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Décisions

Cass. com., 16 décembre 2020, n° 18-20.548

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Cap Recouvrement (SARL)

Défendeur :

Pathologie Nord-Unilabs (Selarl)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Darbois

Rapporteur :

M. Mollard

Avocat général :

Mme Beaudonnet

Avocats :

SCP Foussard et Froger, SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel

Douai, 1re ch. sect. 1, du 22 févr. 2018

22 février 2018

Faits et procédure  

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 22 février 2018), la SCP Leduc et associés, aux droits de laquelle est venue la société d'exercice libéral par actions simplifiée Pathologie Nord-Unilabs, et la société Cap plus, aux droits de laquelle est venue la société Cap recouvrement, spécialisée dans le recouvrement de créances, ont conclu le 8 juin 1993 un contrat de prestation de services de recouvrement pour une durée d’un an renouvelable par tacite reconduction, sauf dénonciation par l’une ou l’autre des parties par lettre recommandée avec accusé de réception respectant un préavis de deux mois. Le 3 juillet 2013, un nouveau contrat, comportant les mêmes modalités de résiliation, a été conclu pour tenir compte de changements intervenus s’agissant de la société Pathologie Nord-Unilabs.

2. Reprochant à la société Pathologie Nord-Unilabs d’avoir brutalement cessé de lui transmettre de nouveaux dossiers à compter du 8 décembre 2015, la société Cap recouvrement l’a assignée afin d’obtenir, sur le fondement de l’article 1382, devenu 1240, du code civil, l’indemnisation du préjudice qu’elle estimait avoir subi du fait de la rupture brutale des relations d’affaires qu’elles entretenaient depuis vingt-deux ans.  

Sur le premier moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

3. La société Cap recouvrement fait grief à l’arrêt de la débouter de ses demandes formulées sur le fondement délictuel, alors :

« 1°) que la rupture brutale d’une relation d’affaires établie est sanctionnée, dès lors que les dispositions de l’article L. 442-6 du code de commerce ne sont pas applicables, sur le fondement délictuel, peu important que la relation d’affaires ait donné lieu à la conclusion d’un contrat et que la rupture de la relation d’affaires soit concomitante à la rupture de ce dernier ; qu’en décidant toutefois que la responsabilité de la société Pathologie Nord-Unilabs ne pouvait être recherchée sur le fondement délictuel, dès lors que les parties étaient liées par un contrat à la date de la rupture litigieuse de leurs relations, les juges du fond ont violé l’article 1382, devenu 1240, du code civil ;

2°) que le préjudice résultant de la rupture brutale d’une relation d’affaires établie est indépendant de l’éventuelle méconnaissance des stipulations gouvernant la rupture du contrat la matérialisant ; que, par suite, dès lors que les dispositions de l’article L. 442-6 du code de commerce ne sont pas applicables, sa réparation doit être recherchée sur le fondement délictuel ; qu’en décidant toutefois que la responsabilité de la société Pathologie Nord-Unilabs ne pouvait être recherchée sur le fondement délictuel, pour débouter la société Cap recouvrement de sa demande principale, les juges du fond ont violé l’article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour  

4. Après avoir relevé qu’à la date de la rupture litigieuse de leurs relations, les parties étaient liées par un contrat et que la société Cap recouvrement, estimant que les dispositions de l’article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce n’étaient pas applicables à la rupture de la relation établie qu’elle entretenait avec la société Pathologie Nord-Unilabs en raison de la forme civile de cette dernière, avait fondé son action sur l’article 1382, devenu 1240, du code civil, l’arrêt retient à bon droit que la réparation du préjudice susceptible de résulter de cette rupture ne peut être demandée que sur le fondement des règles de la responsabilité contractuelle.

5. Le moyen n’est donc pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches, du pourvoi incident

Enoncé du moyen

6. La société Pathologie Nord-Unilabs fait grief à l’arrêt de juger qu’elle a manqué à ses obligations contractuelles à l’égard de la société Cap recouvrement et de la condamner à lui payer une certaine somme en réparation de son préjudice moral, alors :

« 1°) que la gravité des manquements du cocontractant peut justifier la rupture du contrat sans préavis ; qu’en l’espèce, dans ses conclusions d’appel, la société Pathologie Nord-Unilabs faisait valoir que la société Cap recouvrement employait des méthodes douteuses dans le cadre du recouvrement de créances, et qu’elle facturait illégalement des frais de recouvrement, ce qui créait pour l’exposante un important risque pénal et financier ainsi qu’un préjudice à son image ; qu’elle exposait avoir été, à ce titre, auditionnée par la DGCCRF ; que dès lors, en se bornant à énoncer que “l’existence d’un litige avec la société Cap recouvrement portant sur la possibilité de demander des frais de recouvrement dans la phase amiable, dont fait état la société Pathologies Nord-Unilabs ne l’autorisait pas à s’affranchir des stipulations contractuelles pour rompre leurs relations”, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les graves manquements reprochés à la société Cap recouvrement, susvisés, ne justifiaient pas la rupture intervenue sans préavis, sans qu’aucune faute ne puisse être reprochée à la société Pathologie Nord-Unilabs sur ce point, la cour d’appel a violé l’article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable au litige ;

2°) qu’il appartient au juge de trancher le litige qui lui est soumis ; que, dès lors, en jugeant qu’elle n’avait “pas à connaître” du litige opposant les parties relatif aux fautes imputées à la société Cap recouvrement et en refusant pour cette raison de rechercher si les graves manquements de la société Cap recouvrement ne justifiaient pas la cessation des relations contractuelles intervenue sans préavis, la cour d’appel a violé l’article 4 du code civil ;

3°) qu’en outre, en se bornant à affirmer que “l’existence d’un litige avec la société Cap recouvrement portant sur la possibilité de demander des frais de recouvrement dans la phase amiable, dont fait état la société Pathologie Nord-Unilabs, ne l’autorisait pas à s’affranchir des stipulations contractuelles pour rompre leurs relations”, sans autrement justifier sa décision sur ce point, la cour d’appel, qui n’a statué que par une apparence de motivation, a violé l’article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016, l'article 4 du même code et l'article 455 du code de procédure civile :

7. Selon le premier de ces textes, la gravité du comportement d'une partie à un contrat peut justifier que l'autre partie y mette fin sans préavis. Les deux suivants imposent au juge de trancher le litige qui lui est soumis et de motiver sa décision.

8. Pour condamner la société Pathologie Nord-Unilabs à payer une certaine somme à la société Cap recouvrement en réparation de son préjudice moral, la cour d'appel, après avoir relevé que la première avait rompu des relations anciennes entretenues avec la seconde, sans même respecter le préavis contractuellement prévu, a retenu qu’elle n’avait pas à connaître du litige dont faisait état la société Pathologie Nord-Unilabs, relatif à la possibilité pour la société Cap recouvrement de demander des frais de recouvrement dans la phase amiable, et qu’en tout état de cause, ce litige n’autorisait pas la société Pathologie Nord-Unilabs à s’affranchir des stipulations contractuelles pour rompre le contrat.

9. En statuant ainsi, par une apparence de motivation et alors que les conclusions de la société Pathologie Nord-Unilabs l’invitaient à rechercher si les manquements reprochés à la société Cap recouvrement étaient établis et suffisamment graves pour justifier qu’elle ait mis un terme au contrat sans préavis, la cour d’appel a violé les textes susvisés.  

Portée et conséquences de la cassation

10. La cour d’appel ayant condamné la société Pathologie Nord-Unilabs au titre de sa responsabilité contractuelle, la cassation n’atteint pas le chef du dispositif déboutant les parties de leurs autres demandes, en ce compris la demande principale de la société Cap recouvrement en paiement de dommages-intérêts fondée sur l’article 382, devenu 1240, du code civil.  

 PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des pourvois principal et incident, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Pathologie Nord-Unilabs, sur le fondement de sa responsabilité contractuelle, à payer à la société Cap recouvrement la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral, l'arrêt rendu le 22 février 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai, autrement composée.