Cass. com., 20 avril 2017, n° 15-19.750
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
Me Haas, Me Le Prado, SCP Hémery et Thomas-Raquin, SCP Piwnica et Molinié
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société anonyme Silicium de Provence (la société Silpro) ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires les 7 avril et 4 août 2009, le liquidateur a assigné en responsabilité pour insuffisance d'actif deux de ses actionnaires, les sociétés Sol-holding et Photon Power Industries, et la société-mère de cette dernière, la société EDF énergies nouvelles réparties, les tenant toutes les trois pour dirigeants de fait, ainsi que MM. X...et Y..., pris respectivement en leur qualité de président du directoire et de directeur général ; Sur le premier moyen :
Attendu que le liquidateur fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes alors, selon le moyen, que le ministère public peut faire connaître son avis, soit oralement à l'audience, soit en adressant des conclusions écrites à la juridiction qui sont mises à la disposition des parties ; qu'en l'espèce, en se bornant à énoncer que, par conclusions du 15 janvier 2015, le procureur général avait déclaré s'en rapporter à la décision de la cour, sans constater que les parties et notamment Mme Z..., avaient eu communication de ces conclusions et avaient eu la possibilité d'y répondre utilement, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 16 et 431 du code de procédure civile ;
Mais attendu que l'avis écrit du ministère public, par lequel ce dernier déclare s'en rapporter, étant sans influence sur la solution du litige, n'a pas à être communiqué aux parties ; que dès lors qu'il résulte des constatations de l'arrêt que « le procureur général, par conclusions du 15 janvier 2015, a déclaré s'en rapporter à la décision de la cour », ces conclusions n'avaient pas à être communiquées aux parties ; que le moyen n'est pas fondé ; Sur le troisième moyen :
Attendu que le liquidateur fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen :
1°/ que doit recevoir la qualité de dirigeant de fait d'une société, la personne morale qui, sans être dirigeant de droit, a exercé en fait, par l'intermédiaire d'une personne physique qu'elle a choisie et qui a agi sous son emprise, des pouvoirs de direction sur la société, en définissant les modalités du fonctionnement financier et économique de la société ainsi que ses perspectives d'avenir, en étant consulté régulièrement par le dirigeant de droit dans une relation de dépendance et de soumission, ces circonstances révélant que la personne morale a eu un rôle décisionnel majeur ; qu'en relevant, pour dire que les sociétés Sol Holding, Photon Power Industries et EDF énergies nouvelles réparties n'avaient pas la qualité de dirigeants de fait de la société Silpro, que les statuts de cette société prévoyaient que toutes les décisions importantes devaient être approuvées par le conseil de surveillance de la société et que la société Silpro avait conclu avec la société E-Concern, associée majoritaire de la société Sol Holding, une convention portant sur la gestion de la société cependant que ces circonstances étaient impropres à exclure la qualification de dirigeants de fait des sociétés Photon Power Industries et EDF énergies nouvelles réparties, dès lors qu'il était établi que leurs représentants avaient défini, au sein du conseil de surveillance, les modalités de fonctionnement et de financement de la société Silpro et que les membres du directoire étaient cantonnés à une tâche d'exécutants, la cour d'appel a violé l'articles L. 651-2 du code de commerce ;
2°/ que doit recevoir la qualité de dirigeant de fait d'une société, la personne morale qui, sans être dirigeant de droit, a exercé en fait, par l'intermédiaire d'une personne physique qu'elle a choisie et qui a agi sous son emprise, des pouvoirs de direction sur la société, en définissant les modalités du fonctionnement financier et économique de la société ainsi que ses perspectives d'avenir, en étant consulté régulièrement par le dirigeant de droit dans une relation de dépendance et de soumission, ces circonstances révélant que la personne morale a eu un rôle décisionnel majeur ; qu'en écartant cette qualité, après avoir constaté que c'est au sein du conseil de surveillance, par les représentants des sociétés, Photon Power Industries et EDF énergies nouvelles réparties, qu'avaient été prises toutes les décisions relatives à la planification de la trésorerie, les engagements à long terme, le lancement des travaux, les investissements et les modes de financement et que, par l'effet de la convention signée entre la société Silpro et la société E-Concern, actionnaire majoritaire de la société Sol Hoding, la société E-Concern assurait la gestion de la société Silpro, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 651-2 du code de commerce ;
Mais attendu qu'après avoir retenu que la direction de fait de la société Silpro ne peut se déduire du mode de financement mis en place au démarrage du projet, ni de la qualité d'actionnaire, même majoritaire, l'arrêt relève que, si les statuts prévoyaient, pour un certain nombre d'opérations, l'autorisation du conseil de surveillance, il ne ressort pas de la lecture des différents procès-verbaux de réunions de cet organe, produits aux débats, que ce dernier ait, en adoptant ces décisions, excédé sa compétence, telle que statutairement définie ; qu'il ajoute que la participation des représentants des sociétés Photon Power Industries et EDF énergies nouvelles réparties à certaines réunions du conseil de surveillance au cours desquelles ont été abordés le choix du projet, son développement, les démarches à entreprendre pour l'obtention de subventions publiques et la question des financements bancaires, ne suffit pas à caractériser que ces actionnaires directs et indirects de la société Silpro se soient, en toute indépendance, immiscés dans la direction de celle-ci ; qu'il retient encore que la société était dirigée par un directoire investi des pouvoirs les plus étendus, lequel a conclu tous les contrats et tous les engagements de la société Silpro ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu exclure l'existence d'une direction de fait de la société Silpro par ses actionnaires ; que le moyen n'est pas fondé ; Sur le quatrième moyen :
Attendu que le liquidateur fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen :
1°/ que le choix, lors de la création de l'entreprise, d'investissements inadaptés ou excessifs au regard de leurs conditions prévisibles de financement, constitue une faute de gestion ; qu'en relevant que la commande d'études, de travaux de construction de la future usine comme de matériel à long terme de livraison ne pouvait être considérée comme une faute de gestion compte-tenu des fonds dont disposait l'entreprise, de la promesse des collectivités locales de lui verser 55 millions d'euros, des négociations en cours avec d'éventuels investisseurs et prêteur et de la promesse de son actionnaire majoritaire de pallier les insuffisances de financement bancaire, sans rechercher, comme elle y avait été invitée, si le montant des investissements réalisés, supérieur à 110 millions d'euros, constituant l'exclusivité du passif de la société, n'était pas totalement disproportionné au regard des fonds dont celle-ci disposait et de l'absence de toute solution de financement assurée et pérenne du projet, faisant ainsi supporter aux seuls contractants de la société les aléas d'un financement qui n'était qu'éventuel, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 651-2 du code de commerce ;
2°/ que les juges du fond, tenus de motiver leur décision, doivent analyser, ne serait-ce que succinctement, les pièces sur lesquelles ils se fondent ; qu'en relevant que les engagements pris à hauteur de plus de 110 millions d'euros ne pouvaient être considérés comme une faute de gestion compte-tenu de la promesse des collectivités locales de verser à la société des subventions à hauteur de 55 millions d'euros, sans préciser et analyser les pièces sur lesquelles elle fondait ce motif, cependant le liquidateur avait fait valoir que l'argumentation des dirigeants faisant état d'une telle promesse ne reposait que sur une simple allégation, non assortie du moindre élément de preuve, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
3°/ qu'en faisant état de négociations avec la Caisse des dépôts et consignations et certains investisseurs, sans s'expliquer sur l'état d'avancement de ces négociations, cependant que Mme Z... avait soutenu que les dirigeants ne pouvaient se prévaloir d'aucune négociation avancée puisqu'ils s'étaient bornés à produire des mandats de négociations et qu'il ressortait du rapport des administrateurs judiciaires, sur lequel le tribunal de commerce de Manosque avait fondé sa décision, que « le handicap majeur du projet était constitué par l'insuffisance du tour de table qui a été constitué pour l'opération et dont la crédibilité n'a pas été suffisante pour attirer les financements nécessaires », la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
4°/ qu'outre la souscription, au début de l'année 2008, d'investissements excessifs au regard des capacités de financement prévisible de la société, Mme Z... reprochait à ses dirigeants d'avoir, à compter du mois de juillet 2008 et après qu'il eut été décidé de mettre un terme au projet, continué à engager des dépenses, dont un contrat de plus d'un million d'euros, à une époque où les dirigeants ne pouvaient ignorer les difficultés rencontrées pour financer le projet, qui les avaient conduits à le suspendre ; qu'en ne recherchant pas si les nouveaux engagements pris à compter du mois de juillet 2008 à une époque où l'arrêt du projet était envisagé faute de financement nécessaire, et ayant accru le passif de près de 30 millions d'euros, n'étaient pas constitutifs d'une faute de gestion, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 651-2 du code de commerce ;
5°/ que Mme Z... reprochait encore aux sociétés actionnaires dirigeantes de la société Silpro d'avoir rompu leur engagement de soutenir financièrement la société en décidant brutalement de cesser toute avance de fonds et de suspendre le projet ; qu'en ne recherchant pas si cette décision ne suffisait pas non plus à caractériser une faute de gestion, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 651-2 du code de commerce ;
6°/ qu'en ajoutant que seules les difficultés rencontrées par la société Econcern, actionnaire principal de la société Sol Holding, l'ampleur de la crise financière apparue en 2008 et la baisse du cours du silicium qui n'étaient pas prévisibles, conjuguées à l'absence de substitution d'un partenaire crédible, étaient à l'origine de l'échec du projet, sans constater que ces circonstances constituaient la cause exclusive de l'insuffisance d'actif, cependant que ce n'était qu'à cette condition que les dirigeants pouvaient se voir exonérer des conséquences de leurs fautes de gestion, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 651-2 du code de commerce ;
7°/ qu'en affirmant que les difficultés de la société E-Concern, ayant conduit la société Sol Holding à ne plus pouvoir faire face à ses engagements étaient imprévisibles sans préciser les éléments de preuve sur lesquelles elle se fondait, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
8°/ qu'en relevant que les difficultés financières rencontrées par la société Econcern avaient interdit à la société Sol Holding d'assurer le financement du projet, comme pourtant elle s'y était engagée, son autre actionnaire, la société de droit allemand Solon s'étant retirer du projet, sans s'expliquer sur les circonstances ayant entouré ce retrait, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
9°/ qu'en affirmant que l'ampleur de la crise financière apparue en 2008 et la baisse du cours de silicium était imprévisibles, sans répondre au moyen de Mme Z... tiré de ce que, de par leur compétences et de la nature du projet, les dirigeants n'avaient pu ignorer les conséquences de la crise apparue aux Etats-Unis à la fin de l'année 2007, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'après avoir rappelé que, selon les administrateurs judiciaires de la société, un processus cohérent avait été mis en place pour la réalisation du projet industriel envisagé par la société Silpro et que le mode de financement avait été respecté, à l'exception des prêts du consortium bancaire non encore obtenus à la date de l'ouverture de la procédure collective, et que, selon le rapport de la commission des affaires économiques sur les énergies photovoltaïques, le projet avait buté sur « la conjugaison de difficultés systémiques, sectorielles et spécifiques », au rang desquelles se trouvaient la crise financière internationale de 2007/ 2008, la chute du cours du silicium, au plus haut lors de la création de l'entreprise, et le dérapage des coûts envisagés « en raison du surdimensionnement du projet imposé par les partenaires chimistes », l'arrêt relève que le projet était soutenu et fortement encouragé tant par le gouvernement français que par les collectivités publiques locales ; qu'il relève encore que la société Silpro disposait des fonds pour commander des études et des matériels et réaliser les travaux de construction de la plate-forme de l'usine future, au regard des prêts et avances de ses actionnaires, d'un prêt client, de subventions publiques déjà versées pour un montant de 4, 75 millions d'euros et de subventions promises par les collectivités locales à concurrence de 55 millions d'euros ; qu'il retient enfin que des événements imprévisibles sont à l'origine de l'échec du projet, comme la défaillance, en mai 2009, de la société E-concern, actionnaire principal de la société Sol-holding et acteur majeur du projet, l'ampleur des conséquences de la crise financière apparue début 2008 et l'effondrement de 80 % du cours du silicium, entre 2008 et 2009 ; que, par ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a répondu en les écartant aux conclusions prétendument omises, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le deuxième moyen : Vu l'article 562 du code de procédure civile ;
Attendu que les juges du fond ne peuvent aggraver le sort de l'appelant sur son seul appel en l'absence d'appel incident ;
Attendu que l'arrêt infirme le jugement qui, après avoir retenu que la société Sol holding était dirigeante de fait de la société Silpro, l'a condamnée à payer la somme de 200 000 euros au titre de l'insuffisance d'actif de cette société ; Qu'en statuant ainsi, alors que le liquidateur concluait à la confirmation du jugement en ce qu'il avait retenu la responsabilité de la société Sol holding dans l'insuffisance d'actif de la société Silpro et que la société Sol holding n'avait pas formé appel incident, la cour d'appel, en aggravant le sort du liquidateur appelant, a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il infirme le jugement condamnant la société Sol holding à payer au liquidateur la somme de 200 000 euros au titre de l'insuffisance d'actif, l'arrêt rendu le 19 mars 2015, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence.