Cass. crim., 26 septembre 2001, n° 00-86.525
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
M. Samuel
Avocat général :
Mme Fromont
Avocat :
SCP Waquet, Farge et Hazan
REJET du pourvoi formé par :
- X... Charles-Henri,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, 9e chambre, en date du 14 septembre 2000, qui, pour malversation, l'a condamné à 500 000 francs d'amende.
LA COUR,
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 8, 171 et 593 du Code de procédure pénale, 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a refusé de prononcer la nullité de l'ensemble des actes de poursuites ;
" aux motifs que, si le tribunal a mis en évidence les longueurs de la procédure, patentes entre 1992 et 1996, la Cour relève que l'intervention des lois nouvelles des 16 décembre 1992, 19 juillet 1993 et 10 juin 1994 a suscité des interprétations divergentes de la part du ministère public et du juge d'instruction au cours de la période 1992-1996 ; que, malgré les diligences effectuées par les juges d'instruction, la défense a de nouveau, en 1997, sollicité des actes d'instruction, prenant ainsi délibérément le parti d'un allongement des délais de la procédure ; qu'en tout état de cause, la constatation éventuelle du défaut de respect du délai raisonnable, au sens de la Convention européenne des droits de l'homme, est sans incidence sur la validité des procédures relevant du droit interne ;
" alors, d'une part, que, aux termes de l'article 171 du Code de procédure pénale, il y a nullité lorsqu'il a été porté atteinte aux intérêts de la partie concernée par la méconnaissance d'une formalité substantielle prévue non seulement par une disposition du Code de procédure pénale (c'est-à-dire par une disposition du droit interne), mais également par "toute autre disposition de procédure pénale" (qui peut être une disposition du droit communautaire) ; qu'il s'ensuit que la méconnaissance, préjudiciable aux intérêts du prévenu, du droit au procès équitable, dans un délai raisonnable consacré par l'article 6.1 de la Convention européenne, doit entraîner la nullité des poursuites ; qu'en estimant le contraire, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
" alors, d'autre part, que même à supposer que la durée excessive de la procédure, au sens de l'article 6.1 de la Convention européenne, ne puisse être de nature à entraîner la nullité de la procédure, il appartenait, à tout le moins, à la cour d'appel d'admettre que le non-respect du délai raisonnable constitue un mode autonome d'extinction de l'action publique, et de constater que l'inertie des autorités de poursuite devait entraîner l'extinction de l'action publique par l'effet d'une prescription résultant du dépassement du délai raisonnable ;
" alors, de surcroît, que, l'enquête préliminaire ayant débuté en juillet 1989 et le prévenu ayant comparu devant le tribunal en septembre 1999, la procédure a duré 10 ans, excédant largement le délai raisonnable ; que l'intervention de nouvelles lois et la nécessité de leur interprétation ne constituent pas une circonstance permettant de déroger au principe du droit au délai raisonnable ; qu'en estimant le contraire, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
" alors, enfin, que l'arrêt attaqué constate expressément les longueurs de la procédure jusqu'en 1996, et admet que la seule initiative prise par le prévenu a été une demande d'actes ayant abouti à une décision du 27 mai 1998 de la chambre d'accusation, celle-ci n'ayant été saisie que parce que le juge d'instruction avait négligé de répondre à la requête dans les délais impartis ; qu'il résulte ainsi des propres énonciations de la cour d'appel que le prévenu n'a pas contribué à retarder l'issue de la procédure, la responsabilité des lenteurs pesant exclusivement sur les autorités judiciaires ; qu'en refusant néanmoins de sanctionner la méconnaissance du droit du prévenu à un procès équitable dans un délai raisonnable, la cour d'appel a violé les textes susvisés " ;
Attendu que, pour dire n'y avoir lieu à prononcer la nullité de l'ensemble des actes de poursuite, la cour d'appel énonce que la constatation éventuelle du défaut de respect du délai raisonnable au sens de la Convention européenne des droits de l'homme est sans incidence sur la validité des procédures relevant du droit interne ;
Attendu qu'en l'état de ces seules énonciations, et dès lors qu'au surplus, la durée excessive d'une procédure, à la supposer établie, ne saurait affecter l'effet interruptif de la prescription qui s'attache aux actes de poursuite régulièrement accomplis, l'arrêt attaqué n'encourt pas les griefs allégués ;
Qu'ainsi le moyen ne peut être admis ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 207 de la loi du 25 janvier 1985, 121-3 du Code pénal, 31 et 32 de la loi du 25 janvier 1985, 32 du décret n° 85-1390 du 27 décembre 1985, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré Charles-Henri X... coupable du délit de malversation, et l'a condamné de ce chef ;
" aux motifs que Charles-Henri X... a eu, sans solliciter des autorisations, recours aux services de tiers intervenants (les SARL VCS, Controgest et Agire) ; que, lorsque l'administrateur judiciaire fait appel à des personnes extérieures pour l'exécution de tâches relevant de sa mission, il doit les rémunérer sur les émoluments qu'il perçoit, ce qui n'a pas été le cas, les prestations effectuées par les intervenants extérieurs ayant été directement réglées par les entreprises en redressement judiciaire ; qu'en accueillant dans ses locaux les trois sociétés et en recommandant aux entreprises en redressement judiciaire de s'adresser à elles, le prévenu a entretenu une confusion dans l'esprit des dirigeants de ces entreprises ; que le prévenu ne pouvait qu'être conscient du fait qu'en confiant à des tiers intervenants une partie de son mandat, il provoquait l'accroissement des charges des entreprises en difficulté ; que l'intervention de tiers a eu pour but et pour effet d'alléger la charge de travail de l'étude du prévenu et de réduire ses frais généraux ; que le délit prévu par l'article 207 de la loi du 25 janvier 1985 est donc caractérisé à l'encontre de Charles-Henri X... en ses éléments tant matériels qu'intentionnel ;
" alors, d'une part, que les tâches de gestion courante d'entreprise assurées par un contrôleur de gestion n'entrent pas dans la compétence habituelle de l'administrateur judiciaire et n'empiètent pas sur le mandat de ce dernier, de sorte que le coût de ses prestations ne saurait être imputé sur les émoluments de ce dernier ; qu'il s'ensuit que l'administrateur judiciaire, qui a recours à des intervenants extérieurs rémunérés sur les fonds de la procédure collective, dont le rôle est d'aider le débiteur dans les tâches matérielles nécessaires à la restructuration de l'entreprise et au maintien de son activité, et qui ne se substituent pas, même partiellement, à lui dans l'exécution de son mandat, ne commet pas le délit de malversation ; qu'en estimant le contraire pour déclarer Charles-Henri X... coupable de ce délit, au motif qu'il faisait exécuter par des tiers et aux frais du débiteur une partie de son mandat, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
" alors, d'autre part, qu'en retenant contre le prévenu, administrateur judiciaire, le délit de malversation, au motif qu'il avait dirigé les chefs d'entreprise en redressement judiciaire vers des tiers intervenants sans avoir sollicité des autorisations, sans s'expliquer sur le moyen péremptoire de défense du prévenu, qui faisait valoir (cf. concl. p. 11, paragraphes 5 et 6) "qu'à l'époque des faits, l'usage du tribunal de commerce de Pontoise était que les administrateurs judiciaires pouvaient faire appel à des contrôleurs de gestion dont les honoraires étaient pris en charge par l'entreprise, sans avoir à solliciter par voie de requête une ordonnance en ce sens", usage qui n'avait été modifié qu'au cours du second semestre 1989, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
" alors, de troisième part, que le délit de malversation exige une atteinte aux intérêts des créanciers ou du débiteur ; qu'en se bornant à énoncer que les prestations, certes modiques, effectuées par les intervenants extérieurs avaient provoqué l'accroissement des charges des entreprises en redressement judiciaire, sans s'expliquer sur la circonstance invoquée par le prévenu (cf. concl. p. 9, 10 et 11) que le coût extrêmement modique des prestations réglé par les six entreprises visées à la prévention (entre 7 500 francs et 13 500 francs HT au total) était largement compensé par le fait que le recours à ces intervenants extérieurs avait permis de sauver toutes les six entreprises, dont cinq avaient bénéficié d'un plan de continuation et la sixième d'une homologation de concordat, de sorte qu'il n'y avait eu aucune atteinte aux intérêts des créanciers ou des entreprises en difficulté, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
" alors, de quatrième part, que le délit de malversation nécessite, de la part de l'administrateur judiciaire, la recherche d'un intérêt personnel ; que, l'administrateur n'ayant pas à prendre à sa charge les carences structurelles des entreprises en redressement judiciaire qu'il assiste et d'y remédier à ses frais, la cour d'appel ne pouvait déduire la recherche d'un intérêt personnel d'une prétendue réduction des frais généraux de l'étude de l'administrateur par le recours à des intervenants extérieurs, dès lors que les tâches exécutées par ces derniers n'avaient pas, de toute façon, vocation à être prises en charge par l'administrateur ; qu'il s'ensuit que la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
" alors, enfin, que le délit de malversation exige la mauvaise foi du prévenu, de sorte que ce délit n'est pas constitué si l'auteur du fait matériel était de bonne foi, notamment s'il croyait, avec quelque vraisemblance, avoir le droit d'agir comme il l'a fait ; que le prévenu invoquait le pacte de confiance élaboré par le tribunal de commerce de Paris ainsi que l'usage du tribunal de commerce de Pontoise relatifs à la possibilité, pour un administrateur judiciaire, de faire appel à des contrôleurs de gestion rémunérés sur les fonds de la procédure démontrant un usage prétorien constant lui permettant de se prévaloir de sa bonne foi ; qu'en refusant d'en tenir compte pour retenir le délit de malversation, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Charles-Henri X..., administrateur judiciaire, a été désigné par le tribunal de commerce de Pontoise, dans le cadre de procédures de redressement judiciaire concernant les sociétés Olympe, Laneau, Borca et fils, UFR, Nell'Auto, Pouillard et Lagache, pour assister les débiteurs dans les conditions prévues par l'article 31.2°, de la loi du 25 janvier 1985, devenu l'article L. 621-22 du Code de commerce ; qu'au cours du mois de janvier 1989, à l'occasion d'une inspection effectuée dans son étude, il est apparu qu'il avait, courant 1988 et 1989, conseillé aux débiteurs de recourir, pour l'exécution de tâches d'exploitation des entreprises, aux services de diverses personnes qui exerçaient leur activité dans le cadre de trois sociétés distinctes dont le montant global des chiffres d'affaires s'est élevé à la somme de 2 379 067 francs entre 1987 et 1989 ;
Attendu que, pour déclarer Charles-Henri X... coupable de malversation, la cour d'appel, après avoir rappelé qu'il a créé et accueilli, dans ses locaux, des sociétés " de façade " destinées à dissimuler les liens l'unissant à ses subordonnés qui en étaient les gérants de fait, ajoute qu'il a entretenu, dans l'esprit des dirigeants des entreprises en difficulté à qui il les recommandait, une confusion sur la nature de ses fonctions ; Que les juges précisent que le prévenu, professionnel confirmé, avait conscience qu'en confiant à des tiers une partie de son mandat, il provoquait l'accroissement des charges des entreprises en difficulté ; qu'ils relèvent que l'intervention de ces tiers a eu pour but et pour effet d'alléger la charge de travail de son étude, de réduire le poids de ses frais généraux pour recevoir, nets de charge, les frais et honoraires dont il pouvait solliciter le paiement en application des barèmes légaux, auprès des entreprises en difficulté ; qu'ils énoncent, enfin, que, si le prévenu a cru pouvoir arguer, pour justifier de sa bonne foi, d'un pacte de confiance conseillant aux administrateurs judiciaires le concours d'intervenants qualifiés lorsque la situation des entreprises le justifiait, un tel pacte ne saurait autoriser une quelconque dérogation aux prescriptions du décret du 27 décembre 1985 ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel, qui a répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.