Cass. com., 12 juillet 2016, n° 14-23.310
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Didier et Pinet, SCP Foussard et Froger, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Lutrac industrie (la société débitrice) a été mise en redressement puis liquidation judiciaires les 11 septembre 2003 et 15 janvier 2004 ; que le liquidateur a assigné en responsabilité pour insuffisance d'actif M. X..., président de la société débitrice à partir du 5 juillet 2003, ainsi que la société Yeson, en sa qualité d'ancien dirigeant, et M. Y..., gérant de cette dernière ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de le condamner à supporter l'insuffisance d'actif de la société débitrice à concurrence de la somme de 1 000 000 euros alors, selon le moyen, que seule une faute de gestion imputable au dirigeant, ayant contribué à l'insuffisance d'actif, est susceptible d'engager sa responsabilité sur le fondement de l'article L. 624-3 ancien du code de commerce ; qu'en imputant à faute à M. X... de ne pas avoir tenté de procéder à une augmentation de capital par apport en numéraire quand cette mesure relève de la compétence exclusive des actionnaires par l'effet de la loi, la cour d'appel a violé le texte susvisé, ensemble l'article L. 227-9, alinéa 2, du code de commerce ;
Mais attendu qu'après avoir exactement énoncé que, si les apports de fonds à une société sont le fait des associés et non des dirigeants, qui ne peuvent, dès lors, se voir reprocher l'absence d'augmentation du capital, l'arrêt retient à bon droit que ces dirigeants peuvent cependant commettre une faute de gestion s'ils ne tentent pas d'obtenir une telle augmentation, lorsqu'elle s'avère nécessaire à la survie de la société ; qu'ayant relevé que M. X..., qui avait connaissance, dès le rachat des actions de la société, le 5 juillet 2003, qu'elle serait en état de cessation des paiements si elle n'était pas rapidement recapitalisée, n'a pas tenté de faire procéder à l'augmentation nécessaire, la cour d'appel a pu en déduire qu'il avait commis une faute de gestion ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen du même pourvoi :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'écarter la responsabilité pour insuffisance d'actif de la société Yeson et de M. Y... alors, selon le moyen :
1°/ que le juge ne peut pas dénaturer les écrits versés aux débats ; qu'en affirmant qu'aucune faute de gestion n'est imputable à la société Yeson et à M. Y... dès lors que « l'expert, […] à aucun moment ne fait reproche à Jean-Paul Y... et à la société Yeson d'avoir fait usage du crédit ou des biens de la société contraire à ses intérêts », quand l'expert judiciaire constatait expressément dans son rapport que, d'une part, le « déficit affiché en 2003 trouve son origine en partie en 2002. Le démantèlement de la société Lutrac Industrie depuis 2002 a accéléré le processus, mettant la société en état de cessation des paiements dès le mois de septembre 2003 » que, d'autre part, ce démantèlement avait été réalisé au seul profit de la société Yeson et de M. Y... en faisant indûment supporter à la société venderesse une perte nette de 237 107, 27 euros (par non-paiement du prix ou sous-évaluation des biens), avant de conclure que « la société Lutrac Industrie, rentable en 2000 et 2001, est devenue déficitaire en 2002 alors que son chiffre d'affaires était en plein essors », la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du rapport d'expertise et violé l'article 1134 du code civil ;
2°/ que constitue une faute de gestion contribuant à l'insuffisance d'actif le fait pour un dirigeant d'avoir poursuivi abusivement une exploitation déficitaire, sans qu'il soit besoin de rechercher si celui-ci avait ou non personnellement bénéficié de la poursuite de l'exploitation ; qu'en affirmant qu'aucune faute de gestion ne pouvait être imputée à la société Yeson et à M. Y... dès lors qu'il n'était pas établi que c'est dans un intérêt personnel qu'ils avaient abusivement poursuivi l'exploitation déficitaire de la société Lutrac Industrie depuis 2002, la cour d'appel a violé article L. 624-3 du code de commerce ;
3°/ que constitue une faute de gestion le fait pour un dirigeant d'avoir tenu une comptabilité irrégulière ayant pour objet ou pour effet de masquer les pertes réelles de la société, sans qu'il soit besoin de rechercher si ce manquement aux prescriptions légales était ou non volontaire ; qu'à la suite de l'expert judiciaire, la cour d'appel a constaté que la société Yeson et M. Y... ont tenu une comptabilité irrégulière à compter de 2002 ; qu'en affirmant que ces irrégularités sont constitutives d'une simple « erreur d'appréciation qui ne saurait servir de fondement à la condamnation réclamée », la cour d'appel a violé l'article L. 624-3 du code de commerce ;
4°/ que constitue une faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif le fait pour un dirigeant d'avoir tenu une comptabilité irrégulière ; qu'à la suite de l'expert judiciaire, la cour d'appel a constaté que la société Yeson et M. Y... ont tenu une comptabilité irrégulière à compter de 2002 ; qu'en affirmant que ces irrégularités sont constitutives d'une simple « erreur d'appréciation qui ne saurait servir de fondement à la condamnation réclamée » sans rechercher si elles ont ou non contribué à l'insuffisance d'actif, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 624-3 du code de commerce ;
5°/ que constitue une faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif le fait pour un dirigeant d'avoir tenu une comptabilité irrégulière ayant pour objet ou pour effet de masquer les pertes réelles de la société ; que la cour d'appel a constaté que la société Yeson et M. Y... ont tenu une comptabilité irrégulière à compter de 2002 ; qu'en écartant toute faute des intéressés à la faveur de considération inopérantes selon lesquelles les irrégularités comptables n'auraient eu « qu'un impact très limité sur le fonctionnement de la société » et qu'en tout état de cause « la société était [alors] viable », la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'ancien article L. 624-3 du code de commerce ;
Mais attendu qu'un dirigeant condamné à supporter l'insuffisance d'actif n'est pas recevable, même à titre de garantie, à agir contre un autre dirigeant poursuivi sur le même fondement et à critiquer le sort différent qui lui a été réservé ; que le moyen est irrecevable ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses deuxième et troisième branches :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi incident, pris en sa quatrième branche :
Vu l'article L. 624-3 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises ;
Attendu que pour écarter la responsabilité de la société Yeson et de M. Y..., l'arrêt, après avoir constaté l'existence d'irrégularités dans la comptabilité, retient que certaines d'entre elles ne relèvent pas d'une dissimulation volontaire et que d'autres n'ont eu qu'un impact très limité sur le fonctionnement de la société au regard de l'importance de son chiffre d'affaires et que, « en toute hypothèse, il n'est pas possible d'affirmer que ces irrégularités comptables ont joué un rôle causal dans la déconfiture de la société dès lors que, au moment de l'ouverture du redressement judiciaire, les juges ont pu constater que la société était viable et que, par la suite, sa liquidation a été la conséquence de la perte des clients les plus importants » ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si les irrégularités comptables qu'elle constatait avaient contribué, non à la déconfiture de la société, mais à l'insuffisance d'actif, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Et attendu que la condamnation à supporter partie des dettes sociales ayant été prononcée en considération de deux fautes de gestion, la cassation encourue à raison de l'une entraîne la cassation de l'arrêt ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
Sur le pourvoi principal :
Le REJETTE ;
Sur le pourvoi incident :
CASSE ET ANNULE, en ses seules dispositions concernant M. Y... et la société Yeson, l'arrêt rendu le 19 juin 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Metz ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nancy.