CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 11 mai 2016, n° 16/03704
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Paris et d'Ile de France (Sté)
Défendeur :
Ludendo Commerce France (SAS), HSBC France (SA), Natixis (SA), Société Générale (SA), BNP Paribas (SA), Bred Banque Populaire (SA), Banque Palatine (SA), Nixen Partners (SAS), Ludendo (SAS), SCP BTSG (ès qual.), CGEA IDF Ouest (Association), Arkéa Banque Entreprises et Institutionnels (SA), Barclays Bank PLC (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Conseiller :
M. Bedouet
Avocats :
Me Olivier, Me Boccon-Gibod, Me Baechlin, Me de La Taille, Me Mvogo Memong, Me Fisselier, Me Morel, Me Dutreuilh, Me Dubernet
Le groupe Ludendo est un groupe spécialisé dans le commerce de jouets.
Par ordonnance du président du tribunal de commerce de Paris du 2 juillet 2015, Maître X a été désigné conciliateur des sociétés Ludendo Entreprises, Sas Ludendo et Ludendo Commerce France.
Par ordonnance du 30 juillet 2015 Maître Y a été désigné co conciliateur.
Par jugement du 19 novembre 2015, le tribunal de commerce de Paris a homologué le protocole de conciliation de la société Ludendo Entreprise et de la Sas Ludendo.
De son côté la société Ludendo Commerce France a sollicité l'ouverture d'une procédure de sauvegarde financière accélérée et c'est ainsi que par jugement du 2 décembre 2015, le tribunal de commerce Paris a ouvert à son égard une procédure de sauvegarde financière accélérée, désigné Maître X en qualité d'administrateur judiciaire et Maître Y en qualité de mandataire judiciaire et ordonné la constitution de comités de créanciers.
Après que la société Ludendo Commerce France a indiqué quelles étaient les créances détenues par les établissements de crédit et assimilés, certifiées par ses commissaires aux comptes, l'administrateur judiciaire a arrêté une liste des créanciers, parmi lesquels la Sas Ludendo, appelés à participer au comité des créanciers des établissements de crédit et assimilés, ainsi que leurs droits de vote et les a convoqués pour une réunion de ce comité devant se tenir le 29 décembre 2015, afin qu'il se prononce sur le projet de plan de sauvegarde établi par la société débitrice. La Caisse Régionale de Crédit Agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France (Cadif) contestant la qualité de créancier de la Sas Ludendo à l'égard de la société Ludendo Commerce France a, le 18 décembre 2015, sollicité de l'administrateur judiciaire qu'il lui transmettre la convention d'indication et de délégation du 25 novembre 2015 en application de laquelle la Sas Ludendo est devenue créancière de la société Ludendo Commerce France.
Estimant insuffisants les documents communiqués, la Cadif a alors demandé le report de la réunion du comité des établissements de crédit et assimilés et assigné l'administrateur judiciaire et le mandataire judiciaire en référé, sur le fondement de l'article L. 626-30 du code de commerce, aux fins de faire juger que la Sas Ludendo n'a pas la qualité de créancier de la société Ludendo Commerce France et donc de l'exclure du comité des établissements de crédit et assimilés, d'ordonner à l'administrateur de lui communiquer tous documents utiles permettant de justifier de la qualité de créancier de cette société et de reporter la réunion du comité tant qu'il n'aura pas été statué sur la validité et le quantum des créances revendiquées par la société Sas Ludendo.
La Cadif s'est désistée de cette instance en référé, en précisant que ce désistement n'emportait pas renonciation à sa prétention dans le cadre des recours ouverts aux créanciers par les articles L. 626-34-1 et R. 626-63 du code de commerce et qu'il était convenu que les difficultés invoquées liées à la composition du comité des créanciers et au vote de ces derniers seraient portées devant le juge de la procédure collective dans les conditions de ces articles.
L'administrateur judiciaire a alors convoqué une seconde réunion du comité des établissements de crédit et assimilés le 8 janvier 2016 en adressant à chacun de ses membres un projet de plan, avec trois options de remboursement offertes aux créanciers, la Cadif ayant indiqué à l'administrateur qu'elle optait pour l'option numéro deux du projet de plan de sauvegarde financière accélérée. La Cadif avait régularisé un pouvoir au profit de l'un de ses salariés, M. Z, à l'effet de voter en faveur de l'adoption du plan de sauvegarde, mais il est apparu, qu'en contradiction avec les termes du mandat qui lui avait été donné, M. Z a voté contre l'adoption du plan de sauvegarde. Néanmoins ledit plan a été adopté par le comité d'établissement de crédit et assimilés à une majorité de 68,65 %.
Par déclaration déposée au greffe de commerce de Paris le 18 janvier 2016, la Cadif a formé une contestation à l'encontre de la composition et du vote du comité des établissements de crédit et assimilés au motif que la Sas Ludendo n'aurait pas dû faire partie de ce comité. De son côté la Sas Ludendo, par déclaration au greffe du même jour, a contesté la validité du vote de la Cadif en raison du défaut de pouvoir de son représentant et demandé qu'il soit jugé que le plan de sauvegarde a été adopté à l'unanimité des votes exprimés.
Par jugement du 1er février 2016, le tribunal de commerce de Paris a :
déclaré recevables les interventions volontaires des banques, s'est déclaré incompétent pour statuer sur l'existence et le montant des créances de la Sas Ludendo, déclaré nul le vote de la Cadif, dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile, arrêté le plan de sauvegarde financière accélérée de la Sas Ludendo France accepté par les créanciers dans le cadre des comités de créanciers, fixé la durée du plan à six ans, désigné Maître X et Maître Y en qualité de commissaires à l'exécution du plan et précisé dans son dispositif les éléments suivants :
. mise en place d'un crédit renouvelable,
. remboursement des dettes seniors,
. remboursement des crédits à moyen terme,
. remboursement des crédits de campagne et des découverts.
En exécution du plan, la Cadif a perçu la somme de 668 906,61 euros le 22 février 2016 et à la date du 29 février 2016, douze établissements bancaires créanciers ont perçu un montant total de 71 764 122,56 euros au titre du crédit renouvelable, ce qui a permis de les rembourser intégralement,
et en parallèle, un nouveau crédit renouvelable d'un montant de 60 852 270,65 euros a été mis en place au profit du groupe Ludendo par ces douze banques.
La Cadif a interjeté appel de cette décision le 10 février 2016.
Parallèlement, la Cadif a formé contredit à l'encontre de ce jugement, ce recours faisant l'objet d'une autre instance.
Vu les dernières conclusions du 8 avril 2016 de la société Cadif par lesquelles elle demande à la cour de :
- confirmer le jugement qu'il l'a déclarée recevable en son action,
- infirmer le jugement en ce qu'il a dit que son vote était nul, l'a déboutée de ses demandes et a arrêté le plan de sauvegarde accélérée de la société Ludendo France, statuant à nouveau,
- la recevoir en son appel,
- dire qu'elle dispose d'un intérêt et d'une qualité à agir, faire injonction à Maître X ès qualités et aux sociétés du groupe Ludendo de lui communiquer les pièces réclamées par sommation,
- juger que son vote au sein des comités de créanciers est valable,
- juger que le tribunal de commerce est compétent pour statuer sur l'existence et le quantum de la créance de la Sas Ludendo, sur l'existence du contrat de prêt et sur les dispositions du plan,
- juger que la Sas Ludendo ne justifie pas de créance régulière, que sa créance est illicite comme étant le produit d'une fraude,
- juger que la créance de la Sas Ludendo ne trouve pas son origine dans une opération de crédit,
- juger que la Sas Ludendo ne justifie pas d'une créance au jour de l'ouverture de la sauvegarde lui permettant de participer au comité des créanciers de la société Ludendo Commerce France,
- en tout état de cause, juger que la conclusion de la convention de délégation et des contrats de prêt préalablement à l'ouverture de la sauvegarde constitue un abus de droit ou le cas échéant un détournement de la règle de droit entraînant leur nullité,
- juger que la Sas Ludendo ne pouvait être membre du comité des créanciers de la société Ludendo Commerce France,
- juger que le plan de la société Ludendo Commerce France n'a pas été adopté par le comité de créanciers et rejeter le plan,
- condamner Maître X et Maître Y ès qualités, la société Ludendo Entreprise, la société Ludendo Commerce France et la Sas Ludendo solidairement au paiement d'une somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Vu les dernières conclusions du 4 avril 2016 de la société BSTG prise en la personne de Maître Y et Maître X, ès qualités de commissaires à l'exécution du plan de la société Ludendo Commerce France, par lesquelles ils demandent à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré nul le vote de la Caisse Régionale de Crédit Agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France,
- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré qu'il n 'était pas de sa compétence de trancher la recevabilité de la créance de la Sas Ludendo,
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la Caisse Régionale de Crédit Agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France de ses demandes,
- confirmer le jugement en ce qu'il a arrêté le plan sauvegarde financière accélérée de la société Ludendo Commerce France,
- condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Paris et d'Île-de-France à payer à Maître X, ès qualités et Maître Y, ès qualités, chacun la somme de 25 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Vu les dernières conclusions du 8 avril 2016 de la Sas Ludendo et de la société Ludendo Commerce France par lesquelles elles demandent à la cour de :
- déclarer irrecevable l'appel interjeté par la Caisse Régionale de Crédit Agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France,
- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré nul le vote de la Caisse Régionale de Crédit Agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France
- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré qu'il n 'était pas de sa compétence de trancher la recevabilité de la créance de la Sas Ludendo.
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la Caisse Régionale de Crédit Agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France de ses demandes,
- confirmer le jugement en ce qu'il a arrêté le plan sauvegarde financière accélérée de la société Ludendo Commerce France,
- débouter la Caisse Régionale de Crédit Agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France de ses demandes,
- condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France à leur payer chacune une somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Vu les dernières conclusions du 4 avril 2016 des sociétés Arkea Banque Entreprises et Institutionnels, Banque Palatine, la Barclays Bank, BNP Paribas, HSBC France, Natixis et de la Société Générale par lesquelles elles demandent à la cour de confirmer le jugement et de statuer ce que de droit sur les dépens.
Vu les dernières conclusions du 8 avril 2016 de la société Nixen Partners par lesquelles elle demande à la cour de confirmer le jugement, débouter la Cadif de ses demandes et la condamner à lui payer une somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Vu les dernières conclusions du 11 avril 2016 de Mme W, prise en sa qualité de représentant des salariés de la société Ludendo Commerce France, par lesquelles elle demande à la cour de dire irrecevable et en tous cas mal fondé l'appel interjeté par la Cadif, de confirmer le jugement, de condamner la Cadif aux dépens ainsi qu'à lui payer une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le centre de gestion et d'études AGS (CGEA) d'Île-de-France Est, qui a constitué avocat, n'a pas déposé de conclusions.
Entendu M. L'Avocat Général en son avis tendant à la confirmation du jugement et à la validation du plan.
SUR CE,
Sur la nullité du recours en contestation de la Cadif
In limine litis, l'administrateur, le mandataire judiciaire et les sociétés Ludendo se fondent sur l'article 58 du code de procédure civile pour invoquer la nullité du recours en contestation au motif qu'il ne contient aucune indication sur le nom du représentant légal de la personne morale auteur de ce recours, ajoutant que si la nullité a été régularisée avant que le tribunal n'ait statué, cette régularisation est intervenue postérieurement au délai de 10 jours dont dispose le créancier à partir du vote du comité des créanciers pour effectuer un recours, prévu par l'article R. 626-1 du code de commerce.
Selon l'article 58 du code de procédure civile, une requête doit contenir, à peine de nullité, pour les personnes morales, l'indication de leur forme, leur dénomination, leur siège social ainsi que l'organe qui les représente légalement.
Il résulte de l'article 114 du même code qu'un acte ne peut être déclaré nul pour vice de forme qu'à charge pour le demandeur qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public.
Le défaut de désignation de l'organe représentant légalement une personne morale dans un acte de procédure, lorsque cette mention est prévue à peine de nullité, ne constitue qu'un vice de forme et n'encourt donc la nullité qu'en présence d'un grief.
C'est en vain que les organes de la procédure soutiennent que cette irrégularité de forme leur cause un grief en ce que l'absence de mention de l'organe représentant la Cadif les empêche de vérifier le pouvoir de la personne physique demanderesse à la contestation, dès lors que la régularisation effectuée leur a permis de vérifier ces éléments.
En conséquence le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de nullité du recours en contestation de la Cadif à l'encontre du vote du comité de créanciers des établissements de crédit et assimilés.
Sur la compétence du tribunal
Les organes de la procédure et les sociétés du groupe Ludendo soutiennent qu'en contestant la qualité de créancier de la Sas Ludendo, la Cadif demande à la cour, à la suite du tribunal, de se prononcer sur l'existence et sur le montant de la créance détenue, alors qu'il s'agit d'une question relevant de la procédure de vérification du passif pour laquelle seul le juge-commissaire est compétent. Ils ajoutent que dans un souci de célérité le législateur a prévu que la composition du comité de créanciers doit être établie sur la base de la liste des créanciers préparée par le débiteur et certifiée par ses commissaires aux comptes et que c'est donc ce qui détermine la composition du comité de créanciers, sans que les organes de la procédure collective aient de pouvoir d'appréciation à cet égard.
Le tribunal, tout en reconnaissant que le juge-commissaire est seul compétent pour se prononcer sur le montant des créances admises au passif et en se déclarant incompétent pour statuer sur l'existence et le montant des créances, a néanmoins statué sur le droit pour la Sas Ludendo de participer au comité de créanciers des établissements de crédit et assimilés, en considérant qu'il suffit pour cela de figurer sur la liste établie par le débiteur et certifiée par le commissaire aux comptes. Il a ainsi décidé qu'il n'avait pas compétence pour contrôler l'existence et le montant des créances et limité son contrôle à la seule vérification que le comité avait correctement fonctionné en tenant compte de toutes les créances et des seules créances indiquées par le débiteur et certifiées par le commissaire aux comptes.
La composition des comités de créanciers est organisée par l'article L. 626-30-2, alinéa 4 du code de commerce qui dispose que le montant des créances détenues par les membres du comité de créanciers sont celles indiquées par le débiteur et certifiées par son commissaire aux comptes ou, lorsqu'il en a pas été désigné, établi par un expert-comptable et l'article R. 626-55 du code de commerce précise que l'administrateur avise chacun des créanciers mentionnés au deuxième alinéa de l'article L. 626-30 du code de commerce qu'il est membre de droit du comité des établissements de crédit et assimilés. L'article R. 626 -58 du même code ajoute que huit jours avant la date du vote, l'administrateur arrête le montant des créances détenues par les membres du comité appelés à se prononcer.
L'article L. 626-34-1 du code de commerce prévoit la procédure applicable aux contestations relatives à la composition et au vote des comités de créanciers dans les termes suivants : « le tribunal statue dans un même jugement sur les contestations relatives à l'application des articles L. 626-30 à L. 626-32 et sur l'arrêté ou la modification du plan. Les créanciers ne peuvent former une protestation qu'à l'encontre de la décision du comité ou de l'assemblée dont ils sont membres. ».
Ainsi le législateur a donné une compétence spécifique au tribunal arrêtant le plan, en cas de contestation, pour statuer sur la qualité même de créancier des membres des comités, sur la nature de leurs créances, afin de vérifier si le créancier, dont la présence est contestée, devait bien faire partie du comité des créanciers des établissements de crédit et assimilés, et sur le montant de sa créance, qui détermine les droits de vote.
Ce régime destiné uniquement à vérifier le fonctionnement régulier des comités de créanciers, n'emporte aucune conséquence sur la procédure ultérieure d'admission des créances par le juge-commissaire.
En conséquence, le tribunal de la procédure de sauvegarde est compétent pour statuer sur les contestations relatives à l'existence, à la nature et au montant des créances des membres des comités de créanciers et la décision sera infirmée en ce sens.
Sur la recevabilité de la contestation de la Cadif
Les sociétés du groupe Ludendo et les organes de la procédure soutiennent que la Cadif est dépourvue d'intérêt à agir au motif que son vote au sein du comité n'était pas valable. Cependant l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien fondé de l'action et l'existence du droit à agir n'est pas une condition de recevabilité de son action, mais de son succès.
En conséquence, il convient de déclarer l'action recevable.
Sur la validité du vote de la Cadif
Les sociétés du groupe Ludendo et les organes de la procédure font valoir qu'alors que M. Z avait reçu mandat de voter favorablement à l'adoption du plan de sauvegarde au nom et pour le compte de la Cadif, lors de la réunion du comité de créanciers du 8 janvier 2016, il a voté contre l'admission du plan, ce qu'il n'était pas en droit de faire compte tenu du mandat de vote impératif qui lui avait été donné, le mandat étant « d'agir avec diligence et faire tout ce que les circonstances exigeront et tout ce qu'il jugera bon à l'effet de mener à bonne fin l'adoption du projet de plan de sauvegarde financière accélérée ».
Ils en concluent que le vote n'a pas été valablement exprimé par la Cadif, qu'en conséquence le plan de sauvegarde a été adopté à l'unanimité des créanciers La Cadif réplique que le vote de M. Z a été ratifié par les dirigeants sociaux et que c'est par erreur que la responsable du service des affaires spéciales avait donné pouvoir de voter en faveur de l'adoption du plan, rappelant que dès le départ elle a toujours clairement indiqué s'opposer au plan projeté. Elle demande à la cour de juger qu'en raison de la ratification intervenue, son vote a été valablement exprimé au sein du comité de créanciers.
Les premiers juges ont considéré que pour que le vote soit valable le mandataire devait voter dans le sens indiqué par son mandant et tel n'ayant pas été le cas, ont déclaré nul le vote de M. Z pour le compte de la Cadif.
Cependant si le vote effectué par le mandataire qui a excédé ses pouvoirs encourt la nullité, la ratification a posteriori par le mandant des actes accomplis par le mandataire en dehors de ses pouvoirs paralyse la demande de nullité. En effet cette ratification qui implique l'approbation de la gestion du mandataire a un effet rétroactif, de sorte que le vote est censé avoir été effectué dès l'origine par le mandataire conformément au pouvoir qui lui avait été donné. Il s'ensuit que le jugement sera infirmé en ce qu'il a déclaré nul vote de la Cadif.
Sur la participation de la SAS Ludendo au comité des créanciers
La Cadif conteste l'éligibilité de la Sas Ludendo à participer au comité de créanciers des établissements de crédit et assimilés de la société Ludendo Commerce France en lui déniant la qualité de créancier à la Sas Ludendo, soutenant que les contrats conclus entre ces deux sociétés ne s'analysent pas en un contrat de prêt.
Pour se prétendre membre de droit du comité des créanciers des établissements de crédit et assimilés, la Sas Ludendo fait état de deux actes intervenus entre les sociétés du groupe Ludendo, concomitamment le 25 novembre 2015 :
- une convention d'indication et de délégation passée entre la société Ludendo Entreprises, la Sas Ludendo et la société Ludendo Commerce France,
- un contrat de prêt intra groupe entre la Sas Ludendo et la société Ludendo Commerce France. Ces conventions ont été signées consécutivement à la cession effectuée le 25 novembre 2015 par la société Ludendo Entreprises des titres de sa filiale de droit anglais Ludendo Entreprises UK rendant ainsi exigible la totalité des financements consentis par un prêt du 14 septembre 2012 dont bénéficiait notamment la société Ludendo Commerce France. C'est ainsi que la société Ludendo Entreprises, en sa qualité de garant, a procédé au remboursement des sommes dues par la société Ludendo Commerce France aux banques.
C'est dans ces conditions qu'une convention d'indication et de délégation a été conclue le 25 novembre 2015 entraînant une première compensation entre les créances et dettes réciproques de la société Ludendo Entreprises et de la société Ludendo Commerce France, de sorte que la société Ludendo Entreprises détenait une créance de 39 923 572 euros sur la société Ludendo Commerce France.
Puis, dans le même acte, une délégation de cette créance de 39 923 572 euros est intervenue entre la société Ludendo et la Sas Ludendo, et ainsi cette dernière est devenue créancière pour ce montant à l'égard de la société Ludendo Commerce France.
À la suite, une compensation conventionnelle prévue dans cet acte, a été consentie entre les créances et dettes réciproques de la Sas Ludendo et de la société Ludendo Commerce France aboutissant à ce que la Sas Ludendo demeure créancière de la société Ludendo Commerce France pour un solde de 7 737 712 euros.
Consécutivement à cette convention d'indication et de délégation, la société Ludendo Commerce France ne pouvant immédiatement régler la somme de 7 737 712 euros à la Sas Ludendo, une convention de prêt intra groupe a été conclue entre ces deux parties le même jour, soit le 25 novembre 2015, aux termes de laquelle la Sas Ludendo consentait à la société Ludendo commerce France un prêt pour une durée de 3 mois, renouvelable par tacite reconduction pour des durées équivalentes de 3 mois, moyennant un intérêt.
Sur la demande de communication de pièces
La Cadif demande que soit fait injonction à Maître X, ès-qualités, à la Sas Ludendo, à la société Ludendo Entreprise et à la société Ludendo Commerce France de communiquer diverses pièces dont la copie de l'intégralité des avenants de la convention de crédit syndiqué, de la justification du remboursement de ce crédit par la société Ludendo, de la justification des comptes courants des entreprises du groupe Ludendo, des conditions de rémunération des comptes courants, du montant des taux d'intérêt appliqué au titre du crédit syndiqué, des transferts de créances intra groupe, des comptes des sociétés du groupe pour l'exercice 2007 à 2013, les rapports du commissaire aux comptes afférents, les attestations du commissaire aux comptes attestant le montant des créances pour les deux rendez-vous prévus pour la réunion du comité des créanciers et la justification de l'exécution des obligations de la société débitrice au titre du plan de sauvegarde homologué par le tribunal.
Or, les attestations des commissaires aux comptes en vue de la constitution du comité de créanciers ont été déposées au greffe et s'agissant de la justification de l'exécution des obligations de la société débitrice au titre du plan de sauvegarde homologué, un rapport du commissaire à l'exécution du plan en date du 22 mars 2016 les relate avec précision. Les autres pièces sollicitées sont étrangères à la solution du présent litige et, en conséquence, la Cadif sera déboutée de sa demande de communication de pièces.
Sur la qualité de créancier de la Sas Ludendo
La Cadif conteste le principe même de l'existence de la créance de la Sas Ludendo faisant valoir que les conventions dont se prévalent les sociétés du groupe Ludendo n'ont pas date certaine, faute d'avoir fait l'objet d'un enregistrement, que la Sas Ludendo ne rapporte pas la preuve que celles-ci aient été effectivement signées le 25 novembre 2015, et qu'à les supposer conclues à cette date, elles l'ont été dans le seul but que la Sas Ludendo puisse voter au sein du comité des créanciers des établissements de crédit et assimilés. Elle en conclut que ce montage s'analyse en un abus ou en un détournement de la règle de droit.
Cependant aucun élément ne permet de remettre en cause la date de la signature de ces conventions qui sont consécutives à la cession à la même date, soit le 25 novembre 2015, de la filiale de droit anglais Ludendo Entreprises UK, ayant entraîné, le même jour, l'exigibilité des prêts consentis par les banques, ce qui correspond à une réalité économique et juridique, de sorte que la Cadif ne démontre pas l'existence d'un abus ou d'un détournement de la règle de droit. Il s'ensuit que consécutivement à la signature des conventions la Sas Ludendo apparaît bien comme étant un créancier dont la créance est antérieure au jugement d'ouverture. Sur le droit de la Sas Ludendo de participer au comité des créanciers des établissements de crédit et assimilés.
Selon l'article R. 626-55 alinéa 2 du code de commerce, participent en qualité de créanciers au comité des créanciers des établissements de crédit et assimilés, non seulement les établissements de crédit mais également « toute autre entité auprès de laquelle le débiteur a conclu une opération de crédit ».
Ainsi, toute mise à disposition de fonds rémunérés, à titre onéreux, par un créancier a pour effet de lui conférer la qualité de membre de plein droit du comité des établissements de crédit et assimilés. La Cadif soutient que les opérations de crédit relèvent du monopole bancaire et qu'ainsi cet article n'est pas applicable aux conventions intra groupe.
Cependant, en visant toute entité auprès de laquelle le débiteur a conclu une opération de crédit, l'article R. 626-55 alinéa 2 du code de commerce fait référence à l'opération de crédit elle-même et non pas au seul statut de l'opérateur, de sorte que les créanciers éligibles à devenir membres de droit du comité des établissements de crédit ne sont pas uniquement les établissements de crédit et qu'une convention intra groupe n'est pas exclue du champ d'application de cet article.
C'est en vain que la Cadif soutient encore que pour devenir membre de droit du comité des établissements de crédit et assimilés, le créancier doit avoir consenti un prêt, ce qui suppose la remise des fonds directement à la société débitrice ; en effet l'article R. 626-55 alinéa 2 du code de commerce ne vise pas une opération de prêt, mais toute opération de crédit, telle que définie à l'article L. 313-1 du code monétaire et financier, c'est-à-dire « tout acte par lequel une personne agissant à titre onéreux met ou promet de mettre des fonds à la disposition d'une autre personne ou prend, dans l'intérêt de celle-ci, un engagement par signature tel qu'un aval, un cautionnement, ou une garantie ».
Or en l'espèce la Sas Ludendo a consenti un crédit à la société Ludendo Commerce France en acceptant de n'être remboursée de sa créance que dans un délai de 3 mois, renouvelable par tacite reconduction, à titre onéreux, la convention prévoyant le paiement d'un intérêt.
En conséquence, la Cadif sera déboutée de sa demande tendant à exclure le vote de la Sas Ludendo au sein du comité des établissements de crédit et assimilés et le jugement sera confirmé sur ce point. Sur les contestations relatives aux propositions faites dans le cadre du projet de plan La Cadif demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a homologué le plan de sauvegarde, alors que celui-ci, d'une part ne permet pas d'assurer la pérennité de la société Lutendo Commerce France, et, d'autre part, crée une inégalité de traitement entre les créanciers participants au crédit renouvelable et ceux refusant d'y participer.
Sur la pérennité du plan de sauvegarde
Selon l'article L. 628-1 du code de commerce, applicable à toutes les procédures de sauvegarde, le projet de plan doit viser à assurer la pérennité de l'entreprise.
Pour s'assurer que le plan est conforme à l'objectif de sauvegarde de l'entreprise, les premiers juges ont à juste titre relevé que pendant toute la durée du plan, c'est-à-dire jusqu'au 25 janvier 2021, la société Ludendo Commerce France s'engage à poursuivre son activité et à restructurer ses réseaux incluant la fermeture sous 14 mois de 50 magasins non rentables et sans potentiel de rentabilité, va adapter la structure des fonctions supports en termes de coût, d'organisation et de méthodes de process et va redéployer une nouvelle stratégie de la marque, de sa politique de prix, des concepts de vente, ainsi que de sa communication. Ils ont également retenu que le comité d'entreprise réuni le 15 janvier 2016 a approuvé les procès-verbaux des réunions l'informant des projets de réorganisation entraînant la suppression de 230 postes, mais également le reclassement de 133 salariés afin de limiter l'impact humain de ces fermetures. Enfin le tribunal a souligné qu'un cabinet d'audit avait mené d'importants travaux d'audit financier et rédigé de nombreux documents prévisionnels démontrant la pérennité de l'entreprise.
D'autre part il résulte d'un courrier de Maître X, es qualités de commissaire à l'exécution du plan, en date du 22 mars 2016, que la société Ludendo Commerce France a exécuté tous les remboursements qu'elle s'était engagée à effectuer dans le plan de sauvegarde, et qu'un nouveau crédit renouvelable a pu être mis en place de manière définitive avec les 12 banques qui s'étaient engagées à y participer.
Dans ce courrier il précise également que la société débitrice a procédé à la réorganisation prévue et que malgré un contexte économique difficile, elle a pu résister du fait de la notoriété de sa marque. Plus précisément le chiffre d'affaires du groupe a progressé de 1,5 % avec un taux de marge qui a également progressé de 1,7 %.
Il ressort de ces éléments que la société Ludendo Commerce France a exécuté ses engagements de remboursement conformément au plan de sauvegarde financière accélérée et que les perspectives d'avenir ne sont pas négatives, malgré le contexte actuel difficile. Il s'ensuit que c'est à juste titre que le tribunal a retenu que l'objectif de pérennité de l'activité pouvait être atteint par le plan présenté.
Sur le traitement différencié des créanciers
Le projet de plan proposait aux créanciers trois options de remboursement :
- option 1 : remboursement intégral, à l'arrêté du plan, des créances à court terme des établissements seniors et bilatéraux qui participent à la convention de crédit renouvelable conclu le 16 novembre 2015, dans les proportions fixées par ces conventions ;
- option 2 : remboursement à hauteur de 10 %, à l'arrêté du plan, des créances à court terme des établissements seniors et bilatéraux qui ne participent pas la convention de crédit renouvelable du 16 novembre 2015 et pour le solde, remboursement selon un amortissement mensuel en capital et intérêts qui ne débute qu'après une année de franchise à compter de la date d'arrêté du plan de sauvegarde, et ce à hauteur de 22,5 % pour l'année 2007, 31,5 % pour l'année 2018 et 36 % pour l'année 2019.
- option 3 : remboursement in fine le 25 janvier 2021 des créances à court terme, hors intérêts contractuels courants qui seront payés annuellement le 25 janvier de chaque année. La Cadif, qui comme d'autres banques, a choisi l'option 2, soutient que le plan de sauvegarde homologué par le tribunal induit une inégalité de traitement entre les créanciers participants au crédit renouvelable et ceux qui n'y participent pas, ceux ayant accepté de participer au crédit renouvelable voyant leurs créances antérieures transformées en « new money ».
Cependant il convient de relever que les créanciers avaient le choix entre 3 options, et il résulte de l'article L. 626-30-2 du code de commerce que le projet de plan peut établir un traitement différencié si les différences de situation le justifient. Ces différences peuvent être d'ordre divers et notamment tenir compte du niveau de risque accepté par les créanciers, de la nature de la créance et de son ancienneté.
En l'espèce, des options différentes ont été proposées aux créanciers pour tenir compte de leur participation au crédit renouvelable et cette différence repose donc sur des critères objectifs et pertinents, permettant le refinancement et un échelonnement de la dette de la société débitrice dans un délai raisonnable. La différenciation n'apparaît pas manifestement disproportionnée et protège suffisamment les intérêts de tous les créanciers, lesquels ont pu librement accepter l'une des 3 options qui leur étaient proposées.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a adopté le plan.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
La Cadif qui succombe pour l'essentiel dans ses demandes sera condamnée aux dépens d'appel ainsi qu'à payer à Maître Y es qualités de commissaire à l'exécution du plan de la société Ludendo Commerce France, à Maître X, es qualités de commissaire à l'exécution du plan de la société Ludendo Commerce France, à la Sas Ludendo, à la société Ludendo Commerce France et à la société Nixen Partners, pris ensemble, une somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'une somme de 1 500 euros à Mme W, prise en sa qualité de représentant des salariés de la société Ludendo Commerce France également sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de nullité du recours en contestation de la Caisse Régionale de Crédit Agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France à l'encontre du vote du comité de créanciers des établissements de crédit et assimilés.
L'infirme en ce qu'il a déclaré le tribunal incompétent pour connaître de l'existence, de la nature et du montant des créances des membres des comités des créanciers et limité sa compétence à la seule constatation de ce que les créanciers présents au sein des comités de créanciers étaient les mêmes que ceux figurant sur la liste établie par le débiteur et certifiée par les commissaires aux comptes
Statuant à nouveau,
Dit que le tribunal arrêtant le plan de sauvegarde est compétent pour statuer sur les contestations relatives à l'existence, à la nature et aux montants des créances des membres des comités de créanciers,
Rejette la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir de la Cadif,
Infirme le jugement sera en ce qu'il a déclaré nul le vote de la Caisse Régionale de Crédit Agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France au sein du comité des établissements de crédit et assimilés,
Statuant à nouveau,
Dit que le vote de la Caisse Régionale de Crédit Agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France au sein des comités de créanciers est valable et rejette les demandes relatives au vote à l'unanimité,
Déboute la Caisse Régionale de Crédit Agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France de sa demande de communication de pièces,
Dit la Sas Ludendo membre du comité des créanciers de la société Ludendo Commerce France, et son vote valable,
Confirme le jugement ce qu'il a constaté que le plan de sauvegarde financière accélérée de la société Ludendo Commerce France a été adopté par le comité de créanciers le 8 janvier 2016, et en ce qu'il a arrêté le plan sauvegarde financière accélérée de la société Ludendo Commerce France
Déboute la Caisse Régionale de Crédit Agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France Cadif du surplus de ses demandes,
Condamne la Caisse Régionale de Crédit Agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France aux dépens d'appel avec recouvrement dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile,
La condamne également à payer à Maître Y es qualités de commissaire à l'exécution du plan de la société Ludendo Commerce France, à Maître X, es qualités de commissaire à l'exécution du plan de la société Ludendo Commerce France,à la Sas Ludendo, à la société Ludendo Commerce France et à la société Nixen Partners, pris ensemble, une somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu' à payer à Mme W, prise en sa qualité de représentant des salariés de la société Ludendo Commerce France une somme de 1 500 euros également sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.