Cass. com., 21 novembre 2018, n° 17-22.433
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rémery
Avocats :
SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, SCP Foussard et Froger
Sur les premier et second moyens, réunis :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Caen, 1er juin 2017), que la société Mondial montage (la société) ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires par des jugements des 6 octobre 2010 et 16 décembre 2010, le liquidateur, Mme Z..., a recherché la responsabilité pour insuffisance d'actif de M. Y..., en tant que de gérant de fait ;
Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt de dire qu'il était gérant de fait de la société Mondial montage, de le condamner à verser à Mme Z..., ès qualités, la somme de 200 000 euros, de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamné à payer la somme de 7 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et l'a condamné aux dépens de l'instance, puis de le condamner à verser la somme de 2 000 euros à Mme Z..., ès qualités, au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de le condamner aux dépens d'appel alors, selon le moyen :
1°/ qu'est gérant de fait la personne physique ou morale qui, sans avoir la qualité de gérant de droit, exerce en toute indépendance des actes positifs de gestion au sein d'une société ; que pour retenir que M. Y... était le gérant de fait de la société, la cour d'appel s'est fondée sur plusieurs attestations dont il résultait que M. Y... décidait de la répartition des chantiers entre les salariés, qu'il décidait des recrutements des salariés et qu'il prenait les décisions portant notamment sur les modalités de paiement des heures supplémentaires ou des primes dues aux salariés ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à établir l'existence d'une direction de fait, en toute indépendance, de la société par M. Y..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 651-2 du code de commerce ;
2°/ qu'en outre, en l'espèce, M. Y... rappelait que Mme B... et M. C... avaient tout intérêt à le voir déclarer gérant de fait pour se décharger de leur responsabilité propre, M. C... étant gérant de droit de la société et poursuivi pour des actes de concurrence déloyale commis dans le cadre de ses fonctions de dirigeant de la société, Mme B..., associée de la société, s'étant pour sa part montrée particulièrement active dans la gestion de la société avant d'en racheter plusieurs branches d'activité ; qu'il rappelait en outre qu'après avoir racheté à vil prix ces branches d'activité, Mme B... avait conclu un partenariat avec la société de M. C..., parallèlement poursuivi pour des faits de concurrence déloyale commis en sa qualité de gérant au préjudice de la société (détournement de clientèle ; débauchage de salariés) ; qu'il rappelait que M. D... faisait lui-même partie des salariés débauchés par M. C... et qu'il avait constitué la société dont M. C... était devenu le gérant ; qu'en se fondant sur les seules déclarations (directes ou rapportées) de Mme B... et de MM. C... et D... pour retenir l'existence d'une gestion de fait, sans rechercher si, pour les raisons précitées, ces déclarations ne pouvaient suffire à elles seules à établir la gérance de fait de M. Y..., ni révéler l'existence effective d'actes de gestion exercés en toute indépendance et de façon continue par M. Y..., lesquelles conforteraient les allégations relevées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 651-2 du code de commerce ;
3°/ que la gérance de fait se déduit de la simple constatation d'actes positifs de gestion accomplis en toute indépendance ; que la responsabilité pour insuffisance d'actif supposant la démonstration d'une faute de gestion, la responsabilité d'un gérant de fait pour des actes accomplis au nom de la société ne peut être recherchée qu'à la condition qu'il soit établi que le fait contesté a été soit initié soit validé par celui-ci ; qu'en l'espèce, M. Y... contestait être à l'origine des travaux engagés dans le cadre de l'extension du bâtiment d'exploitation de la société, dont la cour d'appel a retenu le caractère fautif pour cette raison qu'il résulterait du rapport d'expertise E... qu'une partie des travaux supportés par la société aurait bénéficié à des tiers ; qu'il rappelait à cet égard l'implication de Mme B... et de M. C... dans ce type de dossiers et qu'aucun élément n'était produit aux débats pour établir qu'il aurait personnellement été associé à ces travaux ; qu'en mettant en jeu la responsabilité de M. Y... au titre de ces mêmes travaux au motif que « si les opérations de l'expert judiciaire sont insuffisantes pour permettre de déterminer le bénéficiaire des travaux indûment payés par la société Mondial montage, il demeure que les travaux ont été réalisés sous l'égide de M. Y..., gérant de fait de la société et qu'ils n'ont pas bénéficié à la société pour avoir porté sur des immeubles autres que le bâtiment d'exploitation », sans préciser, dès lors que M. Y... contestait avoir pris l'initiative ou validé les décisions contestées, sur quels éléments elle se fondait pour retenir qu'il en était ainsi, la cour d'appel, qui relevait en outre que tout gérant de fait que fût M. Y..., M. C... avait conservé une activité au sein de la société puisqu'il continuait notamment à valider des devis édités par cette société, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
4°/ que dans son rapport d'expertise, l'expert E... avait établi une liste des travaux effectivement réglés par la société et des seuls travaux qui, à son sens, auraient dû être « retenus », le rapport faisant apparaître que la différence de valeur entre les travaux réglés et les travaux non « retenus » était de 131 885,60 euros ; que pour ne pas « retenir » certains travaux, l'expert ne fournissait aucune explication ; que pour d'autres, le rapport faisait simplement apparaître, au mieux, que l'expert les aurait valorisés autrement ; qu'en jugeant qu'il résultait de ce rapport d'expertise que la société avait, à hauteur de 131 885,60 euros, supporté le paiement de travaux réalisés au profit de tiers, la cour d'appel a dénaturé le rapport d'expertise E... et violé les articles 1103 et 1192 du code civil dans leur rédaction applicable à la cause (anciennement l'article 1134 du même code) ;
5°/ que si un rapport d'expertise judiciaire n'est pas nul au seul motif qu'il aurait été établi de façon non contradictoire, il appartient au juge de rétablir le contradictoire en répondant aux griefs et contestations soulevés par les parties ; qu'en l'espèce, M. Y... faisait valoir que le rapport d'expertise E... avait été établi de façon non contradictoire, lui reprochait ses investigations sommaires (rares constatations sur les lieux, « rejet » de travaux sans autre forme d'explications) et produisait aux débats un contre-rapport d'expertise établi par M. F... qui faisait apparaître, en se fondant notamment sur une analyse exhaustive des travaux accomplis et de la comptabilité des sociétés Mondial montage et Strock Loc, que les sommes effectivement restées à la charge de la société Mondial montage étaient de 209 009,82 euros et que ces sommes correspondaient effectivement aux travaux afférents à l'extension du bâtiment d'exploitation ; qu'en s'abstenant de s'expliquer sur ce rapport, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
6°/ que le dirigeant de fait ou de droit ne peut être tenu pour responsable, sur le fondement de l'article L. 651-2 du code de commerce, qu'au titre de l'insuffisance d'actif à laquelle il a contribué ; que pour justifier la mise en jeu de la responsabilité de M. Y... en qualité de dirigeant de fait de la société, la cour d'appel a estimé que des travaux avaient été supportés par elle bien qu'ils aient été effectués au profit de tiers ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans relever l'existence d'une perte définitive que la société aurait supporté à ce titre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 651-2 du code de commerce ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt relève qu'il ressort des déclarations de Mme B..., assistante de direction, effectuées devant les services de police, le 10 janvier 2011, que sous le couvert de ses contrats de salarié et d'apporteur d'affaires, M. Y... décidait seul du recrutement des salariés, et que, s'il ne disposait pas d'une délégation de signature, il prenait seul les décisions portant sur les modalités de paiement des heures supplémentaires ou des primes dues aux salariés, qu'elle-même avait été recrutée par M. Y... et qu'il gérait ainsi la société depuis sa création ; qu'il relève encore que M. C..., gérant de droit de la société, a exposé, dans le cadre d'une procédure de référé en concurrence déloyale initiée par la société, que la direction effective de la société avait toujours été assurée par M. Y... qui lui avait confié un mandat purement fictif en raison de l'interdiction de gérer prononcée à son égard, et que celui-ci lui demandait simplement d'apposer sa signature sur des documents préétablis tels que des contrats de travail ; qu'il relève enfin que M. D..., salarié de la société, a exposé dans le cadre de la même procédure que M. Y... était à l'origine de toutes les décisions et de la gestion, et que ces éléments ne sont pas utilement contestés par M. Y... ; que de ces constatations et appréciations, révélant des actes positifs de direction et de gestion accomplis en toute indépendance par M. Y..., la cour d'appel a pu déduire que celui-ci était gérant de fait de la société et devait en conséquence répondre des fautes de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif ;
Et attendu, en second lieu, que l'arrêt retient qu'à l'examen des rapports de M. E... et de M. F... , il apparaît que la société a payé des travaux qui n'ont pas été effectivement réalisés à son profit, à concurrence de la somme de 131 885,60 euros, que si les opérations de l'expert judiciaire sont insuffisantes pour permettre de déterminer le bénéficiaire des travaux indûment payés, il demeure que ceux-ci ont été réalisés sous l'égide de M. Y..., gérant de fait de la société, et qu'ils n'ont pas bénéficié à la société pour avoir porté sur des immeubles autres que le bâtiment d'exploitation, qu'à compter du 28 mars 2008, M. Y... a conclu avec la société un contrat de prestation de service rémunéré, qu'il ressort du rapport de M. G..., expert judiciaire, qu'après prise en compte des contestations de M. Y..., celui-ci avait indûment perçu au titre de ce contrat la somme de 120 108,11 euros, et que les fautes de gestion commises par M. Y... ont contribué, au regard des ponctions indûment opérées sur sa trésorerie, à l'insuffisance d'actif de la société, qui s'élève à la différence entre le passif déclaré de 1 737 666,19 euros et l'actif de 111 700,34 euros ; que la cour d'appel, qui a, sans dénaturation, en répondant aux conclusions prétendument délaissées et en tenant compte des éléments produits aux débats, caractérisé les fautes commises par M. Y... et leur contribution à l'insuffisance d'actif de la société Mondial montage, a légalement justifié sa décision ; D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.