TPICE, président, 5 décembre 2001, n° T-219/01 R
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
Commerzbank AG
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocats :
H. Satzky, B. M. Maassen
ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL
1. Le 23 mai 2001, la Commission a adopté la décision 2001/462/CE, CECA, relative au mandat des conseillers auditeurs dans certaines procédures de concurrence (JO L 162, p. 21), qui a abrogé la décision 94/810/CECA, CE de la Commission, du 12 décembre 1994 (JO L 330, p. 67).
2. Les troisième et sixième considérants de ladite décision prévoient, d'une part, qu'il convient de confier la conduite des procédures administratives à une personne indépendante, le conseiller auditeur, ayant de l'expérience en matière de concurrence, qui possède l'intégrité nécessaire pour contribuer à l'objectivité, à la transparence et à l'efficacité de ces procédures, et, d'autre part, que afin de garantir l'indépendance de celui-ci, il doit être rattaché, sur le plan administratif, au membre de la Commission en charge des questions de concurrence. En outre, la transparence en ce qui concerne sa nomination, sa cessation de fonctions et son transfert doit être renforcée.
3. Il ressort de l'article 5 de la décision 2001/462 que le conseiller auditeur a pour mission d'assurer le bon déroulement de l'audition et de contribuer au caractère objectif tant de l'audition elle-même que de toute décision ultérieure relative à la procédure administrative en matière de concurrence. Il veille, notamment, à ce que tous les éléments de fait pertinents, qu'ils soient favorables ou défavorables aux intéressés, ainsi que les éléments de fait relatifs à la gravité de l'infraction, soient dûment pris en considération dans l'élaboration des projets de décision de la Commission relatifs à une telle procédure.
4. L'article 8 de la décision dispose:
«1. Si une personne, une entreprise ou une association de personnes ou d'entreprises, qui a reçu une ou plusieurs des lettres [envoyées par la Commission] énumérées à l'article 7, paragraphe 2 [y compris celles accompagnant une communication des griefs], a des raisons de penser que la Commission détient des documents qui n'ont pas été mis à sa disposition et qui lui sont nécessaires pour exercer utilement son droit d'être entendue, l'accès à ces documents peut être demandé au moyen d'une demande motivée.
2. La décision motivée sur cette demande est communiquée à la personne, entreprise ou association demanderesse et à toute autre personne, entreprise ou association concernée par la procédure.»
Faits et procédure
5. Au début de 1999, la Commission a engagé une procédure d'enquête à l'encontre de 150 banques environ, dont la requérante, établies dans sept pays membres, à savoir la Belgique, l'Allemagne, l'Irlande, les Pays-Bas, l'Autriche, le Portugal et la Finlande, parce qu'elle soupçonnait les banques concernées de s'être entendues pour maintenir à un certain niveau les frais bancaires pour le change de devises de la zone euro.
6. Le 3 août 2000, la Commission a adressé une communication des griefs à la requérante dans le cadre de cette enquête.
7. Le 24 novembre 2000, la requérante a présenté ses observations à cet égard.
8. La requérante a été entendue lors d'une audition relative à cette enquête qui a eu lieu les 1er et 2 février 2001.
9. Il ressort des communiqués de presse de la Commission, qui datent respectivement des 11 avril, 7 et 14 mai 2001, que celle-ci a décidé de mettre fin à la procédure d'infraction engagée à l'encontre des banques néerlandaises et belges, ainsi que de certaines banques allemandes. La Commission a pris cette décision après que ces banques avaient réduit leurs frais bancaires pour le change de devises de la zone euro.
10. Il ressort d'un communiqué de presse de la Commission du 31 juillet 2001 qu'elle a décidé de mettre fin aux procédures d'infraction qu'elle avait engagées à l'encontre de banques finlandaises, irlandaises, belges, néerlandaises et portugaises, ainsi que de certaines banques allemandes.
11. Par lettre du 15 août 2001, adressée au conseiller auditeur de la Commission, la requérante a demandé à être informée des circonstances qui ont mené au terme de la procédure dans les cas parallèles. La requérante a, également, indiqué qu'elle considérait qu'un accès supplémentaire aux dossiers était indispensable, notamment en ce qui concerne les actes de la procédure relative aux banques allemandes et néerlandaises. Pour sa défense, la requérante cherchait en particulier à savoir pourquoi la procédure menée contre la banque GWK a été close, alors que, selon la communication des griefs, cette banque aurait joué un rôle important dans la prétendue infraction et qu'elle n'a pas diminué ses frais bancaires pour le change de devises de la zone euro en Allemagne.
12. Par une première lettre du 17 août 2001, le conseiller auditeur a rejeté cette demande d'accès auxdits documents (ci-après la «décision litigieuse»). Ce refus était fondé sur la justification suivante:
«Selon une jurisprudence constante, la consultation du dossier dans le cadre des procédures de concurrence devant la Commission remplit une fonction spécifique. Elle est destinée à permettre à l'entreprise accusée d'avoir violé le droit de la concurrence communautaire de se défendre de manière efficace contre les griefs retenus par la Commission. Cette condition n'est remplie que si les entreprises ont accès à l'intégralité des documents contenus dans le dossier de procédure, c'est-à-dire aux documents relatifs à la procédure, à l'exception des documents confidentiels et des documents internes à l'administration. C'est de cette manière qu'est établie l'‘égalité des armes’ entre la Commission et la défense.
En l'espèce, la Commerzbank a pu avoir accès aux documents de la procédure COMP/E-1/37.919, ainsi qu'à d'autres documents, figurant dans des dossiers parallèles, mais pertinents pour la procédure ‘banques allemandes’. Ce faisant, il a été tenu compte de votre droit à une défense sans limite contre les griefs retenus par la Commission.
Les circonstances qui ont conduit à la suspension de la procédure concernant d'autres établissements bancaires d'autres États membres font l'objet d'actes de la Commission parallèles mais distincts, non accessibles en principe aux banques allemandes. On ne voit pas non plus dans quelle mesure les informations souhaitées pourraient être d'une importance pour la défense de votre cliente. Dans ces circonstances, il convient donc de rejeter votre demande d'accès complémentaire au dossier, conformément à la jurisprudence du Tribunal de première instance dans les affaires Ciment.
En ce qui concerne les documents relatifs à la suspension de la procédure COMP/E-1/37.919 intentée à l'encontre de certaines banques allemandes, nous ne saurions pas non plus faire droit à votre demande. Les informations afférentes concernant les établissements particuliers, dans la mesure où elles n'ont pas été publiées par la Commission, ont un caractère confidentiel et, par conséquent, ne sauraient être accessibles aux autres parties à la procédure.
Cette décision est adoptée conformément à l'article 8 de la décision [2001/462].»
13. Par une seconde lettre, également du 17 août 2001, le conseiller auditeur a indiqué ce qui suit:
«[...] la Commission n'a [...] aucune raison pour repousser la transmission - prévue pour la période comprise entre le début et mi-septembre de cette année - du projet d'une décision finale dans la procédure COMP/E-1/37.919.»
14. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 24 septembre 2001, la requérante a formé un recours tendant à l'annulation de la décision litigieuse. Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, elle a saisi le Tribunal de la présente demande en référé tendant à obtenir, d'une part, le sursis à l'exécution de la décision litigieuse, et, d'autre part, la suspension de la procédure d'application de l'article 81 dans l'affaire COMP/E-1/37.919 - frais bancaires pour le change de devises de la zone euro: Allemagne (Commerzbank AG).
15. Le 5 octobre 2001, la Commission a présenté ses observations sur la présente demande en référé.
16. Le 17 octobre 2001, la requérante a été invitée à présenter ses observations sur la question de la recevabilité du recours au principal et de la demande en référé.
17. Le 23 octobre 2001, la requérante a présenté ses observations à cet égard.
En droit
18. En vertu des dispositions combinées des articles 242 CE et 243 CE et de l'article 4 de la décision 88/591/CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L 319, p. 1), tel que modifié par la décision 93/350/Euratom, CECA, CEE du Conseil, du 8 juin 1993 (JO L 144, p. 21), le Tribunal peut, s'il estime que les circonstances l'exigent, ordonner le sursis à l'exécution de l'acte attaqué ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.
19. En vertu des dispositions de l'article 104, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement de procédure du Tribunal, une demande de sursis à l'exécution d'un acte n'est recevable que si le demandeur a attaqué cet acte dans un recours devant le Tribunal. Cette règle n'est pas une simple formalité, mais présuppose que le recours au fond, sur lequel se greffe la demande en référé, puisse être examiné par le Tribunal.
20. Selon une jurisprudence constante, le problème de la recevabilité du recours devant le juge du fond ne doit pas, en principe, être examiné dans le cadre d'une procédure en référé sous peine de préjuger l'affaire au principal. Il peut, néanmoins, s'avérer nécessaire, lorsque, comme en l'espèce, l'irrecevabilité manifeste du recours au principal sur lequel se greffe la demande en référé est soulevée, d'établir l'existence de certains éléments permettant de conclure, à première vue, à la recevabilité d'un tel recours [ordonnances du président de la Cour du 27 janvier 1988, Distrivet/Conseil, 376/87 R, Rec. p. 209, point 21, et du 12 octobre 2000, Federación de Cofradías de Pescadores de Guipúzcoa e.a./Conseil, C-300/00 P(R), Rec. p. I-8797, point 34; ordonnance, du président du Tribunal du 25 novembre 1999, Martinez et de Gaulle/Parlement, T-222/99 R, Rec. p. II-3397, point 60].
21. En l'espèce, le juge des référés estime qu'il y a lieu de vérifier s'il existe des éléments permettant de conclure, à première vue, à la recevabilité du recours au principal.
Arguments des parties
22. La Commission fait valoir qu'il appartient au juge des référés d'établir que, à première vue, la requête au principal présente des éléments permettant de conclure, avec une certaine probabilité, à la recevabilité du recours au principal. Or, en l'espèce, celui-ci serait manifestement irrecevable.
23. En ce qui concerne la recevabilité de la demande en référé, la requérante solliciterait par le second chef de la demande en référé, la suspension de la procédure d'infraction en cours dans l'affaire COMP/E-1/37.919, afin d'obtenir par la suite un accès au dossier. Or, la possibilité d'une saisine des juridictions communautaires dans le but de s'assurer l'accès au dossier dans le cadre d'une procédure d'infraction en cours aurait fait l'objet de l'arrêt du Tribunal du 18 décembre 1992 Cimenteries CBR e.a./Commission (T-10/92 à T-12/92 et T-15/92, Rec. p. II-2667, ci-après l'«arrêt Cimenteries CBR», points 38 et 39), dans lequel le Tribunal aurait nié l'existence d'une telle possibilité.
24. Le premier chef de la demande en référé viserait à obtenir le sursis à l'exécution de la décision litigieuse qui interdit à la requérante d'accéder à certains documents. Étant donné l'irrecevabilité du second chef de la demande en référé, ce premier chef se retrouverait isolé et il n'aurait plus aucun sens. En outre, il viserait à faire adopter une mesure manifestement dépourvue d'effet, à savoir un sursis à l'exécution d'une décision négative, qui n'obligerait pas la Commission à accorder à la requérante ce qu'elle souhaiterait, à savoir l'accès au dossier. La mesure demandée ne pourrait donc être ordonnée dans le cadre d'une procédure en référé. Ce premier chef de la demande en référé serait donc également irrecevable.
25. Le fait que la requérante s'efforce de démontrer la recevabilité des chefs de sa demande en référé en faisant valoir de prétendues différences entre les faits à l'origine de l'arrêt Cimenteries CBR et ceux du cas d'espèce, à supposer qu'elles existent, ne justifierait pas que l'on s'écarte dudit arrêt. Pour l'essentiel, les faits de la présente affaire correspondraient à ceux de l'arrêt Cimenteries CBR. La requérante n'expliquerait pas comment la modification du mandat du conseiller auditeur par la décision 2001/462 pourrait conduire à une conclusion différente.
26. Par conséquent, il n'existerait pas de raison pour déroger au principe selon lequel le refus d'accès au dossier dans une procédure d'infraction ne peut faire l'objet d'un recours isolé. Le recours au principal serait donc manifestement irrecevable.
27. La requérante fait valoir que le recours au principal est recevable. La décision litigieuse serait attaquable, étant donné qu'elle produit des effets juridiques obligatoires qui portent préjudice aux intérêts de la requérante, en portant atteinte à sa position juridique. De plus, la décision 2001/462 aurait modifié la situation juridique antérieure, relative à la recevabilité d'un recours isolé introduit contre des refus d'accès au dossier.
28. Elle se fonde à ce titre sur le terme «décision» choisi par la Commission dans la décision 2001/462 et sur le libellé de l'article 8 de cette dernière, qui autorise de manière expresse l'adoption d'une décision sur l'accès au dossier. L'instauration et l'organisation de la procédure prévue audit article 8 ne pourraient mener qu'à la conclusion qu'il s'agirait d'une décision au sens de l'article 249, paragraphe 4, CE.
29. Le fait que, depuis l'adoption de la décision 2001/462, le refus d'accès au dossier est une décision attaquable ressortirait également de la finalité du rapprochement des législations en Europe au moyen des dispositions communautaires. Une comparaison exhaustive des régimes juridiques démontrerait que, dans les États membres qui ne connaissent que la procédure de recours, la notion d'acte administratif s'étendrait au-delà de celle d'actes créateurs d'une situation juridique. En outre, en droit communautaire, une acception large de la notion de «décision» s'imposerait afin de garantir une protection juridique efficace.
30. À cet égard, plusieurs éléments permettraient de comparer la présente situation avec celle ayant donné lieu à l'arrêt de la Cour du 24 juin 1986, AKZO Chemie/Commission (53/85, Rec. p. 1965). Le refus d'accès au dossier constituerait un acte juridique par lequel la Commission s'exprime de manière définitive. Il ne s'agirait pas seulement d'un acte préparatoire. Au travers de la dualité des termes «préparatoire/final», il conviendrait simplement de déterminer si le recours contre une décision finale garantira une protection juridique suffisante contre les décisions prises au cours de la procédure. La Cour signalerait l'existence de ce critère dans son arrêt du 11 novembre 1981, IBM/Commission (60/81, Rec. p. 2639, point 24).
31. Un recours dirigé simplement contre la décision finale ne garantirait pas une protection suffisante contre une décision de nature procédurale. Cette décision procédurale a des effets directs sur l'issue de la procédure ouverte par la Commission. La requérante espère qu'un accès complémentaire au dossier lui apportera des moyens de défense additionnels, étant donné qu'un accès au dossier l'éclairera sur les motifs qui ont poussé la défenderesse à clore la procédure contre de nombreux codéfendeurs. Cette information serait essentielle à la défense de la requérante.
32. Si la requérante ne devait être autorisée à introduire un recours que contre la décision finale de la Commission, elle se verrait privée de la possibilité d'empêcher qu'une mauvaise décision ne soit prise. Elle perdrait pour cette raison un degré d'instance. De même, le principe de l'économie de la procédure justifierait l'autorisation d'accès au dossier.
Appréciation du juge des référés
33. À titre liminaire, en ce qui concerne les arguments invoqués par la requérante à l'appui de la conclusion tendant à démontrer que la décision litigieuse pourrait être attaquée de manière autonome, il y a lieu de souligner que, lorsqu'il s'agit d'actes ou de décisions dont l'élaboration s'effectue en plusieurs phases, notamment au terme d'une procédure interne, ne constituent, en principe, des actes susceptibles de faire l'objet d'un recours en annulation que les mesures qui fixent définitivement la position de l'institution au terme de cette procédure, à l'exclusion des mesures intermédiaires dont l'objectif est de préparer la décision finale (arrêts du Tribunal du 18 mai 1994, BEUC et NCC/Commission, T-37/92, Rec. p. II-285, point 27, et du 22 mai 1996, AITEC/Commission, T-277/94, Rec. p. II-351, point 51).
34. Quant à l'accès au dossier dans les affaires de concurrence, il a pour objet de permettre aux destinataires d'une communication des griefs de prendre connaissance des éléments de preuve détenus par la Commission, afin qu'ils puissent se prononcer utilement sur les conclusions auxquelles la Commission est parvenue, dans la communication des griefs, sur la base de ces éléments (arrêt de la Cour du 8 juillet 1999, Hercules Chemicals/Commission, C-51/92 P, Rec. p. I-4235, point 75). L'accès au dossier relève ainsi des garanties procédurales visant à protéger les droits de la défense et à assurer, en particulier, l'exercice effectif du droit d'être entendu, prévu par le règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'applications des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204), à l'article 19, paragraphes 1 et 2, et par le règlement (CE) n° 2842/98 de la Commission, du 22 décembre 1998, relatif à l'audition dans certaines procédures fondées sur les articles [81] et [82] du traité CE (JO L 354, p. 18), à l'article 2. Le respect de ces droits dans toute procédure susceptible d'aboutir à des sanctions constitue un principe fondamental du droit communautaire, qui doit être observé en toutes circonstances, même s'il s'agit d'une procédure de caractère administratif (arrêts Cimenteries CBR, points 38 et 39, et arrêt du Tribunal du 29 juin 1995, ICI/Commission, T-37/91, Rec. p. II-1901, point 49).
35. Le respect effectif de ce principe fondamental exige que la requérante soit mise en mesure, dès le stade de la procédure administrative, de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits, griefs et circonstances allégués par la Commission (arrêt de la Cour du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, Rec. p. 461, points 9 et 11).
36. De l'ensemble de ce qui précède, il résulte que, même s'ils sont susceptibles d'être constitutifs d'une violation des droits de la défense, des actes de la Commission refusant l'accès au dossier ne produisent, en principe, que des effets limités propres à un acte préparatoire s'insérant dans le cadre d'une procédure administrative préalable (arrêt Cimenteries CBR, point 42). Or, seuls des actes affectant immédiatement et de manière irréversible la situation juridique des entreprises concernées seraient de nature à justifier, dès avant l'achèvement de la procédure administrative, la recevabilité d'un recours en annulation.
37. À cet égard, l'affirmation de la requérante relative à l'urgence, selon laquelle une décision finale lui infligeant une amende va être adoptée à bref délai, ne saurait avoir de pertinence dans le cadre du présent examen dès lors que, en tout état de cause, cette affirmation est insuffisamment précise en ce qu'elle ne permet pas de connaître le contenu d'une éventuelle décision concernant la requérante. Cette affirmation ne permet donc pas de distinguer, d'une manière significative, la présente affaire de celle qui a donné lieu à l'arrêt Cimenteries CBR.
38. L'éventuelle violation du droit d'un destinataire d'une communication des griefs, en l'occurrence la requérante, de faire connaître utilement son point de vue au sujet des griefs retenus par la Commission ainsi que sur les éléments de preuve destinés à étayer ces griefs n'est susceptible de produire des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la requérante que lorsque la Commission aura adopté, le cas échéant, la décision constatant l'existence de l'infraction qu'elle lui reproche. En réalité, jusqu'à ce qu'une décision finale soit adoptée, la Commission peut, au vu notamment des observations écrites et orales de la requérante, abandonner certains, ou même la totalité, des griefs initialement articulés contre elle. Elle peut également réparer d'éventuels vices de procédure en rouvrant l'accès au dossier, initialement refusé, afin que la requérante puisse se prononcer à nouveau et en pleine connaissance de cause sur les griefs qui lui ont été communiqués.
39. Or, si, par hypothèse, le Tribunal devait reconnaître, dans le cadre d'un recours contre une décision mettant un terme à la procédure, la méconnaissance d'un droit d'accès complet au dossier et, partant, annuler la décision finale de la Commission pour violation des droits de la défense, ce serait l'ensemble de la procédure qui serait entaché d'illégalité. Dans de telles circonstances, la Commission serait obligée soit d'abandonner toute poursuite à l'encontre de la requérante, soit de reprendre la procédure en lui donnant la possibilité à nouveau de faire connaître son point de vue sur les griefs retenus contre elle à la lumière de l'ensemble des nouveaux éléments auxquels elle aurait dû avoir accès. Dans cette dernière hypothèse, une procédure contradictoire régulière suffirait à rétablir pleinement la requérante dans ses droits et prérogatives (arrêt Cimenteries CBR, point 47).
40. Il convient de constater que, malgré le fait que la décision 2001/462 vise à garantir l'indépendance du conseiller auditeur, la requérante n'a pas présenté d'éléments sérieux permettant de considérer que la jurisprudence, citée ci-dessus, relative à l'accès au dossier dans les affaires de concurrence n'est plus applicable.
41. Il ressort de ce qui précède que la décision litigieuse, en refusant à la requérante l'accès à certains documents portant sur l'abandon de la procédure COMP/E-1/37.919 menée contre d'autres banques, n'est pas susceptible de produire des effets juridiques de nature à affecter, d'ores et déjà, et avant l'intervention éventuelle d'une décision constatant une infraction à l'article 81, paragraphe 1, CE et prononçant, le cas échéant, une sanction contre elle, les intérêts de la requérante (voir, en ce sens, arrêt Cimenteries CBR, point 48).
42. Quant au second chef de la demande en référé, portant sur la suspension de la procédure d'application de l'article 81 CE, il convient de constater que le juge des référés ne peut, en principe, donner suite à une demande de mesures provisoires qui vise à empêcher la Commission d'exercer ses pouvoirs d'enquête après l'ouverture d'une procédure administrative et avant même qu'elle n'ait adopté les actes définitifs dont on désire éviter l'exécution. En effet, en adoptant de telles mesures, le juge des référés n'opérerait pas dans le cadre du contrôle de l'activité de l'institution défenderesse, mais il se substituerait plutôt à celle-ci dans l'exercice de compétences à caractère purement administratif. Il s'ensuit que la requérante ne peut, en vertu des articles 242 CE et 243 CE, demander qu'il soit imposé à l'institution défenderesse d'abandonner, même à titre provisoire, l'exercice de ses compétences dans le cadre d'une procédure administrative (voir ordonnances du président du Tribunal du 14 décembre 1993, Gestevisión Telecinco/Commission, T-543/93 R, Rec. p. II-1409, point 24, et, en ce sens, du 22 novembre 1995, Atlantic Container e.a./Commission, T-395/94 R II, Rec. p. II-2893, point 39). Un tel droit ne pourrait lui être reconnu que dans le cas où cette demande présente des éléments de nature à permettre au juge des référés de constater l'existence de circonstances exceptionnelles, justifiant l'adoption des mesures sollicitées (voir, à cet égard, ordonnance du président du Tribunal, du 12 juillet 1996, Sogecable/Commission, T-52/96 R, Rec. p. II-797, points 40 et 41).
43. À cet égard, il y a lieu de relever que, en l'espèce, la requérante n'a fourni aucun élément de preuve qui démontre l'existence de telles circonstances exceptionnelles, qui pourraient fonder l'adoption de la mesure sollicitée, à savoir la suspension de la procédure d'application de l'article 81 CE. Le second chef de la demande de mesures provisoires ne peut être déclaré recevable sur ce fondement.
44. Dès lors, faute d'éléments sérieux permettant de considérer que la recevabilité du recours au principal est envisageable, la présente demande en référé doit être déclarée irrecevable.
Par ces motifs,
LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL
ordonne:
1) La demande en référé est rejetée.
2) Les dépens sont réservés.