Cass. com., 13 mai 2003, n° 01-17.505
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tricot
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rouen, 10 octobre 2001), que la gestion de la salle polyvalente de la commune de Thiberville (la commune) avait été confiée à l'association Comité de gestion du Cosmos (l'association) en vertu d'une convention du 8 décembre 1988 ; qu'à la suite de la mise en liquidation judiciaire de l'association, son liquidateur judiciaire a saisi le tribunal d'une action en paiement de l'insuffisance d'actif à l'encontre de sept des neuf membres de cette association ; que, par jugement du 21 décembre 1995, le tribunal a dit que des fautes de gestion étaient à l'origine de l'insuffisance d'actif et, "avant de statuer sur l'imputabilité de ces fautes et sur la participation de quiconque au comblement de passif", a ordonné au liquidateur de mettre en cause la commune pour l'audience du 8 février 1996, date de réouverture des débats ; que celle-ci a été assignée en intervention forcée par acte du 10 janvier 1996, auquel était joint une copie de la décision du 21 décembre 1995 ; que, par jugement du 23 février 1999, le tribunal a fixé à 100 000 francs la contribution de la commune aux dettes de l'association ; que la commune a demandé l'annulation de ce jugement au motif que le liquidateur n'avait formé aucune demande à son encontre ;
Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches :
Attendu que la commune fait grief à l'arrêt d'avoir refusé d'annuler le jugement de première instance et de l'avoir condamnée à supporter les dettes de l'association à concurrence de 100 000 francs sur le fondement de l'article L. 624-3 du Code de commerce, anciennement article 180 de la loi du 25 janvier 1985, alors, selon le moyen :
1 / que si, en vertu des dispositions de l'article L. 624-6 du Code de commerce, le tribunal dispose du pouvoir de se saisir d'office en matière d'action en comblement de l'insuffisance dactif il lui appartient alors, en vertu des articles 8 et 164 du 1er décret du 27 décembre 1985 de faire convoquer la personne mise en cause, par les soins du greffier et par acte d'huissier, à comparaître dans le délai quil fixe devant le tribunal siégeant en chambre du conseil ; qu'à la convocation doit être jointe une note par laquelle le président expose les faits de nature à motiver la saisine d'office ; que le greffier doit adresser copie de cette note au procureur de la République en l'avisant de la date d'audition du débiteur ; qu'en l'espèce, le tribunal n'a pas déclaré se saisir d'office mais a seulement ordonné au liquidateur de procéder à la mise en cause de la commune ; que le liquidateur n'a mis en cause la commune qu'aux fins de jugement commun sans former aucune demande contre elle ; qu'en refusant d'annuler le jugement au seul motif que le tribunal a décidé d'office la mise en cause de la commune, sans constater que les premiers juges s'étaient régulièrement saisis d'office à l'encontre de la commune et avaient respecté la procédure imposée en ce cas par la loi, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 624-6 du Code de commerce, 8 et 164 du 1er décret du 27 décembre 1985 ;
2 / qu'en matière d'action en comblement de l'insuffisance d'actif, le tribunal se saisit d'office ou est saisi par 1'administrateur, le représentant des créanciers, le commissaire à l'exécution du plan, le liquidateur ou le procureur de la République ; qu'il est constant qu'aucune des parties titulaires de l'action en comblement de passif n'a conclu à la condamnation de la commune ; qu'en refusant d'annuler le jugement de première instance malgré l'absence de saisine régulière aux fins de condamnation par l'une des parties titulaires du droit d'agir ou par le tribunal, d'où résultait l'absence de tout pouvoir du juge pour condamner la commune, la cour d'appel a violé l'article L. 624-6 du Code de commerce ainsi que les articles 8 et 164 du 1er décret du 27 décembre 1985 ;
3 / que lorsque l'annulation du jugement résulte de l'irrégularité de l'acte introductif d'instance, l'effet dévolutif de l'appel est exclu, peu important que l'appelant ait comparu et conclu au fond devant le tribunal ou qu'il ait conclu au fond à titre subsidiaire devant la cour d'appel ; qu'en refusant d'annuler le jugement de première instance, au motif que devant le tribunal, la commune a discuté et s'est défendue sur sa responsabilité dans la gestion du Cosmos, la cour d'appel a violé par fausse application l'article 562 du nouveau Code de procédure civile ;
4 / que dans ses conclusions récapitulatives régulièrement signifiées le 14 juin 2001, la commune a expressément soulevé l'irrecevabilité de la demande de condamnation formée contre elle pour la première fois en cause d'appel par M. X... puis par M. Y..., ès qualités de liquidateurs à la liquidation judiciaire de l'association ; qu'il résulte en effet des constatations du jugement du 25 février 1999 que dans ses conclusions, M. X..., liquidateur à la liquidation judiciaire de l'association a déclaré s'en rapporter à justice sur la mise en oeuvre de la responsabilité de la commune et indiqué estimer que cette dernière, qui n'était pas dirigeant de droit de l'association, n'avait à son avis commis aucune faute de gestion au sens de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985 et qu'elle était en réalité la première victime de la situation ; que si l'arrêt doit être interprété comme ayant fait droit à la demande formée pour la première fois en cause d'appel par le liquidateur à la liquidation judiciaire de l'association, la cour d'appel a alors violé par refus d'application l'article 564 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt énonce exactement qu'il résulte de l'article 183 de la loi du 25 janvier 1985, devenu l'article L. 624-6 du Code de commerce, que le tribunal peut décider d'office de mettre en cause un dirigeant de la personne morale en procédure collective dans l'action en paiement des dettes sociales dont il est saisi par le liquidateur, peu important que ce dernier n'ait formulé aucune demande à l'encontre de ce dirigeant ; qu'il relève ensuite que le jugement ordonnant la mise en cause de la commune, qui était joint à l'assignation en intervention forcée, citait un rapport de la chambre régionale des comptes, dont la commune avait été destinataire, qui analysait l'implication de celle-ci dans la gestion de la salle des fêtes de l'association, ce dont il résultait qu'elle avait eu connaissance des faits qui lui étaient reprochés ; qu'en l'état de ces énonciations et constatations justifiant les conditions de mise en cause de la responsabilité de la commune, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; qu'inopérant dans ses trois dernières branches, le moyen n'est pas fondé pour le surplus ;
Et sur le second moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que la commune fait encore grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à supporter les dettes de l'association à concurrence de 100 000 francs sur le fondement de l'article L. 624-3 du Code de commerce, anciennement article 180 de la loi du 25 janvier 1985, alors, selon le moyen :
1 / qu'ont seules la qualité de dirigeants de droit de la personne morale les personnes régulièrement désignées en tant qu'organes légaux de cette dernière, et lorsqu'il s'agit d'une association, celles qui ont été régulièrement désignées pour occuper des fonctions de direction prévues par les statuts ; que la cour d'appel a condamné la commune à combler une partie de l'insuffisance d'actif de l'association au motif que la convention du 8 décembre 1988 (confiant à l'association la gestion de la salle municipale) conférait à la commune des possibilités de suivi et de contrôle, et des pouvoirs au regard de la gestion et des décisions de l'association ; qu'en condamnant la commune à combler une partie de l'insuffisance d'actif de l'association par ces seuls motifs, impropres à établir sa qualité de dirigeant de droit de l'association, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 624-3 du Code de commerce ;
2 / que seul peut être qualifié de dirigeant de fait d'une personne morale celui qui exerce une action positive de direction ou de gestion en toute liberté et indépendance ; que la cour d'appel a condamné la commune à combler une partie de l'insuffisance d'actif de l'association en qualité de dirigeant de fait de l'association, au motif que la convention du 8 décembre 1988 (confiant à l'association la gestion de la salle municipale) conférait à la commune des possibilités de suivi et de contrôle, et des pouvoirs au regard de la gestion et des décisions de l'association, et que la commune s'était abstenue de remplir les obligations mises à sa charge par la convention conclue avec l'association le 8 décembre 1988 ; qu'en statuant par ces motifs impropres à établir l'exercice effectif par la commune d'une action positive de direction ou de gestion de l'association et par conséquent sa qualité de dirigeant de fait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de violé L. 624-3 du Code de commerce ;
3 / que les lettres d'observations définitives adressées par les chambres régionales des comptes aux représentants des exécutifs locaux ne sont pas des décisions au sens du droit public et n'ont aucune autorité de chose jugée ; que de surcroît, pour affirmer que la commune disposait d'un pouvoir prépondérant de direction ou de gestion de l'association, la chambre des Comptes de Haute-Normandie s'est uniquement fondée sur les termes de la convention du 8 décembre 1988 d'où ne résultait ni la qualité de dirigeant de fait ni la qualité de dirigeant de droit de la commune ; qu'en statuant comme elle a fait, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 624-3 du Code de commerce ;
Mais attendu qu'ayant relevé, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis, que le conseil municipal désignait trois des neuf membres de l'association, que la comptabilité était tenue par le secrétariat de mairie auquel l'état des recettes et des dépenses était remis chaque semaine, que la commune devait donner son accord aux projets d'investissements de l'association, que les tarifs de location de la salle polyvalente étaient établis en commun avec le conseil municipal et que le bilan financier annuel devait lui être soumis, l'arrêt retient que cette organisation conférait à la commune des possibilités de suivi, de contrôle et des pouvoirs au regard de la gestion et des décisions de l'association ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a, en retenant que la commune avait dirigé en fait l'association, légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.