CA Paris, 4e ch., 11 mars 2003, n° 2002-02980
PARIS
Arrêt
Par jugement du 30 novembre 2001, le tribunal a :
- dit que le modèle "TARRA" de la société MOD'8 est nouveau et original et digne de bénéficier de la protection du CPI,
- dit que la société CEC a commis des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale à l'égard de la société MOD'8,
- condamné la société CEC à payer à la société MOD'8 la somme de 3.000.000 F, soit 457.347, 05 euros en réparation de tous préjudices confondus,
- interdit à la société CEC la fabrication et la commercialisation du modèle contrefaisant quelle que soit la référence sous laquelle il serait commercialisé, sous astreinte de 10.000 F, soit 1.524, 49 euros, par infraction constatée à compter du 10ème jour suivant la signification du jugement et ce, pendant 30 jours passé lequel délai il sera à nouveau fait droit,
- ordonné la publication du jugement dans cinq journaux au choix de la société MOD'8 et aux frais de la société CEC, pour un coût global ne pouvant excéder 100.000 F HT, soit 15.244, 90 euros,
- condamné la société CEC à verser à la société MOD'8 la somme de 50.000 F, soit 7.622, 45 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Vu l'appel de cette décision interjeté le 21 janvier 2002 et les dernières écritures signifiées le 27 novembre 2002 par lesquelles la société CEC, poursuivant l'infirmation du jugement entrepris, demande à la Cour de :
- dire que le modèle N° 95 5273 a été publié tardivement et viole les dispositions de l'article R. 512-11 du CPI et que celui-ci déposé sous une forme simplifiée est venu à expiration le 26 septembre 1998,
- à titre subsidiaire, prononcer la nullité pour défaut de nouveauté et de caractère propre de la reproduction N° 502 493 du modèle français N° 95 5273,
- prononcer la radiation de ce modèle avec inscription sur le registre national des modèles dans le délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt,
- déclarer la société MOD'8 mal fondée à invoquer le bénéfice de la protection conférée par l'article L. 111-1 du CPI, le modèle "TARRA" n'étant ni nouveau, ni original et ne constituant pas une création exprimant la personnalité de son auteur,
- dire qu'elle ne saurait être condamnée plusieurs fois pour de mêmes faits, la société MOD'8 étant impuissante à justifier de faits distincts de la contrefaçon,
- débouter la société MOD'8 de l'ensemble de ses prétentions,
- condamner la société MOD'8 à lui restituer la somme de 460.498, 24 euros complétée des intérêts légaux, calculés sur la période courant du 5 février 2002 au jour du prononcé de l'arrêt,
- condamner la société MOD'8 à lui verser la somme de 142.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice qui lui a été causé du fait de l'action abusive engagée contre elle et de l'interruption de la commercialisation du modèle incriminé du fait de l'exécution provisoire,
- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans cinq journaux ou périodiques de son choix, aux frais de la société MOD'8, pour un coût global de 46.000 euros HT,
- condamner la société MOD'8 à lui verser la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 7 janvier 2003 aux termes desquelles la société MOD'8 sollicite la confirmation du jugement déféré sauf sur le montant des dommages- intérêts qu'elle demande à la Cour de porter à la somme de 809.000 euros en réparation du préjudice subi au titre de la contrefaçon, à 500.000 euros en réparation du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale et sur le coût de la publication qu'elle entend voir majorer à 45.000 euros HT, réclamant en outre l'allocation d'une somme de 9.000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile .
DECISION
I - -SUR LA RECEVABILITE DE LA SOCIETE MOD'8 A AGIR EN CONTREFAÇON DU MODELE DENOMME "TARRA" Considérant que la société CEC prétend que le modèle N° 95 5273, déposé sous une forme simplifiée, a été publié tardivement en violation de l'article R.512-11 du CPI et qu'il est venu à expiration le 26 septembre 1998 ; Considérant qu'aux termes de l'article R.512-11 du CPI, lorsque le dépôt a été effectué sous forme simplifiée, le déposant doit, au plus tard six mois avant le terme du délai de trois ans prévu à l'article R.512-10, renoncer par écrit à l'ajournement de la publication et remettre à l'institut national de la propriété industrielle : ... "A défaut, la déchéance totale ou partielle des droits issus du dépôt est constatée par le directeur de l'Institut de la propriété industrielle ;
Mais considérant que la société MOD'8 fait valoir ajuste titre que ce texte vise la demande d'ajournement qui doit intervenir au plus tard six mois avant l'expiration du délai de trois ans et non la publication ; qu'il convient de relever que le modèle N° 95 5273 invoqué a bien été publié le 30 avril 1998, sans faire l'objet d'une décision du directeur de l'INPI de déchéance des droits issus du dépôt ; Que la société MOD'8 est donc recevable à agir en contrefaçon sur le fondement de ce modèle ;
II - -SUR LE CARACTERE PROTEGEABLE DU MODELE DE SANDALE DENOMME "TARRA"
Considérant que parmi les modèles enregistrés sous le N° 95 5273, la société MOD'8 invoque exclusivement le modèle de sandale dénommé "TARRA" portant le numéro de reproduction 42-43 502 493, qu'elle caractérise ainsi :
- une chaussure basse pour enfant dont la tige en cuir nubuck, ou en cuir à cirer, est une coupe sandale comportant une patte salomé,
- la tige est reliée à la semelle d'usure par le procédé dit "cousu sandalette " qui se traduit visuellement par une piqûre sur la trépointe tout autour de la tige,
- la découpe sandale est agrémentée tout autour du pied d'un feston et de perforations décoratives,
- un petit noeud, en tissu vichy assorti à la couleur de la tige, est fixé à la base de la patte salomé et sur l'arrière de la chaussure au niveau dujointage du talon ;
Considérant que pour contester la nouveauté et le caractère propre de ce modèle, la société CEC produit aux débats le modèle dénommé "NOËL" publié dans la revue "CHAUSSER" d'août - septembre 1994, le modèle de la société ASTER illustrant le catalogue intitulé "KIDS Monday" du 19 septembre 1994, et les sandalettes vendues sous la marque "Minibel" dans son catalogue printemps-été 1992 ; Considérant que si le modèle dénommé "NOËL" est une chaussure comportant une découpe sandale et une patte dite "salomé", il se distingue du modèle "TARRA" par sa tige haute, par la forme de la découpe de chaque côté de la patte et des perforations ; qu'en outre, la découpe de la sandale entourant la cheville est droite, dépourvue de feston ; que les deux noeuds sont absents ; Que contrairement aux allégations de la société CEC, ce modèle ne constitue pas une antériorité de toute pièce destructrice de la nouveauté du modèle "TARRA", ces différences dans la forme de la chaussure et des découpes ne pouvant constituer des détails insignifiants au sens de l'article L.511-3 du CPI ; Que le modèle commercialisé par la société ASTER, bien qu'agrémenté d'un noeud en tissu vichy à la base de la patte salomé, ne divulgue pas les autres caractéristiques de la sandale dénommée "TARRA" ; qu'en effet, il s'agit d'une chaussure à tige haute et non d'une sandalette, qui ne comporte pas de feston dentelé autour des découpes ; que les perforations sont en forme de demi-lunes, une ouverture plus importante ornant le bout ; Que, compte tenu de la marge très réduite de liberté dont dispose le créateur en matière de chaussure enfantine, l'impression visuelle suscitée par ce modèle chez l'observateur averti diffère de celle produite par le modèle "TARRA" tant en raison de la forme générale des deux chaussures en présence que des finitions qui confèrent à ce dernier un caractère propre ; Que les chaussures pour enfants présentées sur le catalogue "Minibel", notamment le modèle référencé "Linotte", que la société CEC oppose plus particulièrement, si elles présentent les caractéristiques propres aux sandalettes comportant une patte salomé, se différencient du modèle "TARRA" par la forme de la découpe des ouvertures, la forme et la position des perforations, l'absence de feston et de noeuds ; que ces éléments, aptes à distinguer les modèles en cause, suscitent une impression visuelle différente ; Que le modèle "TARRA" répond donc au critère de nouveauté et présente un caractère propre ;
Considérant que l'apparence de la sandale inhérente au choix des découpes et des perforations, à la présence d'un feston et de noeuds en tissu résulte d'un processus créatif qui porte l'empreinte de la personnalité de l'auteur ; Que le modèle doit également bénéficier de la protection au titre du droit d'auteur ; Qu'il s'ensuit que le jugement sera confirmé sur ce point ;
III - -SUR LA CONTREFAÇON
Considérant qu'il ressort de la photographie annexée au procès-verbal de constat dressé le 25 avril 2000 et de l'examen des chaussures saisies le 11 mai 2000 auquel la Cour a procédé, que la sandale commercialisée par la société CEC reproduit outre la forme générale, les éléments caractéristiques qui confèrent au modèle "TARRA" sa nouveauté et son originalité, à savoir la forme des découpes et des perforations, le feston dentelé qui entoure la cheville et les ouvertures ; que les différences tenant à la présence d'un seul noeud au lieu de deux, à l'attache de la chaussure, au moyen d'une boucle dans le modèle "TARRA" et d'une bande "velcro" dans le modèle second et au mode de fabrication en trois pièces pour l'un, en deux pièces pour l'autre, n'affectent pas l'impression visuelle d'ensemble identique qui se dégage de l'examen des modèles ; Que le tribunal a donc ajuste titre retenu à rencontre de la société CEC le grief de contrefaçon ;
IV - -SUR LA CONCURRENCE DELOYALE
Considérant que la société MOD'8 reproche encore à la société CEC d'avoir commis à son encontre des actes de concurrence déloyale en reproduisant de manière servile le modèle "TARRA", à un prix inférieur et dans la même gamme de coloris ; Considérant que si le premier grief est susceptible d'aggraver le préjudice résultant de la contrefaçon qui se définit comme la reproduction totale ou partielle d'une oeuvre sans l'autorisation de son auteur, il ne constitue pas un fait distinct de concurrence déloyale ; qu'il n'est pas démontré que les prix pratiqués seraient vils ; Qu'en revanche, la déclinaison de la sandalette dans la même gamme de coloris que celle utilisée par la société MOD'8, s'agissant particulièrement de couleurs comme le jaune, le violine, caractérise des actes distincts de concurrence déloyale, traduisant une volonté délibérée de s'inscrire dans le sillage de la société MOD'8 et de détourner sa clientèle ;
V - -SUR LES MESURES REPARATRICES
Considérant que les opérations de saisie-contrefaçon ont révélé que la société CEC a mis sur le marché 92.000 paires de sandales contrefaisantes ; Que ce modèle constitue la copie quasi servile du modèle "TARRA" dont il est constant qu'il a rencontré un succès indéniable auprès de la clientèle, la société MOD'8 ayant vendu 36.592 paires entre 1996 et 1999 ; Que la mise sur le marché d'un volume important des modèles contrefaisants, commercialisés à prix moindre de la moitié, ne peut avoir pour effet que de dévaloriser le modèle "TARRA" en le banalisant et d'inciter la clientèle à s'en détourner ou à acquérir un modèle moins onéreux ; qu'en outre, la société MOD'8 se voit ainsi dépouillée de partie des investissements qu'elle a engagés pour créer ce modèle et le promouvoir ; Qu'en évaluant à 457.347, 05 euros le préjudice de la société MOD'8 résultant tant de la dévalorisation de son modèle et des ventes manquées que des actes de concurrence déloyale, les premiers juges en ont fait une exacte appréciation ; Considérant que la mesure d'interdiction prononcée est justifiée pour mettre un terme aux agissements délictueux ; que la mesure de publication sera confirmée sauf à préciser qu'il sera fait mention du présent arrêt ; Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent bénéficier à la société MOD'8, la somme complémentaire de 9.000 euros devant lui être allouée à ce titre ; Que la solution du litige commande de rejeter la demande de dommages-intérêts et sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile formée par la société CEC ;
PAR CES MOTIFS
Déclare la société MOD'8 recevable à agir en contrefaçon sur le fondement du modèle N° 95 5273.