Cass. com., 8 juillet 2020, n° 19-25.065
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Renault Trucks (Sasu), Daimler AG (Sté), Daimler Truck AG (Sté), Man SE (Sté), Man Truck & Bus AG (Sté), Man Truck & Bus Deutschland GmbH (Sté), CNH Industrial NV (Sté), Fiat Chrysler Automobiles NV (Sté), Iveco SpA (Sté), Iveco Magirus AG (Sté)
Défendeur :
Eiffage Infrastructures (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Michel-Amsellem
Avocat général :
M. Douvreleur
Avocats :
SCP Spinosi et Sureau, SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, SARL Cabinet Munier-Apaire
Interventions
Sur la recevabilité des interventions volontaires contestée par la défense
1. Il résulte des articles 327 et 330 du code de procédure civile que les interventions volontaires sont admises devant la Cour de cassation si elles sont formées à titre accessoire, à l'appui des prétentions d'une partie, et si leur auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie. Les sociétés CNH Industrial NV, Fiat Chrysler Automobiles NV, Iveco SpA et Iveco Magirus AG, les sociétés Man SE, Man Truck et Bus AG, ainsi que Man Truck et Bus Deutschland GmbH, les sociétés Daimler AG et Daimler Truck AG, mises en cause par la décision de la Commission européenne du 19 juillet 2016 (affaire AT.39824) justifient d'un intérêt, pour la conservation de leurs droits, à soutenir les prétentions de la société Renault Trucks qui a formé un pourvoi contre l'arrêt ordonnant la production de pièces parmi lesquelles certaines sont susceptibles de contenir des déclarations auto-incriminantes ou des secrets d'affaires. Les interventions volontaires sont donc recevables, sans qu'importe que ces sociétés aient, parallèlement à leur intervention volontaire devant la Cour de cassation, formé tierce opposition contre l'arrêt attaqué.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 octobre 2019), la Commission européenne a, par une décision du 19 juillet 2016 (affaire AT.39824), retenu que la société Renault Trucks avait, avec plusieurs autres sociétés productrices de camions, participé à la conclusion d'ententes sur la fixation et l'augmentation des prix de camions dans l'Espace économique européen, entre le 17 janvier 1997 et le 18 janvier 2011. Faisant bénéficier la société Renault Trucks de la procédure de clémence, et réduisant son amende à ce titre, la Commission européenne a, notamment, infligé une amende à trois sociétés, tenues solidairement, dont la société Renault Trucks.
2. À la suite de cette décision, la société de construction et de concession Eiffage infrastructures (la société Eiffage infrastructures), exposant qu'elle avait, entre 1997 et 2010, acquis pour plusieurs millions d'euros de camions, et qu'elle avait, en conséquence, été victime du cartel sanctionné par la Commission européenne, a assigné la société Renault Trucks devant le juge des référés d'un tribunal de commerce afin qu'il lui soit ordonné de communiquer, dans le délai de trois jours ouvrés, d'une part, la communication de griefs que la Commission européenne lui avait adressée, et les pièces venant à son soutien, d'autre part, les pièces produites par la société Renault Trucks dans le cadre de la procédure de clémence et, enfin, les versions confidentielles d'une partie des pièces visées dans la décision de la Commission européenne du 19 juillet 2016.
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. La société Renault Trucks fait grief à l'arrêt de lui ordonner de communiquer à la société Eiffage infrastructures les griefs que la Commission européenne lui a adressés, la liste des pièces venant au soutien de la communication de griefs de la Commission européenne, ainsi que les versions confidentielles des pièces visées dans la décision de la Commission européenne du 19 juillet 2016, aux numéros de bas de page suivants : 10, 11, 18, 19, 20, 21, 22, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44 et 45 alors que « conformément à l'article L. 483-1 du code de commerce et aux articles 5 et 6 de la directive 2014/104/UE du 26 novembre 2014, les juridictions statuant sur une demande de communication de pièces ayant pour objet l'indemnisation d'une victime du fait d'une pratique anticoncurrentielle doivent procéder à un contrôle de proportionnalité et ce notamment au regard de la protection du caractère confidentiel des éléments de preuve ainsi que de la préservation de l'efficacité du droit de la concurrence ; qu'en l'espèce, en ne recherchant pas, ainsi qu'elle y était pourtant invitée, de façon concrète, si les mesures d'instruction ordonnées étaient proportionnées, et ce notamment en ce que, suffisamment délimitées quant à leur périmètre et leur portée, elles constituaient l'unique moyen de préserver le droit à la preuve de la société Eiffage infrastructures, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard des articles précités, ensemble l'article 145 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 483-1 du code de commerce, tel qu'interprété à la lumière des articles 5 et 6 de la directive 2014/104/UE du 26 novembre 2014 :
5. Il résulte du texte susvisé que la juridiction, saisie d'une demande de communication de pièces ayant pour objet de permettre d'établir les preuves nécessaires à l'indemnisation d'une victime du fait d'une pratique anticoncurrentielle, doit, en apportant toute précision dans sa décision à cet égard, tenir compte des intérêts légitimes des parties et des tiers, quand bien même ceux-ci ne seraient pas représentés, et veiller à concilier la mise en œuvre effective du droit à réparation, en considération, d'un côté, de l'utilité des éléments de preuve dont la communication ou la production est demandée, de l'autre, de la protection du caractère confidentiel de ces éléments de preuve, ainsi que de la préservation de l'efficacité de l'application du droit de la concurrence par les autorités compétentes.
6. Pour ordonner à la société Renault Trucks de communiquer à la société Eiffage infrastructures la communication des griefs adressée par la Commission européenne, la liste des pièces venant au soutien de cette communication des griefs et la version non confidentielle des pièces mentionnées aux notes de bas de page 10 et 11, 18 à 22, et 24 à 45 de la décision, l'arrêt retient que l'ensemble de ces pièces est utile à la société Eiffage infrastructures afin que celle-ci puisse constituer le dossier lui permettant d'agir en dommages-intérêts, ce à quoi elle prétend légitimement, compte tenu du nombre de camions qu'elle a acquis pendant la durée de l'entente sanctionnée par la Commission européenne. L'arrêt ajoute que la société Renault Trucks, qui connaît les pièces, est la mieux à même d'indiquer en quoi leur confidentialité devrait être préservée, ce qu'elle ne fait pas.
7. En se déterminant ainsi, par la seule référence à l'utilité des pièces et à leur caractère confidentiel à l'égard de la seule société Renault Trucks, sans rechercher, ainsi qu'il lui incombait, si leur communication était proportionnée au regard, d'une part, de la protection du caractère confidentiel des éléments de preuve retenus concernant les tiers à la procédure envisagée par la société Eiffage infrastructures, d'autre part, de la préservation de l'efficacité du droit de la concurrence mis en œuvre dans la sphère publique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
Déclare recevables les interventions volontaires accessoires des sociétés CNH Industrial NV, Fiat Chrysler Automobiles NV, Iveco SpA et Iveco Magirus AG, des sociétés Man SE, Man Truck et Bus AG ainsi que Man Truck et Bus Deutschland GmbH, des sociétés Daimler AG et Daimler Truck AG.
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il ordonne la communication, par la société Renault Trucks à la société Eiffage infrastructures, de la communication des griefs adressée par la Commission européenne, de la liste des pièces venant au soutien de cette communication des griefs et de la version non confidentielle des pièces mentionnées aux notes de bas de page 10 et 11, 18 à 22, et 24 à 45 de la décision et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 25 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.