Cass. com., 3 octobre 2018, n° 17-10.557
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, SCP Ortscheidt
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 9 novembre 2016), rendu en matière de référé, que la société Saga Aquitaine (la société Saga) a été mise en redressement judiciaire le 22 octobre 2014, la Selarl Y... étant désignée administrateur et la Selarl X... mandataire judiciaire ; que la société Européenne de location automobile Z... (la société Elat), qui avait donné plusieurs véhicules en location à la société Saga, a, par une lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 27 octobre 2014, mis en demeure l'administrateur de se prononcer sur la poursuite des contrats de location, lui précisant qu'à défaut, elle se réservait le droit de récupérer les véhicules en sa qualité de propriétaire ; que le 4 novembre 2014, l'administrateur judiciaire a répondu qu'il entendait poursuivre l'exécution des contrats en cours en ajoutant reconnaître la propriété de la société Elat sur les véhicules loués ; que le redressement de la société Saga a été converti en liquidation judiciaire le 21 janvier 2015, la Selarl X... devenant liquidateur ; que la société Elat ayant repris possession des véhicules précédemment loués, le liquidateur l'a assignée pour en obtenir la restitution et voir déclarer inopposable à la procédure collective le droit de propriété de la société Elat sur un véhicule immatriculé [...], détenu par un commissaire-priseur ;
Attendu que le liquidateur fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes tendant à la condamnation de la société Elat à lui restituer sous astreinte les véhicules Iveco immatriculé [...], Iveco immatriculé [...], Iveco immatriculé [...], Peugeot 208 immatriculé [...], Peugeot 308 immatriculé [...], Peugeot 308 immatriculé [...], et Peugeot Partner immatriculé [...], et de le condamner, ès qualités, à restituer à la société Elat le véhicule Peugeot 208 immatriculé [...] alors, selon le moyen :
1°) qu' il appartient à celui qui se prétend propriétaire d'un bien détenu par un débiteur placé en procédure collective de le revendiquer en adressant à l'administrateur judiciaire, à défaut au débiteur, une demande de reconnaissance de son droit de propriété préalablement à toute saisine du juge-commissaire d'une requête en revendication ; que la circonstance que le bien revendiqué fasse l'objet d'un contrat en cours ne dispense pas son propriétaire de formuler cette demande dans le délai légal ; que la lettre tendant à la continuation d'un contrat en cours portant sur un tel bien ne vaut pas en elle-même demande en revendication de ce bien, sauf si cette lettre invite expressément son destinataire à se prononcer sur le droit de propriété de son auteur ; qu'en l'espèce, la société Elat a, par une lettre du 27 octobre 2014, mis en demeure la société Vincent Y..., administrateur judiciaire de la société Saga Aquitaine, de poursuivre les contrats de location longue durée portant sur 11 véhicules, se bornant à préciser « qu'à défaut, nous nous réservons le droit de récupérer lesdits véhicules » ; que la cour d'appel a jugé que, par ce courrier, la société Elat avait entendu revendiquer les véhicules litigieux en cas de non-poursuite des contrats de location par l'administrateur judiciaire et qu'elle avait dès lors bien saisi ce dernier d'une demande de revendication ; qu'en se prononçant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la lettre du 27 octobre 2014 formulait, indépendamment de la mise en demeure de continuer les contrats en cours, une demande tendant à l'acquiescement de l'administrateur judiciaire à son droit de propriété sur les véhicules litigieux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 624-9, L. 624-17 et R. 624-13 du code de commerce ;
2°) qu' à supposer qu'il soit jugé que la cour d'appel a considéré que la lettre du 27 octobre 2014 comportait une demande en revendication distincte de la mise en demeure de poursuivre les contrats en cours qu'elle formulait, elle aurait alors dénaturé les termes clairs et précis de cette lettre, qui ne contient aucune demande tendant à la reconnaissance du droit de propriété de la société Elat sur les véhicules litigieux, violant ainsi le principe suivant lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause ;
3°) que la reconnaissance par l'administrateur judiciaire du droit de propriété d'un tiers à la procédure collective n'est régulière qu'à la condition que ce dernier lui ait préalablement adressé une demande en ce sens ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que la société Vincent Y..., en réponse à la lettre de mise en demeure de la société Elat datée du 27 octobre 2014, avait indiqué : « Par ailleurs, si vous m'avez interrogé sur la poursuite ci-dessus et si votre interrogation comportait une demande en acquiescement de propriété, je vous confirme au vu du contrat ci-dessus évoqué reconnaître votre propriété sur le matériel concerné »; qu'ayant constaté que la lettre du 27 octobre 2014 avait pour objet la mise en demeure de l'administrateur judiciaire de poursuivre les contrats de location en cours, et avait réservé une demande en restitution des véhicules loués en l'absence de poursuite de ces contrats, de sorte qu'elle ne formait pas de demande de la société Elat tendant à la reconnaissance de son droit de propriété, et à supposer qu'elle ait jugé que la reconnaissance par l'administrateur judiciaire du droit de propriété de cette dernière suffisait à justifier la possibilité pour la société Elat de reprendre possession des véhicules litigieux, la cour d'appel a violé les articles L. 624-9 et L. 624-17 du code de commerce ;
4°) que dans les trois mois suivant la publication du jugement d'ouverture de la procédure collective, celui qui prétend revendiquer un bien meuble entre les mains du débiteur doit adresser une demande en ce sens à l'administrateur judiciaire, ou à défaut au débiteur, par lettre recommandée avec accusé de réception ; qu'il doit en adresser copie au mandataire judiciaire ; que le non-respect de ces formalités prive le demandeur de son droit à revendication ; qu'en l'espèce, la société Christophe X... faisait valoir que la lettre adressée par la société Elat à l'administrateur judiciaire le 27 octobre 2014, à supposer qu'elle ait contenu une demande en revendication des véhicules litigieux, ne lui avait pas été adressée en copie, ce qui la privait de toute portée ; que la cour d'appel, pour considérer que la société Elat avait valablement saisi l'administrateur judiciaire d'une demande en revendication dans le délai légal, s'est bornée à relever que la lettre du 22 octobre 2014 avait été adressée à l'administrateur, qu'elle comportait une demande en revendication, et que l'administrateur avait acquiescé à cette demande ; qu'en se prononçant ainsi, sans répondre au moyen selon lequel la demande en revendication de la société Elat n'était pas régulière puisqu'elle n'avait pas été adressée en copie à la société Christophe X..., la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant relevé qu'en réponse à la lettre de la société Elat du 27 octobre 2014, l'administrateur avait, le 4 novembre suivant, opté pour la poursuite des contrats de location et ajouté que "si votre interrogation comportait une demande en acquiescement de propriété , je vous confirme [...] reconnaître votre propriété sur le matériel concerné", c'est par une interprétation, exclusive de dénaturation, des termes des lettres échangées les 27 octobre et 4 novembre 2014, que leur ambiguïté rendait nécessaire, et sans encourir les griefs des première et troisième branches, que la cour d'appel a analysé la lettre de la société Elat en une demande de revendication et fait ressortir que l'administrateur, s'estimant saisi d'une telle demande, y avait acquiescé en reconnaissant expressément la propriété de la société Elat sur les véhicules objets des contrats de location ;
Et attendu, en second lieu, que si l'article R. 624-13 du code de commerce impose au revendiquant d'adresser au mandataire judiciaire une copie de la lettre recommandée contenant la demande de revendication qu'il doit envoyer à l'administrateur dans le délai prescrit à l'article L. 624-9 du même code, aucun texte ne sanctionne la méconnaissance de cette formalité, édictée pour l'information du mandataire, lequel, selon l'article L. 624-17, n'a pas à prendre position sur la revendication dans l'hypothèse d'une procédure de redressement judiciaire comportant la désignation d'un administrateur ; qu'en conséquence, la cour d'appel n'avait pas à répondre aux conclusions inopérantes visées par la quatrième branche ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.