Cass. com., 15 novembre 2017, n° 16-10.326
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rémery
Avocats :
SCP François-Henri Briard, SCP Spinosi et Sureau
Statuant tant sur le pourvoi principal formé par Mme X..., en qualité de liquidateur amiable de la société Suberdine Electronic Communication, de la société Univercell Telecom, de la société Loricom, de la société Phone Academy et de la société Start Phone Diffusion, et par M. Y..., en qualité de liquidateur judiciaire des mêmes sociétés, que sur le pourvoi incident relevé par la société Artifax Trading Limited ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'aux termes d'un protocole de cession de titres en date du 11 avril 2001, la société Artifax Trading Limited, société de droit chypriote, (la société Artifax) a cédé à la société Suberdine Electronic Communication (la société Suberdine) les actions qu'elle détenait, représentant la totalité du capital de la société Univercell Telecom ; que la cession était assortie d'une garantie d'actif et de passif ; que la société Artifax ayant demandé en vain à la société Suberdine le paiement de l'intégralité du prix de cession, soit 3 658 776,40 euros, elle l'a assignée, le 28 avril 2003, aux fins d'ouverture d'un redressement judiciaire ; que le même jour, la société Suberdine a assigné la société Artifax en paiement de la somme de 673 223,60 euros, obtenue par différence entre la somme de 4 332 000 euros dont elle s'estimait créancière au titre de la garantie de passif et celle de 3 658 776,40 euros représentant le prix de cession ; que, le 4 septembre 2003, le tribunal a ouvert le redressement judiciaire de la société Suberdine ; que le 29 septembre 2003, la société Artifax a déclaré une créance de 3 658 776,40 euros ; que le 18 décembre 2003, le tribunal a prononcé la liquidation judiciaire de la société Suberdine ; que par une ordonnance du 23 février 2006, le juge-commissaire a constaté que la créance de la société Artifax faisait l'objet d'une instance en cours ; que par un jugement du 30 avril 2007, le tribunal, après jonction des instances, a fixé à titre chirographaire la créance de la société Artifax à la somme de 3 658 776,40 euros outre intérêts, et condamné la société Artifax, à titre provisionnel dans l'attente de la décision du tribunal administratif à intervenir, à verser à la société Suberdine la somme de 39 533,92 euros au titre de la garantie de passif ; que par un arrêt du 22 janvier 2013, la cour d'appel de Montpellier a confirmé le jugement du 30 avril 2007 sauf en ce qu'il avait prononcé la condamnation de la société Artifax à titre provisionnel et, le réformant de ce chef et statuant à nouveau, a condamné cette dernière, au titre de la garantie de passif, à payer la somme de 39 533,92 euros avec intérêts, la compensation des créances respectives des parties étant, en outre, ordonnée ; que cet arrêt a été cassé par un arrêt du 21 octobre 2014, mais seulement en ce qu'il avait rejeté la demande de M. Y..., agissant en qualité de liquidateur de la société Suberdine, tendant à la condamnation de la société Artifax au paiement de la somme de 422 842,89 euros en exécution de la convention de garantie du 11 avril 2001, la cause et les parties étant renvoyées devant la cour d'appel de Montpellier autrement composée ; que le 24 décembre 2014, la société Artifax a demandé au juge-commissaire l'inscription de sa créance sur l'état des créances à concurrence de la somme de 3 235 933,60 euros ; que, par une ordonnance du 20 avril 2015, le juge-commissaire a ordonné le sursis à statuer dans l'attente de la décision de la cour de renvoi désignée par l'arrêt du 21 octobre 2014 ; que par une ordonnance de référé du 10 juillet 2015, le premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence a autorisé la société Artifax à relever appel de l'ordonnance du juge-commissaire du 20 avril 2015 ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident :
Attendu que la société Artifax fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de paiement à titre provisionnel de la somme de 2 265 153,52 euros alors, selon le moyen, que le juge-commissaire peut, d'office ou à la demande du représentant des créanciers, du liquidateur, du commissaire à l'exécution du plan ou d'un créancier, ordonner le paiement à titre provisionnel d'une quote-part d'une créance définitivement admise ; que la provision est allouée à hauteur d'un montant déterminé en fonction de l'existence, du montant et du rang des autres créances, dues ou susceptibles d'être ultérieurement dues ; qu'en retenant, pour refuser d'accorder une provision, qu'elle ne disposait pas d'éléments sur les recouvrements d'actifs d'ores et déjà réalisés, sur les recouvrements à venir, sur la structure et la répartition du passif privilégié chirographaire, sur le montant et le rang des autres créances dues ou susceptibles d'être ultérieurement dues, sur la part susceptible d'être affectée aux créanciers, quand de telles considérations n'affectaient pourtant que le quantum de la provision et non son principe et qu'il appartenait dès lors au juge de demander aux mandataires judiciaires de fournir, comme elle y était invitée par la société Artifax, les éléments pour procéder à son évaluation, la cour d'appel a violé l'article L. 622-24 du code commerce, ensemble l'article 122 du décret n°85-1388 du 27 décembre 1985, dans leur rédaction applicable à la cause ;
Mais attendu que pour ordonner le paiement à titre provisionnel d'une quote-part d'une créance définitivement admise, en application des dispositions de l'article L. 622-24 du code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, le juge-commissaire doit vérifier que le paiement de la créance au moyen des distributions à venir présente une probabilité suffisante, le montant de la provision devant ensuite, ainsi qu'il résulte de l'article 122 du décret du 27 décembre 1985, être déterminé en fonction de l'existence, du montant et du rang des autres créances, dues ou susceptibles d'être ultérieurement dues ; que la cour d'appel ayant retenu qu'elle ne disposait pas d'éléments sur les recouvrements d'actifs d'ores et déjà réalisés, sur les recouvrements à venir, sur la structure et la répartition du « passif privilégié chirographaire », sur le montant et le rang des autres créances dues ou susceptibles d'être ultérieurement dues, et sur la part susceptible d'être affectée aux créanciers, a pu en déduire que les conditions n'étaient pas réunies pour accorder le paiement provisionnel demandé ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le moyen relevé d'office, après avertissement délivré aux parties :
Vu l'article L. 621-104 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, et l'article 85 du décret du 27 décembre 1985 ;
Attendu qu'en infirmant l'ordonnance et en ordonnant l'inscription de la créance de la société Artifax sur l'état des créances de la procédure collective de la société Suberdine, alors que l'ordonnance du 23 février 2006, contre laquelle aucun recours n'avait été exercé, avait enlevé au juge-commissaire, ou à la cour d'appel à sa suite, le pouvoir de décider de l'admission ou du rejet de la créance faisant l'objet de l'instance en cours, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et vu l'article 627 du code de procédure civile, après avertissement délivré aux parties ;
PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les griefs du pourvoi principal :
REJETTE le pourvoi incident ;
Et sur le pourvoi principal :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, infirmant l'ordonnance, il ordonne l'inscription de la créance de la société Artifax Trading Limited à hauteur de la somme de 3 235 933,60 euros, à titre chirographaire, sur l'état des créances de la procédure collective de la société Suberdine Electronic Communication, et statue sur les dépens et sur l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 26 novembre 2015, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Dit n'y avoir lieu à renvoi ;
Déclare irrecevable la demande d'inscription de la créance de la société Artifax Trading Limited sur l'état des créances de la procédure collective de la société Suberdine Electronic Communication.