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Décisions

Cass. crim., 23 octobre 1997, n° 96-84.717

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Culié

Rapporteur :

M. Schumacher

Avocat général :

M. Cotte

Avocat :

SCP Gatineau

Douai, du 26 mars 1996

26 mars 1996

REJET du pourvoi formé par X... Francis, contre l'arrêt de la cour d'appel de Douai, 6e chambre, en date du 26 mars 1996, qui, pour exercice d'une profession commerciale malgré interdiction et banqueroute, l'a condamné à 15 mois d'emprisonnement avec sursis et 20 000 francs d'amende et a prononcé sur les intérêts civils.

LA COUR, 

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 1er-11°, 2 et 6 de la loi n° 47-2410 du 30 août 1947 relative à l'assainissement des professions commerciales et industrielles, de l'article 14 tant de la loi d'amnistie du 20 juillet 1988 que de la loi d'amnistie du 3 août 1995, de l'article 122-3 nouveau du Code pénal, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Francis X... coupable d'avoir contrevenu à l'interdiction d'exercer toute fonction de direction, de gérance ou d'administration dans une entreprise commerciale ou industrielle ;

" I. D'une part, aux motifs adoptés des premiers juges qu'en préliminaire le prévenu invoque le bénéfice de la loi d'amnistie du 20 juillet 1988 en raison de ce que les faits visés par la cour d'appel de Douai (dans l'arrêt du 13 juillet 1984 l'ayant destitué de ses fonctions de notaire) ne constituent des manquements ni à la probité, ni à l'honneur, ni aux bonnes moeurs ; qu'il a déposé le 12 avril 1995 une requête aux fins de constatation de l'amnistie et sollicite le renvoi de l'affaire ; que cette requête a été déposée quelques jours avant l'audience alors que depuis le 8 juillet 1991 une information est ouverte ; qu'elle apparaît comme tardive et dilatoire car Francis X..., sachant dès le début de l'information que le bénéfice de l'amnistie de plein droit lui était contesté, avait toute possibilité de faire trancher cette contestation par la juridiction qui a prononcé la sanction disciplinaire antérieurement à sa comparution devant le tribunal correctionnel ; que par ailleurs, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Douai a rejeté sa requête en réhabilitation par arrêt du 5 janvier 1993, et que le pourvoi contre cet arrêt a été rejeté par la Cour de Cassation le 3 novembre 1994 ; qu'en l'absence de décision le relevant de son incapacité ou lui accordant le bénéfice de l'amnistie, Francis X... est donc toujours frappé d'une incapacité d'exercer une profession commerciale ; 

" alors que la juridiction, saisie d'une exception tirée de l'amnistie des faits sur lesquels repose la poursuite, se doit de statuer sur cette exception, quand bien même le prévenu aurait pu antérieurement faire constater que le bénéfice de l'amnistie lui était acquis ; d'où il suit qu'en déclarant irrecevable, comme tardive, la question préalable soulevée par Francis X... et tirée de ce que les faits ayant entraîné sa destitution étant amnistiés, l'incapacité commerciale résultant de celle-ci avait par là-même pris fin, les juges du fond ont méconnu le principe précédemment rappelé et violé les textes visés au moyen ;

" II. D'autre part, aux motifs propres ou adoptés des premiers juges que si Danièle X..., épouse de Francis X..., a été nommée aux fonctions de directeur général de la société anonyme Fraimust, constituée le 29 juin 1989 entre elle-même, leur fille Véronique X..., Eric Z..., Luc A... et quelques autres actionnaires, il résulte cependant suffisamment du dossier que Danièle X... n'intervenait pas dans la direction de la société ; que son mari " exerçait par délégation en qualité de cadre salarié la conduite générale des affaires de la société ", comme cela est maintes fois mentionné dans les procès-verbaux du conseil de surveillance ; qu'il disposait de la signature sur les comptes bancaires de l'entreprise, à la différence des deux autres directeurs salariés (Eric Z... et Luc A...) ; que, selon l'enquête, il discutait des éléments du contrat de travail de ses cadres et décidait des tarifs des produits ; qu'il signait tous les courriers, décidait des embauches et se comportait envers les autres directeurs comme leur supérieur hiérarchique ; qu'à la date du 20 avril 1991 le conseil de surveillance l'a nommé président du directoire ; qu'il a occupé cette fonction jusqu'au 24 septembre 1991, date à laquelle le président du tribunal de commerce, informé par le procureur de la République de ce qu'il paraissait tomber sous le coup de l'incapacité commerciale prévue par les articles 1er-11° et 2 de la loi du 30 août 1947, l'a radié du registre du commerce ; que, le 28 septembre 1991, le conseil de surveillance a élu sa fille Véronique directeur général unique ; qu'il résulte de ces éléments que Francis X... a assuré la gestion de fait de la société par l'intermédiaire de sa femme et de sa fille ; qu'il a également exercé en droit la direction générale de la société entre le 20 avril 1991 et le 24 septembre 1991 ; qu'il outrepassait ainsi largement la direction administrative de la société ; que postérieurement à la nomination de Me Y... (en qualité d'administrateur judiciaire), il continuait à gérer la société et, qui plus est, à débiter le compte de celle-ci d'une dizaine de chèques sans que l'administrateur en ait connaissance ; qu'en conséquence, l'élément matériel du délit d'exercice d'une profession commerciale malgré l'interdiction légale, est établi ;

1° " alors que dans ses conclusions Francis X... avait fait valoir que sa situation personnelle était celle d'un cadre salarié bénéficiant d'une délégation de pouvoirs strictement limitée au traitement des questions administratives et comptables ; que c'est à ce seul titre qu'une procuration sur les comptes bancaires de la société lui avait été donnée pour traiter des relations avec les banques et notamment pour signer les chèques destinés aux fournisseurs et aux salariés ; que les tarifs de vente étaient fixés non par lui mais par Luc A... qui avait une délégation identique à la sienne en qualité de directeur commercial ; que le véritable dirigeant de la société était Eric Z... ; que l'idée de la création de la société Fraimust revenait en effet à ce dernier, qui avait une expérience dans le domaine agro-alimentaire pour avoir antérieurement dirigé une société dans ce secteur ; que tous les dossiers qui ont été présentés, tant pour le montage financier de l'opération que dans le choix d'un site et la construction d'une usine, étaient intitulés " Dossier Z... " ; que la marque Fraimust a été déposée au nom exclusivement d'Eric Z... ; que ce dernier avait seul autorité sur le personnel ; qu'il négociait seul les investissements, traitait seul tant avec les fournisseurs qu'avec les clients, a mené seul la négociation ayant abouti à la reprise de la société AFD par la société Fraimust et était considéré par les tiers comme le " patron " de la société ; que c'est uniquement en raison des faibles moyens financiers d'Eric Z... que Danièle X..., dont Francis X... était déjà divorcé à la date de constitution de la société, avait accepté d'entrer dans la société comme actionnaire et que sa nomination comme directrice générale unique s'expliquait seulement par le fait qu'elle avait apporté 84, 5 % du capital et entendait pouvoir contrôler l'utilisation qui serait faite de son apport ; que Francis X... lui-même n'était entré dans la société qu'en raison de la mauvaise réputation d'Eric Z... en matière de gestion et en attendant que celui-ci recrute un gestionnaire ; qu'enfin, la rédaction de la lettre de licenciement adressée à Eric Z... entrait tout naturellement dans ses attributions de directeur administratif ; qu'en s'abstenant de s'expliquer sur ces moyens péremptoires de défense d'où il résultait que Francis X... ne pouvait être considéré comme le gérant de fait de la société et son ex-épouse comme un prête-nom, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision et a violé les textes visés au moyen ;

2° " alors qu'en ne répondant pas davantage aux conclusions qui faisaient valoir que l'administrateur judiciaire avait nécessairement eu connaissance tant de l'existence du compte chèque postal de la société que de la délégation de signature dont bénéficiait Eric Z..., et cela tout d'abord grâce à l'extrait du compte produit devant le tribunal de commerce au cours de la procédure ayant abouti à la mise en redressement judiciaire de la société, ensuite par les documents financiers qui lui ont été remis sur sa demande, et notamment par la situation de trésorerie comprenant le solde dudit compte et les photocopies des derniers relevés de compte, enfin par le rapport que lui a remis l'expert-comptable et qui faisait évidemment état de ce compte, la cour d'appel a derechef violé les textes visés aux moyen ;

" III. De dernière part aux motifs propres ou adoptés des premiers juges qu'en ce qui concerne l'élément intentionnel, Francis X... n'était pas sans savoir les conséquences de droit attachées à la sanction disciplinaire le destituant de la fonction de notaire ainsi que cela résulte d'un courrier qu'il adressait à son conseil le 21 avril 1991 (D. 57) et de l'ordonnance de radiation du registre du commerce ; qu'il ne peut sérieusement soutenir qu'il se croyait réhabilité ou pensait bénéficier de l'amnistie puisque, dès sa nomination officielle, il s'inquiète de sa situation, et que ses démarches pour être relevé de l'interdiction qui le frappe sont concomitantes à cette désignation ;

1° " alors que l'intention délictueuse n'est réalisée que lorsque le prévenu savait de manière certaine qu'il était frappé d'une interdiction commerciale ; que dès lors, les juges du fond ne pouvaient sans se contredire énoncer d'une part que Francis X... a effectué des démarches pour clarifier sa situation, ce qui implique nécessairement qu'il avait un doute sur celle-ci, d'autre part qu'il était pleinement conscient de l'incapacité qui le frappait ; qu'en l'état de ces énonciations, la décision attaquée n'est pas légalement justifiée ;

2° " alors que les lois pénales plus douces s'appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur ; que tel est le cas de l'article 122-3 nouveau du Code pénal qui institue l'erreur de droit inévitable comme cause de non-imputabilité ; qu'en l'espèce, il ressort des pièces de la procédure (D 58) que le procureur de la République d'Arras, interrogé par le président du tribunal de commerce sur la situation de Francis X..., a répondu que ce dernier lui " paraissait " devoir tomber sous le coup des dispositions de l'article 1er-11° de la loi du 30 août 1947 ; que cette réponse évasive ne pouvait permettre à Francis X... de connaître avec certitude sa situation juridique au regard de la loi précitée et devait conduire à déclarer l'intéressé de bonne foi ; qu'en déclarant néanmoins l'élément intentionnel établi, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen " Sur le moyen pris en ses première et dernière branches :

Attendu qu'il ne résulte ni de l'arrêt attaqué ni des conclusions déposées par le prévenu que celui-ci ait repris devant la cour d'appel sa demande tendant à la constatation de l'amnistie de la sanction disciplinaire qu'il avait présentée devant les premiers juges, ni qu'il ait invoqué la cause d'irresponsabilité pénale tirée de l'erreur de droit ;

Sur le moyen pris en ses autres branches :

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs exempts d'insuffisance ou de contradiction et répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, a caractérisé en tous ses éléments constitutifs, tant matériels qu'intentionnel, le délit d'exercice d'une profession commerciale au mépris d'une interdiction dont elle a déclaré le prévenu coupable en sa qualité de dirigeant de fait d'une société ;

D'où il suit que le moyen, pour partie irrecevable et se bornant, pour le surplus, à remettre en discussion l'appréciation souveraine par les juges du fond des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus, ne saurait être accueilli ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 196, 197, 198 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises, 2, 475-1, 591 et 593 du Code de procédure pénale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Francis X... coupable de banqueroute par détournement d'actif au préjudice de la société Fraimust, et l'a condamné à des sanctions pénales ainsi qu'à des réparations civiles ;

" aux motifs propres ou adoptés des premiers juges que Francis X..., qui disposait de la signature sur le compte chèque postal de la société Fraimust, a émis plusieurs chèques, dont un chèque de 280 528 francs à son profit le 17 avril 1992, après l'ouverture du redressement judiciaire et la date de cessation des paiements ; que les mouvements effectués sur ce compte démontrent que le prévenu continuait à gérer la société alors qu'il était dessaisi ; que Francis X... a indiqué qu'il avait versé un total de 280 528 francs en vue d'une augmentation de capital qui n'avait pas eu lieu et que le chèque litigieux constituait le remboursement de cette avance ; que, cependant, les pièces versées sont insuffisantes à établir que Francis X... détenait sur la société une créance liquide, certaine et exigible et qu'il ne peut être contesté que ce règlement est intervenu alors que la situation de la société était des plus critiques ; qu'il y a bien là banqueroute par détournement d'actif ;

1° alors d'une part, qu'il est constant que Francis X... disposait d'une procuration sur le compte chèque postal de la société Fraimust et que cette procuration n'a pas été révoquée par l'administrateur judiciaire ; que dès lors l'émission de chèques sur ce compte ne pouvait en elle-même caractériser une gestion de fait ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;

2° alors d'autre part, que le détournement d'actif s'entend d'un acte de disposition accompli sur un élément du patrimoine de la société ; qu'en l'espèce, il est constant qu'entre la fin août et le début octobre 1991, Francis X... a consigné en compte courant la somme de 280 528 francs en vue d'une augmentation de capital de la société Fraimust ; que cette augmentation ne s'étant pas réalisée, par suite de la carence des autres associés, la somme précitée ne s'est jamais incorporée à l'actif de la société mais est demeurée la propriété de Francis X..., si bien que celui-ci pouvait la récupérer librement ; qu'en déclarant néanmoins le détournement d'actif constitué, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;

3° " alors en toute hypothèse que le détournement d'une chose fongible n'est constitué qu'autant que l'agent se trouve dans l'impossibilité de restituer la chose détournée ; que dès lors en retenant le détournement de fonds à la charge de Francis X... sans constater que celui-ci était dans l'impossibilité de restituer la somme litigieuse, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes visés au moyen " ;

Attendu que, pour déclarer Francis X... coupable de banqueroute par détournement d'actif, les juges relèvent qu'après le placement en redressement judiciaire de la société qu'il dirigeait en fait, le prévenu a émis à son ordre, sur le compte postal de cette société, un chèque de 280 528 francs ; que, pour écarter les conclusions du prévenu, qui soutenait s'être borné au remboursement des sommes qu'il avait versées en vue d'une augmentation de capital restée à l'état de projet, ils énoncent que l'intéressé ne rapporte pas la preuve de l'existence d'une créance certaine, liquide et exigible ;

Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

Qu'en effet, tout acte de disposition volontaire accompli sur le patrimoine social, après la cessation des paiements, par le dirigeant d'une société, à son profit et en fraude des droits des créanciers, constitue le délit de banqueroute par détournement d'actif prévu à l'article 197-2 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Que, dès lors, le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.