Cass. com., 18 janvier 2017, n° 15-13.392
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, SCP Piwnica et Molinié
Vu leur connexité, joint les pourvois n° S 15-13.392 et W 15-14.661 ;
Attendu, selon les arrêts attaqués, que, par un acte du 19 novembre 1996, la Société générale (la banque) a consenti aux sociétés André X... SA, Société des Autocars Louis X... (la SALG) et Vernon Cars, appartenant au même groupe, un prêt de 6 000 000 francs (914 694, 10 euros) pour une durée de sept ans et des ouvertures de crédit par découvert en compte d'un montant total de 9 000 000 francs (1 372 041, 10 euros), un contrat d'affacturage étant, parallèlement, conclu avec la société Compagnie générale d'affacturage (la société CGA), filiale de la Société générale ; que celle-ci, par lettres du 8 octobre 2003, a dénoncé les ouvertures de crédit avec un préavis de soixante jours ; que la banque a, les 8 et 9 octobre 2003, refusé de payer trois chèques tirés sur ses caisses en paiement de salaires ; que, sur déclarations de cessation des paiements, les trois sociétés, ainsi que leur société mère, ont été mises en redressement judiciaire le 15 octobre 2003 ; qu'aux termes d'une convention conclue le 5 novembre 2003 avec le concours des organes des procédures collectives, la banque leur a octroyé une nouvelle ouverture de crédit de 2 000 000 euros afin d'assurer la continuité de leur exploitation pendant la période d'observation ; qu'en garantie de cet engagement, la banque a pris une hypothèque sur un bien immobilier appartenant à M. X..., dirigeant et principal actionnaire du groupe, ainsi qu'un nantissement sur les parts que celui-ci détenait dans une SCI ; qu'à cette occasion, M. X... s'est également rendu caution du remboursement de toutes les créances de la banque nées postérieurement et antérieurement à l'ouverture de la procédure collective et ce, dans la limite de 1 750 000 euros ; qu'après que les trois sociétés ont fait l'objet d'un plan de cession, M. X... a assigné la banque pour obtenir réparation des préjudices qu'il estimait avoir personnellement subis du fait de la rupture de ces concours ;
Sur le premier moyen du pourvoi n° W 15-14.661, pris en sa première branche :
Vu l'article L. 621-39 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, alors applicable ;
Attendu que pour déclarer recevable la demande de M. X... tendant à l'indemnisation du préjudice résultant, pour lui, de la chance qu'il avait perdue de céder amiablement les titres qu'il détenait dans les sociétés de son groupe et condamner la banque à lui payer à ce titre la somme de 10 000 000 euros, l'arrêt du 12 février 2015 retient que le préjudice né de l'impossibilité pour M. X... de céder ses actions à leur valeur réelle ne résulte pas de l'amoindrissement ou de la disparition de l'activité ou du résultat des sociétés du groupe X..., de la diminution de l'actif ou de l'aggravation du passif de la société, mais est la conséquence directe de la faute particulière commise par la Société générale, qui, alors qu'elle avait accepté, en février 2003, de vendre les actions de M. X..., a contraint celui-ci, moins de huit mois plus tard, à déclarer la cessation des paiements de ses sociétés, en rompant abusivement et de façon déloyale ses concours, anéantissant ainsi tout projet de cession, les titres des sociétés en procédure collective ayant perdu toute valeur ; qu'il retient encore que M. X... n'invoque pas la perte de valeur de ses actions et ne demande pas la réparation du préjudice social qui permettrait la reconstitution du patrimoine de la société et, par ricochet, le sien, en permettant aux actions de retrouver la valeur qu'elles avaient perdue mais l'indemnisation du préjudice né de l'impossibilité dans laquelle il a été, du fait des agissement de la banque, de vendre ses actions à leur prix réel, alors que la Société générale et lui étaient liés par un contrat dont c'était l'objet et qu'il s'agit donc d'un préjudice autonome qui ne constitue nullement le seul reflet du préjudice réellement subi par la société du fait de la procédure collective ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle relevait que c'était l'ouverture des procédures collectives des sociétés du groupe qui avait fait perdre toute valeur aux actions appartenant à M. X..., de sorte que la perte de la chance de vendre amiablement ses titres à leur prix réel n'était que la conséquence de leur dépréciation résultant des procédures de redressement judiciaire dont les sociétés du groupe avaient fait l'objet et que ce préjudice n'était pas distinct de celui subi par la collectivité des créanciers du fait de l'amoindrissement ou de la disparition du gage commun en reconstitution duquel seul le mandataire judiciaire ou le commissaire à l'exécution du plan, représentant desdits créanciers, a qualité à agir, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Sur le troisième moyen du même pourvoi, pris en sa première branche :
Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, et l'article L. 313-12 du code monétaire et financier ;
Attendu que, pour dire fondée la demande formée par M. X... à l'encontre de la banque au titre de la perte de chance de ne pas avoir à engager son patrimoine en exécution de son engagement de caution, l'arrêt du 12 février 2015 retient que la banque avait conditionné l'octroi du prêt de 2 000 000 euros, sollicité par les organes des procédures collectives pour permettre aux sociétés du groupe X... de poursuivre leur exploitation, à l'accord de M. X... pour rendre définitive l'inscription provisoire des hypothèques et du nantissement pris sur ses biens et pour souscrire un nouveau cautionnement personnel d'un montant de 1 750 000 euros en garantie de toutes les créances nées postérieurement et antérieurement à l'ouverture des procédures collectives et que les paiements faits par M. X... l'avaient été en règlement des soldes des comptes courants des trois sociétés du groupe, c'est à dire en règlement de créances nées antérieurement au redressement judiciaire et qui avaient été déclarées au passif de ces sociétés ;
Qu'en statuant ainsi, alors que M. X... avait souscrit l'engagement de caution après l'ouverture des procédures collectives dont les sociétés de son groupe avaient fait l'objet à la suite du refus de la banque de payer trois chèques tirés sur ses caisses, afin de leur permettre de financer leur exploitation pendant la période d'observation et de parvenir à un plan de cession, ce dont il résulte que le préjudice allégué, consistant pour M. X... en la perte de la chance de ne pas être appelé à exécuter cet engagement, était sans lien direct de causalité avec le rejet des chèques, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et attendu que la cassation de l'arrêt du 12 février 2015 entraîne, par voie de conséquence, celle de l'arrêt du 3 avril 2014, qui, en retenant que la banque avait commis une faute envers M. X..., s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire au sens de l'article 625 du code de procédure civile, dès lors qu'il résulte de la cassation de l'arrêt du 12 février 2015 que M. X... était irrecevable à invoquer cette faute à l'appui de sa demande tendant à la réparation du préjudice résultant de la perte de valeur de ses actions et non fondé à invoquer cette même faute comme cause du préjudice qu'il prétendait subir pour avoir été appelé à exécuter son engagement de caution ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
Sur le pourvoi n° W 15-14.661 :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 février 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Sur le pourvoi n° S 15-13.392 :
CONSTATE la cassation, par voie de conséquence, de l'arrêt rendu le 3 avril 2014, entre les parties, par la même cour d'appel ;
Remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant lesdits arrêts et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.