Cass. com., 11 juin 2014, n° 13-14.844
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Rapporteur :
M. Arbellot
Avocat général :
M. Le Mesle
Avocats :
SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Capron
Donne acte à M. Y...de ce qu'il reprend l'instance en qualité de liquidateur judiciaire de la société Aquanord ;
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 18 décembre 2012), que du 2 avril 2009 au 28 janvier 2010, la société Ferme marine du Douhet (la société FMD) a livré des alevins de daurade royale à la société Aquanord ; que, le 2 février 2010, celle-ci a été mise en redressement judiciaire, MM. X... et Y...étant respectivement désignés administrateur et mandataire judiciaires ; que, faute de paiement de l'intégralité du prix, la société FMD a déclaré le 19 février 2010 une créance d'un montant de 305 791, 75 euros et revendiqué la propriété des alevins ; que, par ordonnance du 2 mai 2011 et jugement du 5 décembre suivant, le juge-commissaire puis le tribunal ont admis le principe de cette revendication avec report de celle-ci, à due concurrence du prix de vente initial, sur le prix à percevoir par la société Aquanord au fur et à mesure des ventes des poissons arrivés à maturité ; que, le 19 juillet 2011, le tribunal a arrêté le plan de redressement de la société Aquanord, M. Y...étant désigné commissaire à l'exécution du plan ;
Attendu que la société Aquanord et M. Y..., ès qualités, font grief à l'arrêt d'avoir rejeté le recours formé par elle et MM. X... et Y..., ès qualités, à l'encontre de l'ordonnance du 2 mai 2011, d'avoir déclaré bien fondée en son principe la revendication de la société FMD et, après avoir écarté la demande de la société FMD de réalisation en nature, reporté en conséquence les droits de cette société sur le prix de 305 791, 75 euros, alors, selon le moyen :
1°) qu'un bien vendu avec une clause de réserve de propriété ne peut être revendiqué, sur le fondement des dispositions de l'article L. 624-16 du code de commerce, que s'il se retrouve en nature au moment de l'ouverture de la procédure collective ; qu'il en résulte que ne peut être revendiqué un bien qui, au moment de l'ouverture de la procédure collective, a été ou s'est transformé, de manière irréversible, en un autre bien, dont les propriétés et les caractères sont différents de ceux du bien vendu, quand bien même cette transformation serait le résultat d'une évolution normale ; qu'en énonçant, par conséquent, pour retenir que la société FMD rapportait la preuve de ce que les alevins de daurade royale revendiqués par elle existaient en nature au jour de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société Aquanord, que l'évolution cellulaire normale subie par les alevins de daurade royale litigieux ne pouvait être assimilée à une altération susceptible de les avoir transformés en des biens d'une autre nature et qu'en conséquence, la prise de poids des alevins de daurade royale litigieux, dont elle constatait l'existence et qu'elle était le résultat des soins apportés par la société Aquanord, n'avait pas modifié les alevins de daurade royale dans leur substance, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 624-16 et L. 624-18 du code de commerce ;
2°) qu'en énonçant, pour retenir que la société FMD rapportait la preuve de ce que tous les alevins de daurade royale revendiqués par elle existaient en nature au jour de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société Aquanord, que la prise de poids des alevins de daurade royale litigieux, dont elle constatait l'existence et qu'elle était le résultat des soins apportés par la société Aquanord, n'avait pas modifié les alevins de daurade royale dans leur substance, quand elle relevait, d'une part, qu'une partie des alevins de daurade royale litigieux avait, au jour de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société Aquanord, acquis un poids moyen de 292, 21 grammes et, d'autre part, qu'un alevin de daurade royale peut être regardé comme ayant été transformé en une daurade royale commercialisable à partir d'un poids de 220 grammes et quand il résultait donc de ses propres constatations que les alevins de daurade royale litigieux avaient, pour partie, du fait de leur prise de poids, été transformés, au jour de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société Aquanord, en des biens différents, dont les propriétés et les caractères étaient différents, et, partant, que la prise de poids de ces alevins de daurade royale avait modifié ceux-ci dans leur substance, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs, en violation des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ;
3°) que, à titre subsidiaire, un bien vendu avec une clause de réserve de propriété ne peut être revendiqué que s'il se retrouve en nature au moment de l'ouverture de la procédure collective ; qu'il en résulte que ne peut être revendiqué un bien qui, au moment de l'ouverture de la procédure collective, a été ou s'est transformé, de manière irréversible, en un autre bien, dont les propriétés et les caractères sont différents de ceux du bien vendu ; qu'en énonçant, dès lors, pour retenir que la société FMD rapportait la preuve de ce que les alevins de daurade royale revendiqués par elle existaient en nature au jour de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société Aquanord, que l'évolution cellulaire normale subie par les alevins de daurade royale litigieux ne pouvait être assimilée à une altération susceptible de les avoir transformés en des biens d'une autre nature et qu'en conséquence, la prise de poids des alevins de daurade royale litigieux, dont elle constatait l'existence, n'avait pas modifié les alevins de daurade royale dans leur substance, quand elle relevait que cette prise de poids était le résultat des soins apportés par la société Aquanord et, donc, que l'évolution cellulaire subie par les alevins de daurade royale litigieux n'était pas naturelle, et, partant, normale, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs, en violation des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ;
4°) que la preuve de l'identité entre les marchandises livrées avec réserve de propriété antérieurement à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de l'acquéreur et celles existant à la date du même jugement incombe au vendeur ; qu'en énonçant, par conséquent, pour retenir que la demande de revendication des alevins de daurade royale formée par la société FMD était fondée, après avoir relevé que les alevins ou daurades retrouvés dans les bassins de la société Aquanord ne pouvaient être considérés comme des biens fongibles, que la société Aquanord et M. Y..., ès qualités, ne rapportaient pas la preuve que les mélanges qu'ils invoquaient, pour contester l'individualisation des marchandises, entre les poissons de la société FMD, de la société Cenmar et de la société Diaz étaient intervenus avant le 2 février 2010, date du prononcé du jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société Aquanord, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et a violé les dispositions de l'article 1315 du code civil ;
5°) que, si, dès l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, il doit être dressé un inventaire du patrimoine du débiteur ainsi que des garanties qui le grèvent, complété par une liste des biens qui sont susceptibles d'être revendiqués par un tiers, aucune disposition n'impose qu'un tel inventaire permette d'identifier les propriétaires des biens détenus par le débiteur sous réserve de propriété ; qu'il en résulte que la circonstance que l'inventaire du patrimoine du débiteur qui a été dressé dès l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ne permet pas d'identifier les propriétaires des biens détenus par le débiteur sous réserve de propriété n'a pas pour effet de faire reposer sur le débiteur et/ ou aux organes de la procédure la charge de la preuve que les marchandises qui ont été livrées à ce débiteur avec réserve de propriété antérieurement à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ne sont pas identiques à celles existant à la date du même jugement ; qu'en énonçant, dès lors, pour retenir que la demande de revendication des alevins de daurade royale formée par la société FMD était fondée, après avoir relevé que les alevins ou daurades retrouvés dans les bassins de la société Aquanord ne pouvaient être considérés comme des biens fongibles, que la lettre du commissaire-priseur, certifiant que des stocks de daurades vivantes existaient dans les locaux de la société Aquanord au 31 janvier 2010, ne permettait pas, contrairement à un inventaire établi dans les règles, d'identifier les propriétaires des poissons et que la société Aquanord et M. Y..., ès qualités, ne rapportaient pas la preuve que les mélanges qu'ils invoquaient, pour contester l'individualisation des marchandises, entre les poissons de la société FMD, de la société Cenmar et de la société Diaz étaient intervenus avant le 2 février 2010, date du prononcé du jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société Aquanord, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 622-6, R. 622-4, R. 622-4-1 et R. 622-5 du code de commerce, ensemble les dispositions de l'article 1315 du code civil ;
6°) que le vendeur qui a livré des marchandises avec réserve de propriété ne peut revendiquer entre les mains de l'acheteur, mis en redressement judiciaire, le prix de revente de ces marchandises à un sous-acquéreur que si ce prix a été payé après l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ; qu'en déclarant, dès lors, bien fondée en son principe la revendication de la société FMD et en reportant, en conséquence, après avoir écarté la demande de la société FMD de réalisation en nature, les droits de la société FMD sur le prix de 305 791, 75 euros, sans constater que le prix de revente des alevins de daurade royale revendiqués avait été payé à la société Aquanord par les sous-acquéreurs de ces alevins de daurade royale, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article L. 624-18 du code de commerce ;
7°) que le vendeur qui a livré des marchandises avec réserve de propriété ne peut revendiquer entre les mains de l'acheteur, mis en redressement judiciaire, le prix de revente de ces marchandises à un sous-acquéreur que si ce prix a été payé après l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ; qu'en déclarant, dès lors, bien fondée en son principe la revendication de la société FMD et en reportant, en conséquence, après avoir écarté la demande de la société FMD de réalisation en nature, les droits de la société FMD sur le prix de 305 791, 75 euros, sans constater que le prix de revente des alevins de daurade royale revendiqués avait été payé à la société Aquanord par les sous-acquéreurs de ces alevins de daurade royale postérieurement à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société Aquanord, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article L. 624-18 du code de commerce ;
8°) que le vendeur qui a livré des marchandises avec réserve de propriété ne peut revendiquer entre les mains de l'acheteur, mis en redressement judiciaire, le prix de revente de ces marchandises à un sous-acquéreur que si lesdites marchandises ont été revendues par l'acheteur à ce sous-acquéreur ; qu'en énonçant, pour déclarer bien fondée en son principe la revendication de la société FMD et pour reporter, en conséquence, après avoir écarté la demande de la société FMD de réalisation en nature, les droits de la société FMD sur le prix de 305 791, 75 euros, que les parties s'accordaient à reconnaître que les alevins revendiqués étant entre-temps parvenus à maturité ont été vendus par la société Aquanord, quand la société Aquanord et M. Y..., ès qualités, n'avaient nullement reconnu un tel fait dans leurs conclusions d'appel, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis des conclusions d'appel de la société Aquanord et de M. Y..., ès qualités ;
9°) que le vendeur qui a livré des marchandises avec réserve de propriété ne peut revendiquer entre les mains de l'acheteur, mis en redressement judiciaire, le prix de revente de ces marchandises à un sous-acquéreur que si lesdites marchandises ont été revendues par l'acheteur à ce sous-acquéreur ; qu'en énonçant, pour déclarer bien fondée en son principe la revendication de la société FMD et pour reporter, en conséquence, après avoir écarté la demande de la société FMD de réalisation en nature, les droits de la société FMD sur le prix de 305 791, 75 euros, qu'au regard de la durée de la procédure, la totalité des alevins et daurades royales revendiqués avait nécessairement été vendue par la société Aquanord, quand, en se déterminant de la sorte, elle postulait que, compte tenu de la durée de la procédure, la totalité des alevins et daurades royales revendiqués avait été vendue par la société Aquanord, sans constater qu'avec certitude, cette vente avait eu lieu, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article L. 624-18 du code de commerce ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir énoncé qu'il appartient au propriétaire revendiquant d'établir que la marchandise revendiquée se trouve, à l'ouverture de la procédure collective, en nature entre les mains du débiteur et que la condition d'existence en nature s'entend de la conservation de la marchandise dans son état initial, l'arrêt relève que les alevins livrés entre dix mois et quelques jours avant l'ouverture de la procédure collective, ont pris du poids, sans que cette prise de poids, en ait modifié la substance ; que l'arrêt relève encore que le cycle de maturation d'un alevin est de l'ordre de dix-huit à vingt-quatre mois et qu'une daurade est commercialisable au poids de 220 grammes, correspondant à dix-huit mois environ de maturation ; qu'il relève enfin que la société FMD justifie de huit factures afférentes aux alevins revendiqués, cependant qu'il est établi que des stocks de bars et de daurades vivants se trouvaient dans les locaux de la société Aquanord au 31 décembre 2009 et au 31 janvier 2010 sans possibilité d'identifier les propriétaires des poissons à défaut d'inventaire ; que, de ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui n'a ni inversé la charge de la preuve, ni statué par des motifs contradictoires, n'a fait qu'user de son pouvoir souverain d'appréciation en retenant que la société FMD établissait que les alevins revendiqués, livrés moins de dix-huit mois avant l'ouverture de la procédure, existaient en nature au jour de cette ouverture ;
Attendu, en second lieu, qu'il ne résulte ni de l'arrêt, ni des conclusions de la société Aquanord que celle-ci a contesté que le prix de revente des poissons litigieux lui avait été payé par les sous-acquéreurs après l'ouverture de sa procédure collective ; que le grief est nouveau et mélangé de fait et de droit ;
Attendu, en dernier lieu, qu'ayant, par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, rendue nécessaire par l'ambiguïté des écritures de la société Aquanord, considéré que les parties s'accordaient, en raison du cycle de maturation d'un alevin et de la date de commercialisation d'une daurade, à reconnaître que les alevins revendiqués, étant parvenus à maturité, avaient été vendus, la cour d'appel a exactement retenu que la revendication des marchandises livrées, désormais impossible en nature, devait se reporter sur le prix de revente aux sous-acquéreurs ;
D'où il suit que le moyen, irrecevable en ses sixième et septième branches, n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.