Cass. com., 14 février 2018, n° 15-24.146
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Bouzidi et Bouhanna, SCP François-Henri Briard, SCP Gatineau et Fattaccini
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Besançon, 23 juin 2015), que la SARL Odin, propriétaire de deux brevets n° 94-06025 et n° 00-14.446 (les brevets), les a cédés à la société CG Industry selon actes signés les 30 octobre et 4 novembre 2008 par Jean D..., ancien gérant de la société Odin jusqu'à sa démission survenue le 31 mars 2008, non publiée ; que la société Odin et ses associés, MM. Didier X..., Y... Z..., Christophe A..., Michel A..., C... Z... et Mme Jocelyne B... épouse A... (les associés) ont assigné Jean D... et la société CG Industry en annulation de la cession et restitution des brevets, subsidiairement en résolution de la cession, et en paiement de dommages-intérêts ; que Jean D... étant décédé, Mme Eliane E... veuve D..., Mme Sylvie D..., Mme Christelle D... épouse F..., MM. Denis et Bruno D... (les consorts D...) ont repris l'instance ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Odin et les associés font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes alors, selon le moyen :
1°/ que dans la correspondance adressée le 6 octobre 2008 à titre « confidentiel » à M. Jean D..., à son adresse personnelle, Me I..., conseil de la société CG Industry exposait : « Je reviens vers vous quant aux propositions que vous avez formulées concernant une possibilité de cession de vos parts sociales ainsi que celles de M. J... de la SARL Odin. Bien qu'actuellement à l'étranger, j'ai pu m'entretenir sur le sujet avec M. K... qui marque un intérêt pour votre proposition. Il conviendrait que nous puissions en discuter lors de notre prochaine rencontre. Pour cela, je vous remercierais de vous munir des pièces et documents concernant la société, à savoir : Statuts, extrait Kbis, bail éventuel concernant le siège social, titre de propriété éventuel (autre que les brevets qui nous sont connus), historique de la répartition du capital, les trois derniers bilans de la société, et plus généralement, tous documents nécessaires en pareille circonstance. S'agissant d'une proposition de cession de parts sociales de la société Odin par M. J... et vous-mêmes, M. K... souhaiterait dans un premier temps une confidentialité de cette discussion, les seules personnes devant être présentes à notre prochain rendez-vous seraient les cédants de parts sociales. Dans l'attente de votre accord » ; qu'en énonçant que ce courrier « tend à démontrer que moins d'un mois avant la cession, l'acquéreur ne disposait pas des statuts du vendeur et s'adressait au gérant légal sans aucune réserve quant à l'étendue de ses pouvoirs » alors que cette correspondance s'adressait à M. D... en sa seule qualité d'associé de la SARL Odin, que la société Odin n'était aucunement mentionnée comme « vendeur » et que la cession envisagée avait trait aux seuls parts sociales détenues par M. D... et M. J... dans cette société, la cour d'appel a dénaturé le courrier en date du 6 octobre 2008 et a violé l'article 1134 du code civil ;
2°/ que n'est pas valide la cession d'éléments d'actif dès lors qu'elle est de nature à compromettre l'existence de la société et qu'elle est contraire par conséquent à l'intérêt social ; qu'il en est ainsi même dans le cas où un tel acte entre dans son objet statutaire ; qu'en ne recherchant pas si la cession des deux brevets déposés l'un le 11 mai 1994 sous le numéro de dépôt 94-06.025 et l'autre, le 10 novembre 2000, sous le numéro de dépôt 00-14.446, qui constituaient les seuls éléments d'actif de la société Odin, n'étaient pas contraires à l'intérêt social dès lors qu'elle entraînait la fin de la pérennisation de la société, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 223-18 du code de commerce ;
3°/ que dans ses conclusions d'appel, la société Odin, ainsi que les six associés, faisaient valoir que la cession des deux brevets impliquait l'anéantissement de la poursuite de l'objet social effectif de cette société, compte tenu des moyens excessivement onéreux devant être mis en oeuvre pour développer de nouveaux brevets ; que c'est la raison pour laquelle l'article 19 des statuts subordonnait cette cession à une décision collective extraordinaire prise par les associés ; que la cession intervenue le 4 novembre 2008 était contraire à la poursuite de l'objet social de la société Odin qui perdait de fait toute sa substance et devait par conséquent être annulée ; qu'en ne répondant pas à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt constate que dans une lettre adressée le 6 octobre 2008 par le conseil de la société CG Industry à Jean D..., l'avocat demande à celui-ci la production de pièces concernant la société, notamment les statuts et l'extrait Kbis, en vue d'un entretien à intervenir ; que l'arrêt relève qu'il n'y est fait aucune référence à la démission du gérant et que l'extrait Kbis confirme au contraire la qualité de gérant de Jean D..., interlocuteur de la société CG Industry ; qu'il estime que cette lettre tend à démontrer que, moins d'un mois avant la cession, l'acquéreur ne disposait pas des statuts du vendeur et s'adressait au gérant légal sans aucune réserve quant à l'étendue de ses pouvoirs ; qu'en déduisant des termes de cette lettre que celle-ci n'établissait pas la connaissance que la société CG Industry avait de la démission de ses fonctions de gérant par Jean D..., survenue le 31 mars 2008, la cour d'appel n'a fait qu'interpréter, sans les dénaturer, les termes de cette lettre ;
Et attendu, en second lieu, que serait-elle établie, la contrariété à l'intérêt social ne constitue pas, en elle-même, une cause de nullité des engagements souscrits par le gérant d'une société à responsabilité limitée à l'égard des tiers ; que l'arrêt constate que selon l'article 2 de ses statuts, l'objet de la société Odin est notamment de déposer des brevets sur la base de l'aboutissement de ses recherches et d'en exploiter les fruits par tout moyen, cession de licences, franchises ou brevets, ce dont il déduit que la cession des brevets n'est pas contraire à l'objet social ; que l'arrêt constate encore que pendant toute la durée des négociations et lors de la signature des contrats, Jean D... était le gérant à la fois apparent et légal de la société Odin ; qu'après avoir énoncé que les clauses statutaires limitant les pouvoirs des gérants sont inopposables aux tiers, il relève que si l'article 19 des mêmes statuts prévoit que les associés ne peuvent céder des brevets si ce n'est par une décision unanime, la preuve n'est pas rapportée que la société CG Industry connaissait cette stipulation spécifique ; qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à la recherche invoquée à la deuxième branche ni à répondre aux conclusions visées à la troisième branche, toutes deux inopérantes, a légalement justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que la société Odin et les associés font le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen :
1°/ que tout jugement doit être motivé ; qu'en énonçant que « le déséquilibre allégué du contrat n'est pas établi, les explications et justificatifs fournis par la société CG Industry permettant de comprendre l'absence de rentabilité à ce jour », sans viser ni analyser, même sommairement, les éléments de preuve autres que les seuls bilans de la société CG Industry, pour les exercices clos les 31 mars 2010, 2011 et 2012, sur lesquels elle entendait se fonder, la cour d'appel a privé sa décision de motifs et a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ que les parties sont tenues d'exécuter loyalement la convention en veillant à ce que son économie générale ne soit pas manifestement déséquilibrée ; qu'en l'espèce, les modalités de règlement du prix de cession des deux brevets acquis par la société CG Industry stipulaient le versement d'acomptes à concurrence de 20 % du résultat courant avant impôts (calcul en dedans) réalisé par cette société dans l'exploitation des brevets de la société, le premier acompte devant être calculé et versé dans les trois mois de l'arrêté des comptes du premier exercice social, et, pour les exercices suivants, un acompte devant être versé chaque trimestre avec régularisation en fin d'exercice dans les trois mois de l'arrêté des comptes annuel, et ce, jusqu'au complet paiement du prix principal de 849 130,50 euros H.T. ; qu'ainsi, le contrat de cession laissait à la société CG Industry l'initiative de payer ou de ne pas payer le prix sur la seule considération de ce que ses résultats courants avant impôts étaient positifs ou négatifs ; qu'il en résultait un déséquilibre manifeste, la société CG Industry disposant d'une pleine maîtrise sur les deux brevets alors qu'aucun prix ne pouvait en définitive être versé par celle-ci au cédant, la société Odin ; qu'en décidant néanmoins que le déséquilibre n'était pas établi et que l'absence de paiement du prix ne justifiait pas la résolution du contrat, la cour d'appel a violé les articles 1134 alinéa 3, et 1184 du code civil ;
Mais attendu, d'une part, que l'arrêt relève qu'aux termes du contrat, la cession a été consentie et acceptée moyennant le prix principal hors taxes de 849 130,05 euros, soit 424 565,25 euros pour chacun des brevets, et que ce prix devait être payé à concurrence de 20 % du résultat courant avant impôts réalisé par la société CG Industry dans l‘exploitation des brevets, le premier acompte devant être calculé et versé dans les trois mois de l'arrêté des comptes du premier exercice social, et que, pour les exercices suivants, un acompte devait être versé chaque trimestre avec régularisation en fin d'exercice dans les trois mois de l'arrêté des comptes annuels, jusqu'à complet paiement du prix ; qu'il en déduit que tout paiement a donc été contractuellement subordonné à la réalisation, par l'acquéreur, d'un résultat courant avant impôts positif ; qu'il constate que les bilans de la société CG Industry pour les exercices clos les 31 mars 2010, 2011 et 2012 font apparaître des résultats courants avant impôts négatifs ; qu'en l'état de ces seules constatations et appréciations, dont elle a déduit que la demande de résolution tirée de l'absence de paiement du prix n'était pas fondée, la cour d'appel a suffisamment motivé sa décision ;
Et attendu, d'autre part, qu'il résulte des conclusions et de l'arrêt que la société Odin a seulement prétendu, au soutien de sa demande de résolution du contrat, que celui-ci était déséquilibré, que la société CG Industry n'avait pas contracté de bonne foi et qu'elle n'avait pas payé le prix convenu lors de la cession ; qu'elle n'est donc pas recevable à invoquer devant la Cour de cassation un moyen nouveau, mélangé de fait et de droit, pris de l'exécution déloyale du contrat ;
D'où il suit que, pour partie irrecevable, le moyen n'est pas fondé pour le surplus ;
Et sur le troisième moyen :
Attendu que la société Odin et les associés font encore le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen :
1°/ que les gérants sont responsables envers la société, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion ; qu'aucune décision de l'assemblée ne peut avoir pour effet d'éteindre une action en responsabilité contre les gérants pour faute commise dans l'accomplissement de leur mandat ; qu'en déboutant la société Odin et les six associés de leur action en responsabilité à l'encontre de M. D..., gérant démissionnaire, aux motifs qu'aux termes de la première résolution adoptée à l'unanimité par l'assemblée générale extraordinaire de la société Odin qui s'est tenue le 3 octobre 2011, « l'assemblée générale prend acte que M. D..., malgré sa démission du 31 mars 2008 de ses fonctions de gérant, a poursuivi son mandant dans les mêmes conditions qu'antérieurement et décide de lui donner quitus de sa gestion jusqu'à ce jour et renonce à tout recours à son encontre », alors que ce quitus ne pouvait avoir pour effet d'éteindre toute action en responsabilité à l'encontre du gérant, la cour d'appel a violé l'article L. 223-22 du code de commerce ;
2°/ que la responsabilité du gérant envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion, relève des seules dispositions de l'article L. 223-22 du code de commerce ; qu'aucun accord de volontés entre associés ne peut y déroger ; qu'en rejetant l'action en responsabilité exercée par la société Odin et six associés à l'encontre de M. Jean D... aux motifs qu'un protocole d'accord avait été signé le 3 octobre 2011 entre, d'une part MM. Y... Z..., Didier X..., Christophe A..., Michel A..., C... Z... et Mme Jocelyne A..., et, d'autre part, M. Jean D... aux termes il était indiqué que la mise en cause de celui-ci dans la procédure visant à l'annulation de la cession des brevets est rendue nécessaire pour que cette procédure judiciaire à l'encontre de la société CG Industry prospère, mais que les associés et la société Odin s'interdisent de faire exécuter les décisions qui pourraient être rendues à l'encontre de Jean D..., la cour d'appel a violé l'article L. 223-22 du code de commerce ;
3°/ qu'en se fondant sur le fait que le protocole d'accord du 3 octobre 2011 avait été conclu entre MM. Y... Z..., Didier X..., Christophe A..., Michel A..., Mme Jocelyne A... et M. C... Z... d'une part, et Jean D... d'autre part, sans constater que la société Odin, représentée par son gérant, était partie à cet acte, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil ;
Mais attendu que l'article L. 223-22 du code de commerce ne concerne que les agissements commis par les gérants de droit ; que l'arrêt constate que l'assemblée générale extraordinaire de la société Odin tenue le 3 octobre 2011 a, selon une résolution adoptée à l'unanimité, pris acte de ce que M. D... avait, malgré sa démission du 31 mars 2008 de ses fonctions de gérant, poursuivi son mandat et relève que selon cette même résolution, l'assemblée générale a décidé de lui donner quitus et renoncé à tout recours ; que de ces seules constatations, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la troisième branche, la cour d'appel a pu déduire que l'action en responsabilité formée par la société et les associés contre Jean D..., gérant de fait, devait être rejetée ;
D'où il suit que le moyen, pour partie inopérant, n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.