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Décisions

Cass. com., 11 mars 2014, n° 12-28.036

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Petit

Rapporteur :

Mme Le Bras

Avocat général :

M. Debacq

Avocats :

Me Bertrand, Me Foussard, SCP Delaporte, Briard et Trichet, SCP Ortscheidt

Paris, du 19 sept. 2012

19 septembre 2012

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 septembre 2012), que la société EG Labo Laboratoires Eurogenerics (la société EG Labo), invoquant un préjudice résultant de l'action en contrefaçon engagée contre elle par la société Daiichi Sankyo et soutenant que ce préjudice trouvait sa cause dans le dysfonctionnement de l'Institut national de la propriété industrielle (l'INPI), a fait assigner ce dernier en réparation devant la cour d'appel de Paris ; que celle-ci s'est déclarée compétente pour connaître de cette action, ainsi que valablement saisie par l'assignation, et a sursis à statuer dans l'attente d'une décision irrévocable dans l'instance en contrefaçon ;

Sur la recevabilité du pourvoi, contestée par la défense :

Attendu que la société EG Labo soulève l'irrecevabilité du pourvoi au motif que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception d'incompétence de la cour d'appel de Paris pour connaître de l'action en responsabilité engagée par la société EG Labo à l'encontre de l'INPI, sans mettre fin à l'instance ;

Mais attendu que le pourvoi qui invoque l'excès de pouvoir du juge judiciaire, caractérisé par la méconnaissance du principe de la séparation des pouvoirs, est immédiatement recevable devant la Cour de cassation ;

Et sur le moyen unique :

Attendu que le directeur de l'INPI fait grief à l'arrêt d'avoir décidé que la cour d'appel de Paris était compétente pour connaître directement de l'action en responsabilité exercée par la société EG Labo alors, selon le moyen :

1°) que si la compétence des juridictions judiciaires, édictée par l'article L. 411-4 du code de la propriété intellectuelle pour statuer sur les recours formés contre les décisions que prend le directeur de l'INPI à l'occasion de la délivrance, du rejet ou du maintien des titres de propriété industrielle, s'étend, par dérogation à la compétence du juge administratif comme juge de droit commun de la responsabilité administrative, aux actions relatives aux conséquences dommageables des fautes que cette autorité aurait pu commettre à l'occasion de l'exercice de ses attributions, cette compétence ne peut concerner l'action en responsabilité engagée contre l'Inpi indépendamment de tout recours contre une décision de délivrance, de rejet ou de maintien d'un titre de propriété industrielle et par une personne qui ne prétend à aucun droit sur un tel titre ; que la société EG Labo ne prétendant à aucun droit sur le titre objet de la décision du directeur de l'Inpi du 26 janvier 2005 constatant la déchéance du certificat complémentaire de protection dont était titulaire la société Sankyo et n'exerçant aucun recours ni contre cette décision ni contre la décision du 3 juillet 2006 rejetant la requête en annulation de la décision de déchéance, la cour d'appel ne pouvait décider qu'elle avait compétence pour statuer sur l'action en responsabilité exercée, contre le directeur de l'Inpi, par la société EG Labo à raison des fautes qu'elle reprochait à cette autorité d'avoir commises à l'occasion de la prise de ces décisions sans violer les articles L. 411-4 du code de la propriété intellectuelle ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 Fructidor an III ;

2°) que les décisions, objet du recours dont l'article L. 411-4 du code de la propriété intellectuelle attribue la connaissance directe à la cour d'appel, sont les décisions prises par le directeur de l'INPI à l'occasion de la délivrance, du rejet ou du maintien des titres de propriété industrielle ; que la réparation des dommages résultant de la faute que pourrait commettre le directeur de l'Institut national de la propriété industrielle dans l'exercice de ces attributions étant étrangère à la délivrance, au rejet ou au maintien des titres de propriété industrielle, la cour d'appel ne peut être saisie directement, sur le fondement de ce texte, de l'action tendant à la réparation de ces dommages ; qu'en décidant au contraire qu'elle pouvait être saisie directement de l'action en réparation des dommages résultant de la faute imputée au directeur de l'INPI à l'occasion de la décision constatant la déchéance du certificat complémentaire de protection et de la décision rejetant la requête en annulation de cette décision, la cour d'appel a violé l'article L. 411-4 du code de la propriété intellectuelle ;

3°) que les décisions, objet du recours dont l'article L. 411-4 du code de la propriété intellectuelle attribue la connaissance directe à la cour d'appel, sont les décisions prévues par le code de la propriété intellectuelle ; que ce code ne comportant aucune disposition sur les décisions prises par le directeur de l'INPI sur les demandes indemnitaires qui pourraient lui être présentées en raison d'une faute qu'il aurait pu commettre dans l'exercice de ses attributions, la cour d'appel ne pouvait décider qu'elle pouvait être saisie directement, sur le fondement de ce texte, de l'action en responsabilité exercée contre le directeur de l'INPI sans violer l'article L. 411-4 du code de la propriété intellectuelle ;

4°) qu'une partie ne peut, en l'absence d'une disposition spéciale, être privée du bénéfice de la règle du double degré de juridiction, qui constitue le droit commun ; qu'aucune disposition ne dérogeant à la règle du double degré de juridiction pour l'exercice de l'action relative aux conséquences dommageables de la faute imputée au directeur de l'INPI dans l'exercice de ses attributions, la cour d'appel ne pouvait décider que cette action pouvait être directement portée devant elle sans violer les articles L. 411-4 du code la propriété intellectuelle, 527 et 543 du code de procédure civile, ensemble le principe du double degré de juridiction ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir énoncé que c'est dans la continuité d'une tradition qui soumet au juge civil la matière des brevets que les dispositions de l'article L.411-4 du code de la propriété intellectuelle, qui sont dérogatoires au principe de la séparation des pouvoirs et de la dualité des ordres juridictionnels, opèrent un transfert de compétence au bénéfice de la juridiction judiciaire pour statuer sur les recours en annulation formés contre les décisions prises par le directeur de l'INPI dans l'exercice de ses pouvoirs en matière de délivrance, de rejet ou de maintien des titres de propriété industrielle, l'arrêt retient que le Tribunal des conflits a étendu la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire pour statuer sur les recours contre les décisions du directeur de l'INPI en cette matière aux actions relatives aux conséquences dommageables des fautes qu'il aurait pu commettre à l'occasion de l'exercice de ses attributions ; qu'en l'état de ces énonciations dont elle a déduit que, sauf à instituer une rupture d'égalité entre les justiciables et à contrevenir à la logique d'un bloc homogène de compétence judiciaire pour l'ensemble des contestations liées aux décisions prévues à l'article L. 411-4 du code de la propriété intellectuelle, il n'y a pas lieu de distinguer selon que l'action en responsabilité est engagée par l'auteur du recours en annulation, accessoirement à ce recours, ou par un tiers, indépendamment de toute contestation de la décision faisant grief, la cour d'appel a, à bon droit, retenu la compétence de l'ordre judiciaire ;

Et attendu, en second lieu, que c'est à bon droit que l'arrêt énonce que l'article L. 411-4 du code de la propriété intellectuelle, qui confère à la cour d'appel une compétence en premier et dernier ressort, déroge expressément au principe du double degré de juridiction ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.