Cass. crim., 13 janvier 2016, n° 14-87.624
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guérin
Rapporteur :
M. Germain
Avocat général :
M. Le Baut
Avocat :
SCP Piwnica et Molinié
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Thierry X..., partie civile,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de LYON, en date du 19 septembre 2014, qui, dans l'information suivie, sur sa plainte, contre personne non dénommée, du chef de malversation, a confirmé l'ordonnance de non-lieu rendue par le juge d'instruction ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 626-12, L. 621-28, L. 621-32, L. 621-46, L. 621-115, L. 621-122 et L. 621-123 du code de commerce en leur rédaction antérieure à la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a dit n'y avoir lieu à suivre du chef de malversation ou de toutes autres infractions ;
" aux motifs qu'à l'époque des faits, l'article L. 621-32 du code de commerce était ainsi rédigée :
I - Les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture sont payées à leur échéance lorsque l'activité est poursuivie. En cas de cession totale ou lorsqu'elles ne sont pas payées à l'échéance en cas de continuation, elles sont payées par priorité à toutes les autres créances, assorties ou non de privilèges ou sûretés, à l'exception des créances garanties par le privilège établi aux articles L. 143-10, L. 143-11, L. 742-6 et L. 751-15 du code du travail ;
II - En cas de liquidation judiciaire, elles sont payées par priorité à toutes les autres créances, à l'exception de celles qui sont garanties par le privilège établi aux articles L. 143-10, L. 143-11, L. 742-6 et L. 751-15 du code du travail, des frais de justice, de celles qui sont garanties par des sûretés immobilières ou mobilières spéciales assorties d'un droit de rétention ou constituées en application du chapitre V du titre II du livre 5.
III-Leur paiement se fait dans l'ordre suivant :
1°) Les créances de salaires dont le montant n'a pas été avancé en application des articles L. 143-11-1 à L. 143-11-3 du code du travail ;
2°) Les frais de justice ;
3°) Les prêts consentis par les établissements de crédit ainsi que les créances résultant de l'exécution des contrats poursuivis conformément aux dispositions de l'article L. 621-28 et dont le cocontractant accepte de recevoir un paiement différé ; ces prêts et délais de paiement sont autorisés par le juge-commissaire dans la limite nécessaire à la poursuite de l'activité pendant la période d'observation et font l'objet d'une publicité ; qu'en cas de résiliation d'un contrat régulièrement poursuivi, les indemnités et pénalités sont exclues du bénéfice de la présente disposition ;
4°) Les sommes dont le montant a été avancé en application de l'article L. 143-11-1 du code du travail ;
5°) Les autres créances, selon leur rang ; qu'il s'ensuit que, par application de ce texte, le paiement de la facture devenait une créance privilégiée ; que par ailleurs le terme de facture d'acompte et l'article 1er de la convention signée le 29 juin 2004, entre les sociétés Guinet Derriaz et Benedetti ainsi rédigé : « la présente convention a pour objet la mise en place des bases d'une collaboration de longue durée entre deux métiers qui sont devenues complémentaires dans l'exploitation d'une carrière marbrière », mettent en évidence la nature de contrat à exécution successive de la convention en question qui a pu être alors considéré par maître Z... comme un contrat en cours ; que ledit contrat pouvait par ailleurs, au regard de la date de sa conclusion, le 29 juin 2004, être considéré comme suspect alors que le jugement d'ouverture de la procédure avait fixé la date de l'état de cessation des paiements au 9 juin 2004, le paiement de la facture d'acompte intervenant le jour même du jugement déclaratif ; qu'il est par ailleurs établi que la société Benedetti n'a pu prendre possession des enrochements acquis ainsi qu'il en résulte des déclarations de M. Y..., directeur général de la société Benedetti, selon lequel sa société n'avait pas pris possession des enrochements et que, sans règlement immédiat, la convention n'aurait pas pu être signée, cette disposition étant imposée par le vendeur, l'intéressé précisant que son conducteur de travaux s'était rendu, courant janvier 2006, à la carrière pour procéder à l'enlèvement d'une partie des enrochements, mais que l'accès à la carrière lui avait été refusé ; que ce point a été confirmé par M. X...lui-même, qui devait déclarer qu'aucun programme d'évacuation des enrochements n'avait été établi jusqu'à son départ de la société et qu'aucun enlèvement n'était intervenu sur cette période de la part de la société Benedetti précisant : « il est fréquent que des stocks d'enrochement acquis restent en place sur la carrière durant de longues périodes avant leur évacuation, en fonction du place de charge de l'acquéreur » ; qu'il s'ensuit que le protocole d'accord du 27 juillet 2006, conclu entre la société Benedetti et Me Z..., en qualité de commissaire à l'exécution du plan de cession de la SA Guinet Derriaz, au terme duquel Me Z... s'engageait à rembourser la somme de 446 440 euros TTC à la société Benedetti dans le délai d'un mois, ladite somme étant payée au titre des dettes relevant de l'article L. 621-32 du code de commerce comme étant nées postérieurement au jugement d'ouverture de la procédure, la société Benedetti en contrepartie dudit paiement se déclarant remplie de l'intégralité de ses droits, pour irrégulier et occulte qu'il ait été, n'a eu pour unique objet et effet que de remettre les parties en l'état de la situation dans laquelle ils se trouvaient antérieurement à la conclusion du protocole du 29 juin 2004, par lequel la société Guinet Derriaz s'engageait à mettre à la disposition et à vendre à la société Benedetti des blocs d'enrochement ; que ces circonstances de fait, associées au caractère douteux de la convention du 29 juin 2004, alors que la juridiction consulaire avait été saisie le 9 juin 2004, l'état de cessation des paiements ayant été fixé à cette date, la société Benedetti ayant versé à la société Guinet Derriaz la somme de 446 440 euros le 27 juillet 2004, le jour du jugement d'ouverture de la procédure, ne permettent pas de caractériser suffisamment la volonté qu'aurait eu Me Z... de commettre un acte ayant pour objet de porter volontairement atteinte aux intérêts du créancier ou du débiteur en se faisant attribuer un avantage qu'il savait n'être pas dû ou de faire, dans son intérêt, des pouvoirs dont il disposait, un usage qu'il savait contraire aux intérêts du créancier ou du débiteur ;
" 1°) alors que l'infraction de malversation est caractérisée par l'usage abusif de ses pouvoirs par l'administrateur ou le commissaire à l'exécution du plan ; qu'en application de l'article L. 621-28 du code de commerce, l'administrateur a le choix soit d'exiger l'exécution des contrats en cours en fournissant la prestation promise, soit de ne pas poursuivre le contrat en cours et l'inexécution donne alors droit à une créance devant être déclarée au passif ; que cette créance, née avant le jugement d'ouverture, ne constitue pas une créance privilégiée postérieure au jugement d'ouverture ; que la chambre de l'instruction a constaté que le contrat du 29 juin 2004, de cession à la société Benedetti de blocs d'enrochement constituait un « contrat en cours », que la société Benedetti revendiquait la propriété de ces blocs d'enrochement, ce qui implique qu'elle n'avait déclaré aucune créance au passif de la société, comme cela était soutenu par la partie civile ; qu'en estimant cependant que cette société détenait une « créance privilégiée », la chambre de l'instruction a méconnu les dispositions susvisées et n'a pas donné de base légale à sa décision ;
" 2°) alors que la contradiction de motifs équivaut à son absence ; que la chambre de l'instruction qui a relevé les « omissions » fautives de l'administrateur judiciaire ainsi que le caractère « irrégulier et occulte » de la conclusion par celui-ci du protocole d'accord avec la société Benedetti, ce dont il se déduit le non-respect par l'administrateur judiciaire des obligations légales découlant de sa mission, ne pouvait, sans se contredire, en déduire l'absence de charges constitutives de l'infraction de malversation ;
" 3°) alors que la mauvaise foi de l'organe de la procédure se déduit de la violation des règles légales auxquelles il est soumis ; qu'ayant relevé que Me Z... avait agi sans respecter les pouvoirs résultant de sa mission d'administrateur judiciaire puis de commissaire à l'exécution du plan de cession, et en déduisant cependant sa bonne foi, la chambre de l'instruction n'a pas davantage justifié sa décision ;
" 4°) alors qu'était invoquée l'atteinte aux intérêts du débiteur dès lors que la créance de 446 440 euros ne correspondait qu'au montant avancé par la société Benedetti, que le contrat global s'élevait, quant à lui, à 2 900 000 euros, et que l'administrateur, en annulant irrégulièrement ce contrat en cours, a ainsi privé le débiteur d'un actif de grande valeur ; qu'en s'abstenant de toute réponse à cet argument péremptoire, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision ;
" 5°) alors que, de même, la partie civile soutenait que Me Z... avait agi pour son propre intérêt afin d'éviter la mise en oeuvre de sa responsabilité par la société Benedetti ; qu'en s'abstenant de toute réponse à cet argument péremptoire, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision " ; Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, suivant un protocole, en date du 29 juin 2004, la société Benedetti, exploitante d'une activité marbrière-pierre de taille, a acheté à la société Guinet-Derriaz 150 000 tonnes d'enrochement, pour un montant de 466 440 euros, somme qui a été effectivement réglée le 27 juillet 2004 ; qu'à la même date, la société Guinet-Derriaz, qui se trouvait en état de cessation de paiements depuis le 9 juin 2004, a été placée en redressement judiciaire, et M. Z... désigné en qualité d'administrateur judiciaire ; que ce dernier a alors établi le bilan économique et social de l'entreprise, le rapport relatif aux offres de reprises et préparé le projet de plan de cession, lequel a été arrêté par jugement du 3 mai 2005, en omettant d'y mentionner l'existence de la convention du 29 juin 2004, alors que la société Benedetti l'avait informé, dès le 15 février 2005, de ce qu'elle revendiquait la propriété des 150 000 tonnes de blocs d'enrochement ; que M. Z..., qui a admis qu'il connaissait l'existence de cette convention, de nature à diminuer le prix de la cession, et qui avait d'ailleurs fait savoir, le 15 avril 2005, à la société Benedetti, qu'il donnait une suite favorable à sa demande de revendication, n'en a informé ni les organes de la procédure, ni le juge commissaire, ni les repreneurs ; qu'une information a été ouverte dans le cadre de laquelle M. Z... a été mis en examen du chef de malversation ;
Attendu que, pour confirmer l'ordonnance de non-lieu rendue par le juge d'instruction, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, après avoir constaté l'existence d'éléments de nature à caractériser l'élément matériel du délit de malversation et dès lors que l'élément intentionnel de cette infraction résulte de la seule conscience qu'a le prévenu de porter atteinte aux intérêts des créanciers ou du débiteur, afin de satisfaire son intérêt personnel, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ; D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon ; en date du 19 septembre 2014, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ; RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Grenoble.