Cass. ass. plén., 9 juillet 1993, n° 89-19.211
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Drai
Rapporteur :
M. Dumas
Avocat général :
M. Jéol
Avocats :
SCP Célice et Blancpain, Me Brouchot, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, Me Copper-Royer, SCP Le Bret et Laugier, Me Vincent, SCP Vier et Barthélemy, SCP Guiguet, Bachellier et Potier de la Varde, Me Parmentier
Vu leur connexité, joint les pourvois n°s 89-19.211, 89-19.212, 89-19.511, 89-19.602, 89-19.618, 89-19.633, 89-19.849, 90-11.899 ; 90-11.900, 90-12.034, 90-12.040, 90-12.187, 90-12.205 et 90-12.208 ;
Donne acte à la Midland bank (pourvoi n° 89-12.034), à la Banque nationale de Paris (pourvoi n° 90-12.040) et à la Banque populaire du Midi (pourvoi n° 90-12.205) de leur désistement partiel au profit de la société Entreprise d'aménagement terrains et travaux, représentée par son syndic, et de la société Le Décor ;
Attendu qu'il résulte des énonciations des arrêts attaqués que, la société Astre et Cie (société Astre) ayant été mise en liquidation des biens, le syndic a assigné la Banque de la construction et des travaux publics, devenue la BCT Midland bank, la Société bordelaise de crédit industriel et commercial, la Société générale, la Société marseillaise de crédit, le Crédit lyonnais, la Banque nationale de Paris et la Banque populaire du Midi (les banques) en paiement solidaire, au profit de la masse, de dommages-intérêts pour avoir, par l'octroi de crédits inconsidérés, prolongé artificiellement l'activité de la société débitrice, en contribuant ainsi à l'aggravation de son passif, et qu'un certain nombre de créanciers dans la masse (les créanciers) ont, de leur côté, assigné les mêmes banques en demandant qu'elles soient solidairement condamnées à indemniser chacun d'eux en réparation du dommage personnel qu'elles leur auraient causé par leurs agissements fautifs ;
Attendu que la cour d'appel, saisie sur renvoi après cassation des arrêts rendus les 13 octobre 1983 et 31 janvier 1985 par la cour d'appel de Montpellier, a, par un arrêt du 26 juin 1989, condamné in solidum les banques à payer au syndic, ès qualités, une certaine somme à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par la masse des créanciers du fait de l'aggravation du passif de la société Astre résultant de la faute de ces banques, dit que les créanciers étaient recevables et fondés à réclamer à celles-ci, responsables de l'aggravation du passif postérieur au 31 juillet 1972, la réparation du préjudice personnel de chacun d'eux et consécutif à l'immobilisation de leurs créances depuis le 1er août 1972, déclaré recevables les demandes de dommages-intérêts formées contre les banques, en réparation du préjudice résultant de la cessation d'activité, par la Société d'étanchéité du Midi (SEM), représentée par son syndic, et par M. X..., déclaré recevable, mais non justifiée au fond, la demande de dommages-intérêts dirigée contre les mêmes banques par la SCI VAF, intervenant volontaire, au titre du préjudice inhérent à sa mise en règlement judiciaire ; que, par un arrêt du 18 décembre 1989, la cour d'appel a jugé bien fondées l'action de la SEM et celle de M. X..., accordé des indemnités à ceux-ci et fixé le montant des dommages-intérêts des autres créanciers ;
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, des pourvois n°s 89-19.211 et 89-19.212, et sur le premier moyen, pris en ses deux branches, du pourvoi n° 89-19.849, réunis : (sans intérêt) ;
Sur le premier moyen, pris en ses seconde et troisième branches, des pourvois n°s 89-19.211 et 89-19.212, sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi n° 89-19.602 et sur le premier moyen, pris en ses deux branches, du pourvoi n° 89-19.618, réunis : (sans intérêt) ;
Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi n° 89-19.618 : (sans intérêt) ;
Sur le premier moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches, des pourvois n°s 89-19.211 et 89-19.212, sur le premier moyen, pris en ses deux branches, du pourvoi n° 89-19.511, sur le premier moyen, pris en ses première et troisième branches, du pourvoi n° 89-19.602, sur le deuxième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, du pourvoi n° 89-19.618, et sur le premier moyen du pourvoi n° 89-19.633, réunis : (sans intérêt) ;
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches, des pourvois incidents formés par la SCI VAF et par M. B..., syndic au règlement judiciaire de cette société : (sans intérêt) ;
Sur le moyen unique, pris en ses différentes branches, des pourvois incidents formés par M. E..., Mme Y... et cinquante-deux autres créanciers :
Attendu que M. E..., Mme Y... et cinquante-deux autres créanciers reprochent à l'arrêt du 26 juin 1989 d'avoir décidé que les créanciers, dont la créance est née pendant la période de survie artificielle de la société Astre, ne sont pas recevables à agir contre les banques responsables de la prolongation artificielle de l'activité de cette société en réparation du préjudice subi du fait de l'insuffisance des dividendes, alors, selon le pourvoi, d'une part, que le jugement entrepris avait constaté que, dans ses documents publicitaires, la société Astre faisait état de ses références bancaires, à savoir la BCT à Marseille et les autres membres du pool à Béziers et se recommandait expressément de la BCT, si bien qu'en se bornant à constater que les documents publicitaires de la BCT n'avaient pas été spécifiquement remis aux sous-traitants de la société Astre dans le but de les convaincre de la qualité du contrôle exercé sur cette dernière, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la conjonction des documents publicitaires édités par la BCT et par l'entreprise Astre n'avait pas pu entraîner cette conviction, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile et, pour les mêmes raisons, n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1382 du Code civil ; et alors, d'autre part, qu'il était soutenu que les créanciers, dont la créance est née dans la période de survie artificielle de l'entreprise provoquée par la faute des banques, n'auraient, sans cette faute, pas traité avec la société débitrice et n'auraient donc subi aucun préjudice, si bien qu'en se bornant à affirmer que la perte qu'ils subissaient du fait de l'éventuelle insuffisance des répartitions ou dividendes n'était plus la conséquence directe de la faute des banques, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile et, pour les mêmes raisons, n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que la juridiction de renvoi s'étant conformée, sur ce point, à l'arrêt de cassation, le moyen est irrecevable ;
Mais sur les seconds moyens des pourvois n°s 89-19.211, 89-19.212, 89-19.511, 89-19.602, 89-19.633 et 89-19.849, et sur le troisième moyen du pourvoi n° 89-19.618, réunis :
Vu l'article 13 de la loi du 13 juillet 1967 ;
Attendu que, dès lors que le syndic, représentant la masse des créanciers, exerce l'action en réparation du préjudice résultant de la diminution de l'actif ou de l'aggravation du passif du débiteur causé par la faute d'un tiers, auquel il est reproché d'avoir, par ses agissements, retardé l'ouverture de la procédure collective, aucun créancier ayant produit n'est recevable à agir lui-même contre ce tiers en réparation du préjudice constitué par l'immobilisation de sa créance, inhérente à la procédure collective à laquelle il est soumis, et, notamment, par la perte des intérêts ;
Attendu que, pour déclarer recevables les actions individuelles des créanciers, la cour d'appel, qui a constaté que le fait dommageable dont ceux-ci se prévalaient n'était pas distinct de celui qui avait fondé l'action du syndic, a énoncé que ces créanciers étaient recevables à agir à titre individuel contre le tiers responsable pour obtenir la réparation de leur préjudice personnel distinct de celui dont le syndic peut, au nom de la masse, demander réparation ;
Attendu qu'en décidant qu'entraient dans le préjudice personnel les dommages résultant de l'immobilisation des créances, nés de la faute du tiers et, notamment, la perte des intérêts, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui découlaient de ses constatations, a violé le texte susvisé ;
Et attendu qu'il y a lieu, en vertu de l'article 627, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile, de mettre fin au litige en appliquant la règle de droit approprié ;
Et sur les pourvois n°s 90-11.899, 90-11.900, 90-12.034, 90-12.040, 90-12.187, 90-12.205 et 90-12.208, ainsi que sur les pourvois incidents sur les recours n°s 90-12.034 et 90-12.187, réunis :
Attendu que la Société marseillaise de crédit, la Société générale, la Midland bank, la Banque nationale de Paris, la Banque populaire du Midi et le Crédit lyonnais demandent la cassation de l'arrêt du 18 décembre 1989, qui les a condamnés à payer diverses sommes, à la suite de l'arrêt du 26 juin 1989 ;
Mais attendu que l'arrêt du 26 juin 1989 est cassé par le présent arrêt, en ses dispositions auxquelles l'arrêt du 18 décembre 1989 se rattache par un lien de dépendance nécessaire ; d'où il suit que cette dernière décision se trouve annulée par voie de conséquence, conformément à l'article 625, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois incidents formés par M. E..., Mme Y... et cinquante-deux autres créanciers d'une part, par la SCI VAF et M. B..., syndic du règlement judiciaire de cette société, d'autre part, contre l'arrêt rendu le 26 juin 1989 par la cour d'appel de Toulouse ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il " déclare partiellement recevable l'action individuelle engagée par chacun des créanciers de la société Astre ", " dit que ces créanciers sont fondés à réclamer aux sept membres du pool bancaire responsables de l'aggravation du passif de la société Astre postérieur au 31 juillet 1972 le préjudice personnel à chacun d'eux consécutif à l'immobilisation de leurs créances depuis le 1er août 1972 ", " dit par ailleurs que M. X... et la Société d'étanchéité du Midi sont recevables à solliciter la réparation du préjudice lié à leur cessation d'activités dans la mesure où sera éventuellement établie une relation causale entre ce préjudice et la faute des banques ", et, " avant de statuer au fond sur ces préjudices et sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, révoque l'ordonnance de clôture et ordonne la réouverture des débats pour permettre aux banques de conclure sur les sommes réclamées de ces chefs, par les créanciers ", l'arrêt rendu le 26 juin 1989, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi de ces chefs ;
DECLARE IRRECEVABLE l'action individuelle des créanciers, tendant à la réparation des dommages résultant de l'immobilisation de leurs créances, notamment la perte des intérêts et la cessation de leur activité ;
DIT n'y avoir lieu à statuer sur les pourvois principaux et sur les pourvois incidents formés contre l'arrêt rendu le 18 décembre 1989 par la cour d'appel de Toulouse.