Cass. com., 27 septembre 2016, n° 14-29.278
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Vallansan
Avocats :
SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, SCP Potier de La Varde et Buk-Lament
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 29 octobre 2014), que la société X... plastiques (la société X...) a été mise en redressement puis liquidation judiciaires par des jugements des 22 novembre 2011 et 2 mars 2012 ; que le liquidateur a assigné la société civile immobilière BJ 90 (la SCI), bailleresse des locaux d'exploitation, en extension de la procédure pour confusion des patrimoines ;
Attendu que la SCI fait grief à l'arrêt de faire droit à la demande alors, selon le moyen :
1°/ que la confusion des patrimoines justifiant l'extension d'une procédure collective suppose un mélange de comptes ou des relations financières anormales entre deux personnes physiques ou morales se traduisant par un état permanent d'imbrication inextricable des éléments d'actif et de passif des patrimoines des personnes considérées ; que la SCI faisait valoir que, sur la période de 2008 à 2011, le commissaire aux comptes de la société X... avait certifié ses comptes sans émettre aucune réserve s'agissant du paiement du loyer, que l'argument du liquidateur, selon lequel, dès lors qu'une partie seulement des loyers facturés sur cette période de 2008 à 2011 avait donné lieu à des décaissements, pour un montant total de 487 115,18 euros, la différence, soit la somme de 805 276,50 euros constituait des flux financiers anormaux entre la SCI et la société X..., était erronée dans la mesure où cette différence apparaissait dans les comptes de la société X... plastiques comme ayant été payée et où seuls figuraient comme étant impayés les loyers dus au titre des derniers mois précédents l'ouverture du redressement judiciaire qui avaient donné lieu à une déclaration de créance de la SCI, ce qui confirmait bien que cette dernière considérait que les loyers antérieurs avaient été payés, que l'absence de sorties de trésorerie ne signifiait pas absence de paiement et n'impliquait pas davantage de flux financiers anormaux mais tout au plus une modalité de paiement qui permettait à la fois de payer les loyers dus à la SCI et d'éviter les prélèvements sur la trésorerie de la société X... ; qu'en se bornant à retenir que l'abandon par la SCI de la quasi-totalité des loyers facturés à la société X... plastiques, sans contrepartie, et le fait pour la SCI de ne pas avoir réclamé à la société X... pendant plus de trois ans les loyers, ni avoir délivré la moindre mise en demeure, alors que la société X... souffrait d'une situation déficitaire, ne tendaient qu'à retarder la déclaration de cessation des paiements de la société X... et caractérisaient des relations financières anormales constitutives d'une confusion de patrimoine, sans tenir compte, ainsi qu'elle y était invitée, de la circonstance que les comptes sociaux de la société X..., pour les exercices 2008, 2009 et 2010 avaient été arrêtés, approuvés et certifiés par le commissaire aux comptes sans réserves, les loyers dus par la société X... à la SCI apparaissant clairement comme étant payés, puisque le seul impayé constaté qui avait donné lieu à une déclaration de créance de la SCI, portait sur des loyers dus au cours de l'exercice 2011 et que l'absence de sorties de trésorerie constituait une simple modalité de paiement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 621-2, alinéa 2, du code de commerce ;
2°/ que seule l'impossibilité de démêler les liens unissant deux sociétés et de distinguer leurs patrimoines peut justifier l'extension à l'une d'une procédure collective ouverte à l'encontre de l'autre ; qu'en énonçant, pour retenir l'existence de relations financières anormales entre la SCI et la société X..., que la SCI avait abandonné la quasi-totalité des loyers facturés à la société X... sans contrepartie, qu'elle n'avait pas réclamé à la société X... pendant plus de trois ans les loyers ni n'avait délivré la moindre mise en demeure, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser une confusion des patrimoines de la SCI et de la société X..., a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 621-2, alinéa 2, du code de commerce ;
3°/ que la confusion des patrimoines justifiant l'extension d'une procédure collective suppose un mélange de comptes ou des relations financières anormales entre deux personnes physiques ou morales se traduisant par un état permanent d'imbrication inextricable des éléments d'actif et de passif des patrimoines des personnes considérées ; que l'existence d'un artifice comptable, à le supposer avéré, ne saurait, en tant que tel, établir l'existence d'une confusion de patrimoine ; qu'en décidant toutefois d'étendre la procédure de liquidation judiciaire à la SCI BJ90 en relevant que le mécanisme décrit par les experts comptables constituait un artifice comptable destiné à dissimuler l'absence de paiement des loyers par la société X... plastiques, la cour d'appel a violé l'article L. 621-2, alinéa 2, du code de commerce ;
4°/ que c'est au demandeur à l'extension de la procédure collective de rapporter la preuve de l'existence d'une confusion de patrimoines et notamment des éventuels flux financiers anormaux caractérisant une telle situation ; qu'en l'espèce, pour retenir l'existence de flux financiers anormaux, la cour d'appel a affirmé que le mécanisme des paiements des loyers, décrit de façon identique par les deux experts comptables eût pu être licite s'il était démontré que la société X... détenait une créance contre son associé pour permettre ainsi une compensation de créances ou que la SCI avait cédé sa créance de loyers à M. X... qui serait ainsi devenu créancier de la société ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'il appartenait au liquidateur judiciaire de démontrer l'existence de flux financiers anormaux caractérisant une confusion des patrimoines, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du code civil, ensemble l'article L. 621-2, alinéa 2, du code de commerce ;
Mais attendu que l'établissement d'une comptabilité certifiée et approuvée ne permet pas d'établir l'absence de confusion des patrimoines entre le bailleur et son locataire, dès lors qu'elle révèle l'existence de relations financières incompatibles avec des obligations contractuelles réciproques normales ; qu'après avoir constaté que la SCI, qui avait facturé à la société X... une somme de 1 292 391,68 euros au titre des loyers dus pour la période 2008-2011, n'avait encaissé qu'une somme de 487 115,18 euros et avait déclaré à la procédure la somme de 153 810,17 euros, l'arrêt retient que la différence avait été soldée, dans la comptabilité de la société X..., par le débit fictif du compte fournisseur de la SCI et l'inscription concomitante d'une créance du même montant au crédit du compte courant d'associé de M. X..., dirigeant commun des deux sociétés, sans que la cause de ce changement de créancier ne soit justifiée ni la créance de loyers payée ; qu'il retient encore qu'en l'absence d'une convention de nature à justifier ce transfert, le procédé utilisé pour éteindre la dette de la société X... envers la SCI n'est qu'un artifice comptable destiné à dissimuler l'abandon sans contrepartie, par la SCI, des loyers facturés pendant plus de trois ans ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu, sans inverser la charge de la preuve, retenir l'existence, entre les deux sociétés, de relations financières anormales caractérisant la confusion de leurs patrimoines ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.