Cass. com., 19 juin 2012, n° 11-18.940
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Rapporteur :
Mme Riffault-Silk
Avocat général :
M. Le Mesle
Avocats :
SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Capron
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 29 mars 2011), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 17 février 2009, pourvoi n° 07-20. 657) et les productions, que la caisse régionale de crédit agricole mutuel de Charente-Maritime Deux-Sèvres (la caisse) a consenti à la société Xelia Technology, devenue Prim'time Technology (la société), ainsi qu'à son dirigeant M. X... et à Mme X..., divers crédits et concours bancaires ; que la caisse ayant mis ces débiteurs en demeure de régler les échéances impayées, ceux-ci l'ont assignée en responsabilité ; que la société ayant été mise en redressement judiciaire par jugement du 5 décembre 2006 converti en liquidation judiciaire, Mme Y... (le liquidateur) désignée représentant des créanciers, puis liquidateur, a repris l'instance ; que l'arrêt de la cour d'appel rejetant les demandes du liquidateur et celles de M. et Mme X... ayant été cassé, ces derniers les ont maintenues devant la cour d'appel de renvoi ;
Sur le troisième moyen, pris en ses première et deuxième branches :
Attendu que le liquidateur et M. et Mme X... font grief à l'arrêt de les avoir déboutés de leurs demandes, alors, selon le moyen :
1°/ que le régime de responsabilité dérogatoire au droit commun, prévu par l'article L. 650-1, alinéa 1er, du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, ne s'applique pas aux fautes commises à l'occasion de concours consentis antérieurement à la date de son entrée en vigueur, le 1er janvier 2006 ; qu'en considérant qu'il était " applicable aux créanciers dispensateurs de crédits octroyés à la société, y compris pour ceux octroyés avant l'entrée en vigueur de la loi précitée ", la cour d'appel a violé le texte précité, par fausse application, ensemble l'article 1382 du code civil, par refus d'application ;
2°/ qu'en se bornant à relever, pour estimer qu'aucune fraude n'était avérée, que la société était tenue de rembourser la somme de 232 542 euros qui avait été versée par la société UOC, qu'elle ne disposait cependant pas des fonds nécessaires à cet effet et qu'elle n'avait donc d'autre solution que de recourir à un emprunt bancaire, lequel lui a été consenti par la caisse, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, s'il n'y avait pas eu fraude, de la part de la caisse, à avoir, non pas seulement consenti, mais imposé à la société, en exerçant des pressions sur son dirigeant, de conclure, auprès d'elle, un emprunt, dont la charge avait accru les difficultés de celle-ci, afin de permettre le remboursement de sa filiale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 650-1, alinéa 1er, du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises ;
Mais attendu, d'une part, qu'il résulte de l'article 190 de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, que le texte susvisé n'est applicable qu'aux seules procédures ouvertes après le 1er janvier 2006, date de son entrée en vigueur ; qu'ayant retenu que le redressement judiciaire de la société avait été ouvert le 5 décembre 2006, ce dont il résultait que cette loi était applicable, même pour des faits antérieurs, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
Attendu, d'autre part, que lorsque leur responsabilité est recherchée sur le fondement de l'article L. 650-1 du code de commerce, dans sa rédaction alors applicable, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou de disproportion des garanties prises, que si les concours consentis sont en eux-mêmes fautifs ; qu'en réponse aux conclusions du liquidateur et de M. et Mme X... soutenant que les concours de la caisse avaient été fautifs, l'arrêt retient qu'une somme de 232 542 euros avait été versée fin mai ou début juin 2002 au nom de la société UOC, filiale de la caisse, sur un compte de la société en exécution d'une convention de portage d'actions conclue le 31 janvier 2002 entre la caisse et la société UOC dans le cadre de l'opération de prise de participation envisagée avec l'Anvar, que la société, devenue débitrice du remboursement de cette somme envers UOC par suite de la non-réalisation de cette opération financière, n'avait pu que recourir à un emprunt bancaire pour solder sa dette, et que ce prêt consenti par la caisse avait eu pour la société le double effet bénéfique de réduire le taux d'intérêt de sa dette et de substituer à une dette exigible une dette d'emprunt payable en 8 ans, avec différé d'amortissement d'un an, faisant ressortir que les crédits litigieux n'étaient pas en eux-mêmes fautifs ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le cinquième moyen, pris en ses première, deuxième, troisième et quatrième branches :
Attendu que le liquidateur et M. et Mme X... font le même reproche à l'arrêt, alors, selon le moyen :
1°/ qu'en se prononçant de la sorte sans répondre aux conclusions qui lui étaient soumises, dans lesquelles il était soutenu qu'" à la suite du retrait brutal du concours bancaire dont elle avait bénéficié jusqu'à ce moment, la société a été frappée d'interdiction bancaire, ce qui a achevé de la discréditer aux yeux des tiers et des clients potentiels qui commençaient à se manifester ", la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ que tout concours à durée indéterminée, autre qu'occasionnel, qu'un établissement de crédit consent à une entreprise, ne peut être réduit ou interrompu que sur notification écrite et à l'expiration d'un délai de préavis fixé lors de l'octroi du concours ; que le préavis court à compter de la date d'envoi de la notification écrite de la décision de l'établissement de crédit de rompre ou de réduire les concours ; qu'en considérant que la société avait bénéficié, de fait, d'" un préavis cumulé de six mois et demi " depuis le moment où la caisse lui avait demandé de régulariser sa situation, la cour d'appel a violé l'article L. 313-12 du code monétaire et financier ;
3°/ que tout concours à durée indéterminée, autre qu'occasionnel, qu'un établissement de crédit consent à une entreprise, ne peut être réduit ou interrompu que sur notification écrite et à l'expiration d'un délai de préavis fixé lors de l'octroi du concours ; que le préavis court à compter de la date d'envoi de la notification écrite de la décision de l'établissement de crédit de rompre ou de réduire les concours ; qu'en considérant que la société avait bénéficié d'" un préavis cumulé de six mois et demi ", cependant que la lettre de la caisse du 24 mars 2005 lui demandant de régulariser sa situation ne peut être tenue pour une notification de sa décision de mettre fin à ses concours, la cour d'appel a violé l'article L. 313-12 du code monétaire et financier " ;
4°/ que tout concours à durée indéterminée, autre qu'occasionnel, qu'un établissement de crédit consent à une entreprise, ne peut être réduit ou interrompu que sur notification écrite et à l'expiration d'un délai de préavis fixé lors de l'octroi du concours ; qu'en considérant que la société avait bénéficié, de fait, d'" un préavis cumulé de six mois et demi ", lequel aurait été suffisant, sans indiquer si cette durée avait été fixée lors de l'octroi des concours, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 313-12 du code monétaire et financier ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir constaté que les relevés du compte bancaire de la société font apparaître que le 20 novembre 2003 ont été rejetés quatre chèques émis pour les montants respectifs de 3 817 euros, 1 240 euros, 970 euros et 6 389 euros, l'arrêt retient que ces chèques ont été ensuite régulièrement payés les 9 et 11 décembre 2003, que le 12 décembre 2003, la caisse a crédité le compte concerné d'une somme de 115 euros sous l'intitulé " virement avoir ", correspondant à la contrepassation des frais de rejet des chèques ; qu'il retient encore qu'il résulte de ces éléments que si la caisse a fautivement rejeté ces quatre chèques sans préavis de rupture de concours, il est toutefois établi que la caisse a rapidement remédié à sa faute en honorant ces quatre effets vingt jours plus tard et en obtenant promptement la levée de l'interdiction bancaire de la société ainsi qu'en justifie l'attestation de la caisse en date du 4 décembre 2003 ; qu'ayant ainsi fait ressortir qu'aucun préjudice n'en était résulté, la cour d'appel, qui n'avait pas à entrer dans le détail de l'argumentation des parties, a légalement justifié sa décision ;
Attendu, en deuxième lieu, que devant la cour de renvoi, le liquidateur ainsi que M. et Mme X... n'avaient pas prétendu qu'aucun délai de préavis n'aurait été fixé entre les parties lors de l'octroi des concours ; que le moyen est nouveau et mélangé de fait et de droit ;
Attendu, en troisième lieu, que l'arrêt retient que la caisse a adressé à la société, le 24 mars 2005, un courrier confirmant sa demande de régularisation du retard de ses engagements au plus tard le 29 avril 2005, puis, le 27 mai 2005 un nouveau courrier annonçant la transmission du dossier au service juridique et demandant le règlement dans un délai de quinze jours de la somme totale de 57 101 euros selon décompte provisoire, faute de quoi la totalité de la créance deviendrait exigible, suivi, le 13 octobre 2005, d'une sommation de payer sous huit jours, une somme totale de 116 694 euros sous peine de déchéance du terme ; que l'arrêt retient encore que par la succession de ces courriers et mise en demeure, la caisse a accordé à la société un préavis cumulé de six mois et demi avant d'appliquer effectivement la déchéance du terme aux cinq concours souscrits par cette dernière, et de réclamer le solde débiteur de son compte bancaire ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, dont il résulte que la caisse avait accordé un délai suffisant avant de rompre ses concours, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen, qui manque en fait dans sa première branche et ne peut être accueilli dans sa deuxième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Et attendu que les premier et deuxième moyens ainsi que le troisième moyen, pris en sa troisième branche, ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi, et que le rejet des premier, deuxième et troisième et cinquième moyens entraîne par voie de conséquence celui des quatrième, sixième et septième moyens ainsi que celui du cinquième moyen, pris en sa dernière branche ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.