de cause,
- condamner la société Leroy Merlin au paiement d'une somme de 25.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 18 février 2020, la société Leroy Merlin France, intimée, demande à la cour de :
Vu les dispositions de l'ancien article L. 442-6 I 5° du code de commerce,
Vu les dispositions de l'article L. 110-4 du code de commerce,
Vu les articles 9 et 1315 du code civil,
Vu la jurisprudence,
Vu les pièces justificatives,
- déclarer recevable et bien fondée la société Leroy Merlin en son appel incident,
En conséquence,
- réformer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Lille Métropole le 14 septembre 2017 en ce qu'il a considéré que la société Leroy Merlin France avait rompu brutalement et partiellement les relations commerciales entretenues avec la société Aquilia et l'a condamnée à lui payer la somme de 156.900 euros outre 8.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Lille Métropole le 14 septembre 2017 pour le surplus en ce qu'il a débouté la société Aquilia de ses autres demandes indemnitaires non justifiées,
Statuant à nouveau,
A titre liminaire,
- dire et juger que la société Aquilia est prescrite en ses demandes, fins et conclusions relatives aux relations commerciales entre les parties de l'année 2010,
En conséquence,
- la débouter de ses demandes, fins et conclusions pour l'année 2010,
A titre principal,
- dire et juger qu'il n'y a eu aucune rupture brutale, imprévisible, soudaine et violente entre 2010 et 2015,
- dire et juger qu'aucune rupture partielle des relations commerciales n'est imputable à la société Leroy Merlin France de 2010 à 2015,
En conséquence,
- dire et juger les demandes de la société Aquilia irrecevables et mal fondées sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce,
- débouter la société Aquilia de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
A titre subsidiaire,
Si par extraordinaire la cour confirmait le jugement entrepris en tout ou partie ou imputait en tout ou partie une rupture partielle des relations commerciales qualifiée de brutale à la société Leroy Merlin France,
A titre liminaire,
- dire et juger que les demandes au titre de l'année 2010 sont prescrites,
En conséquence,
- débouter la société Aquilia des demandes formulées à ce titre,
A titre principal,
- débouter la société Aquilia de sa demande de réparation à hauteur de la somme de 503.715 euros au titre de 13 mois de préavis,
En toute hypothèse,
- dire et juger que la société Aquilia ne justifie pas de la réalité d'un préjudice,
A titre subsidiaire,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu un délai de préavis de 6 mois,
En revanche,
- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné à la société Leroy Merlin FRANCE au paiement de la somme de 156.900 euros,
Statuant à nouveau,
- dire et juger que la perte de marge brute de la société Aquilia n'est pas supérieure à la somme de 40.638 euros,
En toute hypothèse,
- dire et juger que la société Aquilia ne justifie d'aucune de ses demandes additionnelles,
- débouter en conséquence la société Aquilia de ses demandes au titre de la perte de stocks, d'investissements et de perte d'exploitation,
- débouter la société Aquilia de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
Sur les demandes subsidiaires de la société Aquilia,
- dire et juger que la société Aquilia n'apporte aucun élément justificatif, ni en droit, ni en fait, au titre de sa demande d'augmentation ou de doublement du délai de préavis,
- dire et juger la société Aquilia irrecevable et mal fondée en ses demandes,
En conséquence,
- débouter la société Aquilia de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions au titre d'augmentation ou de doublement du délai de préavis,
- débouter la société Aquilia de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de ses plus amples demandes, fins et conclusions,
En toute hypothèse,
- condamner la société Aquilia à payer à la société Leroy Merlin France la somme de 40.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Aquilia aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel, dont distraction pour ceux d'appel au profit de la SELARL BDL Avocats en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 27 février 2020.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la prescription pour les demandes au titre de l'année 2010
La société Aquilia allègue qu'elle ne peut connaître l'étendue de son chiffre d'affaires annuel, avec la société Leroy Merlin, et donc la chute de son chiffre d'affaires qu'en fin d'année, que les contrats avec la société Leroy Merlin fonctionnent du 1er janvier au 31 décembre, que les relations entre les parties se nouent par le renouvellement de contrats d'approvisionnement annuels et en aucun cas par contrats mensuels.
La société Leroy Merlin répond que la prescription en matière délictuelle est de 5 ans et commence à courir à compter de la naissance de l'obligation, que l'assignation ayant été délivrée le 23 décembre 2015, les demandes au titre de l'année 2010 sont prescrites,
L'article L. 110-4 du code de commerce dispose que les actions en matière commerciale se prescrivent par cinq ans.
L'article 2224 du code civil énonce que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ».
En l'espèce, la société Aquilia ne pouvait connaître son préjudice qu'à compter de la rupture brutale des relations commerciales et non à compter de l'obligation née du contrat.
La première diminution du chiffre d'affaires ayant eu lieu au cours de l'année 2011, la société Leroy Merlin a pu en prendre connaissance globalement à la fin de l'année 2011. En conséquence, en assignant la société Leroy Merlin le 23 décembre 2015, l'action de la société Aquilia n'est pas prescrite en ce qu'un délai de cinq ans ne s'était pas écoulé entre le 1er janvier 2012 et le 23 décembre 2015.
Sur la rupture brutale partielle des relations commerciales
La société Aquilia, appelante, fait valoir :
- L'existence des relations commerciales stables et de confiance entre les parties de 2002 à 2011 ;
- De gros investissements effectués par la société Aquilia pour la société Leroy Merlin qui est sa plus gros cliente, représentant 54 % de son CA ;
- L'existence des cahiers de tendance de la société Leroy Merlin imposés à la société Acquilia pour diriger la création ;
- La fabrication exclusive de papier peint avec dessins pour la société Leroy Merlin ;
- Un circuit logistique court des produits sur un point de livraison (plateforme) de 2002 à 2011 ;
- La livraison directe point de vente (magasins) à la demande pressante de la société Leroy Merlin ;
- L'augmentation du prix de revient (le coût du stock pesant sur le fournisseur désormais) et l'obligation d'investissement ;
- L'absence de courrier de rupture de relations commerciales ;
- La baisse significative de CA (de 32 % en 2011, de 23 % en 2012, et de 32 % en 2013) ;
- Les relations entre les parties nouées par le renouvellement de contrats d'approvisionnement annuels, non pas par contrats mensuels ;
- L'absence d'appels d'offres de la société Leroy Merlin pour 2012, 2013 et 2014, avant 2015 ;
- L'absence de notification sur le fait que la société Leroy Merlin ait été obligée de rompre ses relations commerciales au regard de l'état du marché, (une chute de son CA) ;
- L'absence de communication de ses bilans en raison du secret des affaires ;
- L'augmentation progressive du chiffre d'affaires et de la part de marché de la société Leroy Merlin ;
- L'absence du moindre reproche de la société Leroy Merlin sur la qualité des produits de la société Aquilia ;
- La fausse allégation de la société Leroy Merlin sur une décision unilatérale de la société Aquilia d'imposer un retour à une livraison plateforme ;
- La nécessité d'un préavis doublé de 26 mois au regard des relations et d'une partie réalisée sous marque de distributeur (MDD) et des importants investissements.
La société Leroy Merlin, intimée allègue :
- Le caractère insuffisant de la baisse du chiffre d'affaires pour caractériser une rupture brutale des relations commerciales établies ;
- Un marché constamment en baisse ;
- Le marché du papier peint en déconfiture depuis les années 90 ;
- La perte des parts de marchés de papier peint par la grande distribution depuis 2010 ;
- La non-imputabilité d'une faute à la société Leroy Merlin, du fait de la baisse de son chiffre d'affaires ;
- L'obligation de conclure une convention unique ou un contrat cadre au sens de l'article L. 441-7 du code de commerce ;
- La conclusion entre les parties, chaque année, de l'accord commercial et du plan d'affaires, du contrat de modalités logistiques, et du contrat de service après-vente ;
- L'autonomie prévue des magasins qui sont libres de choisir tout ou partie de la gamme de produits proposée et sélectionnée par la centrale Leroy Merlin ;
- Le choix des motifs de papier peint laissé au fournisseur, même avec les cahiers de tendance ;
- L'absence d'engagement sur un volume et sur un minimum de chiffre d'affaires par la société Leroy Merlin ;
- Une notification d'appel d'offres adressée à la société Aquilia, le 26 février 2011 ;
- L'absence de réponse de la société Aquilia ;
- Une notification de cessation de toute livraison directe des marchandises en magasins adressée par la société Aquilia à la société Leroy Merlin, le 21 avril 2012 ;
- L'absence d'exclusivité et de preuve sur la dépendance économique ;
- L'inexistence de référence au chiffre d'affaires global réalisé par Aquilia dans l'attestation comptable datée du 10 décembre 2015, sauf pour l'année 2010 ;
- L'application de l'accord interprofessionnel FMB/INOHA (anciennement UNIBAL), conformément aux stipulations prévues à l'accord commercial signé entre les parties ;
- Le critère expressément visé par l'ancien article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;
- Le défaut de justification dans la demande de préavis de 13 mois ;
- L'ancienneté des relations commerciales de 4 ans avant la prétendue rupture partielle en 2012
L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur.
La relation commerciale, pour être établie au sens de ces dispositions, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.
Le texte précité vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou l'insuffisance de préavis.
Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné [...]. Les principaux critères à prendre en compte sont l'ancienneté des relations, le volume d'affaires et la progression du chiffre d'affaires, les investissements spécifiques effectués, les relations d'exclusivité, la spécificité des produits et la dépendance économique.
La société Aquilia allègue que ses relations avec la société Leroy Merlin France ont débuté en 2002. Si la société Aquilia justifie d'une première facturation adressée à la société Leroy Merlin le 10 octobre 2002 d'un montant de 95.206,29 euros, elle ne verse aucune pièce pour l'année 2003. Elle démontre l'existence d'un flux d'affaires régulier à compter de 2004 en fournissant un récapitulatif de son chiffre d'affaires de 2004 à 2014 (pièce 3).
Elle justifie de son chiffre d'affaires réalisé avec la société Leroy Merlin France depuis 2009 au terme d'une attestation du 10 décembre 2015 de son expert-comptable.
Son chiffre d'affaires a été le suivant :
- 2009 : 1.846.749 euros,
- 2010 : 1.659.297 euros,
- 2011 : 1.129.930 euros,
- 2012 : 870.943 euros,
- 2013 : 590.729 euros,
- 2014 : 524.136 euros,
- 2015 : 555.172 euros.
La société Aquilia démontre l'existence de relations commerciales établies avec la société Leroy Merlin France depuis 2004.
La société Leroy Merlin France explique la diminution du chiffre d'affaires de la société Aquilia à compter de l'année 2011, par un désintérêt des consommateurs pour le papier peint et à un recours à l'appel d'offres.
Les rapports, études versés aux débats établissent que la vente de papier peint est fluctuante selon les années et sujette aux phénomènes de mode.
La société Leroy Merlin communique ses chiffres de vente dans ce secteur. Elle a perdu en termes de chiffre d'affaires 1,2 % en 2011 et a gagné 2,3 % en 2012 mais a reperdu 1,4 % en 2013 puis plus de 4 % chaque année en 2014, 2015 et 2016 ce qui n'est pas significatif de difficultés dans cette activité pour la période durant laquelle la rupture est intervenue soit à compter de la fin de l'année 2011.
La société Leroy Merlin ne justifie pas, contrairement à ce qu'elle soutient, avoir adressé le 28 février 2011 à la société Aquilia un appel d'offres pour l'année 2012.
Le courriel suivant que lui a adressé la société Aquilia le 18 avril 2011 :
« Avez-vous des nouvelles concernant votre appel d'offres en cours/nous vous avons tout envoyé depuis 3 semaines déjà : je vous remercie de nous tenir au courant. » correspond à la demande présentée à la société Leroy Merlin d'effectuer ses choix de papier peint dans la liste des produits référencés pour l'année 2012.
Un appel d'offres est une procédure par laquelle un responsable de marché choisit parmi plusieurs offres proposées, celle qui est la plus avantageuse selon les critères qu'il a préalablement établis et communiqués.
Il appartient à la société Leroy Merlin de rapporter la preuve de l'existence d'appels d'offres, procédure qui répond à un formalisme strict et force est de constater qu'elle ne verse aucune pièce probante à l'appui de son allégation.
La société Aquilia a notifié à la société Leroy Merlin par mail du 21 avril 2012 qu'elle cessait toute livraison directe des marchandises en magasins et souhaitait une livraison en entrepôt logistique ce qui a été acté dans un avenant à l'accord commercial 2012, le changement de circuit logistique étant effectif au 1er septembre 2012.
Cet avenant est relatif à la réorganisation des conditions de logistique et de livraison mais n'aborde pas le flux d'affaires entre les parties. La société Aquilia a sollicité cette modification suite à la perte de chiffre d'affaires qu'elle a subie comme elle le mentionne dans son courriel. Si comme la société Leroy Merlin France l'indique, elle n'a pu conserver que des références de produits à fortes rotations pour pouvoir rester concurrentielle sur les prix vis-à-vis des magasins, cette modification n'a pas entrainé une amélioration de chiffre d'affaires de la société Aquilia contrairement à ce qui était escompté.
La société Aquilia précise que la livraison directe magasin ne peut se concevoir qu'en contrepartie d'un volume important, sinon ses coûts logistiques explosent. Il y a lieu de souligner que la modification est intervenue suite à la diminution du chiffre d'affaires de la société Aquilia qui ne pouvait plus assurer à la société Leroy Merlin les mêmes conditions de logistique qu'antérieurement en raison de l'effondrement de son flux d'affaires et qu'il s'agit donc d'une conséquence de celui-ci et non de la cause.
La société Leroy Merlin expose que les produits de la société Aquilia sont des produits « premier prix » de faible qualité et que le consommateur s'oriente vers des produits de gamme supérieure ce qui l'a contrainte à réorienter son offre. Cependant, la société Aquilia, est spécialisée dans la fabrication de papier peint et de ce fait offre une large gamme de produits et la société Leroy Merlin qui n'est pas une enseigne discount dans le segment qu'elle occupe ne peut soutenir de manière pertinente et sans analyse comptable que la moitié du chiffre d'affaires entre les parties soit environ 800.000 euros portait sur des produits de bas de gamme.
Le 21 décembre 2011 et le 31 janvier 2012, la société Aquilia a adressé des courriers à la société Leroy Merlin pour obtenir des explications sur la baisse de son chiffre d'affaires avec sa cocontractante. La rupture brutale partielle est intervenue en 2011 puis 2012, la société Aquilia perdant en deux ans la moitié de son chiffre d'affaires.
Pour autant, la société Leroy Merlin n'a pas donné d'explication à la société Aquilia ni ne lui a consenti de préavis pour réorganiser son activité malgré la diminution significative du chiffre d'affaires.
Le chiffre d'affaires qui était en 2010 de 1.624.031 euros puis en 2011 de 1.129.930 euros s'est élevé en 2012 à 825.638 euros puis en 2013 à 596.578 euros pour ensuite se stabiliser. La rupture brutale partielle doit être constatée sur les années 2011 et 2012.
La société Aquilia produit aux débats une expertise qu'elle a fait établir par Monsieur X, expert-comptable et qui indique que la part que représente la société Leroy Merlin dans le chiffre d'affaires de la société Aquilia, était de 54 % en 2009, de 47 % en 2010, de 40 % en 2011 et de 30 % en 2012.
Si la société Aquilia exerce environ la moitié de son activité avec la société Leroy Merlin, ce pourcentage ne permet pas de retenir un état de dépendance, cette dernière n'ayant exigé aucune exclusivité relationnelle de la part de sa cocontractante.
Contrairement à ce qu'a retenu le tribunal de commerce, il y a lieu de prendre en compte la durée intégrale de la relation commerciale démontrée soit de 2004 à 2011, et non à compter des années les plus favorables en termes de chiffres d'affaires.
La société Leroy Merlin sollicite l'application de l'accord commercial interprofessionnel qui prévoit des durées de préavis en fonction du pourcentage de déférencement et de la durée des relations commerciales. Cependant, cet accord commercial 2015 signé entre les parties n'était pas applicable lorsque la rupture partielle est intervenue.
La chute du chiffre d'affaires ayant eu lieu à l'issue de huit ans de relations commerciales, la société Aquilia aurait dû bénéficier d'un préavis de cinq mois.
La société Aquilia invoque la fourniture de produits sous marque de distributeur pour obtenir un doublement du délai de préavis.
Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis doit être du double de celle qui serait applicable si le produit n'est pas fourni sous cette marque en application de l'article L. 442-6-I 5° du code de commerce ; un produit est considéré comme vendu sous marque de distributeur lorsque ses caractéristiques ont été définies par l'entreprise ou le groupe d'entreprise qui en assure la vente au détail et qui est propriétaire de la marque sous laquelle il est vendu ».
La société Aquilia justifie de la diffusion par la société Leroy Merlin d'un cahier de tendances 2011 précisant trois types de contraintes à respecter et indiquant que le prix proposé doit être valable 12 mois et les produits disponibles à partir du 01/10/2010, durant 12 mois minimum pour le fonds de collection ; il y est indiqué que les produits présentés seront au nombre maximum de 25, dont au moins trois dans chaque tendance de fond, et seront destinés en exclusivité à la société Leroy Merlin et exploitables sous sa marque propre ; ils devront se coordonner strictement au nuancier pantone couleurs Inspire et 80 % des offres seront en intissé. Un nuancier de couleurs est joint au cahier de tendances 2011. Il est strictement interdit de reproduire les modèles des produits de ces tendances.
Ce cadre strict de fabrication de produits destinés à être commercialisés sous marque de distributeur doit être analysé comme un cahier des charges à respecter par la société Aquilia.
Le préavis d'une durée de cinq mois doit en conséquence faire l'objet d'un doublement soit 10 mois.
Au vu des éléments comptables produits par la société Aquilia, sa marge brute sera fixée à 36 %.
Pour calculer le préjudice subi par la société Aquilia, seront pris en compte les chiffres d'affaires exposés dans le rapport d'expertise de M. X.
S'agissant d'une rupture brutale partielle, pour fixer la perte de gains de la société Aquilia, la marge brute sera appliquée sur la différence entre le chiffre d'affaires moyen réalisé entre 2009 et 2011 soit 1.516.136 euros et le chiffre d'affaires réalisé durant les années 2012 à 2014 soit 644.467 euros ce qui donne une indemnité de :
(1.535.010 euros - 648.717euros) = 886.293 euros X 36 % /12 mois X10 mois (durée du préavis) = 265.887euros.
Le jugement sera infirmé sur le montant de l'indemnité allouée à la société Aquilia au titre de la rupture brutale partielle des relations commerciales établies.
Sur les préjudices complémentaires
Sur la perte de stock
La société Aquilia fait valoir qu'elle a alerté la société Leroy Merlin que suite à la chute de son chiffre d'affaires, il lui restait un stock invendu pour un montant de 250.000 euros, le préjudice réel s'élevant à 234.810 euros, le stock ayant été vendu à un soldeur dont il est produit le justificatif.
La société Leroy Merlin réplique que la gestion des stocks relève de la responsabilité de l'entreprise et donc d'une décision interne dont elle ne saurait être tenue responsable, en ce qu'elle ne garantit aucun minimum de commandes. Elle ajoute que la société Aquilia ne verse pas de preuve probante à l'appui de sa demande.
Aux termes de l'expertise produite par la société Aquilia, l'expert-comptable a évalué à la somme de 234.810 euros un stock d'invendus destinés à la société Leroy Merlin.
Cependant, la société Leroy Merlin n'a pas imposé un volume d'achat de papier peint. Il n'est pas justifié que celle-ci a ait renoncé à une commande qu'elle avait passée. La société Aquilia n'explique pas pour quel motif il lui reste un stock de rouleaux de papier peint ; il y a donc lieu de constater qu'elle a anticipé des commandes à venir comptant sur un flux d'affaires similaire à celui des mois précédents. Les relations étant fondées sur la base des commandes passées, la société Leroy Merlin ne peut être déclarée responsable de ce stock invendu.
Le jugement sera confirmé en ce que le tribunal a débouté la société Aquilia de sa demande de ce chef.
Sur la perte d'investissement et la perte logistique spéciale
La société Aquilia expose que la société Leroy Merlin a imposé un ERP spécial (Divalto), dû à la livraison directe point de vente, pour 53.487 euros, qui est justifié dans les comptes de la société et la société Leroy Merlin a également imposé son système, un fournisseur qui traduit les codes de tous les logiciels.
La société Aquilia fait valoir par ailleurs que l'objet du contrat passé de 156.070 euros et assuré par Kuenhe-Nagel est de faire une logistique sur mesure pour Leroy Merlin, induite par la livraison directe point de vente.
La société Leroy Merlin répond qu'elle n'a jamais imposé ces investissements à la société Aquilia dans le cadre de la gestion de ses livraisons qui ont été réalisées à nouveau en entrepôt dès septembre 2012.
Il y a lieu de souligner que la rupture des relations n'a pas été totale et qu'en conséquence, ces investissements n'ont pas été réalisés en vain outre le fait qu'il n'est pas démontré qu'ils sont inutilisables pour d'autres clients.
Le jugement sera confirmé en ce que le tribunal a débouté la société Aquilia de sa demande de ce chef.
Sur le blocage de la plateforme de Valence
La société Aquilia indique que la plateforme bloquée résultant d'une malfaçon a entraîné 50.953 euros de préjudice propre, limité à la seule perte d'exploitation et que ce poste aurait pu être immédiatement réparé si la société Leroy Merlin avait activé son assurance ou donné le rapport d'expertise sur l'incident plateforme afin que l'assureur d'Aquilia puisse indemniser le préjudice subi.
La société Leroy Merlin soutient que la plateforme de Valence a effectivement été contrainte de fermer, en décembre 2012, en raison d'un péril imminent pour les salariés consécutif à un problème au niveau de la structure de la plateforme, qu'il s'agit donc d'un cas de force majeure qui ne lui est pas imputable.
La société Aquilia verse aux débats des courriels échangés entre elle-même et sa compagnie d'assurances relatifs à l'ouverture d'un dossier sinistre suite au blocage de cette plate-forme logistique.
Le préjudice invoqué est totalement extérieur à la rupture des relations commerciales entre la société Leroy Merlin et la société Aquilia en ce qu'il est relatif à un litige né à la suite d'un sinistre et pour lequel les compagnies d'assurances des intéressées sont intervenues. En l'absence de lien de causalité entre ce préjudice accessoire invoqué et la rupture brutale partielle des relations commerciales établies, le jugement sera confirmé en ce que le tribunal a débouté la société Aquilia de sa demande de ce chef.
Sur les demandes accessoires
La condamnation de la société Leroy Merlin aux dépens et au titre des frais irrépétibles de première instance sera confirmée et la société Leroy Merlin versera à la société Aquilia une somme supplémentaire de 15.000 euros pour ses frais irrépétibles d'appel et assumera les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement et contradictoirement,
DÉCLARE non prescrites les demandes de la société Aquilia,
CONFIRME le jugement sauf sur le montant de l'indemnité allouée à la société Aquilia au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies,
Statuant à nouveau du chef infirmé,
DIT que la société Aquilia aurait dû bénéficier d'un préavis de dix mois,
CONDAMNE la société Leroy Merlin à verser à la société Aquilia la somme de 265.887 euros en réparation du préjudice subi suite à la rupture brutale partielle des relations commerciales établies,
CONDAMNE la société Leroy Merlin à payer à la société Aquilia la somme de
15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
REJETTE toute autre demande,
CONDAMNE la société Leroy Merlin aux dépens de la procédure d'appel.