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Décisions

Cass. com., 16 septembre 2014, n° 13-19.127

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Espel

Avocat :

Me Le Prado

Nancy, du 20 févr. 2013

20 février 2013

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nancy, 20 février 2013), que la société Compagnons lorrains (la débitrice) ayant été mise en redressement judiciaire 18 novembre 2008, converti en liquidation judiciaire le 12 mai suivant, le liquidateur a assigné M. X..., qui en était l'associé unique et le gérant, la mère de celui-ci, Mme Y... et la société NCL, dont M. X... est également l'associé et le dirigeant, en extension de la procédure pour confusion des patrimoines ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal :

Attendu que M. X... reproche à l'arrêt de lui avoir étendu la procédure de liquidation judiciaire de la débitrice, alors, selon le moyen :

1°/ que l'objet du litige est déterminé par les prétentions des parties lesquelles, en appel, sont formulées dans leurs conclusions ; que pour solliciter l'extension de la liquidation judiciaire de la débitrice à M. X..., le liquidateur judiciaire s'est borné à affirmer que « (le dirigeant) s'est attribué sur un semestre, du 1er juillet 2008, au 31 décembre 2008, pas moins de 39 560 euros de rémunération alors que la société était en cessation des paiements depuis le 1er octobre 2007 » et à prétendre que « selon le cabinet comptable, M. X... ainsi que sa femme et sa mère, sont interdits bancaires. Il lui est en effet reproché d'avoir mêlé ses comptes professionnels et personnels, ainsi que ceux de son épouse et de sa mère » ; que pour ordonner l'extension, la cour d'appel, après avoir relevé que 18 300 euros ne pouvaient être pris en compte, pour avoir été prélevés postérieurement au jugement d'ouverture, retient que « la comptabilité de la société, faussée par la recherche de crédit frauduleux de son gérant est opaque, ce qui équivaut à une absence de comptabilité », de sorte que « les sommes perçues en trois fois, à hauteur de 19 100 euros entre le 1er juillet 2008 et le 8 août 2008 à titre de remboursement d'avances ont une nature invérifiable, tout comme le virement de 4 000 euros le 22 août 2008, non causé dans la comptabilité » pour en déduire que cet état de fait est révélateur d'une impossibilité de distinguer les patrimoines de la société et de son gérant ; qu'en se fondant sur une prétendue « opacité, équivalente à une absence de comptabilité » de la débitrice, pourtant non invoquée par son liquidateur judiciaire-demandeur en preuve-pour retenir l'existence d'une confusion de patrimoines de celle-ci et de M. X..., la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile ;

2°/ que la confusion de patrimoines justifiant l'extension d'une procédure collective implique un désordre généralisé des comptes ou des relations financières anormales entre deux personnes physiques ou morales se traduisant par un état d'imbrication inextricable des éléments d'actif et de passif des personnes considérées ; que pour étendre à M. X... la liquidation judiciaire de la débitrice sur le fondement de la confusion des patrimoines, la cour d'appel se réfère à un courrier du cabinet comptable du 31 juillet 2009 affirmant qu'« il y a eu confusion entre les comptes professionnels et personnels de M. X..., de son épouse et de sa mère, ce dernier s'étant livré à la pratique de la cavalerie bancaire et tous les protagonistes étant désormais interdits bancaires auprès de la Banque de France » pour en déduire péremptoirement « qu'ainsi, la comptabilité de la société, faussée par la recherche de crédit frauduleux de son gérant est opaque, ce qui équivaut à une absence de comptabilité » ; qu'en se déterminant par de tels motifs, tirés des relations financières entretenues par M. X... avec les membres de sa famille, impropres à établir la confusion de patrimoines de la débitrice et de M. X..., qui, seule, pouvait permettre d'étendre au second la liquidation judiciaire prononcée contre la première, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 621-2 du code de commerce ;

3°/ que seule l'absence de comptabilité séparée permet de retenir la confusion de patrimoines entre deux personnes ; qu'en prononçant l'extension de la liquidation judiciaire de la débitrice à M. X..., motifs pris que « la comptabilité de la société, faussée par la recherche de crédit frauduleux de son gérant est opaque, ce qui équivaut à une absence de comptabilité » tout en relevant que les opérations reprochées au dirigeant avaient été inscrites dans la comptabilité de la société, la cour d'appel, qui n'a constaté ni l'existence d'un désordre généralisé des comptes ni celle de relations financières anormales entre les deux personnes concernées, a, derechef, privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 621-2 du code de commerce ;

Mais attendu, qu'appréciant souverainement les éléments du débat, l'arrêt relève qu'une confusion existait entre les comptes professionnels et personnels de M. X..., qui s'était livré à des opérations de cavalerie bancaire et que la comptabilité de la société avait été faussée par la recherche de crédit frauduleux ; qu'il relève encore que les sommes perçues en trois fois à concurrence de 19 100 euros entre le 1er juillet et le 8 août 2008, à titre de remboursement d'avances qui auraient été consenties à la débitrice par M. X..., ne sont pas vérifiables, et que le virement d'une somme de 4 000 euros n'est pas causé en comptabilité ; qu'en l'état de ces appréciations caractérisant des relations financières anormales constitutives d'une confusion des patrimoines, la cour d'appel, qui n'a pas méconnu l'objet du litige, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen :

Attendu que la société NCL fait grief à l'arrêt de lui avoir étendu la procédure de liquidation judiciaire de la débitrice, alors, selon le moyen :

1°/ que l'objet du litige est déterminé par les prétentions des parties, lesquelles, en appel, sont formulées dans leurs conclusions ; que pour solliciter l'extension de la liquidation judiciaire de la débitrice à la société NCL, M. A..., ès qualités, dans ses conclusions signifiées le 18 septembre 2012 a reproché à la société NCL d'avoir perçu la somme de 6 500 euros, d'avoir bénéficié de travaux importants effectués, sans facturation, dans son immeuble, d'avoir versé à la société débitrice une somme de 131 608, 70 euros sans pouvoir justifier d'une facture ainsi que d'avoir acheté du matériel de chantier étranger à son objet social pour près de 20 000 euros, pour en déduire que ces éléments constituaient un soutien financier anormal ; que pour prononcer l'extension la cour d'appel s'est fondée « sur un désordre des comptes rendant impossible la détermination des droits de chaque société », tiré d'une prétendue « absence de fiabilité de la comptabilité, équivalente à une absence de comptabilité » ; qu'en se déterminant ainsi, quand le liquidateur judiciaire qui avait lui-même précisé que les opérations litigieuses avaient été enregistrées dans la comptabilité de chacune des sociétés, n'avait argué d'aucune irrégularité comptable ni a fortiori d'un quelconque désordre des comptes des sociétés considérées, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile ;

2°/ que des erreurs relatives aux dates et aux montants d'opérations enregistrées dans la comptabilité de deux sociétés ne suffisent pas à caractériser la confusion de leurs patrimoine respectif dès lors que les opérations demeurent identifiables, permettant ainsi de rendre compte de leurs rapports réciproques ; que pour prononcer l'extension de la liquidation judiciaire de la débitrice à la société NCL, la cour d'appel retient que « le cabinet comptable qui a relevé les mouvements de fonds reprochés dans la comptabilité des deux sociétés précise qu'ils ne coïncident pas entre eux relativement aux dates et aux montants », pour en déduire que « ce manque de fiabilité de la comptabilité équivaut à une absence de comptabilité révélant un désordre des comptes rendant impossible la détermination des droits de chaque société, avec imbrication substantielle des actifs » ; qu'en statuant de la sorte tout en constatant que les flux financiers reprochés et l'achat de matériel ressortaient de la comptabilité de chacune des sociétés, la cour d'appel a violé l'article L. 621-2 du code de commerce ;

3°/ que la confusion de patrimoines de deux sociétés ne peut résulter que d'un état d'imbrication inextricable de leurs comptes ou de relations financières anormales en tant qu'elles ont appauvri sans justification économique la débitrice au détriment de ses propres créanciers ; que par conséquent, le versement par une société d'une somme de 131 608, 70 euros à la débitrice ainsi que l'achat auprès de celle-ci de matériel de chantier n'est pas de nature à caractériser l'existence de relations financières anormales constitutives d'une confusion de leurs patrimoines, dès lors qu'il n'en résulte pour la débitrice aucun appauvrissement injustifié ayant diminué le gage de ses créanciers ; que pour étendre la liquidation judiciaire de la débitrice à la société NCL, la cour d'appel a néanmoins retenu que « (ce versement et cet achat) constituaient un soutien financier anormal en l'absence de compte courant ou de convention de trésorerie liant les deux sociétés » ; qu'en se prononçant de la sorte, la cour d'appel, qui au demeurant n'était pas saisie d'une action en responsabilité civile fondée sur un soutien abusif procuré à la débitrice, mais d'une demande d'extension de la procédure collective à une société tierce, a, derechef, violé l'article L. 621-2 du code de commerce ;

Mais attendu que l'arrêt relève que la société NCL avait perçu de la débitrice une somme de 6 500 euros non justifiée, bénéficié de travaux importants de gros-oeuvre et de plâtrerie dans l'immeuble dont elle est propriétaire, sans facturation correspondante, versé à la débitrice la somme totale de 131 608, 70 euros sans justifier d'aucune facture et acheté du matériel de chantier étranger à son objet social pour près de 20 000 euros ; qu'il relève encore que, selon le comptable de la débitrice, les mouvements de fonds litigieux entre celle-ci et la société NCL ne coïncidant pas dans leurs dates et montants, les bilans n'avaient pu être édités ; qu'il retient que cet état de fait révèle un désordre des comptes rendant impossible la détermination des droits de chaque société, avec imbrication substantielle des actifs et échange habituel de prestations sans égard à la nécessité de distinguer les activités et patrimoines ; que par ces constatations et appréciations caractérisant des relations financières anormales constitutives d'une confusion des patrimoines, peu important l'absence d'appauvrissement de la débitrice, la cour d'appel, qui n'a pas modifié l'objet du litige, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ; Et sur le moyen unique du pourvoi incident :

Attendu que Mme Y... fait grief à l'arrêt de lui avoir étendu la procédure de liquidation judiciaire de la débitrice, alors, selon le moyen :

1°/ que la confusion de patrimoines justifiant l'extension d'une procédure collective implique un désordre généralisé des comptes ou des relations financières anormales entre deux personnes physiques ou morales se traduisant par un état d'imbrication inextricable des éléments d'actif et de passif des personnes considérées ; que pour étendre à Mme Y... la liquidation judiciaire de la société Compagnons lorrains sur le fondement de la confusion des patrimoines, l'arrêt retient que même si la perception par Mme Y... de la somme de 41 810 euros apparaît dans la comptabilité de la société, « compte tenu de la mainmise de M. X... sur les comptes de son épouse et de sa mère, il y a lieu d'en déduire que ces flux n'ont en aucune contrepartie et ont eu pour effet de vider la société de partie de ses éléments d'actifs » ; qu'en se déterminant par de tels motifs, tirés des relations financières entretenues par M. X... avec sa mère, impropres à établir la confusion de patrimoines de la débitrice et de Mme Y..., qui seule pouvait permettre d'étendre à la seconde la liquidation judiciaire prononcée contre la première, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 621-2 du code de commerce ;

2°/ que la confusion de patrimoines justifiant l'extension d'une procédure collective implique un désordre généralisé des comptes ou des relations financières anormales entre deux personnes physiques ou morales se traduisant par un état d'imbrication inextricable des éléments d'actif et de passif des personnes considérées ; que pour étendre à Mme Y... la liquidation judiciaire de la débitrice sur le fondement de la confusion des patrimoines, l'arrêt retient « l'existence de flux financiers répétés, d'un montant total de 41 810 euros de la débitrice dont la contrepartie demeure tue » ; qu'en statuant de la sorte, tout en constatant que les opérations étaient clairement identifiées dans la comptabilité, la cour d'appel qui n'a pas caractérisé l'imbrication inextricable des patrimoines de Mme Y... et de la débitrice a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 621-2 du code de commerce ;

Mais attendu qu'après avoir relevé que Mme Y... avait perçu de la débitrice la somme totale de 41 810 euros en six opérations distinctes, à compter du 28 mars 2008 jusqu'à l'ouverture de la procédure collective, l'arrêt retient qu'il n'est pas justifié de l'avance de trésorerie prétendument consentie à la débitrice, de sorte que la contrepartie de ces versements n'est pas établie ; que par ces appréciations caractérisant des relations financières anormales constitutives d'une confusion de patrimoines, peu important l'inscription en comptabilité de ces opérations, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois principal et incident.