Cass. com., 2 novembre 2016, n° 15-11.426
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, SCP Ortscheidt
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rouen, 27 novembre 2014), qu'après avoir repris la société Entreprise nouvelle Isotherma, la société Isotherma-Krief environnement (la société IKE) a, le 12 mars 2010, bénéficié d'une procédure de sauvegarde, laquelle a été convertie, le 30 avril suivant, en une procédure de redressement judiciaire ; que, le 21 mai 2010, le tribunal a prononcé la liquidation judiciaire de la société IKE et désigné la Selarl Catherine C... en qualité de liquidateur ; que, par actes des 29 juillet et 4 août 2011, cette dernière a assigné MM. X... et Y..., respectivement président et directeur général de la société, en responsabilité pour insuffisance d'actif ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au liquidateur la somme de 500 000 euros alors, selon le moyen, que le juge, qui ne peut statuer que sur les dernières conclusions déposées, doit viser celles-ci avec l'indication de leur date ; que dès lors, en se prononçant au visa des conclusions de M. X..., signifiées le 10 décembre 2013, celui-ci ayant pourtant déposé et signifié des nouvelles conclusions le 23 juin 2014, complétant son argumentation et ses productions, la cour d'appel a violé les articles 455 et 954 du code de procédure civile ;
Mais attendu que le visa des conclusions des parties avec l'indication de leur date n'est nécessaire que si le juge n'expose pas succinctement leurs prétentions respectives et leurs moyens ; que l'arrêt ayant rappelé dans sa motivation les prétentions et moyens de M. X..., dont l'exposé correspond à ses dernières conclusions, le moyen est inopérant ;
Sur le second moyen, pris en ses première, deuxième, troisième et cinquième branches :
Attendu que M. X... fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen :
1°/ que la condamnation du dirigeant d'une personne morale placée en liquidation judiciaire à supporter une partie du montant de l'insuffisance d'actif suppose que soit caractérisée l'existence d'une faute de gestion ; qu'en imputant à M. X... un défaut de surveillance qui aurait permis la poursuite abusive de l'exploitation déficitaire de la société IKE, sans mettre à même la Cour de cassation de vérifier, ainsi qu'elle y était invitée, si une surveillance plus poussée lui aurait permis d'éviter cette poursuite abusive, la cour d'appel a privé sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article L. 651-2 du code de commerce ;
2°/ que la condamnation du dirigeant d'une personne morale placée en liquidation judiciaire à supporter une partie du montant de l'insuffisance d'actif suppose que soit caractérisée l'existence d'une faute de gestion ; qu'en imputant à M. X... un défaut de surveillance qui aurait permis que des irrégularités fiscales et comptables soient commises, sans vérifier, comme il lui était demandé, si, eu égard à l'absence de bilan à la date de la liquidation judiciaire, M. X... était en mesure d'effectuer une surveillance plus poussée qui lui aurait permis d'éviter ces irrégularités, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 651-2 du code de commerce ;
3°/ que la poursuite abusive de l'exploitation déficitaire n'est constituée que si le dirigeant savait, à la date de la naissance de la dette, que la société était en état de cessation des paiements ; que pour considérer que M. X... avait poursuivi abusivement l'activité déficitaire de la société IKE entre les mois de septembre 2009 et mars 2010, la cour a retenu qu'entre ces deux dates « les dettes n'ont cessé de s'accroître dans d'énormes proportions » ; qu'en statuant ainsi, la cour, qui a fixé la date de cessation des paiements au 12 mars 2010 et retenu que « les deux dirigeants ne peuvent être considérés comme responsables du défaut déclaration de cette cessation des paiements dans le délai de quarante-cinq jours et le jugement critiqué doit être infirmé sur ce point », ce dont il résultait M. X... ne pouvait savoir que la société ne pourrait faire face aux dettes contractées entre les mois de mars 2009 et mars 2010 avec son actif disponible, n'a pas tiré de ses constatations les conséquences légales qui s'en évinçaient et a violé l'article L. 651-2 du code de commerce ;
4°/ qu'un dirigeant social ne peut être condamné à supporter tout ou partie de l'insuffisance d'actif de la société en liquidation judiciaire que s'il est établi un lien de causalité entre la faute de gestion retenue et l'insuffisance d'actif constatée ; que pour condamner M. X... à supporter pour partie l'insuffisance d'actif de la société IKE, la cour d'appel a retenu à sa charge la tenue de la comptabilité irrégulière ou incomplète de la société IKE, le retard ou l'absence de déclaration auprès des organismes sociaux et fiscaux et la minoration des déclarations de TVA, la rémunération et des frais de direction, « l'augmentation du capital de la société IKE » et les relations avec des sociétés tierces au détriment de la société IKE, pour en déduire « qu'en considération des fautes de gestion des dirigeants, il convient de confirmer le jugement entrepris sur le principe de la condamnation au titre de l'insuffisance d'actif prononcée à leur encontre » ; qu'en statuant ainsi, sans caractériser le lien de causalité entre chaque faute de gestion ainsi retenue et le préjudice de la société constitué par l'insuffisance d'actif constatée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 651-2 du code de commerce ;
Mais attendu, en premier lieu, que la faute de gestion consistant pour un dirigeant social à poursuivre une exploitation déficitaire n'est pas subordonnée à la constatation d'un état de cessation des paiements de la société antérieur ou concomitant à cette poursuite ;
Et attendu, en second lieu, qu'après avoir exactement énoncé que la délégation des pouvoirs de président au profit de M. Y..., directeur général de la société, ne pouvait décharger M. X... de ses responsabilités de dirigeant de droit, l'arrêt constate que les dettes n'ont cessé de s'accroître dans d'importantes proportions entre septembre 2009 et mars 2010 et que les salaires du mois de février 2010 n'ont pas été versés au personnel, ce qui a entraîné un mouvement de grève pendant deux semaines, tandis que MM. Y... et B..., ce dernier contrôleur de gestion, ont perçu, pour leur activité au sein de la société, des rémunérations, contrairement à l'engagement pris par M. X... lors du rachat de la société Entreprise nouvelle Isotherma par la société IKE ; que l'arrêt retient ensuite que l'augmentation de capital d'un million d'euros que devait souscrire la société actionnaire majoritaire, dont M. X... était également le président, décidée le 30 novembre 2009, comme les mesures arrêtées lors du comité exécutif du 18 janvier 2010, n'ont jamais été mises en place et que les moratoires sociaux et fiscaux dont se prévaut M. X... ne sont pas justifiés ; qu'il relève encore que les déclarations de TVA ont été minorées de 1 667 060 euros pour l'année 2009 et de 88 620 euros pour l'année 2010, entraînant une majoration de 40 % des droits ; qu'il relève enfin que des factures d'un montant global de 1 102 906, 01 euros, émises par la société IKE à l'égard de la société Isotec environnement, également dirigée par M. X..., ont été annulées en comptabilité sans aucune justification, que des avoirs pour un montant de 316 940 euros au profit de cette même société n'ont pas été justifiés et que la société Isotec environnement a facturé à la société IKE une somme de 622 800, 73 euros au titre d'un prêt de main d'oeuvre, dont la réalité n'a pu être établie ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder aux recherches invoquées par les première et deuxième branches, que ses constatations rendaient inopérantes, a légalement justifié sa décision de retenir à la charge de M. X... une faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif de la société IKE ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le second moyen, pris en sa quatrième branche, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.