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Décisions

Cass. 3e civ., 8 septembre 2016, n° 15-21.381

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chauvin

Rapporteur :

Mme Fossaert

Avocat général :

Mme Guilguet-Pauthe

Avocats :

SCP Bouzidi et Bouhanna, SCP Gadiou et Chevallier

Aix-en-Provence, du 12 mars 2015

12 mars 2015

Vu leur connexité, joint les pourvois n° A 15-21.381 et E 15-22.374 ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 12 mars 2015), que, par acte du 25 janvier 1928, les syndics du syndicat des copropriétaires indivis de la Croisette ont donné à bail à la société Cannes Balnéaire un terrain situé sur la presqu'île de la croisette, pour une durée de 99 ans et moyennant un loyer annuel de 1 franc ; que la société preneuse y a édifié le "Palm Beach", casino d'été et complexe de loisirs ; que les bailleurs, ayant sollicité la révision du loyer et sa fixation au montant annuel de 4 200 000 euros, le juge des loyers commerciaux a sursis à statuer dans l'attente de la décision à intervenir sur la qualification du bail ; que la qualification de bail emphytéotique a été retenue ;

Sur le moyen unique du pourvoi n° E 15-22.374 :

Attendu que la société Cannes Balnéaire fait grief à l'arrêt de dire que le bail est un bail emphytéotique, alors, selon le moyen :

1°) la société Cannes Balnéaire faisait valoir que le bail litigieux était un bail à construction de terrain nu et non un bail emphytéotique, la convention des parties stipulant qu'à défaut de réalisation de l'immeuble à usage de casino le bail serait résilié, qu'il n'existait pas de fonds de commerce lors de la conclusion du bail ; qu'en retenant que le bail conclu entre les parties porte sur un terrain mais stipule que la société Cannes Balnéaire aura la "faculté" de faire édifier sur la place tous immeubles à sa convenance et notamment un immeuble à usage de casino, qu'il précise en page 2 en compensation des avantages que les propriétaires de la Croisette retireront de la construction "éventuelle" d'un casino d'été ... et plus loin encore ...il est convenu que les immeubles que la société locataire pourra "éventuellement" construire sur le terrain loué devront être assurés à ses frais contre l'incendie, pour en déduire que le choix de ces termes exclut de considérer que le bail mettait à la charge de la société Cannes Balnéaire une obligation de construction, que la dernière clause du bail stipule "dans le cas où la ville de Cannes de donnerait pas à la société Cannes Balnéaire les autorisations nécessaires à l'exploitation d'un casino il est entendu que le présent bail n'aura aucun effet.", que cette clause qui n'est pas une clause résolutoire mais une clause qui réglemente les conditions de prise d'effet du contrat concerne les conditions d'exploitation du casino, n'édicte pas davantage une obligation de construction, de sorte que la qualification de bail à construction ne peut être retenue, la cour d'appel a dénaturé ladite clause dés lors qu'il s'agit d'une clause résolutoire et elle a violé l'article 1134 du code civil ;

2°) la condition résolutoire est celle qui, lorsqu'elle s'accomplit, opère la révocation de l'obligation et qui remet les choses au même état que si l'obligation n'avait pas existé ; que la société Cannes Balnéaire faisait valoir que le bail litigieux était un bail à construction de terrain nu et non un bail emphytéotique, la convention des parties stipulant qu'à défaut de réalisation de l'immeuble à usage de casino le bail serait résilié ; qu'en retenant que le bail conclu entre les parties porte sur un terrain mais stipule que la société Cannes Balnéaire aura la "faculté" de faire édifier sur la place tous immeubles à sa convenance et notamment un immeuble à usage de casino ... qu'il précise en page 2 en compensation des avantages que les propriétaires de la Croisette retireront de la construction "éventuelle" d'un casino d'été ... et plus loin encore ...il est convenu que les immeubles que la société locataire pourra "éventuellement" construire sur le terrain loué devront être assurés à ses frais contre l'incendie, pour en déduire que le choix de ces termes exclut de considérer que le bail mettait à la charge de la société Cannes Balnéaire une obligation de construction, que la dernière clause du bail stipule "dans le cas où la ville de Cannes de donnerait pas à la société Cannes Balnéaire les autorisations nécessaires à l'exploitation d'un casino il est entendu que le présent bail n'aura aucun effet.", que cette clause, qui n'est pas une clause résolutoire mais une clause qui réglemente les conditions de prise d'effet du contrat, concerne les conditions d'exploitation du casino, n'édicte pas davantage une obligation de construction, de sorte que la qualification de bail à construction ne peut être retenue quand le défaut d'autorisation nécessaire à l'exploitation d'un casino entrainait automatiquement la résiliation du contrat ce qui caractérisait une condition résolutoire et partant l'obligation de construire pesant sur la société exposante, la cour d'appel a violé les articles 1183 et suivants du code civil ensemble les articles L. 251-1 et suivant du code de la construction et de l'habitation ;

Mais attendu qu'ayant relevé que les termes du bail, qui prévoyait seulement la faculté de faire édifier tous immeubles et notamment un casino, ne mettaient à la charge de la société Cannes Balnéaire aucune obligation de construire et retenu, sans la dénaturer, que la clause stipulant que, "dans le cas où la ville de Cannes ne donnerait pas à la société Cannes Balnéaire les autorisations nécessaires à l'exploitation d'un casino, il est entendu que le présent bail n'aura aucun effet", n'était pas une clause résolutoire mais une condition concernant l'exploitation du casino et n'édictait aucune obligation de construire, la cour d'appel en a déduit à bon droit que le contrat devait être qualifié de bail emphytéotique ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le moyen unique du pourvoi n° A 15-21.381 :

Attendu que les bailleurs font grief à l'arrêt de dire que la redevance du bail emphytéotique ne peut être révisée par le juge des loyers commerciaux, alors, selon le moyen :

1°) que la déclaration d'inconstitutionnalité que le Conseil constitutionnel ne manquera pas de prendre quant aux dispositions des articles L. 145-3 et L. 145-33 du code du commerce, selon la portée que leur a conférée la Cour de cassation par son arrêt du 19 février 2014, sur la question prioritaire de constitutionnalité posée par les représentants du syndicat des propriétaires de la Pointe Croisette à Cannes emportera une perte de fondement juridique de l'arrêt attaqué, qui sera dès lors censuré ;

2°) que les dispositions légales régissant les baux commerciaux ne sont pas applicables aux baux emphytéotiques, sauf en ce qui concerne la révision du loyer ; qu'il en résulte que le loyer des baux emphytéotiques, du moins ceux à caractère commercial, industriel ou artisanal, peut être révisé selon les règles applicables au bail commercial ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 145-3 du code de commerce, ensemble l'article L. 145-33 du même code ;

Mais attendu, d'une part, que, la question prioritaire de constitutionnalité ayant été déclarée irrecevable, la première branche est sans portée ;

Attendu, d'autre part, qu'ayant retenu que la valeur locative était étrangère à l'économie du contrat de bail emphytéotique, la contrepartie de la jouissance du preneur étant pour le bailleur, non le payement du loyer, mais l'absence de renouvellement et l'accession sans indemnité en fin de bail de tous travaux et améliorations faits par le preneur, la cour d'appel en a exactement déduit que les bailleurs ne pouvaient saisir le juge des loyers commerciaux d'une demande de révision du loyer pour le faire correspondre à la valeur locative, fût-ce en invoquant une évolution favorable des facteurs locaux de commercialité ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois.