Cass. com., 8 janvier 2002, n° 98-17.439
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dumas
Rapporteur :
Mme Lardennois
Avocat général :
M. Jobard
Avocats :
Me Bouthors, SCP Boré, Xavier et Boré, Me Choucroy, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, SCP Waquet, Farge et Hazan
Dit n'y avoir lieu à jonction des pourvois n° 98-17.439 et n° 98-19.288 ;
Statuant tant sur le pourvoi principal formé par MM. X... et Z... que sur le pourvoi incident relevé par la commune d'Anse-Bertrand ;
Attendu, selon l'arrêt déféré (Basse-Terre, 27 avril 1998), que la société d'économie mixte Semanor ayant été mise en liquidation judiciaire le 30 septembre 1994, le liquidateur, Mme A..., a assigné les dirigeants en paiement des dettes sociales ; que la cour d'appel, après avoir rejeté l'exception d'incompétence des juridictions de l'ordre judiciaire soulevée par la commune d'Anse-Bertrand, a condamné in solidum MM. X... et Z... et la commune d'Anse-Bertrand à payer la somme de 15 000 000 francs ;
Sur le premier moyen du pourvoi incident de la commune d'Anse-Bertrand, qui est préalable :
Attendu que la commune d'Anse-Bertrand reproche à l'arrêt d'avoir ainsi statué, alors, selon le moyen, que les tribunaux de l'ordre judiciaire ne sont pas compétents pour connaître des actions en paiement de l'insuffisance d'actif exercées contre les personnes morales de droit public, que celles-ci soient ou non dirigeants de droit ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985, ensemble les lois des 16-24 août 1790 et 16 fructidor an III ;
Mais attendu que l'action en paiement des dettes sociales exercée contre une commune qui se fonde exclusivement sur la faute que cette collectivité aurait commise dans la gestion d'une société d'économie mixte, en application des dispositions combinées des articles 180 de la loi du 25 janvier 1985, devenu l'article L. 624-3 du Code de commerce et du quatrième alinéa de l'article 8 de la loi du 7 juillet 1983 relative aux sociétés d'économie mixte locales, devenu l'article L. 1524-5 du Code général des collectivités territoriales, met en cause des rapports de droit privé et relève des tribunaux de l'ordre judiciaire ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal de MM. X... et Z... et sur le deuxième moyen du pourvoi incident de la commune d'Anse-Bertrand, ce dernier pris en ses deux branches, réunis :
Attendu que MM. X... et Z... ainsi que la commune d'Anse-Bertrand reprochent à l'arrêt de les avoir condamnés in solidum à verser au liquidateur la somme de 15 000 000 francs, alors, selon le moyen :
1° qu'un administrateur ne peut être condamné, sur le fondement de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985, à une somme supérieure au montant de l'insuffisance d'actif de la société ; qu'en condamnant MM. X... et Z... à supporter le passif de la Semanor à concurrence de la somme de 15 000 000 francs, après avoir constaté d'une part qu'il existait un passif s'élevant à 23 000 000 francs et, d'autre part, qu'il ressortait du rapport d'expertise de M. B... qu'il existait des actifs à recouvrer dont ceux-ci soutenaient d'ailleurs qu'ils s'élevaient à un montant de 19 000 000 francs, ce dont il résultait que l'insuffisance d'actif ne pouvait être précisément fixée à la date où elle statuait, la cour d'appel a violé l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985 ;
2° que c'est au demandeur à l'action qu'incombe la charge de prouver l'insuffisance d'actif ; qu'il appartenait dès lors au liquidateur, et non à l'administrateur poursuivi, de rapporter la preuve de l'inexactitude du rapport de M. B... ; qu'en statuant comme elle a fait, la cour d'appel a violé les articles 1315 du Code civil et 180 de la loi du 25 janvier 1985 ;
3° que l'insuffisance d'actif doit être certaine ; que le dirigeant ne saurait être condamné au-delà du montant de l'insuffisance d'actif ; qu'en l'espèce, pour apprécier l'insuffisance d'actif, la cour d'appel retient que rien à ce jour ne permet d'espérer une diminution du passif ; qu'elle reproche aux administrateurs leur décision irréfléchie d'acquisition d'actifs ; qu'en niant l'existence d'un quelconque actif susceptible de réduire le passif, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985 ;
Mais attendu qu'après avoir relevé que le passif non contesté s'élevait à 23 860 937,87 francs, l'arrêt retient que l'état des créances à recouvrer a été établi sur les seules déclarations du directeur de la Semanor sans qu'aucune pièce comptable ou titre de recouvrement n'en corrobore l'existence ; qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel, sans inverser la charge de la preuve, a légalement justifié sa décision en retenant qu'au jour où elle statuait, l'insuffisance d'actif était certaine et supérieure à 20 000 000 francs ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen du pourvoi principal de MM. X... et Z..., pris en sa première branche :
Attendu que MM. X... et Z... font encore le même reproche à l'arrêt, alors, selon le moyen, qu'ils avaient fait valoir par des conclusions motivées que l'administrateur représentant la commune était le maire M. Y... et que la commune s'était portée garante du passif de la Semanor, faisant ainsi apparaître que la décision d'acquisition résultait de la seule volonté de la commune majoritaire au sein du conseil d'administration ; que la cour d'appel a elle-même constaté que la Semanor n'intervenait qu'en qualité de mandataire aux actes d'acquisition de la société Biotechnica ; qu'ainsi, en considérant que MM. X... et Z... avaient commis une faute de gestion par une décision irréfléchie d'acquisition, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si cette acquisition n'avait pas été imposée par la commune aux autres administrateurs de la société, la cour d'appel n'a pu légalement justifier sa décision au regard de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985 ;
Mais attendu qu'un administrateur ne peut prétendre se soustraire à l'application de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985 devenu l'article L. 624-3 du Code de commerce en invoquant l'attitude d'un autre administrateur ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen du pourvoi principal de MM. X... et Z..., pris en sa seconde branche et sur le troisième moyen du pourvoi incident de la commune d'Anse-Bertrand, pris en sa dernière branche, réunis :
Attendu que MM. X... et Z... ainsi que la commune d'Anse-Bertrand font encore le même reproche à l'arrêt alors, selon le moyen :
1° qu'en ne recherchant pas si, au moment où la décision d'acquisition avait été prise, l'opération envisagée ne présentait pas réellement des chances de succès de nature à permettre le développement de la Semanor, et en se bornant à en apprécier l'opportunité au moment où elle statuait pour considérer qu'il s'agissait d'une décision irréfléchie d'acquisition d'actifs sans aucune utilité pour la marche de l'entreprise, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985 ;
2° qu'en se bornant à constater l'échec de l'opération " Biotechnica " pour en déduire la faute des administrateurs sans rechercher si, au moment où elle a été décidée, cette opération ne présentait pas toutes les chances de succès, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985 ;
Mais attendu qu'après avoir relevé que la Semanor a, courant 1992, offert d'acquérir les actifs de la société Biotechnica et que, si l'acte a été établi au nom de la commune d'Anse-Bertrand, la Semanor en a assuré le paiement partiel, le solde impayé figurant à son passif, l'arrêt retient que cette opération, qui consistait à installer une usine de construction de cycles sur le territoire de la commune, a été lancée de façon inconsidérée sans qu'aucune étude préalable à l'offre ait été réalisée et que le matériel était toujours, un an plus tard, entreposé sur le port ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le troisième moyen du pourvoi incident de la commune d'Anse-Bertrand, pris en ses trois premières branches :
Attendu que la commune d'Anse-Bertrand fait toujours le même reproche à l'arrêt, alors, selon le moyen :
1° que l'arrêt, qui ne caractérise aucun lien de causalité entre les fautes de gestion tirées de la comptabilité et l'état de cessation de paiements et l'insuffisance d'actif relevée, est dépourvu de base légale au regard de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985 ;
2° qu'au surplus la cour d'appel observe que l'opération d'acquisition des biens de la société Biotechnica, qui d'après ses propres constatations a largement contribué à l'insuffisance d'actif a fait l'objet le 23 avril 1994 d'un " bilan " comptable après avoir été initiée début 1992, soit bien avant la cessation des paiements, fixée au 1er janvier 1994 ; qu'il résulte de ces constatations qu'il n'existe aucun lien de causalité entre l'absence de tenue de comptabilité ou le retard dans la déclaration de cessation des paiements et l'insuffisance d'actif retenue ; qu'en statuant comme elle a fait, la cour d'appel a violé l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985 ;
3° que la cour d'appel constate que la décision prise par l'assemblée générale le 8 juillet 1994 de liquider amiablement la société tendait à profiter à l'ensemble des administrateurs, à l'exception de la commune d'Anse-Bertrand, qui devait reprendre les concessions et toutes les obligations et engagements de la société vis-à-vis des tiers ; qu'elle ne pouvait, donc, sans violer l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985, reprocher à cette commune sa volonté de se protéger par une décision de liquidation amiable ;
Mais attendu qu'après avoir relevé que le dernier bilan disponible était celui de l'année 1992, que les charges sociales étaient impayées depuis 1993 et que la cessation des paiements a été fixée au 1er janvier 1994, l'arrêt retient que, les administrateurs, par leur négligence dans la surveillance de la comptabilité, leur décision irréfléchie d'acquisition d'actifs sans aucune utilité pour l'entreprise, leur retard à tirer les conséquences des difficultés rencontrées ont contribué à l'insuffisance d'actif ; qu'en l'état de ces seules constatations, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs :
REJETTE tant le pourvoi principal que le pourvoi incident.