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Décisions

Cass. crim., 22 novembre 2017, n° 16-83.549

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulard

Avocat :

SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois

Poitiers, du 28 avr. 2016

28 avril 2016

ANNULATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par M. Jacques Y..., contre l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers, chambre correctionnelle, en date du 28 avril 2016, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 6 mai 2015, n° 13-87.801), pour banqueroute et escroquerie, l'a condamné à deux ans d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve et dix ans de faillite personnelle AR ;

Vu le mémoire produit ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. Y... a été condamné par le tribunal correctionnel des chefs de banqueroute, escroquerie et fraude aux prestations sociales à deux ans d'emprisonnement dont huit mois avec sursis et mise à l'épreuve pendant trois ans avec obligations de travailler ou de suivre une formation et d'indemniser les victimes et interdiction d'exercer une activité de gérant ou de dirigeant de société, ainsi qu'à dix ans de faillite personnelle ; que la cour d'appel, saisie des appels du prévenu et du ministère public, a confirmé ce jugement ; que cet arrêt a été cassé et annulé en ses seules dispositions relatives à la condamnation pour fraude aux prestations sociales et à la peine, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

En cet état :

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 654-3 du code de commerce, 132-1, 132-45, 313-1 du code pénal, 485, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale, contradiction de motifs, violation de la loi :

"en ce que l'arrêt attaqué a condamné M. Y... à la peine de deux ans d'emprisonnement avec sursis, assorti d'une mise à l'épreuve pendant trois ans, avec obligations particulières de justifier d'un emploi, d'une formation ou d'un enseignement, de réparer les dommages causés par les infractions et interdiction d'exercer l'activité de gérant ou de dirigeant de société ;

"aux motifs qu'en ce qui concerne les peines prononcées, l'avocat du prévenu verse aux débats des documents permettant de dispenser M. Y... de la partie d'emprisonnement ferme prononcée par le jugement ; qu'il convient de condamner M. Y... à la peine de deux ans d'emprisonnement avec sursis, assorti d'une mise à l'épreuve pendant trois ans, avec obligations particulières de justifier un emploi, d'une formation ou d'un enseignement, de réparer les dommages causés par les infractions, et interdiction d'exercer l'activité de gérant ou de dirigeant de société ;

"1°) alors que la contradiction de motifs équivaut à l'absence de motifs ; qu'en réformant la peine d'emprisonnement ferme prononcée par les premiers juges eu égard aux documents produits devant la cour d'appel par le demandeur établissant l'exercice d'une activité de restauration en qualité de dirigeant de la société Dinamax et en le condamnant à une peine de deux ans d'emprisonnement avec sursis assorti d'une mise à l'épreuve avec obligation de justifier un emploi tout en prévoyant au titre des obligations particulières spécialement imposées dans le cadre du sursis l'interdiction d'exercer l'activité de gérant de société, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs ;

"2°) alors qu'en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de son auteur et de sa situation matérielle, familiale et sociale; que cette exigence s'applique à la peine d'emprisonnement avec sursis assorti d'une mise à l'épreuve ; qu'en condamnant M. Y... à une peine d'emprisonnement avec sursis assorti d'une mise à l'épreuve avec obligation particulière de justifier d'un emploi et avec interdiction d'exercer l'activité de gérant ou de dirigeant de société sans tenir compte de la situation personnelle du prévenu qui a justifié exercer une activité professionnelle en qualité de gérant de la société Dinamax, la cour d'appel n'a pas respecté l'exigence de motivation précitée et a violé les textes susvisés ;

"3°) alors que toute restriction professionnelle, en ce qu'elle constitue une ingérence dans le droit au respect de la vie privée, doit être prévue par la loi, poursuivre un but légitime et être nécessaire dans une société démocratique, c'est-à-dire respecter un juste équilibre entre les intérêts concurrents de l'individu et de la société dans son ensemble ; que l'exercice par le condamné d'une activité professionnelle est un gage de réinsertion et forge son identité sociale par le développement des relations avec ses semblables ; qu'en privilégiant, pour infirmer le jugement ayant prononcé une peine d'emprisonnement ferme, la réinsertion du prévenu par l'exercice d'une activité professionnelle en qualité de gérant de la société Dinamax tout en prononçant une peine d'emprisonnement assortie du sursis avec mise à l'épreuve avec interdiction d'exercer l'activité de gérant ou dirigeant de société, la cour d'appel a porté une atteinte excessive à la vie privée et a violé l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme" ;

Attendu que le demandeur ne saurait se faire un grief de ce que la cour d'appel n'aurait pas motivé les obligations particulières qui lui ont été imposées dans le cadre de la peine d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve prononcée à son encontre, dès lors que l'exigence selon laquelle, en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée au regard de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle s'applique au prononcé de cette peine, et non au choix de ses modalités que sont les obligations prévues à l'article 132-45 du code pénal, lesquelles sont susceptibles d'être modifiées par le juge de l'application des peines ;

D'où il suit que le moyen, nouveau, mélangé de fait et, comme tel, irrecevable en sa troisième branche, ne saurait être accueilli ;

Mais sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 61-1 et 62 de la Constitution, 111-3 du code pénal, L. 654-6 du code de commerce, 591 du code de procédure pénale, violation de la loi :

"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a prononcé à l'encontre de M. Y... la faillite personnelle pour une durée de dix ans ;

"aux motifs que la faillite personnelle prononcée est légitime et sera confirmée ; "alors qu'une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 précité est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision ; que nul ne peut être puni, pour un délit, d'une peine qui n'est pas prévue par la loi ; qu'encourt la censure l'arrêt qui a prononcé à l'encontre de M. Y... la faillite personnelle pour une durée de dix ans cependant que les dispositions de l'article L. 654-6 du code de commerce prévoyant la peine de faillite personnelle ont été déclarées contraires à la Constitution par décision du Conseil constitutionnel du 29 septembre 2016 et abrogées et que cette abrogation est applicable à compter du 1er octobre 2016 à toutes les affaires non définitivement jugées à cette date" ;

Vu les articles 61-1 et 62 de la Constitution et 111-3 du code pénal ;

Attendu que, d'une part, une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 précité est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision ;

Attendu que, d'autre part, nul ne peut être puni, pour un délit, d'une peine qui n'est pas prévue par la loi ;

Attendu que l'arrêt confirme le prononcé de la faillite personnelle d'une durée de dix ans en répression de délits de banqueroute commis en 2009 et 2010 par application des dispositions de l'article L. 654-6 du code de commerce, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 ;

Mais attendu que ces dispositions ont été déclarées contraires à la Constitution par la décision n° 2016-573 QPC du Conseil constitutionnel du 29 septembre 2016, prenant effet à la date de sa publication au Journal officiel de la République française le 1er octobre 2016 ;

D'où il suit que l'annulation est encourue ; qu'elle aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;

Par ces motifs :

ANNULE, par voie de retranchement, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Poitiers, en date du 28 avril 2016, mais en ses seules dispositions relatives au prononcé de la faillite personnelle, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi DAR.