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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 18 décembre 2020, n° 18/04446

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Société d'exploitation de l'entreprise de travaux publics et canalisations (SAS)

Défendeur :

GRT Gaz (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ardisson

Conseillers :

Mme Sentucq, Mme Paulmier-Cayol

T. com. Bordeaux, du 26 janv. 2018

26 janvier 2018

FAITS ET PROCÉDURE

La société d'exploitation de l'entreprise de travaux publics et canalisations (ETPC) qui avait pour activité comme le mentionne son extrait K bis le « transport de gaz par conduite » avait réalisé plusieurs chantiers pour le compte de la société GRT Gaz jusqu'à son placement en redressement judiciaire par un jugement du 9 octobre 2012 converti en liquidation judiciaire le 19 février 2013 ; par acte d'huissier du 18 mars 2016, son liquidateur judiciaire a attrait la société GRT Gaz devant le tribunal de commerce de Toulouse afin d'obtenir une indemnisation pour le motif tiré d'une rupture brutale de le relation commerciale établie sur le fondement de l'article 442-6 ancien du code de commerce ainsi que sur le fondement du droit commun des contrats ; après un jugement d'incompétence au profit du tribunal de commerce de Bordeaux, ce tribunal par un jugement du 26 janvier 2018 a débouté la société GRT Gaz de sa demande de mesure d'instruction et a débouté la SELARL X prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société ETPC de l'intégralité de ses demandes, la condamnant à une indemnité de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Le 27 février 2018, le liquidateur judiciaire de la société ETPC et la société liquidée relevaient appel de ce jugement.

Aux termes de leurs derniers écritures remises le 6 mai 2020, les appelantes demandent à la cour au visa de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, et des articles 1103 et 1104 (Ancien 1134), 1231-1 et 1231-2 du Code civil (1147 anciens) de :

REFORMER en toutes ses dispositions le jugement rendu le 26 janvier 2018 par le Tribunal de commerce de Bordeaux ;

DIRE et JUGER l'existence d'une relation commerciale établie entre les sociétés GRT Gaz et EETPC ;

DIRE et JUGER que la brutalité avec laquelle la société GRT Gaz a rompu cette relation, sans préavis ni autre forme, est constitutive d'une faute engageant sa responsabilité ;

DIRE et JUGER la société GRT Gaz responsable des préjudices causés à la société ETPC en termes de perte de marge brute, ayant conduit à sa déclaration de cessation des paiements ;

CONDAMNER en conséquence la société GRT Gaz à payer à la société ETPC la somme de 3 012 290 € à titre de dommages et intérêts, soit la perte de marge brute que la société ETPC pouvait légitimement espérer durant les deux années de préavis dont elle aurait dû bénéficier, Assortie des intérêts légaux ayant couru à compter de la mise en demeure de ETPC à GRT Gaz du 30.10.2012 ;

CONSTATER que la société GRT Gaz, attribuant moins de 20 % des chantiers promis à la société ETPC, a inexécuté les obligations qui lui incombaient au titre du contrat cadre CTN-09-S1-02 ;

CONDAMNER en conséquence la société GRT Gaz au paiement de la somme de 232 824,00 € à la société ETPC, à titre de dommages et intérêts,

Assortie des intérêts légaux ayant couru à compter de la mise en demeure ETPC à GRT Gaz du 30.10.2012 ;

CONDAMNER la société GRT Gaz société à payer à la requérante la somme de 10 000,00€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ceux le concernant au profit de Maître Y, Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières écritures remises le 9 mai 2020, la société GRT Gaz demande à la cour au visa de l'article L. 442-6, I-5° du Code de commerce, et des articles 1134, 1147 et 1149 du Code civil, dans leur rédaction applicable au présent différend de :

CONFIRMER le jugement rendu le 26 janvier 2018 par le Tribunal de commerce de Bordeaux en ce qu'il a débouté la Selarl X, es-qualité de liquidateur de société ETPC, de toutes ses demandes ;

En conséquence,

DEBOUTER la société ETPC et son liquidateur, la Selarl X, de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

A titre incident,

INFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société GRT Gaz de sa demande tendant à obtenir la production de documents par société ETPC et son liquidateur, la Selarl X ;

FAIRE INJONCTION à la société société ETPC et à son liquidateur, la Selarl X, de produire, au titre des exercices 2010 à 2012, les factures de la société ETPC relatives à la sous-traitance et à location de matériel et d'outillage ;

Y ajoutant,

CONDAMNER la société société ETPC et son liquidateur, la Selarl X, à payer à GRT Gaz la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNER la société société ETPC et son liquidateur, la Selarl X, aux entiers dépens.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 14 mai 2020.

MOTIFS :

Comme l'y autorise l'article 455 du code de procédure civile, la cour se reporte aux dernières écritures susvisées des parties ainsi qu'au jugement dont appel pour l'exposé des faits et de leurs moyens.

Il sera néanmoins succinctement rappelé que suivant offres du 23 octobre 2009 et par deux actes signés les 18 janvier 2010 et 19 janvier 2010 par la société ETPC et le 5 février 2010 par la société GRT Gaz, et à effet au 1er janvier 2010, deux contrats ont été conclus entre elles deux :

- l'un portant la référence CTN-09-S1-02 concernait les chantiers à réaliser sur le lot n° 1 qui correspond à la région Ile de France,

- l'autre portant la référence CTN-09-S1-08 concernait les chantiers à réaliser sur le lot n° 4 qui correspond aux anciennes régions administratives Lorraine, Alsace, Franche-Comté, Bourgogne, outre les départements de l'Aube et de la Haute-Marne.

Aux termes de ces deux contrats, la société GRT Gaz prenait l'engagement d'attribuer à la société ETPC 20 à 40 % des chantiers afférents aux deux lots géographiques concernés, les travaux portant sur des travaux de pose de canalisations de transport de gaz en acier. Ces contrats étaient qualifiés d’ « accord cadre » et étaient conclus pour une période initiale allant du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2011; il était précisé que les prix sont fermes pour 2010 et révisables à compter du 1er janvier 2011.

Aux termes de deux avenants du 24 juin 2011, les contrats CTN-09-S1-02 et CTN-09-S1-08 étaient prorogés pour une durée d'un an.

La société ETPC s'est vue confier en parallèle des chantiers ne relevant pas de ces contrats cadres.

Le dernier chantier relevant des contrats-cadres a été attribué à la société ETPC le 22 juillet 2011 ; depuis le 21 mai 2012, elle ne s'est plus vue confier aucun chantier en application d'un contrat-cadre ou hors contrat-cadre.

La demande de désignation d'un expert formée par le liquidateur judiciaire de la société ETPC devant le président du tribunal de commerce de Nanterre au visa de l'article 145 du code de procédure civile aux fins d'évaluer les préjudices prétendument subis par cette dernière du fait de l'inexécution des contrats cadres et le lien pouvant être fait avec sa déconfiture était rejetée par une ordonnance de référé rendue le 27 mars 2014 aux motifs que certains chefs de mission présentaient manifestement un caractère d'investigation générale pas légalement admissible et susceptible de porter atteinte au secret des affaires, que le rapport de l'expert-comptable indépendant de la société ETPC versé aux débats montre des chiffres de nature à éclairer le débat que le juge du fond, s'il est saisi aura à trancher et qu'il n'existe pas de risque de dépérissement des preuves.

Sur les demandes fondées sur les dispositions de l'article L. 442-6 I 5° ancien du code de commerce.

Au soutien de sa demande, la société ETPC se prévalant de la continuité entre la société Gaz de France et la société GRT Gaz affirme avoir entretenu avec elles une relation commerciale établie remontant à l'année 1985 que la signature des contrats cadres est venue conforter. Elle invoque le caractère brutal de la rupture, faisant valoir d'une part qu'il n'est pas établi que l'ensemble des chantiers qui lui ont été confiés l'ont été à l'issue de procédures d'appel d'offres, et d'autre part que l'attribution de marchés selon une procédure d'appel d'offres n'est pas exclusive de l'application de l'article L.442-6 I 5°), précisant que le fait de ne plus la soumettre à des procédures d'appel d'offres manifeste la brutalité de la rupture. Elle réfute toute faute de sa part de nature à la priver de la juste indemnisation de la brutalité de la rupture.

Pour s'opposer à la demande, la société GRT Gaz fait valoir d'une part que la société ETPC ne démontre aucune relation commerciale avec elle antérieurement au 30 novembre 2004, date de sa création, de seconde part qu'à compter de l'année 2006, les marchés ont été confiés à la société ETPC à l'issue de procédures d'appel d'offres, excluant la notion de relation commerciale établie, de sorte qu'elle n'avait aucune obligation d'informer la société ETPC que les contrats ne seraient pas reconduits ; elle fait valoir en sus, que la société ETPC ayant manqué à ses obligations contractuelles, cette dernière ne peut se prévaloir d'aucun préavis.

L'article L.442-6 dans sa version applicable à la présente espère dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

(…)

- 5°) De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

L'extrait Kbis de la société GRT Gaz montre qu'elle a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés près du tribunal de commerce de Nanterre le 30 novembre 2004; cependant, la création de cette société est la conséquence de la déréglementation du marché du gaz à l'instar de celui de l'électricité en application des directives européenne qui a entraîné la scission de la société Gaz de France en plusieurs entités, avec une séparation notamment de la gestion des réseaux de transport désormais assumés par la société GRT Gaz de la gestion des réseaux de distribution incombant à la société GRDF.

De plus, devant le tribunal de commerce de Nanterre, la société GRT Gaz se présentait dans ses propres écritures comme « anciennement dénommée Gaz de France ». Elle produit elle-même une pièce (n° 18) portant comme intitulé « avis d'attribution de marché » afin de démontrer que les contrats passés avec la société ETPC l'avaient été à l'issue d'une procédure d'appel d'offres, indiquant que l'entité adjudicatrice est « Gaz de France ». Enfin le courrier du 9 juillet 2009 par lequel a été adressé à la société ETPC le dossier de consultation des contrats cadres est à entête GDF Suez.

Ces éléments convainquent que la société GRT Gaz s'inscrit dans la continuité de Gaz de France de sorte que la société ETPC peut utilement se prévaloir des relations tissées avec cette dernière pour établir l'ancienneté des relations contractuelles.

La société ETPC justifie à cet égard s'être vue attribuer par Gaz de France le trophée sécurité 2005 concernant les canalisations. Elle produit un courrier de la société GRT Gaz du 27 octobre 2005 relatif à un chantier à Vidauban, une facture émise par la société GRT Gaz le 19 décembre 2006 relative à un chantier à Guimiliau-Plouvorn ; ses pièces comptables relatives aux exercices 2007, 2008, 2009 comprennent de nombreuses écritures avec GRT Gaz traduisant les flux financiers existant entre les deux sociétés. Le dossier de présentation adressé le 17 janvier 2012 à la société GRT Gaz (pièces 43 et 44 de la société ETPC) listait les principaux chantiers concernant la pose de gazoducs qui ont été confiés à la société ETPC entre 2002 et 2011 en fournissant des données précises quant aux lieux, la longueur en mètres linéaires et la maîtrise d'œuvre, document auquel la société GRT Gaz n'a apporté aucun démenti.

Ces éléments réunis démontrent l'existence d'une relation commerciale établie entre la société ETPC d'une part et Gaz de France puis à sa suite la société GRT Gaz d'autre part depuis à tout le moins 2002, relation commerciale que sont venus conforter les contrats cadres des 18 et 19 janvier 2010 ainsi que leurs prorogations. C'est donc à raison que les premiers juges ont retenu l'existence de relation commerciale établie entre la société ETPC et la société GRT Gaz, quelque soit leur erreur sur la date d'ancienneté en ayant considéré qu'elles remontaient seulement à l'année 2006 et non pas à tout le moins à l'année 2002.

Selon le préambule fixant les modalités de fonctionnement des contrats cadres, ce système « concrétise la volonté des parties de réussir ensemble sur plusieurs années, plusieurs projets de pose de canalisations de dimension régionale. Il met en place un système de rémunération de type forfaitaire, polyvalent reposant sur des engagements réciproques et équitables ». Aux termes de l'article 2, la société ETPC prend l'engagement de réaliser, a minima, à tout moment et en simultané un certain nombre de chantiers du segment considéré […] La réalisation ''en simultané'' consiste pour le titulaire à pouvoir gérer efficacement la réalisation d'un certain nombre de chantiers en parallèle, nécessitant la mise en place de même type d'équipe au même moment mais sur des lieux différents ».

La signature de ces contrats cadres évitait le recours pendant la durée de leurs exécutions à la procédure d'appel d'offres pour chacun des marchés attribués dont les conditions étaient déjà fixées, fluidifiant ainsi la passation des marchés.

Ces contrats cadres garantissait à la société ETPC pendant leur durée et sur un secteur géographique déterminé, l'attribution par la société GRT Gaz d'une quantité minimum de marché et donc un volume de chiffre d'affaires en fonction de celui des marchés de canalisation de transport de gaz en acier sur chacun des secteurs géographiques concernés, lui permettant ainsi de se projeter au vu de la perspective assurée de ce volant de chantiers, sachant que la société GRT Gaz comme elle s'en prévalait elle-même dans ses propres écritures devant le tribunal de commerce, se targue d'exploiter le plus important réseau de transport de gaz naturel à haute pression d'Europe.

Il n'est pas contesté que le chantier Baccarat conclu le 22 juillet 2011 a été le dernier marché confié à la société ETPC en vertu des contrats cadres ; le dernier contrat consenti à cette dernière hors contrat cadre porte sur un marché qui lui a été attribué en mai 2012 à Saint-Victor d'un montant de 58 300 € qui est sans commune mesure avec les autres marchés oscillant entre 2 696 911 € pour le plus important (marché Eglegon Meymac hors contrat cadre) et 489 584 € s'agissant du contrat Baccarat.

En cause d'appel, liquidateur judiciaire de la société ETPC a produit de nombreuses pièces notamment comptables qui montrent ses flux financiers avec la société GRT Gaz afin de justifier l'existence de relations contractuelles s'y rapportant ; la société GRT Gaz qui affirme que les contrats se rapportant à ces flux financiers ont été systématiquement conclus à l'issue de procédure d'appel d'offres, n'étaye pas cette affirmation par des pièces probantes; en effet, s'il s'infère de la production par GRT Gaz d'un courrier du 27 juin 2006 par lequel elle adresse à la société ETPC un marché cadre n° 10904-01 2006, que la société ETPC préalablement aux contrats cadres des 18 et 19 janvier 2010 avait déjà conclu en 2006 à l'issue d'une procédure d'appel d'offres un contrat cadre (pièces société GRT Gaz n° 18 et 26); cela ne permet pas pour autant de déduire que les relations contractuelles entre les parties à compter de l'année 2006, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, se sont uniquement développées en vertu de contrats cadres, la conclusion pendant la durée des contrats cadres du 5 janvier 2010, de contrats hors cadre pour des montants très importants comme il sera vu ci-après montrant le recours habituel à cette pratique ; s'agissant de ces contrats hors cadre, il n'est pas démontré qu'ils étaient systématiquement conclus à l'issue de procédures d'appel d'offres.

Si les conditions des contrats cadres conclus en janvier 2010 prévoient qu'ils peuvent être renouvelés une fois pour une durée de deux ans, et que « le non-renouvellement ne donnera en aucun cas lieu à un versement d'une indemnité au titulaire de la part du client », il ne peut être déduit de ces clauses que les relations contractuelles devaient obligatoirement cesser entre les parties à l'issue de leurs renouvellements ou prorogations d'une année comme ce fut le cas en l'espèce en application des deux avenants puisque d'autres contrats cadres pouvaient naturellement être conclus sur d'autres secteurs géographiques ainsi que des contrats hors cadre.

Au vu des pièces produites par la société ETPC, les marchés qui lui ont été confiés par la société GRT Gaz lui ont permis de générer un chiffre d'affaires de 6 494 643 € sur la période s'étendant du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2012, soit 2 803 672 € relevant des contrats cadres, et 3 690 971 € hors contrats cadres.

Du fait de la dépendance économique de la société ETPC à l'égard de la société GRT Gaz, avec laquelle la première réalisait plus de 80 % de son chiffre d'affaires selon les indications fournies par son administrateur judiciaire au juge de la procédure collective, conséquence de sa spécialisation dans un domaine d'activité où le nombre de donneurs d'ordres est très réduit, la rupture de la relation commerciale établie présentait a priori un caractère brutal.

Cependant, la société ETPC page 18 de ses écritures indique que la société GRT Gaz l'avait consultée pour l'attribution des marchés de Jouy-en-Josas, Belfort Alstom et Givors ; elle produit ainsi des courriels échangés avec la société GRT Gaz en date des 15 et 25 juin et 24 juillet 2012 concernant le chantier de Jouy-en Josas montrant que les négociations étaient sur le point d'aboutir, ayant ainsi été demandé à la société ETPC de rédiger les devis, l'informant que la commande devrait partir la semaine prochaine, et lui adressant un compte-rendu d'une réunion d'enclenchement de chantier du 5 juillet 2012 ; ces pièces démontrent que la société GRT Gaz contrairement à ce qu'affirme la société ETPC ne l'a pas exclue des procédures d'appel d'offres.

Il était toutefois demandé à la société ETPC préalablement à la commande de remettre un dossier complet concernant ses sous-traitants qui devaient être acceptés par la société GRT Gaz et de remettre une copie des marchés de sous traitance et la caution bancaire du montant de chacun des marchés.

En effet, à la même période soit le 2 juillet 2012, une saisie attribution avait été effectuée sur le compte bancaire de la société GRT Gaz par la société Z, sous-traitant de la société ETPC révélant ainsi des défauts de paiement à l'égard de cette dernière légitimant la vigilance accrue par la GRT Gaz sur les sous-traitants de celle-ci.

Aussi, la société GRT Gaz par un courrier du 9 juillet 2012 mettait en demeure la société ETPC de faire agréer dix entreprises apparaissant être comme ses sous-traitants sur le chantier Baccarat. Si la société ETPC justifie une régularisation de la situation de l'un de ses sous-traitants, elle reste muette sur les neuf autres.

Par ailleurs, la société GRT Gaz recevait un avis à tiers détenteur du 10 août 2012 pour un montant de 54 758 € lui révélant que la société ETPC n'était pas à jour de ses obligations fiscales.

La société GRT Gaz écrivait le 29 août 2012 que « compte-tenu des incertitudes juridiques qui pèsent sur ETPC en attente de la décision du tribunal prévue le 10 septembre 2012, en accord avec vous, nous ne passerons pas commande à ETPC pour le chantier S1 de Jouy en Josas, comme il avait été initialement prévu » ; la société ETPC n'a pas protesté à réception de ce courrier ; elle ne fournit aucun élément pour démontrer son aptitude en moyens humains, matériels et financier à exécuter ce chantier ; notamment, elle ne justifie pas avoir adressé les documents que la société GRT Gaz lui avait réclamés concernant ses sous-traitants par son courriel du 25 juin 2012.

M. W devenu dirigeant de la société ETPC suite à l'acquisition au mois de mai 2011 par la société EBTT dont il était également le dirigeant, de la totalité des parts sociales de la société ETPC, expliquait ainsi à l'administrateur judiciaire que ces marchés ont été conclus avec GRT-Gaz « dans l'unique dessein d'obtenir un carnet de commandes fixé dans le marché cadre les unissant. Néanmoins ces marchés ont dégagé des marges négatives avec des coûts de sous-traitance très importants fragilisant d'autant la structure ».

Il s'avère que la société ETPC en contravention avec l'article 3 conditions générales d'achat applicables aux marchés de travaux, n'a pas notifié immédiatement à la société GRT Gaz les modifications ayant affecté son capital social au cours du mois de mai 2011 ; c'est seulement par un courriel du 17 en janvier 2012 à la suite d'une réunion du 12 janvier 2012 au cours de laquelle la société GRT Gaz l'avait interrogée à ce propos que sous la plume de M. A, employé comme ingénieur, conducteur de travaux et investi d'aucun mandat social, que certaines explications lui étaient enfin fournies, présentant la cession de l'entreprise sous un aspect avantageux.

Cette vision optimiste est toutefois formellement contrariée par le rapport de M. B, expert-comptable et commissaire aux comptes.

Ce professionnel du chiffre qui s'était ainsi vu confier par la société EBTT, devenue cessionnaire de l'intégralité des actions de la société ETPC, un audit sur l'acquisition de ces titres, prélude à une éventuelle action en nullité de la cession des parts sociales de cette société ; dans un rapport très argumenté, précis et étayé de 147 annexes, M. B stigmatise les différents procédés auxquels ont eu recours les cédants pour majorer de façon artificielle les actifs de la société ETPC dont notamment la présentation d'un carnet de commandes exagérément optimiste ainsi que des pratiques non autorisées pour masquer la dégradation de la trésorerie au cours du premier semestre 2011.

Si le chiffre d'affaires de la société ETPC de l'exercice clos le 31 décembre 2011 a connu une hausse significative étant passé de 2 862 230 € au tire de l'exercice précédent à 5 019 749 €, le résultat de l'exercice 2011 enregistre une perte de 1 400 000 € creusant très largement le passif de l'exercice précédent d'un montant de – 159 000 €, montrant ainsi que les marchés passés en 2010 avec GRT-Gaz pour les montants de respectifs de 1 598 536€ et 2 696 911 € ayant été exécutés pour l'essentiel au cours de l'exercice 2011 et entrant donc pour une part importante dans le chiffre d'affaires réalisé au cours de cet exercice n'ont nullement permis d'équilibrer la situation de la société ETPC mais l'ont au contraire fragilisée.

Le rapport B indique que les grands équilibres financiers n'étaient plus respectés depuis plusieurs années.

Le rapport de l'administrateur judiciaire remis au tribunal de la procédure collective indique que le dernier exercice bénéficiaire de la société ETPC remonte à l'année 2008 ; le chiffre d'affaires de 5 885 113 € avait alors permis de dégager un résultat net de 121 000 €.

L'ouverture de la procédure collective révèlera un passif de 2 394 365 €.

La situation très dégradée de la société ETPC, conséquence de sa gestion défaillante et qui s'est révélée progressivement à la société GRT Gaz par différents signes postérieurement à la cession puisque jusqu'alors la société ETPC s'était employée à la dissimuler d'une part retire ainsi à la rupture de la relation commerciale sa brutalité apparente, ne pouvant être fait grief à la société GRT Gaz de ne pas avoir confié à ce partenaire de nouveaux chantiers pour lesquels elle ne conservait plus l'assurance légitime et raisonnable qu'ils allaient pouvoir être menés à terme et d'autre part constitue la cause de sa déconfiture que n'aurait pu parer l'attribution de nouveaux chantiers qui creusaient au contraire le déficit.

Partant, pour les motifs qui précèdent qui se substituent à ceux contraires des premiers juges, le jugement est confirmé en ce qu'il a débouté la société ETPC de ses demandes sur le fondement de l'article L. 442-5 I 5° du code de commerce.

Sur les demandes fondées sur les articles 1147 et 1149 anciens du code civil.

Au regard de la date de passation des marchés tous antérieurs au 1er octobre 2016 date d'entrée en vigueur d’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, il est fait application des dispositions du code civil selon leur numérotation ayant précédé cette entrée en vigueur.

Les deux contrats cadres des 18 et 19 janvier 2010 ayant été conclus séparément et étant indépendants l'un de l'autre, la société ETPC fait valoir avec raison que chacun faisait obligation à la société GRT Gaz de lui attribuer entre 20 % et 40 % de ses chantiers sur la zone sur laquelle il portait sans possibilité contrairement à ce que soutient la société GRT Gaz d'une éventuelle compensation entre eux, ni avec les marchés passés en dehors de ces contrats cadres car portant sur d'autres secteurs géographiques que ceux visés par les contrats cadres. Le tribunal ne pouvait donc pas valablement retenir pour débouter la société ETPC de ses demandes retenir que le taux global des commandes passées par la société GRT Gaz à la société ETPC sur la période contractuelle de 2010 à 2012 est de 26,43 %, taux qui entre dans la fourchette de l'obligation contractuelle de la société GRT Gaz.

La société ETPC verse aux débats un rapport établi par Mme Garcia B. du 24 février 2014 à la demande de l'avocat de la société GRT Gaz qui lui demandait son avis en tant que « professionnel indépendant sur le respect de l'engagement contractuel de GRT Gaz envers ETPC sur la période allant du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2012 ».

Il résulte de ce rapport qui n'est contredit par aucun élément que sur le lot géographique 1 qui correspond donc à la zone géographique de l'Ile de France sur lequel portait le contrat cadre du 18 janvier 2010 que le pourcentage des commandes d'exécution attribuées à ETPC s'élève à 11,11 % et le pourcentage en montant de commandes à 12,45 %.

L'intérêt économique lié à l'attribution de marchés avec un partenaire unique résultant d'avantage du chiffre d'affaires généré que du nombre de chantiers, il convient contrairement à ce que soutient la société ETPC de retenir le pourcentage en montant de commandes, soit 12,45 % ; il n'en demeure pas moins que ce nombre est inférieur à l'engagement souscrit par la société GRT Gaz qui s'élevait à minima à 20 %.

Pour autant, en dépit de ce manquement contractuel apparent, il résulte des développements précédents que s'il n' a pas été attribué à la société ETPC le marché de Jouy en Josas qui relevait de cette zone, c'est en raison des signes inquiétants de fragilité qu'elle présentait du fait de sa gestion défaillante, cette dernière n'ayant d'ailleurs pas contesté qu'elle ne pouvait mener à bien ce marché, ayant été de surcroît démontré l'accroissement du déficit causé par l'attribution des chantiers au cours de l'année 2011 sur d'autres zones de nature de exclure qu'il en soit résulté pour cette dernière un préjudice.

Pour les motifs qui précèdent qui se substituent à ceux contraires des premiers juges, le jugement est confirmé en ce qu'il a débouté la société ETPC de ce chef de demande.

Sur l'appel incident de la société GRT Gaz.

Le débouté de la société ETPC de ses chefs de demande prive d'objet l'appel incident de la société GRT Gaz tendant à enjoindre la première de communiquer ses factures relatives à la sous-traitance et de location de matériel et d'outillage pour les années 2010 et 2012. La société GRT Gaz se voit donc déboutée d'une demande qui n'est pas utile à la solution du litige.

La société ETPC qui échoue en ses demandes supportera les dépens d'appel.

Toutefois, les considérations d'équité tenant à sa gestion défaillante par le fait de ses précédents dirigeants antérieurement à la cession de l'intégralité de ses titres à la société EBTT commandent de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile tant devant le tribunal que devant la cour.

PAR CES MOTIFS :

Confirmes-en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 26 janvier 2018 à l'exception de ses chefs ayant fait application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la société GRT Gaz de son appel incident ;

Y ajoutant :

Dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile tant devant le tribunal de commerce de Bordeaux que devant la cour ;

Dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de procédure collective.