Cass. com., 8 mars 2017, n° 15-16.628
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rémery
Avocat :
SCP Ghestin
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Metz, 13 janvier 2015), que, par un jugement du 14 septembre 2010, le tribunal de grande instance de Metz, constatant l'état d'insolvabilité notoire de Mme X..., de nationalité allemande, l'a mise en liquidation judiciaire, la société Noël, Nodée et Lanzetta étant désignée liquidateur (le liquidateur) ; que sur le rapport de ce dernier, le même tribunal, par un jugement du 24 février 2014, a prononcé la clôture pour insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire de Mme X... et autorisé les créanciers à reprendre leurs actions individuelles à son encontre en faisant application de l'article L. 643-11, IV, du code de commerce ;
Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt d'autoriser ses créanciers à reprendre leurs poursuites individuelles à son encontre alors, selon le moyen :
1°/ que, selon l'article L. 643-11 du code de commerce, le jugement de clôture de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif ne fait pas recouvrer aux créanciers l'exercice individuel de leurs actions contre le débiteur ; qu'il n'est fait exception à cette règle, aux termes de ce texte, que 1° pour les actions portant sur des biens acquis au titre d'une succession ouverte pendant la procédure de liquidation judiciaire, 2° lorsque la créance trouve son origine dans une infraction pour laquelle la culpabilité du débiteur a été établie ou lorsqu'elle porte sur des droits attachés à la personne du créancier ; que les créanciers recouvrent leur droit de poursuite individuelle dans les cas suivants : 1° si la faillite personnelle du débiteur a été prononcée, 2° si le débiteur a été reconnu coupable de banqueroute, 3° si le débiteur, au titre de l'un quelconque de ses patrimoines, ou une personne morale dont il a été le dirigeant a été soumis à une procédure de liquidation judiciaire antérieure clôturée pour insuffisance d'actif moins de cinq ans avant l'ouverture de celle à laquelle il est soumis ainsi que le débiteur qui, au cours des cinq années précédant cette date, a bénéficié des dispositions de l'article L. 645-11, et 4° si la procédure a été ouverte en tant que procédure territoriale au sens du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement (CE) n° 1346/ 2000 du Conseil du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité ; qu'en outre, en cas de fraude à l'égard d'un ou de plusieurs créanciers, le tribunal autorise la reprise des actions individuelles de tout créancier à l'encontre du débiteur ; qu'enfin, dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut Rhin, selon l'article L. 670-5 du code de commerce, outre les cas prévus à l'article L. 643-11 du même code, les créanciers recouvrent leur droit de poursuite individuelle à l'encontre du débiteur lorsque le tribunal constate l'inexécution de la contribution visée à l'article L. 670-4 de ce code ; qu'en l'espèce, en autorisant les créanciers à reprendre les actions individuelles à l'encontre de Mme X..., après avoir assimilé à la fraude aux droits des créanciers, toute circonstance visée par l'adage « fraus omnia corrumpit », la cour d'appel a violé celui-ci par fausse application ;
2°/ qu'à supposer que l'un des cas visés par les articles L. 643-11 ou L. 670-5 du code de commerce ait été applicable, seuls les créanciers ont qualité et intérêt à agir en reprise des actions individuelles ; que le liquidateur seul représentant la collectivité des créanciers n'a pas demandé la reprise des poursuites individuelles ; qu'en considérant que le ministère public avait qualité et intérêt pour agir en reprise des poursuites individuelles, la cour d'appel a violé les dispositions de ce texte, ensemble les articles 30 et suivants du code de procédure civile ;
3°/ qu'à supposer que le ministère public ait été recevable à agir aux fins d'obtenir la reprise des poursuites individuelles au regard d'une fraude aux droits des créanciers au sens de l'article L. 643-11 du code de commerce, la fraude alléguée s'inscrivait, selon le demandeur, dans de cadre de l'article 3 paragraphe 1 du règlement communautaire n° 1346/ 2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité, entré en vigueur le 31 mai 2002 et directement applicable en droit interne aux procédures ouvertes à compter de cette date, de sorte que la constatation de la fraude alléguée supposait que les demandeurs établissent que, contrairement aux dispositions de ce texte qui définit comme critère de compétence le lieu où le débiteur gère habituellement ses intérêts, Mme X..., entrepreneur individuel, n'avait pas son domicile professionnel dans le ressort du tribunal de grande instance de Metz ; que cette condition n'était pas remplie, dès lors que, selon les constatations et énonciations de l'arrêt, lors de la déclaration d'insolvabilité, le 19 octobre 2009, Mme X... était, depuis le 18 novembre 2008, locataire d'un appartement situé à Bouzonville, assumait le paiement de ses charges fixes, payait des frais d'électricité et satisfaisait bien aux exigences de l'article 3 paragraphe 1 précité, au jour du jugement du 14 septembre 2010 d'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire ; qu'en retenant cependant une fraude au regard de ces textes, la cour d'appel en a violé les dispositions ;
4°/ que la circonstance que postérieurement à l'ouverture de la procédure d'insolvabilité, le débiteur n'ait pas résidé de façon continue au lieu où se trouvait le centre de ses intérêts principaux lors de la déclaration d'insolvabilité et durant l'enquête préalable à l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, n'entrait pas dans les prévisions de l'article 3 paragraphe 1 du règlement communautaire n° 1346/ 2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité ; qu'en déduisant la fraude de l'absence de résidence continue de Mme X... à Bouzonville dans le ressort du tribunal de grande instance de Metz durant la procédure de liquidation judiciaire ouverte le 14 septembre 2010, la cour d'appel a violé le texte susvisé, ensemble les articles L. 643-11 ou L. 670-5 du code de commerce ;
5°/ que, lorsqu'une procédure principale au sens de l'article 3 paragraphe 1 du règlement communautaire n° 1346/ 2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité, a été ouverte en France, et qu'il est demandé lors de la clôture de la procédure pour insuffisance d'actif d'ordonner, au regard d'une fraude aux droits des créanciers, la reprise des poursuites individuelles, il appartient au demandeur de rapporter la preuve de la fraude alléguée ; qu'en considérant au cas présent que la débitrice n'établissait pas qu'elle avait eu son domicile professionnel dans le ressort du tribunal de grande instance de Metz, eu égard à l'absence de preuve du paiement de l'ensemble des loyers entre la signature du bail en novembre 2008 et le 10 décembre 2013, à l'absence de preuve de dépenses de la vie courante autre que les charges fixes durant le premier semestre 2009, à l'absence de production de quittances de loyers ou de relevés bancaires au delà de la période de novembre2008/ avril 2010 et à l'absence de tout document sur la durée de vie de la société « Vins de France Excellent » postérieur à 2010, la cour d'appel a renversé la charge de la preuve, en violation de l'article 1315 du code civil ;
6°/ que le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit à partir de sa date dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens ; que durant la liquidation judiciaire les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés par le liquidateur ; qu'après avoir constaté que Mme X... avait adhéré au cours du premier trimestre 2010 au Régime social des indépendants (RSI), la cour d'appel a admis la fraude alléguée au regard de son absence de réponse aux courriers du RSI des 30 mars 2011, 11 avril 2011 et 27 avril 2011 lui rappelant, in fine, avec menace de poursuites, de devoir communiquer des données d'état civil et de régler la cotisation due pour le troisième trimestre 2010 ; qu'en fondant son appréciation sur cette circonstance, cependant qu'elle avait constaté le prononcé de la liquidation judiciaire de Mme X... le 14 septembre 2010, ce dont résultait son dessaisissement et l'exercice par le liquidateur judiciaire de ses droits et actions, la cour d'appel a violé l'article L. 641-9 du code de commerce ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt n'a pas reconnu au ministère public qualité et intérêt pour agir en reprise des poursuites individuelles des créanciers contre Mme X... mais seulement recueilli son avis sur cette mesure dans le cadre des dispositions des articles 424 et 425 du code de procédure civile ;
Et attendu, en second lieu, qu'ayant énoncé qu'il résulte de l'article L. 643-11, IV, du code de commerce que c'est à la date du jugement de clôture pour insuffisance d'actif que les juges apprécient s'il y a eu fraude du débiteur à l'égard de l'un ou de plusieurs de ses créanciers afin d'autoriser, le cas échéant, la reprise de leurs poursuites individuelles, l'arrêt retient que le respect des conditions d'ouverture d'une procédure collective à l'égard de Mme X... à la date du 14 septembre 2010 ne saurait avoir pour effet de l'autoriser à commettre une fraude à leur préjudice, après l'ouverture de la procédure, ou empêcher le juge de prendre en compte des éléments postérieurs à celle-ci établissant les manoeuvres frauduleuses employées par elle pour leur porter préjudice ; que l'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, qu'à l'exception d'un seul cas, Mme X... n'a jamais signé les accusés de réception des lettres recommandées que le greffe du tribunal de grande instance de Metz lui a envoyées à son adresse, déclarée en France, après le jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire et que celle-ci a fait établir un ordre de réexpédition définitif de son courrier le 27 novembre 2012 pour une durée de six mois, tandis qu'elle affirme avoir quitté le territoire français le 10 décembre 2013 ; qu'il relève ensuite qu'il résulte des pièces n° 19 et 21 que Mme X... qui avait adhéré au cours du premier trimestre 2010 au Régime social des indépendants, n'a donné aucune suite à ses lettres du 30 mars, 11 et 27 avril 2011, lui rappelant, sous peine de poursuites, de devoir lui communiquer des données d'état civil et de régler sa cotisation due pour le troisième trimestre 2010 ; qu'il relève encore que Mme X... verse aux débats une lettre du 25 juillet 2013, rédigée en allemand et non traduite en français, établissant qu'elle a délibérément tenu des propos mensongers à son liquidateur sur la réalité de son domicile durant la procédure ; qu'il retient enfin que les droits des créanciers de Mme X... sont susceptibles d'être remis en cause à raison de manoeuvres frauduleuses réalisées par celle-ci, après le jugement d'ouverture, tenant à la réalité de sa domiciliation en France et au transfert de ses centres d'intérêts principaux en dehors de France afin de soustraire son patrimoine à la procédure ouverte en France ; qu'en l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, faisant ressortir la fictivité, préjudiciable à la procédure, du centre des intérêts principaux en France déclarée par la débitrice aux organes de la procédure collective, la cour d'appel a pu en déduire, sans inverser la charge de la preuve, ni encourir le grief invoqué par la sixième branche, devenu inopérant, que Mme X... avait effectué des manoeuvres frauduleuses dans le dessein de porter préjudice à ses créanciers et, en conséquence, autoriser ces derniers à reprendre leurs poursuites individuelles à son encontre ; D'où il suit que le moyen, qui manque en fait en sa deuxième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.