Cass. com., 8 avril 2015, n° 13-28.512
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
M. Arbellot
Avocats :
SCP Waquet, Farge et Hazan, SCP Lyon-Caen et Thiriez
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 21 novembre 2013), que s'étant rendue caution, par acte du 16 août 1993, d'une dette de M. X...envers la société Cave niçoise (la société), Mme Y...a été condamnée, par ordonnance de référé confirmée par un arrêt du 19 juin 1996, à payer des provisions à M. X...et à la société ; que celle-ci a été dissoute le 23 mars 1998, M. X...étant nommé liquidateur amiable ; qu'un arrêt a cassé sans renvoi l'arrêt du 19 juin 1996 ; que, par arrêt du 5 janvier 2004, devenu irrévocable, la cour d'appel a annulé l'engagement de caution de Mme Y...; que, par un jugement du 17 septembre 2009, la société a été mise en liquidation judiciaire, Mme Y...déclarant sa créance de restitution des sommes payées en exécution des décisions de référé ; que, le 6 juillet 2012, le liquidateur judiciaire a assigné M. X...en paiement de l'insuffisance d'actif de la société ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de déclarer recevable cette action alors, selon le moyen :
1°/ que l'article L. 651-2 du code de commerce selon lequel l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire ne déroge pas aux dispositions de l'article L. 225-254 du même code selon lequel, l'action en responsabilité contre les administrateurs ou le directeur général tant sociales qu'individuelles, se prescrit par trois ans, à compter du fait dommageable ou s'il a été dissimulé, de sa révélation ; qu'il résulte de la combinaison de ces deux textes que si le liquidateur judiciaire peut agir en responsabilité pour insuffisance d'actif pendant une durée de trois ans à compter du jugement de liquidation judiciaire à l'encontre d'un administrateur ou du directeur général, il ne peut fonder son action que sur les seules fautes de gestion non prescrites en vertu de l'article L. 225-254 à la date du jugement de liquidation ; qu'en considérant que l'article L. 651-2 du code de commerce constituerait une dérogation à la prescription de l'action en responsabilité contre les administrateurs ou le directeur général et en accueillant une action en responsabilité pour insuffisance d'actif sans rechercher ainsi qu'elle y était invitée, si les prétendues fautes de gestion n'étaient pas prescrites à la date de l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, la cour d'appel a violé les articles L. 651-2 et L. 225-254 du code de commerce ;
2°/ que l'article L. 651-2 du code de commerce selon lequel l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire ne déroge pas non plus aux dispositions de l'article 2270-1 ancien du code civil selon lequel les actions en responsabilité extracontractuelles se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation ; qu'il résulte de la combinaison de ces deux textes que si le liquidateur judiciaire peut agir en responsabilité pour insuffisance d'actif pendant une durée de trois ans à compter du jugement de liquidation judiciaire, il ne peut fonder son action que sur des seules fautes de gestion non prescrites en vertu de l'article 2270-1 ancien du code civil, à la date du jugement de liquidation ; qu'en énonçant que l'article L. 651-2 du code de commerce constituerait une dérogation au droit commun de la prescription décennale et en accueillant une action en responsabilité pour insuffisance d'actif sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si les prétendues fautes de gestion n'étaient pas prescrites à la date de l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, la cour d'appel a violé les articles L. 651-2 du code de commerce et 2270-1 ancien du code civil ;
Mais attendu que l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif est indépendante de l'action spéciale en responsabilité ouverte par l'article L. 225-254 du code de commerce contre les dirigeants d'une société anonyme et de l'action générale en responsabilité civile extracontractuelle et se prescrit, aux termes de l'article L. 651-2, alinéa 3, du code de commerce, par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire, sans considération de la date de commission des fautes de gestion reprochées au dirigeant poursuivi ; qu'ayant constaté que M. X...avait été assigné le 6 juillet 2012, tandis que la liquidation judiciaire de la société avait été ouverte le 17 septembre 2009, moins de trois ans auparavant, la cour d'appel en a exactement déduit que l'action était recevable ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que M. X...fait grief à l'arrêt de le condamner à supporter l'insuffisance d'actif alors, selon le moyen :
1°/ que lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion ; que le dirigeant qui s'est retiré avant le jugement de liquidation judiciaire ne peut être condamné à combler le passif de la société, que si l'insuffisance d'actif existait déjà à la date à laquelle il a cessé ses fonctions ; qu'en statuant comme elle l'a fait, après avoir constaté que la société ayant été dissoute, M. X...a perdu sa qualité de dirigeant le 27 mars 1998, soit onze ans avant l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire de la société le 17 septembre 2009, et sans rechercher si l'insuffisance d'actif existait déjà à la date du 27 mars 1998, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 651-2 du code de commerce ;
2°/ que l'ordonnance de référé est exécutoire à titre provisoire ; que dès lors ne constitue pas une faute de gestion, le choix de M. X...de mettre à exécution l'ordonnance de référé du 19 février 1995 condamnant Mme Y...à payer les sommes litigieuses à la société, au surplus confirmée par l'arrêt de la cour d'appel le 19 juin 1996 et qui n'a été remise en cause que par un arrêt de la cour de cassation du 8 juin 1999 ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 489, 514 du code de procédure civile, L. 651-2 du code de commerce et le principe de proportionnalité ;
3°/ que ne constitue pas une faute de gestion le fait pour le dirigeant d'une société d'utiliser les fonds provenant de l'exécution d'une ordonnance de référé exécutoire par provision plutôt que de les consigner, dès lors qu'il les utilise dans l'intérêt de la société ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans constater que les sommes litigieuses n'auraient pas été utilisées pour les besoins de la société et après avoir admis que contrairement à ce qui était prétendu par la société C...-D...-B..., ès qualités, les sommes payées par Mme Y...n'avaient pas servi à financer la souscription de la société Kajau à l'augmentation de capital et n'avaient pas ainsi été « dissipées », la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 651-2 du code de commerce et du principe de proportionnalité ;
4°/ que le juge doit en toutes circonstances observer et faire observer le principe de la contradiction ; qu'en reprochant à M. X...de n'avoir pas fait apparaître comptablement l'aléa attaché à la créance réglée par Mme Y...en provisionnant le remboursement de la créance, écriture impactant les résultats de la société et donc les capitaux propres, de n'avoir pas fait mention au commissaire aux comptes du caractère non définitif de cette créance ni du risque de remboursement, et de n'avoir pas provisionné ce remboursement dans le bilan 1996 ni dans ceux postérieurs, ce qui constituerait une faute de gestion laquelle serait à l'origine d'une suite de décisions faussées, de la vente des divers actifs de la société et de sa dissolution anticipée, sans inviter préalablement les parties à s'expliquer sur cette prétendue faute de gestion qui n'était pas invoquée par la société C...-D...-B..., ès qualités, ainsi que sur ses prétendues conséquences, la cour d'appel a violé les articles 16 du code de procédure civile, 6 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et le principe de proportionnalité ;
5°/ que la preuve d'une faute de gestion incombe au demandeur à l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif ; qu'en énonçant qu'il ne serait pas démontré que le commissaire aux comptes a été avisé par le gérant, des procédures judiciaires en cours, quand c'est au liquidateur qu'il incombait de démontrer que M. X...aurait caché au commissaire aux comptes lequel a approuvé les comptes de la société, malgré l'absence de constitution d'une provision au titre de la créance litigieuse, l'existence d'une procédure en cours portant sur les sommes payées par Mme Y..., la cour d'appel a renversé la charge de la preuve et violé les articles L. 651-2 du code de commerce, 1315 du code civil et le principe de proportionnalité ;
6°/ qu'en se bornant à énoncer que l'absence de provisionnement aurait faussé l'opération dite « coup d'accordéon » destinée à apurer les pertes constatées en reconstituant les capitaux propres, que cette faute de gestion serait à l'origine d'une suite de décisions faussées, de la vente des divers actifs de la société et de sa dissolution anticipée, sans caractériser le lien de causalité entre l'absence de provisionnement de la créance, et l'insuffisance d'actif qui plus est constatée onze ans après, la cour d'appel a privé sa décision de base au regard de l'article L. 651-2 du code de commerce et du principe de proportionnalité ;
7°/ qu'en énonçant qu'il apparaît anormal que la « dissolution » de la société n'ait donné lieu à aucune vente de fonds de commerce, grevant encore plus l'actif de cette société, sans répondre aux conclusions de M. X...qui faisait valoir que le fonds de commerce donné en location gérance à la société n'était pas sa propriété et ne pouvait par conséquent être cédé, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile et le principe de proportionnalité ;
Mais attendu qu'après avoir constaté que la société n'avait plus d'actifs, ceux-ci ayant été cédés avant même l'ouverture de la procédure collective, tandis que son passif était constitué par la créance de restitution de Mme Y..., née de l'exécution des décisions de référé à une date à laquelle M. X...était dirigeant de la société, l'arrêt en déduit que, dès ce moment, l'insuffisance d'actif était égale au montant de cette créance ; qu'il retient ensuite que la faute de gestion de M. X...ne résulte pas de son choix de faire exécuter les décisions de référé, mais de l'absence de toute mesure pour garantir une éventuelle restitution, malgré le caractère non définitif de la créance de la société et les contestations dont elle était l'objet devant le juge du fond, de la dissolution rapide de la société et de la vente dans de mauvaises conditions de tous ses actifs ; que, par ces seuls motifs, la cour d'appel, usant des pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 651-2 du code de commerce et qui n'avait pas à procéder à la recherche inopérante invoquée à la troisième branche, ni à répondre aux conclusions invoquées que ces constatations rendaient inopérantes, a, sans méconnaître le principe de la contradiction ni inverser la charge de la preuve, légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le troisième moyen :
Attendu que M. X...fait grief à l'arrêt de dire que les intérêts au taux légal seront dus à compter de l'assignation en application de l'article 1153-1 du code civil alors, selon le moyen, que les intérêts légaux dus en application de l'article 1153-1 du code civil courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n'en décide autrement ; qu'en se fondant pour fixer le point de départ des intérêts légaux à la date de l'assignation, non pas sur sa propre décision distincte, mais au contraire sur une simple application de l'article 1153-1 du code civil, la cour d'appel a violé ce texte ;
Mais attendu qu'en fixant à une autre date que celle de sa décision le point de départ des intérêts, la cour d'appel n'a fait qu'user de la faculté remise à sa discrétion par l'article 1153-1 du code civil ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.