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Décisions

Cass. com., 3 octobre 2018, n° 17-24.265

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Avocats :

SCP Alain Bénabent, SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre

Douai, du 29 juin 2017

29 juin 2017

Attendu, selon les arrêts attaqués (Douai, 26 mai 2016 et 29 juin 2017), que la SCI La Kalypso ayant été mise en redressement judiciaire le 4 octobre 2013, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France (la banque) a déclaré trois créances correspondant aux soldes de trois prêts pour un montant total de 333 809,48 euros dont 327,69 euros au titre d'intérêts à échoir ; que par trois lettres recommandées datées du 31 janvier 2014 reproduisant les termes de l'article L. 622-27 du code de commerce, et dont l'accusé de réception a été signé le 4 février suivant, le mandataire judiciaire a informé la banque que ses créances étaient contestées et qu'il proposerait l'inscription des créances déclarées pour zéro euro ; que la banque a répondu le 12 mars 2014 en s'interrogeant sur les raisons de la proposition de rejet total de la créance bien que seuls les intérêts à échoir fussent contestés et en demandant si cette proposition n'était pas le fruit d'une erreur matérielle ; que le juge-commissaire a rejeté en totalité les trois créances ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la banque fait grief à l'arrêt du 26 mai 2016 de rejeter la demande de transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité qu'elle avait présentée et à l'arrêt rendu le 29 juin 2017 de dire irrecevable sa demande tendant à voir déclarer inconstitutionnelles les dispositions des articles L. 622-27 et L. 624-3 du code de commerce, de déclarer irrecevable son appel des ordonnances du juge commissaire et de rejeter toutes ses demandes alors, selon le moyen, que les articles L. 622-27 et L. 624-3 du code de commerce, en ce que, tels qu'interprétés par la Cour de cassation, ils interdisent au créancier déclarant n'ayant pas répondu dans le délai de trente jours à la discussion élevée par le mandataire judiciaire au sujet de sa créance toute contestation ultérieure de la proposition de celui-ci et tout recours contre la décision du juge commissaire lorsque celle-ci confirme la proposition du mandataire judiciaire, méconnaissent, d'une part, le droit à un recours juridictionnel effectif découlant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, en portant au droit d'accès au juge une atteinte substantielle et disproportionnée à l'objectif de sécurité juridique poursuivi par le législateur, d'autre part, la garantie du droit de propriété, assurée par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, en portant au droit de propriété des créanciers sur leurs créances déclarées une atteinte disproportionnée, enfin, le principe d'égalité devant la loi découlant de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, en instituant entre créanciers ayant déclaré leurs créances au passif d'une procédure collective une différence de traitement injustifiée au regard de la situation comparable dans laquelle se trouvent tous ces créanciers au regard de l'objet de la loi ; qu'en l'état de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée dans la présente instance en cassation par un mémoire distinct, les dispositions législatives en cause, qui sont applicables au litige, encourent une abrogation dont il résultera que l'arrêt attaqué devra être censuré pour perte de fondement juridique ;

Mais attendu que par arrêt du 28 mars 2018 (n° 459), la Chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité visée par le moyen ; qu'il s'ensuit que celui-ci est inopérant ;

Et sur le second moyen :

Attendu que la banque fait grief à l'arrêt du 29 juin 2017 de dire que les articles L. 622-27 et L. 624-3 du code de commerce ne sont pas contraires aux articles 6 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni à l'article 1er de son protocole additionnel n° 1, de déclarer en conséquence irrecevable l'appel interjeté par la banque contre les ordonnances du juge commissaire et de rejeter ses demandes alors, selon le moyen :

1°) qu'en retenant que le créancier n'ayant pas respecté le délai de trente jours imparti par l'article L. 622-27 du code de commerce pour répondre à la contestation élevée contre sa créance par le mandataire judiciaire n'était pas dépourvu de tout recours, dès lors que l'article L. 624-3 du même code lui ouvrait la possibilité d'exercer un recours contre la décision du juge-commissaire afin de contester le défaut de réponse dans le délai imparti, cependant qu'en l'état de la jurisprudence relative à ces textes, un tel recours ne porte pas sur la contestation du mandataire judiciaire elle-même, mais sur un point connexe, en l'occurrence l'existence ou non d'une réponse à la contestation avant l'expiration du délai prévu par la loi, et ne constitue donc pas un recours juridictionnel effectif, la cour d'appel a violé l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°) que les textes susvisés du code de commerce, tels qu'interprétés par la jurisprudence, en ce qu'ils privent les créanciers déclarants de la possibilité de contester judiciairement la proposition de rejet de leur créance faite par le mandataire judiciaire, constituent une ingérence dans le droit de propriété desdits créanciers sur leur créance ; que les dispositions instituant cette ingérence ne sont pas suffisamment prévisibles ni précises sur les caractéristiques que doit revêtir, notamment en son objet, la contestation élevée par le mandataire judiciaire contre une créance déclarée, pour faire courir le délai de réponse de trente jours imparti par la loi au créancier déclarant ; qu'en retenant néanmoins que les dispositions légales en cause n'étaient pas contraires à l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la cour d'appel a violé celui-ci ;

3°) qu'en retenant qu'un juste équilibre était maintenu par les textes susvisés du code de commerce entre l'exigence de célérité en matière de procédures collectives et les impératifs de sauvegarde du droit de propriété, cependant que ces dispositions législatives portent une atteinte disproportionnée au droit de propriété des créanciers déclarants sur leurs créances, du fait de l'absence d'un recours effectif contre la proposition de rejet faite par le mandataire judiciaire, la cour d'appel a violé de plus fort l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

4°) qu'en retenant que la différence de traitement entre créanciers déclarants, selon qu'ils ont ou non répondu dans le délai de trente jours à la contestation élevée contre leur créance par le mandataire judiciaire, différence instituée les textes susvisés du code de commerce, était fondée sur une justification objective, en ce que ces textes poursuivaient un but légitime et n'instituaient pas une différence de traitement excessive entre créanciers, cependant que ces dispositions sont source d'une discrimination, non objectivement et raisonnablement justifiée, dans la jouissance du droit à un tribunal et du droit à la protection de la propriété, la cour d'appel a violé l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, combiné avec l'article 6 de ladite Convention et avec l'article 1er de son premier protocole additionnel ;

5°) qu'il résulte des dispositions législatives en cause, d'une part, que seule constitue une discussion, de nature à faire courir un délai de réponse de trente jours à l'encontre des créanciers destinataires, l'écrit par lequel le mandataire judiciaire avise sans équivoque les créanciers intéressés des raisons pour lesquelles tout ou partie de leur créance lui paraît devoir ne pas être admise, d'autre part et en conséquence, qu'une créance ne peut être regardée comme discutée qu'à concurrence des éléments au sujet desquels lesdites raisons ont été fournies et que la sanction légale prévue en cas de non-réponse dans les trente jours de la discussion élevée par le mandataire judiciaire ne peut être appliquée qu'en ce qui a trait aux éléments de la créance constituant l'objet même de cette discussion, le créancier conservant son droit de contestation s'agissant des éléments que n'a pas discutés le mandataire judiciaire ; qu'en regardant au contraire comme intégralement discutées des créances dont les correspondances échangées entre le mandataire judiciaire et le créancier, visées par l'arrêt attaqué, faisaient apparaître qu'elles n'étaient discutées que très partiellement, sous le seul rapport des intérêts à échoir et non du principal ni des intérêts échus, et en en déduisant que le créancier était intégralement privé du droit de contester la proposition du mandataire judiciaire, y compris en ce qui avait trait aux éléments des créances non discutés par ce dernier, la cour d'appel a violé, par fausse interprétation, les articles L. 622-27 et L. 624-3 du code de commerce, ensemble l'article R. 624-1 du même code ;

Mais attendu, en premier lieu, que les articles L. 622-27 et L. 624-3 du code de commerce, limitant à un délai de trente jours à compter de la réception de la lettre du mandataire judiciaire discutant sa créance le droit pour le créancier de contester la proposition du mandataire relative à la créance contenue dans cette lettre, ont pour objectif, dans l'intérêt collectif des créanciers comme dans celui du débiteur, d'accélérer et de rationaliser la vérification des créances afin de parvenir à une détermination du passif de la procédure collective ; qu'après avoir énoncé que le délai de réponse de trente jours imparti au créancier ne court que si la lettre de contestation de la créance envoyée par le mandataire judiciaire répond aux exigences de l'article R. 624-1, alinéa 2, du code de commerce et qu'il suffit, pour le créancier, de répondre dans le délai imparti qu'il conteste la proposition du mandataire pour voir écarter les sanctions prévues par les textes précités, l'arrêt retient exactement que le délai de réponse de trente jours n'est pas excessivement bref et que les obligations mises à la charge du créancier, qui peut exercer un recours contre la décision du juge-commissaire afin de contester le défaut de réponse qui lui est opposé, ou pour faire valoir que le délai de trente jours n'a pas couru contre lui, ne portent, eu égard aux objectifs d'intérêt général poursuivi, aucune atteinte disproportionnée au droit d'accès à un tribunal ou à un recours juridictionnel, non plus qu'au droit patrimonial du créancier sur la créance discutée, tels que garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Attendu, en second lieu, qu'en réglant de manière différente les droits de créanciers qui se sont eux-mêmes placés dans des situations différentes, en répondant ou non, dans les trente jours de sa réception, à une lettre dont l'objet unique est la contestation du bien-fondé ou du montant de leur créance, les articles L. 622-27 et L. 624-3 du code de commerce ne portent aucune atteinte au principe conventionnel d'égalité de traitement et de non-discrimination des créanciers de la procédure collective ;

Et attendu, enfin, qu'ayant relevé que la lettre du mandataire judiciaire, qui reproduisait les dispositions de l'article L. 622-27 du code de commerce, et dont la banque ne contestait pas la réception effective le 4 février 2014, l'avisait de la contestation de sa créance au motif que « Lors de la vérification du passif, mon administrée a contesté votre créance au titre du calcul des intérêts à échoir car il n'est pas détaillé. Les autres postes sont conformes » et que le mandataire proposait l'inscription de la créance pour « 0,00 euros à titre chirographaire, 0,00 euros à titre privilégié (hypothèque), 0,00 euros à titre provisionnel, 0,00 euros à échoir », l'arrêt retient que l'objet de la discussion de la créance était explicite et que la portée donnée par le mandataire à sa contestation, à savoir une proposition de rejet de l'intégralité de la créance, était dépourvue d'équivoque ; qu'il en déduit, par une exacte application des articles L. 622-27 et L. 624-3 du code de commerce, que le créancier n'est pas fondé à contester le défaut de réponse dans le délai imparti qui lui est opposé, de sorte que son appel est irrecevable ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.